Allison Kramer n'avait pas dormi depuis trois jours. Enfin, techniquement, elle avait somnolé entre deux crises de panique, mais elle était persuadée que ces micro-siestes ne comptaient pas vraiment. À quoi bon fermer l'œil si c'était pour plonger tête la première dans un festival d'angoisse où des campeurs hurlaient, des couteaux volaient et des feux de camp semblaient avoir été allumés par des pyromanes amateurs ?
C'était devenu son quotidien. Depuis plusieurs mois, Allison voyait défiler des scènes horrifiques chaque fois qu'elle osait s'assoupir. Des bois sombres. Des cris. Des visages qu'elle reconnaissait à peine, mais qui semblaient la supplier de les sauver… ou de les tuer. Elle n'était pas bien sûre, car la narration dans ses cauchemars était aussi floue qu'une VHS usée.
Ce matin-là, elle s'installa sur le fauteuil en cuir de son psychiatre, le Dr Lewis, avec l'espoir ténu qu'il aurait une solution. Quelque chose d'efficace. Une pilule magique, peut-être ? Ou un rituel vaudou, elle n'était pas difficile. Mais Lewis, comme à son habitude, avait un air vaguement satisfait qui lui donnait envie de lui balancer un coussin.
« Allison, » dit-il d'un ton doucereux, comme si elle n'était pas à deux doigts de lui hurler dessus. « Vous devez affronter vos peurs. »
Elle leva un sourcil. « Mes peurs ? Vous voulez dire mes cauchemars d'angoisse existentielle, où des gens meurent dans des conditions atroces ? »
Il hocha la tête, imperturbable. « Oui, exactement. Ces cauchemars sont probablement des souvenirs refoulés. »
« Des souvenirs refoulés de quoi, exactement ? De mon audition ratée pour un film d'horreur ? »
Il ignora la pique. « Je pense que vous êtes une survivante d'un événement traumatique, Allison. Un massacre. »
Elle cligna des yeux. « Un massacre. Carrément. »
« Oui. » Il sourit, comme s'il venait de résoudre le mystère du siècle. « Les détails de votre passé sont flous, n'est-ce pas ? »
« Je veux dire… oui, mais seulement parce que j'ai grandi dans une famille qui pensait que parler des émotions était une faiblesse. »
Lewis eut un rire poli, comme un professeur qui tolère un élève insolent. « Non, c'est plus profond que ça. Vous avez bloqué un souvenir traumatique. Vous étiez au mauvais endroit, au mauvais moment, il y a des années. Votre esprit vous protège, mais ces cauchemars sont la preuve que les souvenirs remontent à la surface. »
Allison soupira. Elle avait envie de lui dire qu'elle préférait un esprit qui la protège en silence, sans la noyer sous des visions gore. Mais avant qu'elle ne puisse protester davantage, Lewis lança la phrase fatidique :
« Il est temps pour vous de retourner sur les lieux. »
Elle écarquilla les yeux. « Les lieux de quoi ? »
« Du camp. Le camp où tout s'est passé. »
Elle le fixa, incrédule. « Vous voulez que j'aille dans un vieux camp de vacances abandonné pour, je sais pas, déclencher un flashback et résoudre le mystère de mes cauchemars ? »
Il hocha la tête. « Exactement. »
Elle éclata de rire, un rire nerveux qui ressemblait plus à un gloussement hystérique. « Vous savez que ça ressemble au début d'un mauvais film d'horreur, non ? »
Lewis sourit, presque amusé. « Peut-être. Mais si vous voulez vous débarrasser de ces cauchemars, c'est la meilleure solution. »
Quelques jours plus tard, Allison se retrouva sur la route, seule dans sa vieille voiture qui faisait un bruit suspect chaque fois qu'elle dépassait les 80 km/h. Elle avait longuement hésité avant de se lancer. Une partie d'elle voulait simplement ignorer les conseils de Lewis, prendre une semaine de congé et passer ses journées à regarder des comédies romantiques en mangeant des chips. Mais une autre partie, plus sournoise, lui soufflait qu'il avait peut-être raison. Et si ces cauchemars étaient réellement des souvenirs ? Et si elle pouvait enfin découvrir ce qui n'allait pas chez elle ?
La route menant au camp était sinueuse, bordée de forêts si épaisses qu'elle aurait juré qu'elles murmuraient dans le vent. Son GPS n'avait pas de signal, bien sûr, parce que c'était comme ça que les choses se passaient dans ce genre de situations. Elle finit par arriver devant une grille rouillée avec un panneau qui disait : "Propriété Fédérale – Entrée interdite sous peine de poursuites."
Elle haussa les épaules. Elle était déjà là, autant aller jusqu'au bout.
Allison escalada la grille avec une agilité surprenante pour quelqu'un qui n'avait pas fait de sport depuis le lycée. Une fois de l'autre côté, elle se retrouva face à une clairière qui semblait sortie d'un tableau macabre. Les anciens bâtiments du camp étaient délabrés, leurs toits effondrés et leurs fenêtres béantes comme des orbites vides. Le vent soufflait à travers les arbres, produisant un son étrange, comme un chuchotement collectif.
Elle fit quelques pas, le cœur battant à tout rompre. Chaque craquement de branche sous ses pieds semblait résonner comme un coup de tonnerre. Elle s'approcha de ce qui avait probablement été le réfectoire, un bâtiment en bois à moitié mangé par la moisissure. Elle posa la main sur la porte, hésitante. C'est alors que ça arriva.
Un flash. Pas un flash lumineux, mais un flash mental. Une vision d'un feu de camp, de rires… suivis de cris. Du sang. Des visages déformés par la peur. Allison recula en titubant, la tête lui tournant. Elle se rattrapa à un arbre pour ne pas tomber.
« OK, c'est peut-être pas une bonne idée, » murmura-t-elle à elle-même.
Mais au fond, elle savait qu'elle n'était pas prête à partir. Pas encore. Elle inspira profondément et continua d'explorer. Elle trouva une vieille cabane qui avait servi de dortoir, avec des lits superposés à moitié détruits et des graffitis sur les murs. Certains graffitis semblaient… récents. Elle sentit un frisson lui parcourir l'échine.
Un bruit derrière elle. Un craquement. Elle se retourna brusquement, mais il n'y avait rien.
« Respire, Allison. C'est juste ton imagination. »
Elle savait qu'elle mentait.
Elle continua d'avancer, mais à mesure qu'elle explorait le camp, les flashbacks devenaient plus fréquents. Des images brèves mais intenses, comme des éclairs d'un orage lointain. Elle voyait des scènes qu'elle ne comprenait pas : une jeune fille près d'un lac, un couteau brillant sous le soleil, des visages figés dans un mélange d'horreur et de confusion.
Quand elle s'effondra sur un vieux banc près de ce qui avait été un terrain de basket, elle était en larmes. Elle avait l'impression de devenir folle. Mais elle savait une chose avec certitude : ce n'était que le début.