Peu de temps après la passation de pouvoir de Suisei à Yoru, dans le cimetière du Nord, Shipé et Tetsuo traînent côte à côte, non loin de leurs tombes, plus dévorés que la dernière fois. Celui qui devait prendre la relève du fondateur de Kigen s'il n'avait pas été affecté par le Kirioku a l'esprit focalisé sur son dernier échange avec lui. Quand à son collègue affilié à l'eau, ignorant totalement qui vient de devenir son élément, voyant qu'une partie de sa main gauche vient de se désintégrer, lâche un lourd soupir.
« Tu sais quoi ?... Je me dis la chose suivante. Quel était le but de nos vies ? amorce le mercenaire affilié à l'eau.
- Maintenir l'équilibre.
- Oui oui. Bien sur. Mais je ne parle pas de ça. Nous étions nés, avions appris notre fonction principale, tout ça. Mais, maintenant que nous n'avons plus de chair, plus de langue, plus de pif, à errer ici à se faire bouffer à petit feu, à quoi ça a servi tout ça ?
- Tu sais... Nous apparaissons... Nous disparaissons... C'est équilibré.
- En terme de matière, oui... Mais nos consciences... Moi, la mort, maintenant que je la vis, elle me fait encore plus flipper. J'ai l'impression de mourir en sursis.
- Tu es bien bavard d'un coup, toi. Tu ne saurais pas quelque chose qui nous concernerait ?
- Non. Pourquoi ?
- Pour rien... Pour rien... »
A l'intérieur de la dimension de la haute autorité énergétique, l'ancien vice-conseiller et ses collègues sont réunis autour d'une miniature du monde de Faironne, servant vraisemblablement comme une sorte d'interface.
« A part distribuer et recevoir de l'énergie, nous gérons toute la météo et la géographie. La taille des territoires à coup de séismes, d'éruptions à tout bout de champ. explique Hotto.
- Il faut garder un équilibre, dans tous les sens du terme. Création, destruction. Nous nous concertons une fois le matin et une fois le soir. La vie est un cycle que nous devons perpétuer. poursuit Densetsu.
- Je comprends... A propos de perpétuer quelque chose... En tant qu'acteur principal du conflit, pouvez-vous m'en dire plus ? » lui demande Yoru.
Un peu plus de deux cents ans plus tôt, une fois la construction de Kigen terminée, les Shirenais et les Zigriks sont face à face. Les deux chefs, souriants, pour concrétiser l'accord passé entre eux, se serrent la main.
« Nous et l'autre peuple apte à manier les énergies élémentaires vivions en paix à Kigen depuis quelques années. Mais... Le leader des Zigriks cultivait une profonde jalousie par rapport à l'unique affrontement survenu entre nous. Seule la quête de puissance l'intéressait. »
Dans un camp rudimentaire bâti un peu à l'écart de ce qui deviendra le quartier général des vainqueurs, des Zigriks plaçaient des arcanes abritant les quatre éléments de manière stratégique autour d'un étrange dessin : la première version du sceau que reproduira plus tard Arito pour impressionner le mentor de Yoru.
« Il eût l'idée de combiner toutes les énergies, c'est ça qui a amené les deux énergies que vous avez connu. ajoute Densetsu avant de revenir au moment présent.
- Très bien... Autre question... Vivant, je ne croyais pas en la vie après la mort. Jusqu'à très récemment. Alors, je voudrais savoir... Qu'est-ce qu'il se passe pour ceux qui n'ont pas été éveillés au Kuwanoren ?
- Oh... Euh... »
Alors que la terre peine à donner une réponse, en même temps, dans le cimetière réservé aux plus grandes figures de Kigen, sans aucune explication, un fantôme, plus vieux et plus dévoré que Shipé et Tetsuo, surgit de sa tombe. Lorsque ce dernier se rend compte de son réveil, il se demande ce qui l'a provoqué. Soudain, il se met à clignoter.
« Qu'est-ce qu'il lui arrive ? » s'interroge celui qui méprisait les Zigriks au plus haut point.
Sur le moment, son collègue géomancien pense que c'est le signe avant-coureur de la disparition définitive qui les attend. C'est alors que, sans secousse pour en signifier l'émergence, une fissure s'ouvre sur le sol. Une légère lueur violette s'en dégage.
« C'est quoi ça ?! »
Le fantôme clignotant est alors aspiré d'un seul coup. La fissure se referme aussi vite qu'elle est apparue. Tetsuo, Shipé sont pétrifiés de terreur. Tout juste après, chez les éléments, Densetsu n'a toujours pas répondu. Le feu et la foudre, à en juger les expressions sur leurs visages, semblent ne rien savoir.
« Je l'ignore.
- Dommage... Vu que vous êtes les êtres suprêmes de notre monde, je pensais que vous déteniez des connaissances qui m'étaient inaccessibles. Voir tout Faironne. Si j'avais eu cette capacité de mon vivant, j'aurais tout répertorier.
- Drôle de loisir. commente Hotto.
- Tu as vu où la curiosité a mené ? relance Denki.
- Oui... Je comprends l'erreur des miens... Et dire que mes amis ne me reverront peut-être jamais... » avoue-t-il en repensant à Rajik.
Le voyant un peu abattu, Hotto manipule la miniature en effectuant une sorte de zoom au niveau de Kigen. Curieux, Yoru regarde. Tous peuvent voir le Kiyuza, aura activée et souriant, face à Rai. Vraisemblablement, l'amoureux des combats a réclamé une revanche contre l'hôte de l'énergie blanche. Cela ne semble pas inquiéter les habitants et manieurs d'éléments qui les observent.
« Mes... Amis. lâche Yoru, se retenant de pleurer de toutes ses forces.
- Est-ce que ça te fait plaisir ? » demande l'auteur de la manipulation.
Malgré l'émotion qui le prend aux tripes, l'ancien vice-conseiller esquisse un sourire. Une réaction qui touche particulièrement Densetsu. Lui-même avait ressenti la même chose lorsque son tour fut venu.
« Si tu veux, une fois par jour, lorsque nous ne l'utiliserons pas pour nos usages habituels, si tu en ressens le besoin, tu pourras les observer.
- Merci. »
Denki remarque l'état de son collègue géomancien. Après un mouvement de tête qui lui était adressé, ils s'isolent.
« Est-ce que ça va ?
- Je pense que... Je ne suis plus apte à être l'élément de la terre. Nous n'en serions pas arrivés là si je m'étais retenu lors de mon vivant.
- Les Zigriks ont frappé les premiers.
- Si je n'avais pas démontrée ma force lors de ma première rencontre avec Fumiaki, on aurait nouée une vraie relation amicale. Rien de tout ça n'aurait eu lieu. Je n'ai fait que répéter les erreurs commises par mes prédécesseurs. Notre attitude belliqueuse a traversé les siècles et continue d'engendrer des drames. »
Ne sachant pas quoi ajouter pour calmer sa dépression, la foudre revient vers les deux autres. Pendant ce temps, dans la maison qui appartenait à Yoru, celui qui fut son apprenti met la touche finale à un sceau qu'il a tracé au sol.Celui-ci ressemble fortement à la structure connue du monde de Faironne. Comme un écho à ce qu'a décrit Densetsu, afin de marquer les quatre points cardinaux, se trouvent un bol d'eau pour l'Est, une bougie allumée pour le Sud, du sable pour l'Ouest et une munition que le Zigrik a confectionné pour le Nord.
« Là, ça devrait être bon. »
Puis, il saisit un étrange tube à essais dans lequel une minuscule aura grise brille. Sans doute le résultat d'une extraction d'énergie neutre.
« Voyons ce qu'une interaction entre elles vaut. J'espère pouvoir créer des substituts plus performants et plus résistants. Avec ce qu'on a appris, il faut être préparé. »
En tirant un éclair assez fin, ça provoque l'activation de la munition. Cette dernière émet un arc électrique. L'aura grise s'excite. Le bol d'eau brille de bleu. La flammèche de la bougie grandit. La terre se durcit. Tous ces phénomènes provoquent un scintillement sur le sceau.Les lumières correspondant aux quatre éléments sont attirées par la grise. Tout semble fonctionner comme prévu, pour le plus grand bonheur de son concepteur. Il constate bel et bien un renforcement général de toutes les énergies.
« Maintenant... Si j'arrive à en inverser le sens, je pourrai fabriquer des échantillons injectables pour les patrouilleurs. Comme ça, s'ils osent se repointer, on aura ce qu'il faut pour les battre ! »
D'un seul coup, toutes les petites auras se joignent en un point. A l'impact, elles subissement immédiatement une augmentation en intensité. Des petits éclairs, sursauts de flamme, éclats de glace instantanée et jets de sable sont propulsés en dehors du sceau.
« Vite ! Il faut que je préserve tout ça ! Ce sera une bonne base pour mes futurs projets ! »
Excité comme une puce, il fonce dans la pièce d'à côté. Pendant ce temps, à la jonction des énergies, une petite faille, identique à celle qu'ouvrait Alnor en utilisant le bracelet d'Orzlon, s'ouvre. Tout de suite, Calibak entend un son grave et déformé, identique à celui perçu par les Shirenais de foudre lorsque l'énergie noire s'activait, mais inversé. Il retourne illico vers sa création et aperçoit le phénomène.
« Par... »
Elle s'agrandit un peu.
« Est-ce... »
Lui revient alors un moment de son ancienne vie de Kiyuza, en compagnie du père de Fraya.
« Vénérable Ki-Igno, excusez ma curiosité. Un détail a attiré ma curiosité lors de la dernière prière. Contre qui Faironne s'est-elle battue ?
- Citoyen Calibak, à l'aube de tout, notre mère a dû se confronter malheureusement à une entité plus puissante qu'elle. Son opposant avait pour unique ambition de faire en sorte son énergie domine sur tout. Aucune diversité. Comme tu le sais, elle a du se sacrifier pour l'enfermer dans une autre dimension, offrant ainsi une paix définitive, sur le papier en tout cas. Cependant, le triste événement survenu il y a plus de deux siècles lui donna tort. L'Interdit a profité du temps passer dans sa prison pour créer prolongements de lui-même dans le but pur et simple de déstabiliser l'équilibre qui le tient enfermé. »
De retour dans le présent, le nouveau vice-conseiller entrevoit un symbole d'œil inversé dans la faille.
« Des prolongements... »
Sans doute poussé par une étrange curiosité, il s'en approche doucement et y plonge une main. De violentes crampes l'assaillent et son aura est forcée. Par réflexe, il tente de se retirer. En vain. Les éléments du décor, notamment des plans de travail se trouvant à proximité, sont aspirés.
« Non ! »
Les constituants du sceau continuent à s'emballer. Avant que la situation n'atteigne un point de non-retour, Calibak éveille quelques symptômes de la technique ultime des manieurs d'éléments avant de prononcer la célèbre formule.
« Kuwanoraï ! »
Grâce à sa transformation, il réussit à s'extirper. Dans la foulée, il détruit le sceau en écartant sa munition, éteignant la bougie et en renversant le bol. La faille se referme instantanément.
« Mes plans... Mes idées de créations... Envolés... Professeur Yoru n'aurait pas aimé ça... Je vais remettre tout ça en ordre. »
Pendant ce temps, dans une clairière, une maison modeste en bois, vraisemblablement neuve, ressemblant à n'importe quelle habitation classique que n'importe qui peut croiser dans le Continent central. Les oiseaux chantent allégrement. Le temps embellit le décor. Tout indique que personne de notable vit dans cet environnement bucolique. Shiki, accompagné d'un de ses associés, muni d'un sac, vient cogner à la porte.
« Qui est-ce ? demande une voix masculine provenant de l'autre côté.
- C'est moi.
- Toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Hé ! Comment parles-tu à un ami ?
- Tu veux me proposer de faire partie de ton réseau, c'est ça ?
- C'est une bonne idée mais non. Ouvre-moi, s'il te plaît. »
Aucune réaction de la part de son interlocuteur, apparemment bien attaché à la vie paisible qu'il a construit.
« Décidément, l'amour t'a vachement […] »
Le Négociant n'a pas le temps de terminer sa phrase que l'homme ouvre brutalement la porte vers l'intérieur : il s'agit de Kenshiro. La tenue traditionnelle Shirenai ? Partie. Remplacée par quelque chose de plus humble, simple, banal.
« Qu'est-ce que tu me veux ?
- Puis-je entrer ?
- C'est grave ? »
Un échange de regards suffit amplement à répondre à cette question. Son meilleur ami entre. Après une proposition de boire, les anciens mercenaires s'installent à table.
« Dis-moi.
- C'est une histoire un peu longue à raconter.
- J'ai le temps.
- Trois jours après ce qu'il s'est passé à Kigen, un de mes associés a mis la main sur ceci. »
Un éclaireur lui tend un vieux parchemin. En le dépliant, Kenshiro découvre un sceau pentagonal. Au sommet, une sphère grise, sur les quatre autres, des sphères aux couleurs des éléments. A l'intérieur du pentagone, un cercle avec des symboles sur le périmètre. A l'intérieur de celui-ci, deux contours d'yeux et, juste en-dessous, une inscription en une ligne.
« Vu que tu as su manipulé l'énergie neutre grâce aux leçons de ses spécialistes, est-ce que tu saurais me dire ce que c'est ? Si je peux le vendre ou pas ?
- Un document Kiyuza.
- Et... Il vaut cher ?
- Oui mais pas échangeable.
- Tant pis...
- Où as-tu trouvé ça ? »
L'associé vient murmurer à l'oreille de son patron.
« A Bral, pendant la bataille. Je peux le reprendre ? Je sais que tu as officiellement rendu les armes et, donc, ça veut dire que tu ne peux revenir à Kigen. J'irai le dernier au maître-conseiller en mains propres.
- Non, attends. Je peux le lire... C'est écrit... Yamos. »
Ce nom, pourtant bien connu pour le vénérable et les anciens maîtres de Kigen et remplacé par le dénominatif de '' l'Interdit '', est totalement inconnu pour la foudre la plus rapide du Centre.
« C'est quoi ça ? Le nom d'une autre technique secrète ? s'interroge Shiki.
- Si Yoru était là, il nous aurait renseigné, va voir son successeur à Kigen. Il a hérité de son grimoire. A l'intérieur de ce dernier, bon nombre de connaissances ignorées par les Shirenais y sont inscrites.
- Intéressant.
- C'est étrange... On dirait que ce document représente une sorte de sceau permettant une ouverture... Il est très similaire à celui utilisé pour enfermer Rai et l'énergie noire.
- Tiens, en parlant de cette dernière, où est ta femme ?
- Euh...
- Y a un truc qui ne va pas ? »
Malgré la gêne dû au sujet abordé, le mercenaire à la retraite emmène son ami dans la cour. Lorsqu'il découvre cet endroit, Shiki est surpris.La végétation a disparu.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? »
Les deux anciens frères d'armes voient Fraya, à quatre pattes, en train de dévorer une aura verte et bleue qui s'est matérialisée devant elle. De nombreux traits noirs tapissent son visage. Ses pupilles ont disparu.
« Mon amour, nous avons de la visite. »
La phrase de son homme la sort de son état de transe. Les traits s'effacent jusqu'à retrouver leur apparence normale. La Kozana se relève et se retourne.Ses yeux récupèrent leur état initial. Malgré ça, le Négociant préserve une certaine crainte en lui vis-à-vis de ce dont il vient d'être témoin.
« C'est un vieil ami à moi. On était ensemble lorsqu'on apprenait les bases des techniques Shirenai il y a des années de ça. »
Dès qu'elle pose le regard sur lui, elle recule d'un pas.
« Qu'est-ce que tu as ?
- C'est lui qui m'a donnée la carte menant au Kirioku ! »
Choqué par cette révélation, son mari le regarde bizarrement.
« Attends... Tu avais mis la main sur un tel écrit, et tu le lui as vendu ?!... Pourquoi tu ne l'as pas gardé avec toi ?
- Mon ami... Tu sais ô combien la vie d'un Shirenai à la retraite est compliquée. Nous devons gagner notre argent par nous-mêmes. Nous ne sommes plus couverts par les avantages que nous offrait Kigen.
- Sauf qu'exposer l'énergie noire ainsi, c'était inconscient !... Bon... Le mal est fait...
- Tu peux m'expliquer ce qu'elle a ? »
Kenshiro, au lieu de lui répondre, se retient de ne pas craquer. Il y a quelques temps de ça, au début de leur vie de couple, Fraya fut prises de violentes crampes. Son aura noire s'activa subitement. Par réflexe, l'affilié à la foudre enclencha la sienne. Soudain, attirée par la quantité d'énergie qui vient d'émerger, elle se retourna et sauta sur lui. Encore riche de son expérience au combat, le Shirenaila bloqua en attrapant ses poignets.
« Oh ! Qu'est-ce qui te prend ? C'est moi ! »
C'est à ce moment-là qu'il se rendit compte que ses yeux étaient devenus intégralement noirs. Elle ouvra la bouche. L'aura de Kenshiro commença à être absorbée, reproduisant ainsi ce que Fumiaki réalisait lorsqu'il se nourrissait.
« Gibaraï ! »
Le Shirenai la repousse grâce à une onde électrique.
« Fraya ! Reprends toi ! »
Grâce aux mots de son homme, ses yeux redevinrent en partie normaux, laissant échapper des larmes.
« Aide... Moi. » lui délivre-t-elle dans la souffrance.
Après ce souvenir plutôt douloureux pour l'homme délivré de ses précédents devoirs, à en juger l'expression de son visage, Shiki n'a pas besoin de plus d'explications. Son ami a réellement besoin d'aide. Afin d'y répondre, il fouille dans son sac.
« Ne t'inquiète pas. Je pense que ça devrait faire l'affaire. »
Le Négociant finit par sortir des pierres précieuses, identiques aux arcanes qui lui fournissait Arito.
« Comme ça, elle ne perturbera pas l'équilibre. J'en ai des caches placées dans tout le Continent central. Je peux t'en fournir le temps que tu trouves le moyen d'arranger ça. »
Appâtée par le peu d'énergie qui s'en dégage, Fraya se rue sur les arcanes. En réitérant le même procédé provoqué par l'énergie noire, de petites auras s'en dégagent. Celles-ci calment son appétit.
« Je te remercie énormément. »
Sentant la tristesse immense de son ami, Shiki lui met une main sur une épaule, lui permettant enfin de se relâcher un peu. Pendant ce temps, dans les champs cultivés tout près de la cité Kiyuza, Renko est en train de faucher en même temps qu'un citoyen. Cela fait désormais plusieurs jours qu'il vit parmi eux. Dans la volonté de reprendre son souffle, il regarde un peu son collègue de travail. Quelques secondes plus tard, ce dernier le remarque et lui fait comprendre, d'un simple mouvement de tête, qu'il faut reprendre. Ce qui marque plus particulièrement son esprit est le constat suivant : tous suivent les mêmes mouvements, mangent au même moment, se lavent au même moment. Une routine de vie harmonieusement orchestrée. Un deuxième citoyen fait sonner un petit gong. Tous ceux présents dans les champs s'arrêtent simultanément et les quittent, dont Renko. Plus tard, devant un site sacré sur lequel la figure de Faironne est représentée, il s'arrête, repensant à sa situation. Pour le moment, il n'est pas encore autorisé à réaliser certaines choses. Ses confrères se réunissent tous les jours, au même moment, ici pour une raison qu'il ignore encore. Ils croient tous en cette personne qu'ils nomment Faironne. C'est le nom de ce monde ! Pas de quelqu'un ! Ki-Igno, qui préside ce qui semble être une messe, lui fait signe de venir. Renko s'installe dans la foule et s'aligne avec eux. Certains le dévisagent du regard.
« Je suis une anomalie pour eux ? Ils sont pires que ces exploiteurs d'éléments ou quoi ? » s'étonne-t-il à voix basse.
Comme pour représenter une figure de porte-parole, Ki-Igno étend les bras.
« Enfants de Faironne, remercions tous une nouvelle fois pour l'énergie qu'elle nous donne ! Que sa sagesse et son geste continuent de nous guider ! »
Les Kiyuzas lèvent les mains en l'air, paumes tournées vers le plafond. Même si cette foi échappe encore à sa compréhension, comme ce geste semble appartenir à l'apprentissage, Renko les imite.
« Enfants de Faironne, soyez bénis en retour ! Que nos vies soient protégées et connaissent un avenir toujours aussi prospère !
- Gloire à toi, mère nourricière. Nous te devons respect et allégeance. Que ta mémoire subsiste pour repousser le mal dormant ici bas. Que tes pensées prospèrent des siècles et des siècles. Faironne ! » répondent-ils dans une sorte de chant grégorien.
L'appellation évoquée dans la troisième phrase interpelle plus particulièrement l'épéiste. De quoi parlent-ils ? Des Shirenais ? Ils ne dorment pas pourtant ! Décidément, il ne comprend rien. En tout cas, ils vouent un réel culte avec tant de volonté. C'est admirable. Une telle harmonie.Puis, tout le monde baisse les bras. Les fidèles lâchent un long souffle.
« Séance terminée. Vous pouvez reprendre vos activités. » déclare le vénérable.
Tout le monde, sauf le père de Fraya et l'apprenti, repart.
« Excusez-moi mais j'aimerai comprendre de quoi vous parlez. Je veux réellement être des vôtres. Si je baigne dans quelque chose sans que je ne sache quoi que ce soit à son sujet, j'ai de grandes chances de me noyer.
- Prends-moi la main. »
Après un moment d'hésitation, il la saisit. Aussitôt, le même sceau pentagonal qui l'avait téléporté auparavant apparaît et les transporte dans un couloir décoré de nombreuses mosaïques.
« Incroyable... s'émerveille-t-il.
- Regarde ici. »
Il pointe la décoration la plus proche d'eux. Sur elle, sont représentées des silhouettes humaines, dans des décors ressemblant fortement aux architectures de notre Antiquité, toutes tournées vers une figure féminine plus imposante.
« Ici est raconté L'histoire de notre peuple. Autrefois, alors que nos ancêtres vivaient paisiblement, sous la protection de Faironne, un être sans égal, garantissant l'équilibre des énergies de notre monde [...] »
Sa phrase incomplète, Ki-Igno guide le nouveau venu vers une autre fresque montrant une silhouette difforme de petite taille, avec un œil unique inversé sur le front, entouré par une couche violacée. Une représentation qui saisit aux tripes celui qui la découvre.
« Son rival, l'Interdit, l'autre divinité réclamant la suprématie sur notre monde, devint assez fort pour l'attaquer. »
Serait-ce donc lui le ''mal dormant'' ? Afin d'y répondre, ayant capté la terreur naissante chez son invité, le vénérable l'incite à découvrir la suite via une nouvelle fresque qui raconte le conflit entre l'Interdit et leur déesse.
« Malheureusement... Employant des méthodes non conventionnelles, il était trop puissant pour elle.
- Et alors ? »
Mosaïque suivante, la fameuse Faironne est entourée de quatre cercles, dont les couleurs correspondent aux éléments, une cinquième, de couleur grise, recouvre son ventre.
« L'unique solution pour arrêter sa folie destructrice fut de scinder son pouvoir en cinq qui, placées de manière précise, ouvrirent une faille aspirant l'Interdit dans une autre dimension. »
La disposition de l'ensemble capte toute l'attention de l'épéiste qui s'en approche un peu.
« On dirait... L'emplacement des cinq continents. Et les sphères indiquent les lieux où sont allés les Shirenais qui ne vivent pas au Centre ! Bleu pour l'Est, rouge pour le Sud, jaune pour le Nord et […]
- Vert pour l'Ouest, oui.
- Mais alors, il y en a ici ?
- Non, ici, c'est chez nous.
- Oh... Oui... Logique.
- Mais... Elle a dû sacrifier son existence pour faire ça. Les éléments tels que nous les connaissons et le ki actuel sont son héritage. En mémoire de son geste, nous respectons l'environnement. Nous vivons avec et nous vivons pour. Nous avons choisi de vivre intelligemment avec l'énergie qu'elle nous a laissé en grande quantité. Mais... Ces manieurs d'éléments... Qui exploitent... Qui expérimentent... »
Le vénérable, rattrapé par une certaine amertume, ne termine pas sa phrase.Renko remarque d'autres fresques plus loin, partiellement grignotées, sans doute volontairement.
« Et ça ?
- Une autre de nos histoires... Une action inutile... Mieux vaut ne pas s'y tarder. Viens. »
Ki-Igno commence à s'en aller. Son invité, alerté par le déni délivré, regarde encore les fresques inexplorées. Cependant, il ne parvient pas à identifier clairement ce qui est inscrit dessus. De peur qu'il se fasse sanctionner, il rejoint Ki-Igno en courant.
« Est-ce que tout ceci t'a été utile ?
- Oui ! Beaucoup ! C'est... Un geste noble... Je comprends maintenant l'amplitude du culte que vous lui vouez.
- Heureux de l'entendre... répond le père de Fraya sous un air fade et désabusé.
- Qui est le plus fort ici ?
- Pourquoi me demandes-tu une telle chose ?
- Juste pour savoir.
- Nous avons pris une décision récemment. Nous ne formerons plus personne pour partir au Centre. Nous allons faire force commune. Peu importe ce qu'il s'y passe, nous ne ferons plus rien. Fais-toi à cette idée. Tu comprendras que c'est la meilleure chose à faire. Notre mode de vie est le meilleur qui soit. Nous avons encore beaucoup à t'apprendre. » souligne-t-il.
Après cette explication, le vénérable commence à soupçonner quelque chose de malveillant chez son invité. En effet, cela lui rappelle le comportement de Daigaku et Aritsune lorsqu'ils étaient encore des citoyens. Cependant, comme ce n'est qu'une supposition, il ne procède pas à une expulsion. Peut-être qu'avec tout ce qui va lui être enseigné, ce belliqueux changera d'avis. Renko, insatisfait par la réponse obtenue, tourne la tête furtivement en direction des fresques incomplètes. Décidément, on lui cache quelque chose. Reste à savoir quoi et pourquoi.