A nouveau, j'étais enfermé. Seul, sans la moindre information qui me parvenait. Ordre du Roi ou manque de fluidité dans les rumeurs du chateau ? Tout était possible. Et c'était peut-être cela le plus angoissant. Je ne pouvais pas savoir, seulement imaginer une infinité de possibilités sans pouvoir les vérifier, sans être certain ni de ce qu'il s'était passé ni de ce qui allait se passer. Alors, c'était en silence, presque prostré que j'étais ainsi resté mangeant à peine, dormant de la même façon.Trois jours.Cela avait duré trois jours pleins pour qu'enfin les portes de mes appartements ne s'ouvrent sur mes parents rapidement suivis par... Hayes ? Clignant les yeux, je m'inclinai rapidement, peu désireux d'attirer de nouveau leurs foudres alors qu'ils me toisaient déjà tous trois.— Te rends tu comptes de ce que tu as fait ?Un bonjour m'aurait été préférable alors que je baissai la tête, presqu'honteux alors même que je n'arrivais pas regretter mon geste.— EST-CE QUE TU TE RENDS COMPTE, ELIAN ? hurla mon père, me faisant tressaillir.— Je...— Mon oncle, calmez-vous, susurra Hayes en s'approchant, dangereux, pour poser sa main sur mon bras.C'était là peut être pire que d'entendre mon père hurler. Levant les yeux sur lui, je suivis pourtant son geste, me relevant pour lui faire face et observer son visage bien trop serein face à la situation.— Ta pièce de théâtre a été efficace. Le Conseil a discuté. Beaucoup discuté.— Vous les avez...Sa main levée m'obligea au silence tandis que je le fixai, pendu au moindre de ses mots.— Je suis parti vers une pendaison en place publique. Ton père était en accord avec cette décision. D'autres l'ont aussi été.Ils allaient... Ils avaient donc...— Mais la majorité du Conseil a décidé qu'un séjour au fond des cachots sans nourriture suffiraient à leur faire peur. Que le risque de condamnation à mort avait été suffisant pour les calmer, gronda-t-il, les sourcils froncés.J'avais retenu ma respiration jusque là. Je m'en rendais désormais compte alors qu'un soupir de soulagement bruyant s'échappait de mes lèvres. J'avais réussi. Ils n'allaient pas mourir. Je ne les avais pas condamné. Je les avais sauvé.— Ils sortiront demain, reprit Hayes. Et ils repartiront chez eux.Ils allaient rentrer chez eux. Ils allaient pouvoir rentrer, retrouver leurs familles, grâce à moi. J'avais été utile. J'avais réussi. Vraiment. J'avais réussi !— Avec toi.J'étais parvenu à les faire changer d'avis, j'avais... Mes pensées se stoppèrent soudain. J'observai mon cousin, interdit.— Avec... Moi ? Articulai-je sans comprendre.— Avec toi, répéta-t-il froidement. Prépares tes affaires. Tu pars.Je partais ? Comment ? Pourquoi ? Pourquoi me faisait-il partir ? Et dès demain ? Mon regard se posa sur mes parents, sur mon père à l'air courroucé, sur ma mère effondrée, avant de revenir sur Hayes qui venait de faire volte-face.— Pourquoi ?! l'arrêtai-je brusquement. Tu n'as pas le droit de...— Il a tous les droits ! me stoppa ma mère d'une gifle soudaine.Je fus sonné, l'observant, interdit face à ce geste que je n'avais pas reçu depuis mon enfance. Je fus d'ailleurs tellement sonné que je ne compris qu'à peine ce que mon père disait tandis qu'Hayes reprenait sa route, son rictus ne m'ayant pas échappé. J'avais voulu les protéger. Mais Hayes et mon père... Ils n'avaient pas confiance, avait-il dit. Je serais donc envoyé pour les surveiller ? Pour vivre avec eux ? Ils me bannissaient pour avoir voulu défendre l'intérêt de citoyens ? Ce n'était pas ainsi qu'il l'avait édicté, que cela m'avait été présenté mais c'était pourtant ainsi que je le traduisais. J'étais banni. Mon cousin me bannissait du château pour m'être opposé à lui. Mon père l'approuvait. Ils me bannissaient tous. Toute ma famille.— Nous avions des ambitions pour toi ! Tu aurais pu prendre la tête d'une ville !La voix de ma mère me sortit de ma torpeur, me faisant lever la tête pour l'observer sans même comprendre réellement ce qu'elle me disait.— Tu as de la chance, ajouta mon père froidement. Le Roi est clément. Tu partiras avec trois hommes. Ils te serviront de garde et d'aide. Vous devrez surveiller tes petits amis jour et nuit et nous fournir des rapports quotidien.Il me donnait beaucoup d'informations, trop pour que je puisse tout intégrer alors que mon regard restait vide, choqué. J'étais banni...— Myra. Allons-y. Mon père me toisa alors, l'air plus furieux que jamais. — Aleah va préparer ton sac. Ce sera la dernière chose qu'elle fera pour toi. Tu partiras à l'aube avec eux. Sois prêt.Se détournant de moi, il avança vers la porte de mes appartements sans plus un mot. — SIGERID ! hurla soudain ma mère, me faisant sursauter. C'est mon fils ! C'est mon fils ! Il doit rester au chateau ! Sa voix suraiguë eut au moins le mérite de me réveiller alors que je l'observai, surpris. Etait-elle réellement en train de s'inquiéter pour moi ? Non... Non, là... C'était trop. Esquissant un sourire nerveux, je secouai la tête.— Parce que je suis votre fils et pas une déception ? lançai-je pour toute réponse, ricanant de cette situation rocambolesque. Vous m'étonnez, mère. Peut-être auriez-vous pu vous décider avant de me défendre.— Je ne te permets pas ! s'égosilla-t-elle en m'attrapant par le bras. Tu dois...— MYRA ! Ce fut à mon père d'intervenir, froid, comme il l'était toujours.— Lâche-le. Nous partons.Mais ma mère tenait bon, tentant de me secouer autant qu'elle le pouvait sans même y parvenir.— MYRA ! insista mon père en s'approchant d'un pas, la faisant me lâcher enfin. Allons-y.Oui. Qu'ils y aillent. Qu'ils partent.Pourtant, à l'instant où la porte de ma chambre avait claquée, je m'écroulai au sol, tremblant. Banni. Je devais partir. Ils m'avaient expulsés. En moins de vingt quatre heure, j'allais devoir quitter l'endroit qui m'avait vu grandir, le seul endroit que je connaissais réellement. J'allais devoir partir...Resté immobile, je ne bougeai même pas lorsqu'Aleah arriva. Je ne bougeai pas lorsque Ruth l'eut rejoint, et je ne bougeai toujours pas lorsque mon repas fut servi. Je n'avais plus envie. Je ne voulais pas... Je n'y arrivais pas.— Monsieur, me souffla la vieille domestique, glissant son bras autour de moi tandis que sa fille en faisait de même de l'autre côté.— Vous devez vous reposer, Monsieur, ajouta Ruth en m'entraînant vers mon lit pour me déshabiller.Je me laissai faire. Sans un geste et sans un mot, je me laissai faire jusqu'à ce que les draps ne me recouvrent et que chaque bougie de la chambre ne soit éteinte. Pourquoi me coucher maintenant ? A quoi bon lorsqu'il ne me restait plus que quelques heures ici ? A quoi bon dormir ?
A vrai dire, mes pensées finirent par s'estomper. Épuisé par un trop plein d'émotions, mon corps céda finalement à l'appel du sommeil, éteignant la journée dans une nuit cauchemardesque bien trop longue et bien trop courte à la fois.
— Il est temps, Prince Elian.Là, allongé dans mon lit, je ne réagis pas immédiatement. Voilà pourtant de longues, très longues heures que j'étais réveillé, assommé par un dernier cauchemar qui avait eu raison de mon sommeil.— Il vous reste encore une heure.La voix d'Aleah n'y fit rien, pas même que sa présence, d'ailleurs. Je ne pouvais pas partir. Pas comme ça mais avais-je au moins le choix ? Non. Evidemment que non, je ne l'avais pas.— La Garde viendra vous chercher, Messire, me rappela-t-elle.Je le savais. Je ne le savais que trop mais ce la ne changeait rien. Je n'y arrivais pas. Je ne pouvais pas le faire.— Et vous n'avez pas choisi vos compagnons de route, Monsieur.— Personne ne doit partir, murmurai-je enfin en fermant les yeux. Ils ne voudront jamais me s...— Vous pensez ? entendis-je à la porte, m'obligeant à me relever tant je reconnaissais la voix de Myles. Ils étaient là. Ils étaient tous là. Les yeux presqu'écarquillés, je les observai alors, un par un. Tous. Toute ma compagnie était là, semblant décidée. Nous n'avions fait qu'une mission ensemble et ils étaient pourtant venus ?— Pourquoi ?— On s'est dit que vous ne supporteriez pas la soupe traditionnelle seul, répondit Adriel dans un sourire.— Et je ne supporte plus mes enfants, un peu de vacances, ça va m'aider. Et puis je pourrais les faire venir au vert ensuite, renchérit Peter.— Et surtout, nous sommes d'accord avec vous, termina Myles. Mais vous ne pouvez que prendre trois d'entre nous. Nous sommes tous prêts, Monsieur, mais le Roi tient à ce que seuls trois partent.Trois... Mais, ils étaient tous venus, sans exception. Les larmes aux yeux, j'avais enfin fini par me lever, m'approchant d'eux pour les observer.— Merci... Merci... murmurai-je alors que Myles souriant, venait poser ma main sur son épaule.— Choisissez. Vous ne remercierez lorsque nous serons en route. Pas besoin de le faire pour ceux qui seront au chaud ici !Au moins parvint-il à m'arracher un rire, même léger.— Alors changez-vous et nous attendrons tous votre décision dehors, m'indiqua l'homme en renvoyant tout le monde dehors avant de fermer la porte derrière lui sous le sourire sincère d'Aleah.— Alors vous êtes prêt ? souffla-t-elle en s'approchant de moi, mon uniforme en main.L'étais-je réellement ? J'en doutais toujours. L'envie de partir n'était pas arrivée par magie, quand bien même la présence de mes hommes m'avait rassurée.Et pourtant, je tendis la main vers elle, récupérant ma tenue et la laissant m'aider à m'habiller. Déglutissant, le dos droit, une fois que ce fut chose faite, je pris quelques secondes de répit, respirant profondément les yeux fermés.
— Ce n'est pas définitif, me souffla la vieille domestique. Le Roi se rendra compte qu'il a besoin d'hommes comme vous dans son entourage.— De contrevenants ? plaisantai-je à mi-voix.— D'hommes justes et bons.Rouvrant les yeux, je lui avais souri, un peu, tristement. Si seulement le monde était aussi facile. Si seulement le Roi pouvait être lui même bon. Mais il avait banni son propre cousin. Baissant les yeux, j'avais senti sa main dans mon dos, rassurante présence que je connaissais depuis mon enfance.— Nous vous attendrons, Monsieur.— Tenez.Relevant les yeux sur Ruth que je n'avais pas entendu entrer, j'esquissai un nouveau sourire à la vue de la boule de poils qu'elle me tendait.— J'avais peur que vous l'oubliez.— Comme si c'était possible répondis-je en attrapant Rainy contre moi.— Il va me manquer.— Vous avez entendu votre mère ? tentai-je de lui sourire. Ce n'est que temporaire. Vous le retrouverez bientôt.Aleah hocha la tête dans un large sourire rassurant, reculant alors pour ouvrir la porte. Enfin, je quittai ma chambre, sans même savoir quand je pourrais y revenir.J'eus du mal à atteindre l'entrée du château. J'y croisai d'ailleurs étrangement bien trop peu de monde sur mon chemin, comme si tous me fuyaient. Ma propre famille ne fut même pas au rendez-vous alors qu'à l'extérieur m'attendaient les prisonniers et surtout mes hommes en face desquels je me présentai.— Nous sommes prêts, Monsieur, affirma Myles, souriant, sûr de lui.— Et on partira dès que vous aurez choisi puisque heureusement on nous file que quatre gars en plus à nourrir et pas une compagnie entière, plaisanta l'un des membres de la Rébellion.— Sois cool Mark, rétorqua Travis. Il nous a sorti de là. On leur doit bien deux ou trois repas en plus.Deux ou trois... Je n'avais pas pu m'empêcher de sourire, secouant la tête avant de reporter mon attention sur mes hommes. Ainsi devais-je choisir qui partirait, qui quitterait sa vie ici pour me suivre. Un choix difficile mais un choix que je n'avais plus le choix que de faire.