La chaleur atteint son apogée, et je pianote frénétiquement sur mon clavier, cherchant à boucler un dossier crucial avant le week-end. L'air est lourd, suffocant, et chaque minute passée ici me donne encore plus envie de rentrer chez moi, de me plonger dans un bain glacé, histoire de retrouver un semblant de fraîcheur.
Alors que je m'acharne sur les touches de mon MacBook Pro, une voix douce mais ferme brise le silence de la pièce. Je relève la tête pour croiser le regard perçant de ma patronne, Simone Romano. La femme que j'admire le plus dans notre milieu professionnel. Elle incarne à la perfection ce que signifie être une femme de caractère : une élégance naturelle, une blondeur mature et raffinée, et surtout, une force à laquelle aucun homme n'oserait s'opposer. Simone, c'est l'icône vivante de l'architecture moderne. J'ai travaillé dur, sacrifié des années d'efforts pour être ici, dans son équipe. Et aujourd'hui, je me tiens fièrement à ses côtés, à la fois élève et protégée.
Elle passe la tête entre la porte de mon bureau, ses yeux pétillants d'une bienveillance rare.
– Vous avez bientôt terminé, Divy ?
Ah, oui, pardon, je ne me suis même pas encore présentée…
Je m'appelle Divy Prestone, j'ai 27 ans, et je vis à Seattle. Je suis architecte dans l'une des entreprises les plus prestigieuses du pays, dirigée par nul autre que Simone Romano. Cette femme pour qui tous se battent afin d'obtenir une parcelle de son temps. Et moi, je suis ici, à ses côtés, ce qui, chaque jour, me remplit d'une fierté incommensurable.
– Vous avez bientôt terminé, Divy ? répète-t-elle, avec cette petite pointe d'impatience feutrée.
– Oui, je finalise le projet Mercure et je m'en vais. Avez-vous besoin de quelque chose avant mon départ ?
– Non, c'est tout bon, vous faites déjà un travail remarquable. Ah… en fait, il y a bien une chose. Avez-vous quelque chose de prévu demain soir ?
Je la fixe, intriguée.
– Mon époux et moi organisons un cocktail à la Villa Mendula. Venez. Ce sera l'occasion de rencontrer quelques têtes influentes de notre milieu.
– Je vous remercie Simone, mais je ne voudrais pas m'imposer, dis-je avec une hésitation sincère.
Elle me sourit, presque maternellement.
– Vous ne vous imposerez jamais, Divy. Vous êtes celle en qui je place tous mes espoirs. Vous êtes mon diamant brut. Venez, vous y rencontrerez Rachel Lombardi et Justin Terrier.
Mon cœur rate un battement. Rachel Lombardi et Justin Terrier. Ces noms résonnent dans mon esprit. Ils sont les PDG de Blanchard, la manufacture horlogère de luxe qui vient de s'implanter aux États-Unis après avoir bâti son empire en Suisse. Ils vont bientôt lancer un concours pour sélectionner le jeune architecte qui dessinera leur futur siège : un gratte-ciel de 67 étages, une véritable œuvre d'art. Une opportunité inestimable.
Je prends une profonde inspiration, les frissons montant le long de ma colonne vertébrale. Simone sait que je ne peux refuser une telle occasion.
– Merci infiniment, Simone. J'y serai.
Elle acquiesce d'un léger mouvement de tête avant de quitter mon bureau.
J'ai refermé mon Mac, rangé soigneusement quelques dossiers dans mon sac, puis franchi la porte pour enfin partir.
Arrivée au loft, ce véritable joyau que je partage avec mes deux meilleures amies, je me précipite immédiatement sous la douche. La chaleur est accablante, presque oppressante.
En redescendant, j'inspire profondément, laissant une fragrance florale, douce mais piquante, envahir mes narines. Un splendide bouquet de fleurs trône sur notre plan de travail, illuminant la pièce de ses teintes vives.
– Mmmh, merci Frany, tu as le don de sublimer notre intérieur avec ces senteurs exotiques !
Il faut dire que Frany, c'est l'exotisme incarné. Elle est pétillante, pleine de fraîcheur, toujours un sourire aux lèvres, belle à couper le souffle, mais aussi, parfois, un tantinet insupportable. Il faut bien avouer que son côté casse-pieds est un défaut qu'elle porte avec grâce. Elle plonge ses yeux bruns dans les miens, avant de déposer un baiser furtif sur ma joue. Elle sait pourtant que je déteste les marques de contact physique inutiles : les bises, les accolades, les bisous amicaux… Ce n'est pas mon truc. Mais c'est sa manière à elle de me témoigner son affection, de me taquiner. Elle adore me pousser hors de ma zone de confort, Frany, c'est comme une brise printanière qui souffle sur mes habitudes.
Elie éclate de rire en voyant mon corps se raidir instinctivement. Elie, c'est la sœur de Frany. Elles sont comme le jour et la nuit, mes Yin et Yang, opposées mais parfaitement complémentaires.
Elie est ma confidente, ma force tranquille, une intelligence aiguisée et posée. Avec elle, pas besoin de mots, un simple regard suffit pour tout comprendre.
Pour elles, je suis comme une troisième sœur. Entre nous, aucun secret. Il n'y en a jamais eu et il n'y en aura jamais. Depuis notre rencontre à la maternelle, nous formons un trio inséparable.
Durant mes études d'architecture, j'ai eu l'opportunité de travailler sur la réhabilitation d'une ancienne usine en loft. Dès que j'ai vu le potentiel du projet, j'ai sauté sur l'occasion et acquis cet espace avec mes deux meilleures amies. Bien sûr, sans leur soutien financier, je n'aurais jamais pu envisager vivre dans un lieu aussi exceptionnel. Je me suis occupée de tout l'aménagement brut, tandis que Frany s'est chargée de la décoration. Elle a créé un véritable cocon aux tons boisés, naturels, qu'elle embellit encore chaque mois avec de nouvelles idées, toujours plus originales. Elie, en bonne gardienne de l'ordre, recadre souvent Frany, car il faut bien l'admettre, certaines de ses idées sont parfois démesurées.
Elie, notre main de fer, veille à l'équilibre entre nous trois. Elle nous soutient, nous écoute, et nous offre toujours des solutions pragmatiques à nos problèmes. Une véritable cheffe d'entreprise. Il n'est guère surprenant que sa start-up prenne son envol de manière fulgurante. Elle le mérite tellement. Je lui envie souvent son talent, son sérieux, son flair pour les affaires, et surtout, sa loyauté inébranlable.
Bref, elles sont mes deux piliers !
– Les filles, demain je rencontre Rachel Lombardi et Justin Terrier.
Elie me fixe avec des yeux ronds de stupéfaction, tandis que Frany continue de siroter son verre de rosé, imperturbable.
– Tu es sérieuse, Divy ? Je veux venir, je rêve de les rencontrer ! S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît !
– Tu sais bien que je ne peux pas, c'est chez ma patronne.
– Pitiééééééééé, Divyyyyyyy !
– Désolée ma chérie, mais si j'ai l'opportunité de leur parler de toi, promis, je le ferai.
Elie mime une expression vexée et déçue, mais je ne peux rien y faire. Simone a été très claire à ce sujet : personne n'entre dans sa demeure sans y être personnellement invité. Frany, toujours un peu en retrait, nous observe sans vraiment saisir l'ampleur de la situation.
Elie a lancé sa start-up dans le développement de stratégies marketing pour des marques prestigieuses, et elle sait que Rachel Lombardi et Justin Terrier s'implantent à Seattle. Si elle parvenait à les approcher, ou mieux encore, à les convaincre de l'engager pour gérer leur marketing et leur communication, ce serait bien plus qu'un tremplin pour elle : ce serait une fusée qui la propulserait droit vers la lune.
Samedi en fin d'après-midi, je commence à me préparer. Après une longue douche chaude, je laisse mes cheveux sécher naturellement, leurs ondulations légères tombant en cascade. J'opte pour un maquillage léger et frais qui met en valeur mes yeux vert-or, un héritage de mon grand-père. Ma peau, déjà bien hâlée par le soleil de printemps, resplendit. En fouillant dans mon dressing, une robe m'attire. Cela fait un moment que je rêve de la porter. Une pièce rare, dénichée dans une friperie, comme si elle avait été conçue pour moi.
Elle est d'un ton champagne, avec un haut en soie délicate, agrémenté de fines bretelles. Son décolleté sobre dévoile élégamment le haut de ma poitrine. Le bas de la robe, en mousseline de soie, est d'une légèreté envoûtante. Elle m'arrive à mi-mollet, dansant gracieusement à chacun de mes mouvements.
J'enfile des sandales plates dorées, désireuse de rester à l'aise toute la soirée. Je prends mon sac à main porte-bonheur, y glisse quelques indispensables, puis, après un dernier regard dans le miroir, je file à cette soirée professionnelle.
Me voici arrivée dans le Comté de King. Je gare ma Tesla Model 3 rouge cerise, avec son intérieur en cuir blanc et toutes les options possibles. L'allée est éclairée par de petites lumières scintillantes. En fond, j'entends "Summertime" d'Ella Fitzgerald, une mélodie parfaite pour ce genre de soirée.
Je sors un petit miroir de mon sac Bottega Veneta, un cadeau de mes sœurs pour la fin de mes études. Après une légère retouche de maquillage, je me dirige vers le domaine. Un serveur m'accueille à l'entrée et me tend un verre de Granita Vodka au citron vert, un choix idéal pour débuter la soirée. C'est frais, avec juste ce qu'il faut de mordant.
Je pénètre dans la demeure et, comme à chaque fois, je suis éblouie par la beauté des lieux. Une maison d'un raffinement épuré, où chaque détail respire l'élégance. Bien entendu, tout ici est conçu à partir de matériaux nobles. Le parquet en Wengé massif est simplement sublime. Les meubles, d'un blanc immaculé, contrastent avec des statues en marbre, soigneusement disposées, qui ajoutent une touche minimaliste et contemporaine. Je n'ose même pas imaginer vivre ici. Avec ma maladresse, j'aurais déjà taché au moins deux murs, trois canapés, et cassé quelques objets.
La musique s'intensifie à mesure que je m'approche du jardin. L'extérieur est tout aussi impressionnant que l'intérieur. Simone aime décidément le blanc, c'est indéniable. Tout est d'une blancheur éclatante, agrémenté de touches dorées sur la vaisselle, les verres, et autres détails raffinés. Des centaines de bougies flottent à la surface de la piscine. Le spectacle est tout simplement captivant.
Je scrute autour de moi, à la recherche de visages familiers, mais je dois admettre que je ne me sens pas très à l'aise. Je ne connais presque personne, et la plupart des invités appartiennent à une classe sociale… comment dire… ultra-riche. Je ne fais pas partie de ce monde. Certes, je gagne bien ma vie, j'ai une situation confortable, mais je me sentirais bien plus à ma place au loft, en train de partager un bon chardonnay avec mes amies, devant une soirée Netflix.
Cependant, je sais que je dois saisir cette opportunité et me présenter à quelques personnes.
J'entends mon prénom et me retourne pour faire face à Monsieur Romano, Luca Romano, l'époux de Simone. Il dépose un baiser sur ma main avec une élégance qui lui est propre.
– Vous êtes ravissante, ma chère Divy. Simone est enchantée que vous ayez pu venir. Vous n'imaginez pas l'affection qu'elle vous porte. Vous êtes un peu comme une fille pour elle… pour nous.
– Arrêtez, Luca, vous allez me mettre encore plus mal à l'aise que je ne le suis déjà.
Évidemment, je rougis sous l'effet de ces beaux compliments.
Luca me prend par la main et m'accompagne jusqu'à l'hôtesse de la soirée. Simone est flamboyante dans une combinaison fluide rose fuchsia, perchée sur des talons aiguilles argentés, son maquillage semblant tout droit sorti d'un conte de fées. Elle m'enlace et je fais de mon mieux pour que ma réticence à ces gestes ne soit pas perceptible.
– Divy, mon dieu, mais vous êtes magnifique. Je suis si fière de vous avoir à mes côtés ce soir. Les invités ne sont pas encore tous là… Certains aiment se faire désirer.
– Simone, à chaque fois que je viens à la Villa Mendula, je suis toujours autant charmée par la beauté des lieux. Merci beaucoup pour l'invitation.
– Prenez donc un autre verre et profitez de la soirée. Je vous présenterai à nos invités principaux un peu plus tard.
Simone et Luca s'éloignent pour saluer d'autres convives.
Je me promène près de la piscine, fascinée par le nombre de bougies flottant à la surface. Je me demande combien de temps ils ont bien pu mettre pour les disposer ainsi. Si j'avais dû faire cela, je me serais certainement étalée dans la piscine. Souriant à ma propre blague intérieure, je relève la tête. C'est à cet instant que je croise le regard sombre d'un homme. Un frisson parcourt tout mon corps, suivi d'une chaleur intense. Je reste figée, le souffle coupé, une sensation indescriptible oppressant ma poitrine. En une fraction de seconde, je me perds dans un sentiment étrange, presque hypnotique.
Il se retourne face à deux hommes, et moi, je reste là, comme une idiote, à contempler son corps sculpté, musclé, parfaitement taillé. Il détonne parmi les autres convives par sa force brute et sa beauté magnétique. Il se tient avec une certaine impatience, et je me demande si sa présence ici n'est pas due à une contrainte quelconque.
Son dos, taillé en V, trahit une carrure imposante, et il doit frôler les deux mètres. Vêtu d'un pantalon chino noir qui moule parfaitement ses fesses bombées et musclées, sa chemise en lin retroussée jusqu'aux coudes, et ses mocassins en daim noir d'une célèbre marque italienne, il incarne l'homme puissant dans toute sa splendeur. Ses cheveux brun foncé, soigneusement dégradés avec une longueur plus importante sur le dessus, me donnent envie, l'espace d'un instant, de passer mes doigts dans cette chevelure épaisse.
Je réalise soudain qu'il serait préférable de décrocher mon regard de son corps de rêve, non sans avoir secrètement bavé. Je me dirige précipitamment vers le premier serveur que j'aperçois. Alors que j'approche à deux mètres d'un cocktail aux couleurs exotiques, je m'emmêle dans mes propres pieds et m'agrippe au pauvre serveur, provoquant la chute de son plateau. Tous les verres se fracassent au sol dans un bruit retentissant. Rouge de honte, je ne sais plus où me mettre. Mon unique préoccupation est que cet homme ténébreux n'ait pas été témoin de la scène.
Évidemment, tous les regards se tournent vers moi. Luca arrive rapidement pour m'aider à me relever.
Je tente désespérément de recroiser le regard de l'homme vêtu de noir, mais il ne daigne même pas se retourner. C'est bien le seul à m'ignorer dans cette scène de désastre. Toujours dos à moi, il reste impassible, son téléphone en main, il pianote nerveusement sur l'écran, et je remarque la tension dans sa mâchoire qui se crispe. Dieu sait combien j'aimerais pouvoir apaiser cette nervosité qui semble l'habiter…
L'incident passé, les conversations reprennent leur cours, le tintement des verres et les éclats de rire remplissent l'air. Pourtant, je ne peux m'empêcher de chercher à nouveau cet homme du regard, avec l'espoir de revivre cette intense connexion lorsque ses yeux sombres ont croisé les miens. Mais, malheureusement, il reste de dos, impassible, ou bien légèrement de profil. Toujours aussi sérieux, aucune lueur de sourire sur son visage… On dirait qu'il est taillé dans le marbre.
Soudain, mon attention est détournée par l'arrivée de Rachel Lombardi et Justin Terrier, les représentants de la prestigieuse marque Blanchard, main dans la main. Mon cœur se serre légèrement. Simone s'avance vers eux, les accueille chaleureusement, les enlaçant comme de vieux amis. Je les observe tout en échangeant distraitement quelques mots avec d'anciens clients de la soirée.
– Divy, ma chère, venez, laissez-moi vous présenter à mes amis de longue date, lance Simone avec un sourire éclatant.
Je sens mes mains devenir moites à mesure que l'adrénaline monte en moi.
– Bonsoir, je suis Divy Prestone, dis-je en essayant de dissimuler ma nervosité.
– Divy est mon bras droit, poursuit Simone avec fierté. Elle a un talent inné, et je compte bien lui transmettre tout ce que je sais. Vous devriez jeter un œil à son travail, c'est une perle rare : créative, rigoureuse, audacieuse, et d'une minutie impressionnante. Je crois savoir que vous avez un projet à lancer prochainement, Rachel ?
Un clin d'œil complice de Simone, et me voilà soudainement seule avec les représentants de Blanchard. Mon estomac se noue sous l'effet de l'enjeu.
– Divy, savez-vous que Simone est l'une de nos amies les plus chères ? entame Rachel avec un sourire amical.
– Elle ne me l'avait pas encore dit, rétorqué-je, légèrement intimidée.
– Si elle est aussi enthousiaste à votre égard, c'est que votre travail doit être exceptionnel. Avez-vous des esquisses ou des plans que vous pourriez nous montrer ?
– Bien sûr, je serais honorée de vous envoyer mes travaux par e-mail, dis-je, tout en tentant de garder mon calme.
– Parfait, voici ma carte. Vous avez sûrement entendu parler du concours que nous allons lancer pour notre nouvelle succursale à Seattle ?
Je hoche la tête, un sourire aux lèvres, le cœur palpitant d'excitation.
– Restons en contact, conclut Rachel, avant de m'adresser un dernier signe de tête.
Ils reprennent doucement leur marche, main dans la main, et descendent les escaliers avec une élégance naturelle.
Du haut de la véranda, je les observe s'éloigner, serrant la carte de visite dans ma main comme un trésor. Une vague de fierté et d'enthousiasme m'envahit, je me sens prête à conquérir le monde.
Puis, mon regard se tourne à nouveau vers lui. Mon cœur s'emballe. Je le vois tendre un objet à Simone, avant de lui déposer un baiser sur la joue et de disparaître sans un mot, par la porte arrière du patio.