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Chapter 7 - Chapitre 5 : Le paquet

Sous le regard inquiet de Chloé, Helena s'époumonait à ramener petit à petit les boîtes en carton qui s'accumulaient sur son territoire. Sa vitesse ne rivalisait pas avec celle des garçons, elle était bien partie pour finir dernière. Mathis n'hésitait pas à se délester chez elle, et Yun-Seong pouvait se permettre d'attaquer de chaque côté. Un carton de plus déposé par son voisin suffit à lui faire perdre patience.

— Mais vous êtes cons les mecs, faut la focus sinon elle va gagner !

Il restait encore beaucoup de temps, mais Helena était déjà essoufflée. Heureusement, son cri attira l'attention qu'elle cherchait.

— Facile à dire abrutie, mais tu dis ça parce que c'est toi qui perds ! rétorqua Mathis.

La petite fille se rua vers la frontière entre leurs territoires, et haussa encore plus le ton. Elle n'était pas du genre à se laisser marcher dessus, surtout par un inconnu. 

— Ferme ta grande gueule et écoute un peu, ducon. Tu voulais le rencard ?! Bah, bouge ton cul !

Mathis était devenu rouge de colère. Il s'apprêtait à lever la main sur l'impertinente qui lui avait répondu, mais l'autre garçon les interrompit. Il ne parlait pas français, mais il avait pu deviner ce qu'il se passait par rapport à l'atmosphère.

Calm down !

L'anglais était la langue idéale pour se rejoindre. Bien qu'elle impliquait une discussion moins naturelle, elle était comprise de tous.

— Elle a raison, on devrait coopérer, reprit Matteo. 

Mathis se tourna vers lui, et lui adressa un regard confus. Il ne voyait pas l'intérêt de collaborer avec la petite terreur, trop faible pour leur apporter de l'aide.

— Mais… Elle demande notre aide parce qu'elle va finir dernière ! C'est genre…

— Conneries. On gagnera pas même si on s'y met à trois, argumenta Helena.

— ALORS C'EST QUOI L'INTÉRÊT PETITE…!

Des rides se creusèrent sur le front du garçon, incapable de supporter l'insolence de cette fille. Elle était très grossière, ce qui la rendait très agaçante.

— C'est quoi vos pouvoirs ? demanda-t-elle.

La démonstration de Yun-Seong l'avait convaincue de l'existence de ces pouvoirs. Maintenant, elle avait moins de difficultés à les prendre en compte dans ses stratégies. En fait, elle se sentait de plus en plus comme dans un jeu vidéo.

— J'vais pas révéler cette information à cette gamine !

— Je peux créer des hyperliens, expliqua Matteo, indifférent aux plaintes de Mathis. 

L'intérêt d'Helena était piqué par cette déclaration. L'hyperlien étant un concept inhérent au monde connecté, elle était curieuse de connaître la mise en pratique de cette capacité dans le monde réel.

— Genre ?

— Je peux créer un lien entre deux objets qui les connecte ensemble. C'est comme une corde invisible, mais je peux pas vraiment contrôler sa taille, alors c'est pas vraiment pratique. 

Elle acquiesça vivement, voyant se dessiner progressivement une perspective de victoire. La dernière information manquante était détenue par l'autre garçon, qui avait été déstabilisé par la coopération dont avait fait preuve Matteo. Sa frustration s'était dissipée, mais il gardait une mauvaise image d'Helena, ce qui le freinait. 

— Tu préfères perdre ou accepter d'avoir besoin d'aide ?

Cette répartie le fit grimacer. Il ne pouvait pas nier que tout seul, il n'arriverait à rien. Il était obligé de l'admettre, il devait accepter de collaborer avec cette peste.

— Fais chier ! D'accord, je peux immobiliser une personne tant que je la regarde… Mais… J'arrive pas à l'utiliser, avoua-t-il en grinçant des dents.

Cela lui faisait mal de l'admettre, il détestait montrer ses faiblesses et s'attendait à ce qu'on se moque de lui. Il avait l'habitude, il avait toujours figuré parmi les faibles. Sa situation le complexait depuis toujours. Pourtant, il n'entendit ni rire, ni critique humiliante. 

— On est deux alors, fit Helena.

Ce n'était pas pour le rassurer. Ce n'était pas par pitié ou par compassion. Les intentions d'Helena n'étaient pas aussi nobles, elle voulait surtout éviter à tout prix de révéler la nature de son pouvoir. C'était une donnée qu'elle voulait garder secrète pour augmenter ses propres chances de survie. Pourtant, l'effet de cette simple phrase suffit à bouleverser le point de vue de Mathis. Il n'était pas seul à être faible. C'était une idée à laquelle il n'avait jamais songé, aussi triviale fut-elle. Il n'y avait plus de raison d'avoir honte s'il n'était pas le seul à être faible.

— Ah, merde, on va manquer de temps. Toi, commence par relier toutes les caisses ensembles, en les empilant, on devrait pouvoir faire un carré de deux par deux par cinq.

— Un carré ? répéta Matteo, perplexe.

L'avantage de ces caisses, pour Helena, c'était qu'elles étaient d'une taille raisonnable. Elles faisaient une vingtaine de centimètres de haut, donc en empiler cinq amenait à une pile d'un mètre de haut. Les deux garçon firent de même avec leurs boîtes respectives, et celles que Yun-Seong avait amenés sur leur terrain étaient utilisées pour former une quatrième pile.

— On va compenser la faiblesse de ton pouvoir en reliant les caisses les plus éloignées de chaque pile ensembles. Tu peux créer combien de liens ? 

— Aucune idée… Je crois pas qu'il y ait une limite, répondit-il.

— Bon, bah alors fais ton max.

Le temps pressait, alors leur "carré" n'était pas parfait, mais les liens maintenaient sa structure en équilibre. Maintenant qu'ils étaient face à la culmination de leur plan, un silence s'installa. Les garçons dirigèrent leur regard confus en direction d'Helena, qui avait mis au point cette stratégie.

— Et maintenant ? firent-ils en cœur.

— Faut qu'on pousse à trois pour mettre ce paquet dans la zone de Yun-Seong, répondit Helena.

Grâce à cette stratégie, elle avait transformé une bataille de nombres en bataille de force. Il n'y avait plus qu'un seul objet à transporter, l'avantage de la dessinatrice s'était ainsi estompé. Malgré tout, les illustrations qui avaient pris vie ne se laissaient pas envahir, leur opposant une résistance fragile. Petit à petit, le bloc de cartons progressait sur le territoire de Yun-Seong, ce qui la fit réagir. Alors que le chronomètre s'approchait des dernières secondes, elle dégaina son crayon, mais se bloqua en plein mouvement, paralysée.

Quand Risa sonna la fin du temps imparti, Helena s'effondra subitement, épuisée par l'effort intensif que lui avait demandé cette épreuve. Les hauts-parleurs grésillèrent un instant, puis une voix d'annonceur leur fit part des résultats.

— Dans un retournement de situation étonnant, la première place est partagée par Helena, Mathis et Matteo. Yun-Seong est donc dernière, ayant cumulé vingt cartons sur son territoire !

— Plus jamais, souffla Helena, complètement à bout. 

Les lumières revinrent à la normale et Risa s'approcha des vainqueurs, accompagnée de Chloé. Elle était laissée perplexe par le résultat du jeu, n'ayant pas anticipé qu'une égalité puisse se mettre en place. Elle rangea les mains dans les poches de sa veste, et grimaça un long moment sans dire quoi que ce soit.

— J'aiii… aucune idée de comment vous attribuer les récompenses, finit-elle par avouer. Et GOD veut pas m'aider…

— Quel sérieux, glissa sarcastiquement Helena.

Risa jouait l'embarras, en réalité, elle n'en avait pas grand chose à faire, elle s'était bien amusée et c'était ce qui comptait.

— Vous voulez bien vous répartir les récompenses ? demanda-t-elle, un sourire implorant aux lèvres.

— On est trois à gagner, et il y a deux récompenses. Et franchement, je veux pas du rencard, rétorqua Helena qui s'était relevée. Tu veux pas plutôt nous filer des vêtements de rechange ?

Risa considéra la question un instant, posant un doigt sur sa joue et levant l'un de ses sourcils. Elle semblait hésitante.

— C'est une bonne idée, mais ça ferait de moi une menteuse, si je n'offrais pas le rencard aux gagnants, expliqua-t-elle.

— Si les garçons se satisfont du rencard, intervint Yun-Seong, cela laisse Helena. Ce serait injuste qu'elle ne gagne rien. Alors, faisons la séparation suivante. Les garçons obtiennent leur dû, tandis que Helena obtient de moi une dévotion complète.

À vrai dire, Mathis et Matteo étaient satisfaits avec cette répartition, ils ne voyaient pas grand intérêt à obtenir la plume de Yun-Seong, elle n'était pas aussi charmante que Chloé, au contraire, il émanait d'elle une aura aussi mystérieuse qu'intimidante. Helena n'était pas rassurée à l'idée qu'une personne aussi excentrique lui soit reliée d'une manière ou d'une autre. Elle allait même s'opposer à cette proposition, mais Risa s'empressa d'accepter pour se libérer de ces démarches qui l'ennuyaient profondément.

— Parfait ! Faisons ça ! Ce soir, je vous organise un dîner romantique et tout, venez à vingt heures. Ah oui et pour les vêtements, vous inquiétez pas, je suis sur le coup.

Elle fila tout aussi vite, avant même qu'Helena ait eu le temps de dire le moindre mot. Elle soupira, sans réaliser qu'elle n'était pas au bout de ses peines.

— Helena ! s'écria Chloé, qui était au bord des larmes. J'arrive pas à croire que tu ne m'aies pas défendue… T-tu viendras ce soir ! 

— Ahh, tu fais chier. Qu'est-ce que tu crois ? C'est tes emmerdes, ça me regarde pas.

— HE-LE-NA ! 

Chloé n'avait plus l'air d'avoir peur du jugement des autres personnes dans la salle, ou plutôt, elle avait été déjà tellement mise en avant qu'elle ne s'en inquiétait plus. Mais Helena détestait toujours autant être être centre de l'attention, c'est pourquoi elle ne pouvait pas laisser la petite brune continuer de lui crier dessus.

— Chhht. Calme-toi, c'est bon, j'vais venir. 

Les deux garçons étaient mal à l'aise. Non seulement Chloé semblait terrorisée à l'idée du rencard de ce soir, mais ils venaient également de se rendre compte qu'ils allaient devoir partager le rencard, en plus de se coltiner Helena par dessus. 

— Ne t'inquiète pas, je viendrais aussi, ajouta Yun-Seong en posant sa main sur l'épaule de Chloé. Solidarité féminine.

Helena soupira bruyamment, les garçons également juste après. Il n'y avait que l'intéressée qui était rassurée.

— De pire en pire, souffla discrètement Helena, avant de se tourner vers la sortie. À ce soir. 

Elle essaya de s'échapper rapidement, mais elle ne pouvait pas empêcher sa camarade de la suivre. C'était un véritable pot de colle, quand elle s'y mettait.

— Ouah. J'en ai presque oublié à quel point c'est une dinguerie ce que j'ai vu. Yun-Seong a vraiment utilisé de la magie.

— C'est ce que j'ai fait, oui.

Helena sursauta. Les bruits de pas derrière elle n'étaient pas ceux de Chloé, depuis le début, c'était la dessinatrice qui la suivait. 

— T'es vraiment putain de creepy.

— Oh. Ah bon ?

Elle paraissait blasée. Depuis le début, Helena avait eu du mal à discerner les émotions sur son visage. Même la colère qui l'avait entraînée dans le jeu n'était pas si facilement perceptible qu'elle l'aurait été sur une personne comme Helena ou Mathis.

— Tu m'veux quoi sérieux ? J'espère que c'est pas une autre emmerde.

— Oh. Non. Rien de la sorte. Je viens avec la plus pure des intentions. Tu n'as pas l'air très inquiète, mais il y a déjà eu plusieurs enlèvements depuis le début du jeu. Traîner seul dans les couloirs est une mauvaise idée.

— Des enlèvements ? répéta Helena, surprise. Tu m'expliques ?

— Oui. Il y a des personnes mal intentionnées qui enlèvent des personnes et les forcent à jouer. C'est pourquoi je t'accompagnais. 

Yun-Seong était définitivement étrange, mais ça ne voulait pas dire qu'elle était malveillante. Son visage n'avait aucune chaleur, rendant ses propos difficilement rassurant, mais elle avait de bonnes intentions.

— Je… Je t'ai rien demandé, je peux me débrouiller seule. Ça me gêne que tu fasses ça pour moi… Je sais, tu peux raccompagner Chloé ? C'est elle qui prend le plus de risque.

— OK.

Yun-Seong tourna les talons et retourna à la salle de jeu, laissant Helena retourner seule à sa chambre. Personne ne l'agressa dans le couloir. Elle se considérait chanceuse, étant donné ce qu'elle venait d'entendre de la bouche de l'illustratrice. Dès qu'elle fut arrivée dans sa chambre, elle se jeta sur son lit où l'attendait son précieux ordinateur.

— OK. Maintenant je te crois, GOD. Ce que j'ai vu peut pas être expliqué autrement. S'il y a un truc, c'est vraiment fort. 

— Je peux t'assurer que ce n'est pas de la prestidigitation, répondit cette voix qui sonnait comme si elle venait d'un rêve.

Helena s'empressa de retranscrire son expérience, prendre des notes, et de remplir des dossiers sur les participants qu'elle avait rencontrés. 

— Mathis… Ouais, c'est un prénom plutôt banal. J'sais pas c'est quoi son pseudo. J'devrais demander ce soir. Il est un peu nerveux et susceptible.

Il appartenait forcément à la sphère culturelle francophone, alors il était vraiment probable qu'elle ait au moins entendu parler de lui, sous un pseudonyme cependant. 

— Puis Matteo, c'est un italien. J'pense pas le connaître, même sur les réseaux. Ce soir faudra que j'lui pose des questions. Il a l'air calme et pas bête. Je devrais me méfier.

Mais grâce au jeu des déménageurs, elle avait appris la nature de leurs pouvoirs. Elle était plutôt satisfaite de sa gestion des informations, elle n'avait rien dévoilé de compromettant, malgré les imprévus. Malheureusement, vu le nombre de spectateurs, il était possible qu'elle fasse parler un peu d'elle, ce qui ne lui faisait pas vraiment plaisir.

— Yun-Seong Park… Elle manigance quelque chose ? Cette fille est super bizarre. Mais je la sens sincère. D'une certaine manière. Son pouvoir est vraiment intéressant… Je pourrais essayer de l'emprunter… Mais je suis nulle en dessin. 

Helena rentra ces dernières données dans l'ordinateur, puis le ferma. Elle pouvait l'utiliser pour de longues heures d'habitude, mais cette fois, elle était crevée.

— J'avais jamais pensé qu'un jour… J'aurais envie d'une douche. 

— Tu devrais faire en sorte d'être présentable pour le rencard de ton amie. Peut-être même mettre une robe.

— Abuse pas, pesta Helena. 

— Mademoiselle Kagayaki a préparé un garde-robe sur mesure pour tous les participants, sans prendre en compte leurs préférences personnelles. Je lui ai bien avisé de consulter vos dossiers avant, pourtant.

— Lol, typique Risa.

Helena finit par se lever à la manière d'un zombie, et se traîna hors du lit, jusqu'à la salle de bain de sa chambre. La première fois qu'elle y était rentrée, elle était persuadée qu'elle était organisée différemment. Il y avait une nouvelle armoire. En l'ouvrant, elle y trouva les fameuses robes. Risa était effectivement sur le coup, les vêtements de rechange venaient de leur être mis à disposition.

— Je vais pas porter une PUTAIN de ROBE ! Je veux une veste.

— Je suis indifférente à tes complaintes.

À contrecœur, Helena mit de côté la robe qui lui semblait la plus confortable et la plus modeste. Celle qui couvrait le plus son corps, également. Elle avait ce défaut d'être élégante, et Helena détestait ça. Pour l'instant, elle n'avait pas le choix, mais plus tard elle essaierait d'en parler à Risa. Ces tenues étaient beaucoup trop belles, elle ne supporterait pas de les porter.

Elle ne perdit pas de temps à ruminer son manque d'options, elle sauta dans la douche de plain-pied, et laissa l'eau emporter la sueur sur son corps. 

— Ouah ! Ça fait un bien fou !

Le temps de se préparer, d'enfiler les collants, et de se recoiffer, l'heure tournait. Elle se sentait un peu idiote, sans vraiment le vouloir, elle donnait l'impression de s'être faite belle pour l'occasion, alors que ce n'était vraiment pas son genre. Ce n'était pas comme si cette soirée allait être spéciale, malgré l'effort que mettait Risa pour essayer de leur forcer la main. En essayant de se divertir, elle créait un contexte qui essayait maladroitement de cacher l'horreur de leur situation. Ils restaient dans un killing game. C'était difficile de s'amuser en gardant cette perspective à l'esprit. Et Helena n'était pas le type de personne à oublier ce genre de détail.