Alors que les premiers rayons de soleil éclairaient petit à petit la pièce dans laquelle je me trouvais, j'étais entièrement focalisé sur mes mains.
Suspendues dans les airs, je bougeais doucement mes doigts. Comme si j'essayais d'agripper un quelconque objet intangible, n'existant que dans mon esprit fatigué par les années. Mes doigts squelettiques avaient retrouvé leur agilité d'antan, la peau était à nouveau lisse, et les callosités des combats acharnés avaient disparu.
Je n'osais y croire, tellement j'ai fait ce rêve, encore et encore, sans qu'il ne se réalise, malgré toutes mes prières et toutes les larmes que j'ai pu verser.
Je ne sais combien de temps il m'a fallu pour avoir le courage de toucher mon visage. Mes rides avaient disparu, de même que l'affreuse cicatrice qui a définitivement fermé mon œil gauche. D'ailleurs, j'ai eu du mal à l'ouvrir, comme si j'avais oublié ce que c'était que d'avoir deux yeux fonctionnels.
Ce n'est qu'après que j'ai commencé à regarder autour de moi : la même chambre modeste, avec mon PC dans le coin, déjà dépassé par l'âge à l'époque où je l'ai eu. Les mêmes rideaux beiges qui laissaient passer la lumière de l'aube. Le même vieux plancher que ma mère s'évertuait à cirer chaque weekend, quand bien même, je lui disais que je ne supportais pas l'odeur de la cire.
Ma mère ! Mon cœur s'est mis à battre la chamade quand mes pensées se tournèrent vers elle. Était-elle encore de ce monde ? Je n'ai jamais osé imaginer ce qu'elle a pu ressentir quand j'ai disparu cette nuit-là. Quand j'ai soudainement été transporté dans ce monde fantastique.
Fantastique ? Horrifique, plutôt ! Au départ, j'ai été fier et enthousiaste à l'idée de sauver ce monde et ses habitants. D'autant plus que la « déesse » m'avait promis qu'une fois ma « quête » terminée, elle me ramènerait exactement à l'endroit et à l'heure d'où elle m'avait extirpée. Aurait-elle tenu sa promesse ?
Quelle naïveté ! Combien de vies ai-je pu prendre ? Combien d'amis ai-je perdus au cours de ce voyage ? Aucun enfant au monde n'aurait eu le cœur et l'esprit assez fort pour vivre de telles atrocités sans conséquences. Chère déesse, j'espère que vous pourrissez comme il se doit, là où je vous ai arraché le cœur. Vous n'aurez plus l'occasion de kidnapper des enfants pour votre petit plaisir personnel, ni vous, ni vos pairs.
J'en étais là, perdu dans mes pensées morbides, quand un bruit dans la pièce d'à côté a attiré mon attention. Par habitude, j'ai activé la compétence « sens aigu » pour scanner mon environnement immédiat. Quel choc !
La compétence fonctionnait, et c'est ma mère qui se levait de son lit.
Quel soulagement. Avec ma jeunesse retrouvée, c'est comme si cette histoire n'a jamais existé. Et pourtant, la compétence fonctionnait, ici, dans la réalité.
Reprenant doucement mon calme, j'ai de nouveau tendu la main, me concentrant pour invoquer mon épée. Instantanément, elle s'est matérialisée dans ma paume. Le même poids, la même sensation de puissance. Infusant faiblement ma magie dans sa poignée pour activer la compétence « lame indestructible ». Sa lame s'est recouverte d'une lueur bleue, caractéristique de la compétence. Cette fois, j'en étais sûr. J'étais revenu dans mon monde. Avec tous mes pouvoirs et tous mes avoirs.
Maman, ton fils Locke, fléau des dieux, est de retour.
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Affairée à cuisiner mon petit déjeuner, elle fredonnait une chansonnette pour se donner du courage. Elle était toujours joviale, et me prenait la tête pour les moindres choses. Pourtant, je voyais aux poches sous ses yeux et son dos courbé qu'elle avait son lot de soucis à porter.
Malgré l'abandon de son mari, elle travaillait dur chaque jour et cumulait les petits boulots pour subvenir à nos besoins.
Elle était cuisinière dans une école assez prestigieuse de la ville. Grâce à ça, elle avait pu m'y inscrire pour ma première année de lycée, en tant que privilège du personnel.
La rentrée scolaire était dans deux semaines, et elle essayait de compléter les fournitures requises sous la modique somme de 15.000 crédits.
Sachant qu'elle gagnait le triple par mois auprès de l'académie, et que les factures et le loyer coûtaient 20.000 crédits à tout casser, ça nous laissait de quoi manger une semaine comme reste.
Dans ce pays en déclin, être une mère célibataire était un combat au quotidien. Et pourtant elle souriait et chantait.
Après l'avoir perdu pendant toute une vie, je me suis promis de lui donner une vraie raison d'être heureuse.
- Bonjour Maman, t'es joyeuse de bon matin.
- Ah ? Locke, c'est très rare de te voir levé si tôt. Tout va bien ?
- Oui, tout va bien, tu chantais si mal que ça m'a réveillé, je vais me dégourdir un peu les jambes.
- Petit… Pfff, D'accord, ne va pas trop loin, on va bientôt manger.
Je sortais de chez moi pour me refamiliariser avec la réalité. J'ai vécu une centaine d'années dans l'autre monde, à diriger l'humanité dans leur version de l'apocalypse.
Maintenant, j'avais du mal ne serait-ce qu'à me repérer dans ma rue.
Nous vivions dans un appartement du quartier populaire de Black-Waters, capitale de Merra.
Un pays insulaire dans les mers du Sud qui se caractérisait par trois points. Sa végétation et son climat tropical, ses ressources minières jamais exploitées industriellement, et son gouvernement corrompu jusqu'à la moelle.
Historiquement, le quartier était une rue commerciale fleurissante, où artisans et restaurateurs proliféraient.
À présent, la rivière sur laquelle affluaient des pirogues de pêche et de marchandises avait laissé place aux égouts des beaux quartiers des Blue-Hills.
Les étages des restaurants étaient devenus des chambres de passes, convenables pour la prostitution croissante.
J'étais justement à la recherche d'une de ces pauvres filles, Andréa Ann Cooper.
C'est une voisine qui a veillé sur moi quand j'étais gosse, ses parents tenaient un petit commerce à côté de notre appartement.
Malheureusement, ils se sont fait embobiner par les usuriers de la Stone Brigade. Une organisation criminelle qui a la mainmise sur Black-Waters et ses activités illicites. Andréa a dû s'acquitter de la dette elle-même.
De l'autre côté, j'ai eu largement le temps de réfléchir à ce que je voulais faire une fois rentré, si jamais j'y arrivais.
L'idée était de saisir toutes les opportunités pour nous sortir, moi et ma mère, le plus vite possible de ce trou à rat, de la manière la plus honnête possible.
Mais le fait d'avoir tout mon inventaire avait changé les choses.
J'ai amassé des trésors inimaginables lors de mon périple.
Je pouvais vendre certains à bon prix pour commencer et m'assurer d'avoir un bon départ.
Mais je ne pouvais pas le vendre ouvertement non plus. Dans ce monde, il ne suffisait pas d'avoir de l'argent, il fallait aussi la force de le protéger.
Même si j'avais la puissance nécessaire pour me défendre, je ne voulais pas m'attirer inutilement des problèmes. Ma "grande sœur" avait l'expérience et les connexions de la rue. Elle saurait se débrouiller pour gérer cette affaire, et je garderais un œil sur elle, si jamais les choses prenaient une mauvaise tournure.