Le vent froid soufflait sur les terres de Vannes, glissant entre les collines et frappant les murailles austères du château. Les jours paisibles étaient révolus, remplacés par une atmosphère lourde et incertaine. Si les batailles s'étaient momentanément calmées, les véritables hostilités, elles, se jouaient désormais dans l'ombre. La guerre n'était plus une affaire de force brute : elle se déplaçait dans les salons, les couloirs et les esprits.
Dans la pénombre de ses appartements, Edwyn se tenait seul, appuyé contre la cheminée où un feu mourant projetait des ombres dansantes sur les murs de pierre. La tension le rongeait. Depuis la mort de son père, il sentait son autorité glisser entre ses doigts, comme du sable emporté par le vent. Les vassaux autrefois loyaux semblaient hésiter, certains murmurant des allégeances secrètes à Eudes.
Lorsque Bastien de Saint-Cyr, son fidèle chevalier, entra dans la pièce, Edwyn leva à peine les yeux. Mais l'expression grave de Bastien capta son attention.
"Mon seigneur," dit-il doucement, "il y a de mauvaises nouvelles. Votre frère Eudes a avancé plus vite que nous le pensions. Il forge des alliances dans l'ombre, et certaines sont... préoccupantes."
Edwyn se redressa légèrement, ses sourcils se fronçant. "Précise ta pensée, Bastien."
Bastien s'approcha, baissant la voix comme si les murs eux-mêmes pouvaient trahir ses paroles. "L'Ordre des Chevaliers d'Irlande. Ils soutiennent Eudes. Sir Aedan, leur chef, aurait envoyé des émissaires pour négocier des accords en échange de terres. Si ces chevaliers entrent dans la mêlée, nous serons débordés."
Le nom de Sir Aedan résonna dans l'esprit d'Edwyn comme une menace lointaine, mais bien réelle. "Des étrangers," murmura-t-il, presque pour lui-même. "Eudes est prêt à vendre l'honneur de notre famille pour son ambition."
"Et ce n'est pas tout," ajouta Bastien. "Certains de vos vassaux hésitent. Ils voient en Eudes une alternative plus... stable."
Edwyn serra les poings, la colère montant en lui. "Ils n'ont aucune loyauté. Tous prêts à me trahir pour quelques promesses."
Bastien posa une main rassurante sur son épaule. "Ce n'est pas encore perdu. Mais nous devons agir vite. Si Eudes parvient à unir davantage de soutiens, nous serons encerclés avant même de lever nos épées."
Pendant ce temps, à la forteresse d'Eudes, l'atmosphère était toute autre. Autour d'une grande table de bois, éclairée par la lumière tremblante de bougies, Eudes discutait avec ses alliés. Parmi eux se trouvait Gérald de Rennes, son stratège principal, et un émissaire envoyé par Sir Aedan.
L'émissaire, un homme au visage austère et à la voix calme, posa un parchemin scellé devant Eudes. "Sir Aedan est prêt à mobiliser ses chevaliers. Mais il demande un prix : des terres à l'ouest de Vannes, proches de la côte. Celles-ci serviront de base pour son ordre sur le continent."
Eudes lut le document attentivement, un sourire en coin. "Un prix élevé, mais raisonnable si cela me garantit la victoire. Mon frère ne saura pas ce qui l'a frappé."
Gérald, silencieux jusqu'alors, se pencha légèrement en avant. "C'est un choix dangereux, seigneur. Offrir des terres à un ordre étranger pourrait affaiblir votre position une fois la guerre terminée."
Eudes haussait les épaules avec une confiance froide. "Une fois la guerre terminée, je n'aurai plus besoin d'eux. Leur présence sera temporaire. Ce qu'il faut, c'est gagner ici et maintenant."
Au château de Vannes, Edwyn rassembla ses conseillers. La grande salle était remplie de murmures lorsque Bastien prit la parole pour exposer la menace imminente. "Nous savons que les chevaliers d'Irlande soutiennent Eudes. Si nous ne prenons pas l'initiative, ils arriveront avec leurs forces, et nous serons écrasés."
Edwyn fixa la table, réfléchissant à la meilleure stratégie. "Nous ne pouvons pas attendre. Nous devons frapper Eudes avant qu'il ne soit prêt. Mais pas seulement sur le champ de bataille."
Bastien fronça les sourcils. "Que voulez-vous dire, mon seigneur ?"
Un sourire apparut sur le visage d'Edwyn. "Nous allons jouer son jeu. Trouver ses alliés, infiltrer ses rangs, et semer la discorde parmi eux. Si Eudes pense qu'il est le seul à manœuvrer dans l'ombre, il se trompe."
Il se leva, sa silhouette imposante dominant la salle. "Rassemblez les vassaux restants. Et envoyez des éclaireurs vers la côte. Si les chevaliers d'Irlande arrivent, je veux le savoir avant qu'ils ne posent un pied sur nos terres."
Bastien s'inclina, impressionné par la détermination renouvelée de son seigneur. "Très bien, mon seigneur. Nous agirons dans l'ombre, comme vous l'avez ordonné."