Le vent sifflait dans les couloirs du château Luminar, emportant avec lui les murmures de trahison et d'ambition. Eudes, assis dans une pièce sombre éclairée seulement par des chandeliers, se penchait sur une carte détaillée de la région. Les frontières du comté de Vannes semblaient si fragiles face aux tensions croissantes. Pourtant, son esprit calculateur voyait déjà les lignes bouger, les pièces du jeu se déplacer selon ses volontés. Il n'était pas du genre à se laisser dominer par les circonstances. Lui-même était le maître de son destin, même si cela signifiait s'aventurer dans des alliances douteuses.
La visite de Sir Aedan, chef de l'Ordre des Chevaliers d'Irlande, avait été soigneusement orchestrée. Eudes savait qu'un soutien militaire et religieux pourrait changer le cours des événements. Mais il connaissait aussi le danger de s'allier à un homme comme Aedan, dont les ambitions dépassaient de loin celles des simples vassaux bretons. Le chevalier irlandais n'était pas un homme que l'on pouvait contrôler facilement.
La rencontre avec Sir Aedan
Dans une salle richement décorée, où des tentures aux couleurs vives contrastaient avec l'austérité des murs de pierre, Eudes attendait l'arrivée du chevalier irlandais. La pièce était baignée d'une lumière tamisée, et l'atmosphère y était lourde de promesses et de menaces. Sir Aedan entra enfin, accompagné de deux de ses hommes. Sa stature imposante, renforcée par son armure finement ouvragée, captiva immédiatement l'attention. Ses cheveux roux, tirés en arrière, et ses yeux d'un vert perçant lui donnaient un air à la fois noble et redoutable. L'impression qu'il laissait était celle d'un homme qui savait exactement ce qu'il voulait, et qui n'hésiterait pas à détruire tout obstacle sur son chemin.
"Seigneur Eudes," dit-il en inclinant légèrement la tête, "vous avez demandé une audience. Je suis venu en paix, bien que les temps semblent propices à tout sauf cela."
Eudes se leva lentement, jouant la carte du jeune héritier blessé par l'injustice. Il savait que son apparence pouvait jouer en sa faveur. "Sir Aedan, vous et votre ordre avez la réputation d'apporter l'ordre dans le chaos. C'est précisément ce dont j'ai besoin. Mon frère Edwyn pousse ce comté vers la destruction, et mon père est aveuglé par son favoritisme."
Aedan scrutait son vis-à-vis, et dans ses yeux brillait une lueur d'intérêt. Il n'était pas naïf ; il savait qu'il ne pouvait faire confiance à Eudes, mais une alliance avec un homme aussi déterminé pourrait offrir de nouveaux horizons. "La guerre n'a jamais été une affaire d'équité, Seigneur Eudes. Mais dites-moi, pourquoi devrions-nous vous aider, vous, plutôt que votre frère ? Edwyn est un homme de guerre, il correspond davantage à nos valeurs de chevalerie."
Eudes esquissa un sourire maîtrisé. Il sentait l'opportunité s'approcher. "Parce que moi, Sir Aedan, je suis un bâtisseur, pas un destructeur. J'offre des terres, des alliances, et une place pour votre ordre ici, sur le continent. Mon frère, en revanche, vous utilisera comme une arme temporaire avant de vous écarter. Je peux vous offrir la sécurité et l'expansion."
Le chevalier haussait un sourcil, intrigué. "Vous êtes direct, Seigneur Eudes. Mais vous savez que les promesses doivent être accompagnées de garanties. Si nous vous soutenons, qu'obtiendrons-nous en retour ?"
Eudes s'approcha de la table, le doigt pointant un endroit sur la carte représentant l'Irlande. "Vos terres là-bas sont contestées par d'autres seigneurs locaux. Si vous m'aidez à prendre le pouvoir ici, je vous soutiendrai dans vos campagnes pour sécuriser l'Irlande. Nous scellerons cette alliance par des pactes solides."
Aedan prit quelques instants pour réfléchir, son regard se perdant dans les détails de la carte. Il était clairement intéressé, mais il n'était pas un homme à se laisser séduire facilement. "Cela semble raisonnable, Seigneur Eudes, mais il me faut plus que des promesses. Un pacte avec vous serait un pari risqué. Je devrais avoir l'assurance que vous tiendrez vos engagements."
Le dilemme moral d'Eudes
Après le départ de Sir Aedan, Eudes resta seul dans la salle, son esprit tourmenté par les conséquences de son choix. En pactisant avec un ordre religieux aussi puissant, il ne se mettait pas seulement en position de force contre son frère, mais il risquait aussi de perdre une partie de son indépendance. Les chevaliers d'Irlande étaient pieux, certes, mais ils étaient aussi connus pour leur contrôle étouffant une fois installés.
Une voix familière interrompit ses réflexions. Gérald de Rennes entra dans la pièce, ses yeux perçants se posant immédiatement sur la carte encore déployée. Il n'avait pas besoin de se présenter. Son regard perça la vérité. "Je vois que vous avez trouvé un allié puissant, Seigneur Eudes. Mais êtes-vous sûr que cet homme vous servira ? Ou serez-vous celui qui servira ?"
Eudes releva les yeux vers son mentor et conseiller, une lueur de défi dans le regard. "Chaque alliance a un prix, Gérald. Mais celle-ci est nécessaire. Avec Sir Aedan à mes côtés, ni mon frère ni mon père ne pourront me faire obstacle."
"Et si ce prix était votre liberté ?" demanda Gérald, son ton devenu soudainement grave.
Eudes resta silencieux un instant, puis répondit d'une voix froide, presque calculatrice : "La liberté n'existe pas sans le pouvoir, Gérald. Ce royaume est déjà une cage. Autant en être le maître que le prisonnier."
Une alliance dans l'ombre
Les jours suivants, Eudes prépara discrètement l'arrivée des troupes de l'Ordre. Des messages codés furent envoyés, des promesses scellées. Dans les couloirs du château, les murmures s'intensifièrent. Certains vassaux fidèles à Edwyn commencèrent à douter, tandis que d'autres se ralliaient en secret à Eudes, séduits par l'idée d'une alliance avec une puissance religieuse et militaire.
Cependant, une question restait en suspens : jusqu'où Eudes était-il prêt à aller pour assurer sa victoire ? La loyauté divine pouvait-elle réellement garantir sa montée au pouvoir, ou n'était-elle qu'un piège doré ?
Dans l'ombre, le jeu d'échecs continuait. Mais désormais, une nouvelle pièce avait rejoint l'échiquier, et son influence pourrait bien renverser tout le plateau.