* Dans le ciel, dirigeable intra-contrée n°3
Les dirigeables intra-contrée sont les plus simples, les plus sales et
les plus lents parmi l'ensemble des engins proposés par la firme
AirCondor.
Cette entreprise a connu un plein essor au lendemain de la
découverte du "continent salvateur". Il y a de ça plusieurs siècles, des
guerres ont éclaté en tout point de la surface terrestre. La course à
l'armement a conduit à l'usage d'arsenal de nature biochimique
toujours plus perfectionné qui ont fini par priver l'air de presque toute
son oxygène. C'est dans cette apocalypse prématurée que les anciennes
générations ont construit les premiers vaisseaux volants pour atteindre
le ciel et se rapprocher d'un air enfin respirable : il fallait retrouver de
l'oxygène. Et par-delà les nuages, ces conquistadors modernes ont
découvert des terres dépourvues de vie, des ilots flottants dans
l'immensité des cieux. Cette colonisation a marqué l'avènement du
"continent salvateur". Évidemment, aucun pont, aucune route ne
permettaient de passer d'une île à une autre et c'est à ce problème que
l'entreprise AirCondor mit un point d'honneur à donner une réponse.
Elle fut la première à construire des dirigeables et commença par la
même occasion à bâtir un peu partout des stations afin de relier ces
nouvelles terres. Le réseau AirCondor se développa si bien et si
rapidement que personne ne remit en question le choix de ce moyen
de transport dans une période économique et politique où la priorité
était donnée à la reconstruction et à la survie. Plus tard d'autres
compagnies ont bien essayé de tirer leur épingle du jeu mais ont
toujours finit rachetées ou ont disparu mystérieusement. AirCondor
possède donc la main mise sur le réseau de dirigeables permettant de
se déplacer de villes en villes et de contrées en contrées. Cependant un
amendement inter-contrée du siècle dernier a conclu que si les ports etles dirigeables appartenaient bien à la firme, les couloirs aériens, eux,
appartenaient à la contrée traversée. Ce détail, intéressant, permet,
depuis, à qui possède un dirigeable ou tout autre objet volant, de
naviguer dans les aires en toute liberté.
Les dirigeables de la société AirCondor sont divisés en 3 classes :
les vols intra-contrée qui partent de l'île capitale et qui relie les
principales îles de la contrée, les vols inter-contrée qui relient les îles
capitales des différentes contrées et enfin les vols mandatés, plus chers,
mais qui, réservés à l'avance, permettent de se déplacer d'un endroit à
un autre sans tenir compte des frontières.
C'est dans un dirigeable AirCondor intra-contrée, sur la ligne n°3
que Skad et Nessam tentent de rallier l'île la plus proche d'Estaris,
capitale de Centralie.
Sa capuche vissée sur son crâne, Skad essayait de se reposer, affalé
sur un des bancs du dirigeable, il ne cessait de répéter en boucle dans
sa tête ce qui lui était arrivé plus tôt. Il était certain d'avoir été bousculé
par un homme, mais qui ? Et qu'avait-il dit à Nessam pour qu'il devienne
aussi pale, lui qui est de nature si calme et toujours sur de lui. Ce qui le
mettait hors de lui, c'est qu'il n'avait rien vu venir, il n'avait rien pu faire,
il n'a même pas pu réagir. Dans ses pensées, il se mit à sentir une odeur
nauséabonde qui lui paraissait de plus en plus réel, il se redressa, jeta
un coup d'œil derrière son dos, un sans-abri urinait contre un mur du
dirigeable et son liquide jaunâtre se déversait dans la salle. Il savait que
ces aéronefs automatisés étaient souvent mal fréquentés et donnaient
lieu régulièrement à des scènes d'affrontement et de violence gratuite
mais là c'en était trop pour Skad, énervé, frustré, il allait agir, il ne
pouvait laisser passer un aussi gros manque de respect. Il serra le poing.
- SKAD ! Calme-toi.
Ces mots avaient été prononcés par Nessam, assis à l'avant du
dirigeable, à 3 ou 4 bancs de la scène. Il semblait griffonner sur un vieux
pense bête comme il le faisait dès que la situation le lui permettait, dès
que le temps s'échappait doucement lui laissant seulement la possibilité
d'immortaliser quelques-unes de ses pensées.
- Calme toi ! Reprit-il. Réfléchis, réfléchis mieux Skad. Tu allais
t'énerver ? Tu allais l'attaquer, le rouer de coups ? Et après ? Le tuer ?
J'espère au moins que tu t'en serais voulu mon garçon. Mais à quoi bon
? Réfléchis encore Skad ! Et ose, ose, le temps d'un instant, te mettre à
sa place. Alors maintenant, questionne-toi ! Qui je suis ? Pourquoi je
suis ivre un soir dans un dirigeable de banlieue ? Pourquoi je détruis
mon amour propre en urinant sur le mur d'un dirigeable de banlieue ?
Je sais les questions sont simplement tournées Skad, mais les réponses,
elles, mêmes si elles peuvent te paraître connues d'avance sont bien
plus complexes car sinon cet homme ne serait pas là, ce soir.
Maintenant je veux que tu viennes t'assoir à côté de moi, on sort au
prochain arrêt.
Nessam avait ressenti l'aura violente de Skad. De dos et éloigné, il
avait quand même réussi à empêcher l'adolescent de faire une bêtise
qu'il aurait regretté. D'un pas nonchalant, le garçon rejoint, la tête
baissée, son ami à l'avant.
La voix automatique du dirigeable annonça l'arrivée imminente à la
prochaine station : "Rien...ou presque, Auberge Le Cochon Songeur".