Chapter 3 - 3

* Port d'Estaris

"Prochain dirigeable intra-contrée dans 5 min, éloignez-vous du

vide et libérez la place pour le débarquement !"

-J'en ai marre ! 20 fois qu'il répète la même phrase, j'ai une folle

envie meurtrière d'un coup. D'ailleurs tu peux m'expliquer pourquoi on

ne s'est pas arrêté manger au lieu d'attendre depuis 30 minutes un

dirigeable qui va de toute façon arriver à l'heure ?

-Sois patient Skad. Il vaut mieux être prudent et ne rien laisser au

hasard. Je préfère être en avance pour pouvoir facilement m'adapter

s'il y a un problème. Calme-toi et prépare-toi, le dirigeable ne va plus

tarder.

-T'es stressé ? Ton regard, il est fuyant. En 3 ans tu ne m'as jamais

fait la morale sans plonger tes yeux dans les miens.

-Ne dis pas de bêtises, j'analyse la situation c'est tout, c'est une

grande ville, il y a du monde partout. De plus, on ne sait jamais qui

pourrait avoir entendu les rumeurs de nos retrouvailles et nous filerait

pour atteindre JJJ. Reste sur tes gardes.

-Tu penses sérieusement qu'une personne serait assez folle pour

oser s'en prendre à Triple au moment où toute la compagnie sera

présente ?

-Je dis simplement que c'est la première fois depuis 3 ans que les

rumeurs annoncent son retour, beaucoup de gens mal intentionnés

vouent une colère sans fin à notre chef, soyons prudents.

Le dirigeable s'apprêtait à entrer en gare quand soudain, un homme

qui semblait être apparut en un instant bouscula violemment Skad et

porta son visage à l'oreille de Nessam. Le temps se figea et il fut si

imprévisible que les deux amis ne purent réagir. L'inconnu disparut

aussi vite dans la foule qui débarquait du dirigeable. Skad, qui était

tombé à l'impact, se releva pour rejoindre Nessam. Ce dernier étaitlivide, le teint blanc, les mains tremblantes. A l'approche de son

compagnon, il simula un spasme et se reprit aussi tôt.

-Qu'est-ce qui vient de se passer exactement Nessam ? Réponds-

moi, j'étais debout et la seconde d'après j'étais au sol ! J'ai été poussé,

et violemment !

-Je me demandais justement si ça allait, tu t'es effondré tout seul

d'un coup, tu t'es pas fait mal ?

-Ne me mens pas ! Je ne suis pas faible au point de perdre mes

appuis tout seul.

-À l'évidence si, allez, monte dans le dirigeable, il va décoller.

Skad s'exécuta sans demander de plus amples explications. Il savait

que si son ami adorait partager ses connaissances et ses découvertes, il

incarnait aussi à la perfection le rôle du philosophe passionné et

introverti qui préfère se taire si la situation l'exige.

** Une île, non loin d'Estaris, auberge Le Cochon Songeur

L'auberge "Le Cochon Songeur" est connue de toute la contrée de

Centralie. Malgré son emplacement peu flatteur, une île désertique

parsemée de falaises, ce lieu emblématique était toujours rempli. De

nombreux voyageurs soutiennent d'ailleurs que les dirigeables

continuent de passer par ces terres seulement pour pouvoir encore

profiter de la cuisine simple mais non moins riche des propriétaires.

Cette maison est tenue par le même couple depuis plus d'un demi-siècle

et par la même famille depuis 11 générations. Respect, traditions et

recettes sont transmis sans relâche pour contenter le plus affamé des

clients. Aucun vagabond ne ressort jamais du "Cochon Songeur" la faim

au ventre et cette réputation convint Marga et Lawel de pousser les

portes de l'établissement.

-Bonsoir monsieur, bonsoir madame, je me présente, Christo, je

serai à votre service tout au long de la soirée, en quoi puis-je vous

contenter ?

-Deux plats du jour avec 2 pintes de votre pression, en blonde,

répondit brièvement Lawel afin de mettre fin le plus tôt possible à cette

discussion avec le serveur.

-Tu te rends compte ? Aucun bruit dehors, personne sur des

kilomètres, et ici, au sommet d'une falaise, dans cette auberge, un

monde fou. On doit sacrément bien y manger pour que tout le monde

s'arrête sur une île vide.

-Je te l'ai dit Marga, ici on trouve les meilleurs plats de tout

Centralie, y en a qui disent même qu'ils ont leurs propres dirigeables

ravitailleurs qui viendraient les desservir en matière première des

quatre coins de la contrée. C'est impressionnant.

Accompagnée d'une fumée toute droit sortie des cuisines, Christo

profita des éloges prononcés par Lawel pour annoncer les plats du jours,

"Lentilles aux saucisses et au lard", hurla-t-il. La salle devait être

habituée à tant de théâtre car personne ne se retourna face à la scène

initiée par le serveur. "Et Bon appétit !", conclut alors le fameux Christo.

Marga, un peu gênée par tant de cinéma, reprit la discussion.

-Si c'est aussi réputé que tu ne le dis, alors pourquoi avoir choisi un

endroit pareil pour s'arrêter ? C'est dangereux, on pourrait être

reconnu, pire attaqué.

-Calme toi, on est en sécurité ici, personne ne sait que la terrible

compagnie est en train de se reformer et de tout façon, comment un de

ces ivrognes collé au bar pourrait réussir à te porter un coup ? Et puis,

pour être tout à fait franc, le hasard fait bien les choses, ça fait un bon

moment que j'envisage de passer ici pour subtiliser un petit objet, rien

du tout tu me connais, mais le succès de cette auberge ne résiderait pas

seulement dans le savoir des cuisiniers mais aussi dans un ustensile

particulier : une louche, un peu rouillée, qu'ils utiliseraient depuis 11

générations.

-Lawel, ne me dis pas, qu'on est assis là pour que tu puisses voler

une louche ? Il faut absolument calmer ce côté cleptomane, Lawel, on

doit faire profil bas.Lawel écouta à peine ces mots, se leva d'un pas assuré, quitta la

table et se dirigea vers les cuisines laissant seule Marga face à ses

lentilles à la saucisse encore fumantes.

A ce moment, un petit brin d'herbe vint se poser sur le bras de la

femme, sautillant. Quelques secondes plus tard, les portes de l'auberge

s'ouvrirent dans un fracas retentissant, laissant apparaître un homme

accompagné d'une petite fille. Marga sourit.