Quelques jours après la débâcle des Zigriks manipulant les quatre éléments, devant la demeure du vice-conseiller, des colonnes de glace sont érigées en guise de cibles d'entraînement en face de Calibak. Le tireur d'éclairs découvert par Rajik se concentre sous les yeux aiguisés de Yoru, déjà rentré dans sa phase intense d'analyse. Cinq secondes de passivité avant que la fronde soit tendue.
« Firai... »
Une légère aura jaune émerge. Son bras gauche tremble un peu.
« Zer ! »
Un éclair, produit pour la première fois sans munition particulière, s'éclate sur une colonne, la fissurant dans une faible mesure. Ce nouvel échec le frustre énormément. Sentant un emballement de flux dans ce corps, le spécialiste de la glace se rapproche de lui.
« Ne sois pas trop dur avec toi-même. Tu progresses. Tu gagnes de plus en plus en puissance. Ton flux énergétique est de plus en plus net. Néanmoins, tu n'es pas encore capable de contenir la pression exercée sur ton corps par la quantité d'énergie que tu déploies.
- C'est vrai... Je sens bien ma foudre le long de mon bras juste avant d'attaquer.
- Ce qui affaiblit nettement ton tir l'espace d'un instant.
- Si j'ai bien tout compris, afin de répondre à l'effet secondaire que ça implique, je dois fournir un effort musculaire plus conséquent. Je doute sérieusement que ça soit possible. Comment y parvenir ?
- Il faudrait à la fois que tu utilises la foudre pour garder tes muscles tendus et pour attaquer. Mais ça demanderait un apport plus gourmand en énergie. Et, comme tu es de foudre, ce sera ton énorme point faible.
- En plus, je dois garder ma main droite tendue aussi. Sinon le tir ne sera pas droit. Ça pose un problème supplémentaire.
- A moins que tu ne changes d'Obujepawa. »
Une telle affirmation choque Calibak. Cela voudrait donc dire que, pour qu'un élément s'exprime à travers un être, peu importe l'objet, tout est possible. En tout cas, pour Yoru, rencontrer une personne aussi réfléchie et appliquée dans un apprentissage est tout à fait remarquable. S'y reconnaîtrait-il un peu ? Il n'y a aucune raison de ne pas en lui dévoiler davantage.
« Je vais te raconter quelque chose. L'un des ennemis que mes amis et moi avons affronté était l'un des nôtres. Il s'était approprié le bracelet d'Orzlon. La particularité de cet objet était qu'il pouvait aller dans une autre dimension, d'où il tirait une anomalie qui rendait son énergie de base plus puissante. »
L'évocation d'un monde parallèle à celui fondé par Faironne capte la curiosité de son élève. L'exemple qu'il vient d'évoquer appuie la théorie de la non-dépendance à un objet précis pour exploiter un élément. Ça rendrait furieux les Shirenais qui ne reposent que sur un type précis d'accessoire. Dû à la doctrine enseignée dans la cité Kiyuza, les possibilités qui s'offrent dégouttent encore plus l'homme à la fronde.
« Je comprends ce que tu ressens. Ce serait dur pour moi de me séparer de mon précieux Obujepawa. Surtout pour ce qu'il représente... Mais si tu veux gagner en efficacité, tu n'as pas le choix... Voyons, voyons. Qu'est-ce que tu pourrais utiliser à la place ?... Il te faudrait une arme te garantissant à coup sûr un tir droit et qui te permet de ne pas utiliser une pression avec tes bras. »
C'est au tour de Calibak de rentrer dans une phase de réflexion.
« Je ne vois vraiment pas quel accessoire permettrait de faire ça... En même temps, je ne me suis jamais intéressé à ça. »
Soudain, un éclair de génie frappe l'esprit de l'apprenti. Pour les rares fois où il fut autorisé à s'évader dans les écrits précieux de ses ancêtres, l'un d'entre eux l'attira particulièrement. Son contenu, tranchant totalement des autres, énumérait la fabrication d'armes variées. Jamais il n'en a fait part à qui que ce soit. On l'aurait pris pour un fou. Pour le peu qu'il a pu assimiler, il s'était confectionné en cachette la fameuse fronde qui l'a accompagné jusque là. Parmi tout ce qu'il a découvert, une seule arme répond à toutes les exigences amenées par la maîtrise de son élément.
« Une arbalète ! » déclare-t-il.
- Une quoi ?
- Un dérivé d'un arc ! Que je pourrais accrocher à mon bras. Mais une version miniaturisée alors... Il ne faut pas que ça m'alourdisse.
- Intriguant. Si on y incorporait des arcanes, on augmenterait de manière considérable la puissance de tes éclairs. Comme ça, on supprime la pression et on gagne en vélocité ! Excellente idée !... Mais... Tu sais fabriquer ce que tu appelles une arbalète ?
- Je... Je peux utiliser ton... Atelier ? »
Il acquiesce d'un mouvement de tête. Ravi, il court à vive allure vers la demeure et y entre. Décidément, Yoru continue à se surprendre qu'un tel individu aussi instruit ait pu arriver jusqu'à lui. Ça le change énormément. Un vrai Zigrik. Un esprit inventif et pointu. Un vrai plaisir que de le côtoyer. Une telle pépite, il faut l'accompagner. L'enthousiasme insufflée par son idée s'infiltre en lui. Peut-être en apprendra-t-il plus à son tour. L'ambition de l'entraîner au point où il deviendra son successeur de fonction grandit en lui. Après tout, diriger, ça ne lui ressemble pas. Et un Zigrik dans le Conseil, c'est ce qu'il faut. Pendant ce temps, Rai poursuit sa progression à travers la flore atypique comparée à ce qu'il a pu connaître dans le Continent Central. Majoritairement des plantes possédant des feuilles plus longues et lisses, comme si elles étaient conçues pour que l'eau de pluie s'écoule facilement. De telles curiosités raviraient Yoru, selon l'ancien manieur de foudre pure. Une telle diversité se doit d'être protégée. Émerveillé, il continue son chemin. Plus tard, lorsqu'il arrive devant ce qui semble être le cœur névralgique de ce territoire, un enchantement sans pareil illumine son visage.
« Oh... Qu'est-ce que... »
Deux statues de femmes portant un vase sur une épaule et deux longs drapeaux bleus, ornés d'un symbole, entourent l'entrée du village, entièrement construit en bambou.
« C'est... C'est stupéfiant. »
Il reste un instant, fasciné par ce qu'il découvre, avant de reprendre sa visite, d'un pas lent.Les habitations au style asiatique, également retranscrite sur les vêtements de leurs propriétaires, sont bâties avec les mêmes matériaux que la flore locale. Une vraie mine d'informations qui captiverait Yoru à coup sur. Rai n'en revient pas qu'une telle merveille puisse exister dans le monde de Faironne. Le détail qui le choque le plus est l'absence d'armes.D'après les propos de Shiki, ici vivent les descendants d'un détachement de Shirenais qui étaient dévoués au grand Densetsu. Plutôt difficile à deviner au premier abord. Un florilège de drapeaux bleus semble avoir envahi les lieux. Pourquoi sont-ils aussi obsédés par cette couleur ? Des statues féminines à l'allure semblable à notre Antiquité, de tailles diverses, se dressent devant chaque maison. C'est à ce moment-là que les personnes présentes, pourtant pleinement affairés à leurs taches quotidiennes depuis, finissent par le remarquer. Ils s'arrêtent immédiatement. Rai fait trois pas avant de se figer à son tour, gêné par le regard qui lui est adressé.Après un long instant où les questionnements foisonnaient dans les têtes de tous, un homme, entièrement vêtu de bleu, cheveux attachés par une grande natte, s'avance vers lui.Dans une sorte d'élan mêlé d'un certain mimétisme, les spectateurs les plus proches viennent le rejoindre.Quelques secondes d'intense observation pendant lesquelles le porteur de l'Hoshaku tente de décrypter leur langage non verbal pour tenter de comprendre ce qu'ils ressentent.
« Zvon omazav até ? »
La langue dans laquelle son interlocuteur vient de communiquer, pourtant connue malgré lui à travers les noms de ses techniques, le déconcerte totalement.
« Zvon omazav até ?! insiste-t-il.
- Excusez-moi. Je ne comprends rien à ce que vous dîtes. »
Tel un sauveur, un second villageois vient parler à l'oreille de son homologue.
« Oh... Zvé Fayron mé klotonazat, Densetsu wanpogorer, klotonazav méama véloworen.
- Successeur de Densetsu, notre chef vous présente ses excuses.
- Vous... Vous parlez ma langue ?
- Oui, à l'occasion de ma mission d'observation il y a quelques années. Notre chef veut savoir qui vous êtes réellement hormis votre statut.
- Oh... Euh... C'est un peu compliqué. J'ignore où j'ai passé ma vie avant de rejoindre le Continent Central pour d'obscures raisons. »
Le villageois traduit pendant plusieurs secondes à l'oreille de son chef, en essayant au mieux de coller à la fois à cette déclaration tout en apportant une clarification de la situation un peu confuse dans laquelle se trouve leur surprenant visiteur.
« Zing omazat atéam denstar ?
- Il vous demande où se trouve votre arme.
- Je n'en ai plus.
- Néméyobilé ! Zvéta énar até fayarazav ? » exulte le pratiquant de la langue ancienne après avoir reçu la traduction.
Son intervention sème l'inquiétude chez les spectateurs. Pendant quelques secondes encore, même l'homme en charge d'être l'intermédiaire linguistique entre eux semble consterné par ce qu'il apprend.
« Il veut savoir ce que vous avez en vous. Et, à vrai dire, en vous observant, je constate aussi quelque chose d'étrange. Expliquez nous.
- Ah... Oui... C'est une longue histoire... J'ai perdu la mémoire à la suite d'un affrontement avec un homme qui voulait contrôler le Kirioku. J'ignorais que je possédais l'énergie parfaite pour la contrer. Malheureusement, pendant presque un an, je fus enfermé avec lui dans une autre dimension. Pour une raison inconnue, je fus ramené. Grâce à mes amis, j'ai vaincu l'énergie noire.
- Énar yamaél ?! »
Cette interjection finit de clouer sur place tout le monde, même l'interprète. Une peur indescriptible sculpte leurs visages. C'est à ce moment-là que Rai regrette d'avoir révélé tout ça.
« Qui que vous soyez... Vous êtes venu... Pour nous tuer ? » parvient à prononcer son second interlocuteur avec beaucoup de difficultés à cause de l'angoisse qui s'est emparée de sa gorge.
Malgré l'incompréhension véhiculée ici, le dernier mot de sa question donne un indice à Rai sur l'origine de leur effroi. Yoru lui avait mentionné la fameuse guerre survenue il y a plus de deux siècles entre leurs deux peuple. Le pinacle de celle-ci mettait en scène l'énergie blanche enfermée dans son collier et celle de la célèbre bague qu'obtint Fraya sous l'influence d'Alnor. D'ailleurs, en parlant de lui, une réplique bien précise vient percuter son esprit. Il affirmait que Faironne devait être purgée. Sinon, aucune justice n'aurait été desservie envers les Zigriks selon lui. Ce n'est qu'à ce moment-là que Rai prend enfin conscience du traumatisme véritable que ce massacre créa à travers le temps et les récits. Le douloureux moment du passage du cercueil de Shipé lors de ses funérailles vient tordre son cœur. Même émotion pour la mort de Tetsuo. L'identité des personnes en face de lui lui paraît maintenant tellement évidente. Aujourd'hui encore, l'ignoble Kirioku continue de faire des ravages. Il est temps d'y mettre un terme.
« Je comprends ce que vous ressentez. J'en connais la source. J'accepterai tout. Cependant, je tiens à ce que vous m'écoutez. Ma présence ici ne représente en rien une menace pour vous. Oui, en moi vit l'un des acteurs de la tragédie perpétrée avec nos ancêtres. Sans lui, je n'aurais jamais été capable de la vaincre. Sans doute que, sans lui, vous ne seriez plus de ce monde actuellement. L'unique raison de ma venue est de savoir d'où je viens. Je veux également en apprendre plus sur Faironne. Si, malgré tout, vous exigez que je parte, je ne résisterai pas. Voilà. La balle est dans votre camp. »
Touché par le teneur de son discours, l'intermédiaire linguistique franchit le pas et accomplit son rôle.
« Zvan ?! »
L'homme regarde Rai pendant plusieurs secondes, à la recherche du moindre geste qui pourrait le trahir. Rien.
« N'ayez crainte. »
Il enlève sa capuche. Tous sont stupéfaits de découvrir sa chevelure blanchie par l'influence de l'Hoshaku. L'ancien manieur de foudre pureenlève ensuite sa cape avant de prendre une inspiration. Quelques souffles profonds plus tard, à leur grande surprise, son collier réapparaît.L'artefact du légendaire Densetsu sous leurs yeux à la fois ébahis et tremblants d'une légère angoisse.
« Je ne suis pas venu en ennemi. Je ne sais plus quand exactement je m'en suis emparé mais, ce dont je suis convaincu, c'est que, depuis, je porte un lourd fardeau. En moi résonne une voix qui m'est impossible de comprendre. De nombreuses fois, j'ai failli lâcher prise. J'ai cru même que j'allais devenir comme la chose qui possédait cette pauvre femme qui avait sciemment enfilé cette bague. Cependant, si je n'avais pas écouté cette voix à un moment donné, nous serions tous morts. J'ignore encore à qui elle appartient mais je jure solennellement que je ferais tout pour vous protéger. Ayez confiance en moi. »
Nouvelle retranscription. Une fois celle-ci terminée, les locaux en débattent. Eux, les descendants des acteurs du massacre, qui respectaient depuis ce triste événement l'accord passé avec les Kiyuzas, se demandent quoi faire. Vont-ils l'abroger ? Vont-ils le croire ? Personne ne semble prendre une décision. Afin de sortir de cette impasse, Rai se met à genoux et s'incline.
« Je suis prêt à vous prouver que je ne vous suis pas nuisible. Quitte à faire tout ce que vous me demanderez. Je fus un Shirenai comme vous. Ma volonté première est de préserver notre monde si beau et majestueux comme je viens de le découvrir en venant ici. »
Son geste, loin d'être anodin, bouscule les esprits. Une vraie preuve de respect et d'humilité, digne de l'honorable Densetsu. L'homme ne communiquant que dans la langue ancienne, touché par l'approche de Rai, adresse un regard envers une des statues féminines présentes à proximité, récit du triste bain de sang déversé entre leurs ancêtres et ceux de Yoru encore bien en tête.
« Suisei, amé kartazorak até ? » s'inquiète-t-il en joignant les mains, comme s'il allait commencer une prière.
Dans le mouvement, tous les habitants, le traducteur compris, font de même et ferment les yeux, le visage crispé dans la crainte qu'un cataclysme surgisse d'un instant ou à un autre à cause de ce qu'ils s'apprêtent à réaliser. Rai, en relevant à peine la tête, se rend compte de la scène. Le dilemme qu'il provoque le met si mal à l'aise qu'il serait prêt à rebrousser chemin en reculant, tout en prenant soin de ne point les brusquer par un geste trop maladroit à leur goût. En témoigne le léger pas en arrière qu'il fait avec sa jambe droite.
« Ulimazat !
- Attends ! » traduit immédiatement l'autre homme.
Interpellé, il cesse sa retraite.
« Lé apazat voyaz chunyé.
- Inconnu à l'Hoshaku, tu as l'autorisation de notre guide à rester sur nos terres. »
Choqué positivement par cette nouvelle, Rai ne trouve pas les mots sur le moment.
« Fairawatazaé syé Suiden ! Mé omaz Tomoharu.
- Il te souhaite la bienvenue ici. Il s'appelle Tomoharu. Digne héritier d'Aomitsu, le bras droit du premier chef Shirenai du Continent Central, Densetsu. »
Le chef des lieux tend sa main droite, dans l'attente d'une réponse de l'ancien manieur de foudre pure. Après quelques secondes de passivité, encore un peu bousculé émotionnellement, il se décide à la saisir. Les spectateurs inclinent la tête en signe d'acquiescement de la décision de leur représentant hiérarchique.
« Je n'ai pas eu le temps de me présenter. Je m'appelle Jomei. amorce l'interprète.
- Je m'appelle Rai.
- Shirenai, zat waleyer Suisei, watazav chotkaz syé améam keyotnoter Olaï.
- Il vous invite à nous joindre pour notre rituel quotidien.
- Un rituel ? De quoi s'agit-il ?
- Une tradition respectée depuis l'installation de nos ancêtres en cette paisible terre. Je comprends pourquoi il vous adresse cette demande. D'habitude, nous refusons systématiquement toute intégration étrangère au sein de notre communauté. Pas par peur ou quelconque mauvais jugement, soyez rassuré. Notre dogme a toujours été de rester couper de tout ce qu'il se passe ailleurs.
- Je comprends... J'accepte. Expliquez-moi ce qu'il faut faire. »
Après un bref geste du chef adressé à ces concitoyens, ils se placent derrière leur invité.
« Je n'ai pas eu l'occasion de vous le dire mais sachez que vous parlez bien notre langue.
- Merci.
- Et la votre, qu'est-ce que c'est exactement ? Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression qu'elle me semble familière.
- C'est normal. C'est l'ancienne langue parlée par nos ancêtres. La même que vous utilisez encore pour vos techniques.
- Oui. Mais comment... Oh... Vous en avez croisé ?
- Non. Je n'ai pas pu visiter Kigen à mon grand regret. Peut-être avaient-ils perçu mon origine ? Faudra que j'améliore ma manière de m'habiller.
- Autre chose m'a étonné. Pourquoi vous ne portez pas d'arme ? Vous ne semblez pas ne pas avoir honte à rappeler votre statut de Shirenai pourtant.
- Vous avez raison de le soulever. Arborer le symbole même de notre peuple originel n'est pas dans notre philosophie. Les horreurs de la Guerre nous ont fait comprendre qu'il fallait vivre autrement. Il est inutile de s'entre-tuer alors que nous sommes tous nourris par la même essence de vie. Nous nous devons d'être reconnaissants envers la force qui nous permet de vivre. Qu'en pensez-vous ?
- C'est une pensée tout à fait honorable et inspirante. Cependant, j'ignore si je pourrais un jour la passer dans les têtes du Continent Central un jour. Tout ce qu'il s'est passé depuis le moment où j'ai rencontré mes amis me pousse à croire qu'une menace peut surgir de n'importe où... Malheureusement... Sinon, pourquoi tout ce bleu ?
- Vous le comprendrez une fois à l'intérieur du Suiji, le lieu où nous rendons grâce à l'eau, le point commun à tout être vivant. »
Rassuré que sa présence soit finalement tolérée sur un territoire coupé des problèmes de Faironne, Rai poursuit ainsi sa visite à travers Suiden, le refuge de l'Est. Pendant ce temps- là, les deux nouveaux Kiyuzas sont face à face, en garde, observés par l'œil avisé de leurs formateurs. Un léger stress suinte sur le visage de celle qui vient de les rejoindre.
« Commencez ! » déclare Daigaku.
Ils se ruent dessus. Les coups et parades enseignés depuis le jour où Korit et Tekina furent évincés s'enchaînent parfaitement, telle une chorégraphie répétée de nombreuses fois.Il serait presque approprié de parler de capoeira vu l'amplitude gracieuse de leurs mouvements.Mais voilà, ceci n'est pas une danse mais un combat.Taimudo tente un coup de pied circulaire. Son adversaire réussit à esquiver in extremis. En guise de réponse, encore bien inexpérimentée par rapport à son camarade, elle tente de faire de même. Résultat identique. Tous les deux chargent un poing. Leurs auras émergent légèrement.
« Kamer Ki ! »
Le contact entre leurs coups crée une onde de choc secouant la végétation aux alentours. Ils restent pendant quelques secondes poing contre poing.
« Ils se débrouillent vraiment bien. commente Aritsune.
- Notre nouvelle recrue est en train de le rattraper. S'il l'a remarqué, Taimudo a intérêt à redoubler d'efforts s'il ne veut pas se faire avaler.
- Tant mieux. Ça va les pousser à persévérer, progresser, se surpasser. Leurs volontés s'en retrouveront renforcées. Maintenant, notre préoccupation actuelle est de savoir quel talent elle peut cacher en elle. »
Leur attente est de courte durée. La main droite de la femme Kiyuza se met à trembler. L'onde uniquement visible par les anciens conseillers perturbe leurs sens pendant trois secondes.
« Qu'est-ce que c'est ? » s'interroge Aritsune.
L'aura de Chiyumi grossit sur quelques points de sa main et semble se déformer. Taimudo, grâce au talent qu'il a réveillé, voit des lignes gonflées aux endroits où ce phénomène se produit, le déroutant profondément. Sa surprise est telle que le premier réflexe qu'il a est d'engager plus de forces dans la bataille. Son opposante recule.
« Du nerf ! Es-tu une femme forte oui ou non ?! » sermonne Daigaku.
Sa phrase tape dans le mille. A cause d'elle, l'apprentie Kiyuza sent une angoisse monter dans son être.
« Qu'est-ce que tu fais ? lui demande à voix basse son homologue.
- Je la pousse dans ses retranchements. Son talent est en train de se réveiller. Cependant, d'après ce que nous venons de ressentir, c'est trop peu. Un petit coup de pouce ne lui fera aucun mal.
- Oh... Je vois. »
Revient dans la tête de la nouvelle venue le triste épisode qu'elle a vécu avec les deux Zigriks turbulents Korit et Tekina. Un profond sentiment de dégoût et de colère irrite sa gorge. Un autre souvenir, plus lointain, lui revient. Un jour, lors d'une inspection menée par une patrouille Shirenai, Shipé à sa tête, elle fut témoin d'une terrible scène. Toute la population fut convoquée car l'autorité soupçonnait que des personnes couvraient volontairement une de leurs cibles recherchées. Agacé d'obtenir aucune réponse de la part des locaux, il ordonna à ses soldats de saccager leurs récoltes. Une fois l'escouade repartie, ses camarades, au lieu de s'indigner et de tenter d'opposer une résistance, s'étaient résigner à accepter l'injuste punition. Il ne faut plus que ça recommence. A présent convaincue qu'elle peut tout changer, sa volonté résonne à travers son corps, réveillant encore plus le ki encore latent. Des monticules d'aura sont formés au-dessus de ses doigts et s'étirent, surprenant davantage Taimudo et les anciens conseillers. De ces étranges amas d'énergie neutresortent comme des fils gris, agrippant le poing et le bras de son adversaire. La force déployée est telle qu'ils le repoussent violemment contre un arbre. Son aura est désactivée sur le coup.Les responsables de son état flottent dans les airs.
« Qu'est-ce que c'est ?! » demande-t-elle sous la panique.
Daigaku et Aritsune apparaissent pile à côté et les tâtent.
« Du ki matérialisé à partir de son corps... » résume le premier.
Comme c'est la première fois qu'ils constatent ça, s'entame chez eux une phase de réflexion. Taimudo se relève.
« Qu'est-ce que c'était ? réclame-t-il de savoir à son tour.
- Qu'est-ce qu'il m'arrive ? »
Sous l'effet de sa surprise, les fils se rétractent et réintègrent son corps sans qu'elle ne subisse quoique ce soit. Vu qu'elle ne s'attendait absolument pas à ce qu'une telle chose se produise chez elle, la panique la paralyse sur place.
« Pas de panique, nous allons tout t'expliquer. rassure Daigaku quelques secondes plus tard.
- Tu possèdes le talent de matérialisation. En ce qui te concerne, tu es capable de lui donner une forme de fils. La particularité de ce pouvoir est qu'il change d'une personne à l'autre.
- Jamais, de mémoire de Kiyuza, un des nôtres a pu exprimé un tel talent. Sauf notre illustre Ki-Ramen bien entendu.
- D'après ce qu'on a pu voir, tes fils sont liés à tes émotions. » ajoute Aritsune.
Son effroi, grâce aux détails donnés par ses mentors, se métamorphose en une euphorie interne assez intense. Quel fantastique pouvoir ! Avec ça, les Shirenais trembleront ! L'autre disciple les rejoint.
« Continuez comme ça. Vous faîtes du très bon travail. félicite Daigaku.
- Recrue Taimudo, reste à tout prix concentré dorénavant. Et toi, recrue Chiyumi, apprends à te contrôler et à t'habituer à ton pouvoir. Vous gagnerez tous deux en efficacité.
- Compris maîtres ! » répondent-ils simultanément avant de se retirer pour commencer leurs exercices.
Deux talents extraordinaires pour leurs deux premiers convertis. Entre l'homme capable de manipuler à distance des quantités d'énergie neutre et la femme pouvant en matérialiser, c'est un bilan parfait pour ceux qui veulent poursuivre l'œuvre de Ki-Ramen jusqu'au bout. A eux deux, ils formeront un duo complémentaire et efficace pour mettre en déroute n'importe mercenaire. Les anciens meneurs de Kigen ne pouvaient pas rêver mieux, maintenant pressés que leur formation soit finalisée avant de passer à l'étape supérieure.