Si je pouvais me permettre d'attendre, j'aurais reporté le voyage vers les montagnes de l'arrière-pays et je serais restée toute la matinée, toute la journée, aux côtés de Bai Ye. Mais mes provisions s'amenuisaient après des jours loin du Mont Hua, et j'évitais habituellement de rassembler tout ce dont j'avais besoin en même temps, juste au cas où quelqu'un de passage pourrait reconnaître les ingrédients et déduire le but du mélange. Malheureusement, cela signifiait que je devais rendre visite plus fréquemment à la clairière.
Mes pensées vagabondaient alors que je me frayais un chemin à travers la verdure luxuriante ornée de rosée matinale. C'était un jour brumeux dans les collines, le soleil n'étant rien de plus qu'un anneau d'halo derrière le brouillard épais. Cela me rappelait le jour où j'avais amené Bai Ye ici pour la première fois, désireuse de lui montrer ma découverte par ce même matin brumeux il y a quatre ans.
"Maître !" je me souviens de m'être exclamée dans l'excitation. "Devinez ce que j'ai trouvé ici ?"
Bai Ye s'était agenouillé à mes côtés. J'avais déjà quatorze ans à l'époque, mais j'étais toujours petite et maigre, à peine à la hauteur de sa poitrine. Il m'avait tapotée sur la tête et avait souri, "Un bébé lapin ?"
"Maître !" j'avais fait la moue. J'aimais bien nourrir les petits animaux touffus à ce moment-là, mais ce n'était pas une raison suffisante pour qu'il continue de me traiter comme un enfant. J'avais attrapé la main qui me frottait la tête et l'avait pressée contre le sol. "Vous sentez le flot de pouvoir ici ?" avais-je demandé. "Il y a quelque chose qui coule en dessous de nous."
Bai Ye avait presque trébuché à mon soudain mouvement brusque, mais son sourire s'était élargi. "Tu as trouvé un lac souterrain," avait-il dit après avoir examiné un moment. "Sa puissance alimente cette prairie et crée les herbes les plus puissantes. Beau travail, Qing-er."
J'avais souri, et j'avais enfoncé mes mains plus profondément dans la terre avec les siennes, sentant le pouvoir tourner autour de nos doigts. Il m'avait observée en silence, fièrement.
À quatorze ans, je n'avais pas réalisé à quel point mes actions étaient inappropriées et impolies, et combien j'avais de la chance d'avoir un maître qui ne voulait pas blesser mes sentiments pour une question de formalités. Mais quatre ans plus tard, je pouvais presque sentir à travers mes souvenirs la chaleur de sa paume et la douceur de ses doigts. Les mêmes doigts qui ont maintenant effleuré chaque partie de mon corps et joué avec mes sens.
Je levai les yeux vers le disque flou de soleil enveloppé derrière la brume. C'était peut-être la perte de mes parents qui m'avait rendue plus attachée à Bai Ye que la plupart des disciples à leurs maîtres. Nous avions toujours été proches, mais au moins à cette époque, je l'avais seulement admiré, et il m'avait simplement regardée grandir sous son regard bienveillant et encourageant. Penser qu'un jour viendrait où je devrais revisiter cette clairière pour faire des potions que …
Je me sentais brûler à nouveau. Quand tout cela s'était-il passé ? Que représentait-il pour moi maintenant, et que représentais-je pour lui ?
Une voix inconnue à distance me fit sursauter. "Tu as entendu parler de ce qui est arrivé à Chu Xi il y a quelques jours ?"
Je me retournai, bien que je ne pusse voir personne à travers le brouillard épais.
"Je pensais qu'elle avait été envoyée dans un village au nord," répondit une autre voix.
Je m'arrêtai. La mention de Chu Xi m'intriguait. Si je ne pouvais pas voir les interlocuteurs, ils ne pouvaient probablement pas non plus me voir, alors je restais silencieusement sur place et écoutais, impatiente d'entendre le reste des nouvelles.
"Elle l'a été," répondit la première voix. "Et après seulement quelques jours, elle est tombée d'une falaise et s'est cassé une jambe."
Je n'en croyais pas mes oreilles. La justice avait-elle trouvé son chemin jusqu'à elle par le destin ?
"Comment est-ce arrivé ? Je pensais que le Gardien prendrait des précautions pour la garder en sécurité là-bas," dit la deuxième personne. La voix était celle d'une fille probablement plus jeune que moi, et elle sonnait vaguement familière, bien que je ne puisse tout à fait l'identifier avec l'étouffement du brouillard.
"Le Gardien ne peut pas s'occuper d'elle toute la journée. Mais j'ai entendu dire que c'était de sa propre faute – elle a donné un coup de pied à un chien parce qu'il grognait sur elle, et le chien l'a poursuivie dans tout le village jusqu'à ce qu'elle monte sur une falaise."
Je pouvais à peine retenir un gloussement. Cela ressemblait tout à fait à quelque chose que Chu Xi ferait.
La première voix continua, "Bien sûr, elle a affirmé après que le chien était possédé et savait exactement comment la faire tomber de la falaise. Elle a dit que c'était un tour de vaudou de Yun Qing-er pour se venger. Je me demande ce que le Gardien en pense."
"Je ne croirais pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec Senior Yun," dit la deuxième personne. "Elle était avec nous presque toute la semaine, et je peux dire qu'elle est une personne gentille, sans mauvaises intentions. Certainement plus gentille que Chu Xi. Je me demande quelles rancœurs Chu Xi pourrait tenir contre quelqu'un d'aussi bienveillant."
Je reconnus finalement que la voix était celle de Han Shu. C'était étonnamment réconfortant d'entendre qu'elle m'avait tant appréciée pendant le voyage.
L'autre personne rit. "Je ne le croirais pas non plus, mais seulement parce que je sais que Yun Qing-er n'a pas assez de pouvoir pour ensorceler un chien. À moins qu'il y ait quelqu'un près du niveau d'un maître qui l'aide, Chu Xi ne peut s'en prendre qu'à sa mauvaise chance."
Elles rirent toutes les deux, et les bavardages devinrent plus silencieux à mesure qu'elles s'éloignaient.
Je restai figée comme une statue. Quelqu'un près du niveau d'un maître …
Plus j'y pensais, plus il me semblait que l'incident ne s'était pas produit par hasard. Chu Xi n'était pas stupide, et même avec ses racines spirituelles scellées, elle avait toujours des compétences martiales de base. Quelle était la probabilité qu'elle soit poursuivie par un chien commun dans tout le village et qu'elle finisse par hasard au bord d'une falaise ? Quelle était la probabilité que son épreuve soit si similaire à la mienne ?
Cela devait être Bai Ye. Il m'avait dit auparavant qu'il ferait payer à Chu Xi le prix de m'avoir blessée, et il avait dû agir après être revenu du Village de l'Est.
Un mélange de sentiments s'agitait en moi. Je n'avais pas pris au sérieux les paroles de Bai Ye lorsqu'il m'avait promis vengeance, et j'aurais pensé me sentir coupable de tout ce qui arrivait à Chu Xi au-delà de la punition qu'elle avait déjà reçue. Néanmoins, maintenant que Bai Ye l'avait fait, je ne ressentais aucune culpabilité, seulement de la satisfaction.
Mais je n'avais jamais connu Bai Ye comme une personne vengeresse, et Chu Xi avait dû vraiment franchir la zone interdite pour gagner une telle haine de sa part. Je me souvenais des tremblements de Bai Ye quand j'étais au bord de la mort, son étreinte attentive quand il me disait qu'il pensait qu'il pourrait me perdre …
Je ne pouvais arrêter les prochaines questions qui me traversaient l'esprit : quand ses sentiments pour moi avaient-ils également changé ? Et faisait-il tout cela pour moi en tant que maître, ou en tant qu'amoureux ?