Chereads / La douleur des souvenirs - Tome 1 (fr) / Chapter 9 - Le cœur de la nature

Chapter 9 - Le cœur de la nature

Après avoir vu les murs d'Aragane, je pensais que plus rien ne pouvait m'impressionner, mais je me trompais. L'arbre qui se trouve sous mes yeux est un véritable prodige de la nature, bien qu'il soit difficile de concevoir qu'eau et soleil à eux seuls ont pu engendrer pareille monstruosité. Assez haut pour ne pas en distinguer le sommet, et suffisamment large pour s'épuiser à en faire le tour, cet arbre est incontestablement le souverain de la forêt, le roi parmi les rois. Droit et dénudé comme tous les autres anciens, ce chêne immense impose le respect à ses congénères qui ne l'approchent pas à moins d'une centaine de mètres, le laissant ainsi trôner au centre d'une clairière parsemée d'herbe courte et de racines qui semblent supporter le poids du monde. Une pierre de mystrite grande comme une maison est logée dans le tronc à mi-hauteur — en supposant qu'il soit aussi haut que je l'imagine — inondant toute la zone de son éclat éblouissant depuis sa prison de bois.

En m'approchant du tronc — car mes jambes semblent avoir continué à marcher sans mon consentement — je commence à distinguer des détails gravés dans l'armure du pilier végétal. Je ne sais quelle force divine a pu entailler pareille écorce, mais elle n'aurait pas eu plus de mal à découper une montagne. Deux entailles particulièrement visibles spiralent autour du tronc en partant de son pied jusqu'à une cinquantaine de mètres de haut. Par endroit, ces serpents jumeaux se divisent en fines ramifications, chacune d'elles menant à des excroissances qui boutonnent l'armure de bois. Désormais suffisamment proche pour que le tronc comble l'entièreté de mon champ de vision, il me semble que ces excroissances sont surmontées de planches en bois obliques alignées les unes à côté des autres...

Serait-ce…

Des toits ?! Est-ce bien ce que je vois ?

Non, cela ne se peut…

Y aurait-il des maisons bâties dans les failles de l'écorce ?!

Comme pour faire voler mes doutes en éclats, une voix masculine retentit soudain depuis les toits, sommant un congénère de finir de se préparer en vitesse. Une autre voix lui répond d'un ton las avant qu'un bruit de porte qui claque ne résonne jusqu'à mes oreilles. J'aperçois enfin les deux hommes descendre le long d'une des ramifications taillées à même l'écorce, le premier réprimandant le second pour avoir négligemment claqué la porte. Arrivé dans une des deux encochures principales, ils se mettent à courir sur le chemin en colimaçon et se retrouvent rapidement cachés de l'autre côté du tronc.

– Ne me dis pas que tu habites dans cette… chose, je demande, hébété, ne trouvant pas de mot satisfaisant pour qualifier pareille énormité.

– Ishizora, je te présente Elvijkiar, l'ancien parmi les anciens, la sagesse du monde, le cœur de la nature et, comme tu l'as deviné, c'est aussi ma maison.

Je n'en crois pas mes oreilles. Il semble que je pourrais passer ma vie entière à arpenter Historia sans que ce pays ne cesse de me surprendre.

– Allez viens, suis-moi. Mère nous attend de l'autre côté, me lâche-t-il naturellement avant de s'en aller à grandes enjambées.

– Elles nous attend ? Comment sait-elle que—

– Mère sait tout, m'interrompt-il sans même se retourner, me faisant ravaler ma question en un minimum de mots.

Mère sait tout ! Ça a le mérite d'être clair.

Je reste quelques secondes à observer le tronc gigantesque, essayant vainement d'en capturer le sommet, et lorsque ma nuque commence à me lancer, je pars à la poursuite de Natsuki qui ne m'a pas attendu.

Maintenant que je suis à quelque mètres du tronc, c'est à peine si je distingue sa courbure. La seule preuve que je n'avance pas en ligne droite est que le paysage change légèrement au fur et à mesure que nous contournons l'obstacle. Quelques instants plus tard, nous passons en dessous d'une racine probablement capable d'abriter une famille entière de grizzlion, incluant les cousins et les grands-parents, avec toujours assez de place pour qu'ils puissent danser autour d'un feu de bois. Rien que d'y penser me fait sourire. Le vieux Tak m'a souvent répété que j'avais une imagination débordante, et que cela deviendrait une arme puissante à l'avenir. Je ne vois pas bien comment imaginer des grizzlion dansant autour d'un feu pourrait m'être d'une quelconque utilité, mais ce ne serait pas la première fois que je décroche une migraine en cherchant du sens à ses propos. La racine plonge dans le sol une vingtaine de mètres plus loin, tel un vers de terre géant qui se serait endormi en oubliant de dissimuler son arrière-train. Cette partie de l'arbre étant dénué de pierres lumineuses, elle représente un véritable refuge pour l'obscurité. Je ferme les yeux et hume l'air frais qui y circule. Contrairement à l'air stagnant qui m'avait donné le tournis lors de ma dernière visite dans ces bois, celui à proximité du tronc est aussi pur qu'apaisant.

Une fois de retour à la lumière, mes yeux se plissent un court instant. En les rouvrant, j'aperçois des personnes vaquant à diverses activités. Des jeunes hommes au torse nu et suintant sont adossés contre le tronc, s'essuyant le corps avec une serviette tout en contemplant le produit de leur dur labeur qui semble être une énorme pile de buches. Ils sourient, visiblement satisfaits de leur travail. Une jeune femme vient leur apporter de quoi boire et ils se mettent à discuter tous ensemble, ponctuant parfois leur conversation de rires retentissants. Un homme et une femme reviennent de la forêt avec des paniers en osier remplis de linge noir, discutant le sourire aux lèvres. Une jeune fille coiffée d'une longue natte rousse est concentrée sur un arc qu'elle tente de raccorder. Ne lui donnant pas quinze ans, je suis surpris lorsqu'elle y parvient enfin, mais en regardant un peu mieux, les muscles de ses bras ne font pas secret du propriétaire de l'arme pourtant aussi grande qu'elle. Elle ferme un œil pour analyser son travail accompli, puis bande l'arme avec une facilité déconcertante.

Je ne donne pas cher de la peau des infortunés sur qui elle pose ses yeux azur.

Elle perd soudain sa concentration lorsque des enfants s'approchent d'elle en courant avant de lui tourner autour avec des sourires qui connectent leurs deux oreilles, l'un visiblement chargé d'attraper les autres. Elle rit de bon cœur avant de poser l'arme et de se mettre à les poursuivre à son tour. Je sens mon cœur se pincer, touché par cette bonne humeur ambiante qui me rappelle les sensations d'une vie oubliée, de jours révolus, à tout jamais perdus dans l'abîme de ma mémoire.

– Tu veux bien arrêter de te figer la bouche ouverte, me demande Natsuki s'en s'ennuyer de délicatesse avant de me tirer par le poignet. D'abord, c'est dégoutant, et puis j'ai encore des choses à faire moi.

Lorsqu'il remarque la larme qui coule sur ma joue, il relâche sa prise et me demande si je vais bien. Je ne sais que répondre, puisque la cause de ce débordement m'est également inconnue. J'essuie d'un revers du poignet la larme solitaire et frotte mes yeux qui commençaient à me piquer à force de rester grands ouverts. Après avoir reniflé bruyamment, je fais signe à Natsuki que tout va bien.

– J'te jure… t'es étonnamment pleurnichard comme mec. C'est donc vrai que l'habit ne fait pas le moine, me chambre-t-il sans pour autant que l'inquiétude disparaisse totalement de son visage. Tiens, tu vois le bâtiment là-bas ? Demande-t-il en indiquant une bâtisse en pierre utilisant une des gigantesques racines pour office de toit. Il s'agit des cuisines. Allons y déposer les sacs avant d'aller voir Mère.

Depuis notre entrée dans la forêt, j'ai complètement oublié l'existence des sacs qui menaçaient pourtant de me couper les mains il n'y a pas si longtemps. Lorsque nous passons devant les jeunes coupeurs de bois, ils me dévisagent comme si j'étais un objet étrange, mais le dégoût est totalement absent dans leurs regards purement intéressés. Toutes les personnes que nous croisons interrompent leurs activités pour me fixer du regard, me rendant vite très mal à l'aise. Je me contente d'arborer un sourire niais en suivant mon guide jusqu'à la racine qui abrite les cuisines. Une jeune fille élancée et à la peau tannée sort soudain de celles-ci et s'arrête net en nous voyant approcher. Ses cheveux brun foncé sont solidement attachés en une queue de cheval qui épouse le bas de son dos. Son épaule dénudée, ses longs cils, le lacet noué élégamment sur sa hanche gauche pour resserrer sa tunique noire à bords rouges et les deux bourgeons argentés décorant ses lobes d'oreille lui donnent un air un peu coquet qui la démarque des autres femmes d'ici, dont l'apparence ne reflète pas un désir particulier de se faire jolie. Le tout contraste avec ses avant-bras puissants enroulés dans des bandages rouges serrés et ses biceps visibles qui prouvent les efforts qu'elle investit dans son entraînement.

– Éééooo ! Natsuki !

Ce dernier laisse échapper un soupir.

– Ishizora, je te présente la source de tous mes maux, dit-il suffisamment bas pour que seul moi entende.

Son regard sévère s'adoucit soudain lorsqu'elle porte son regard sur moi, semblant réfléchir à la façon de me cuisiner.

– Pardon Mai, j'ai fait aussi vite que j'ai pu.

– Ces mots sont durs à croire lorsqu'ils sortent de la bouche d'un flemmard invétéré.

– Au moins la mienne ne sens pas la vipère, rétorque-t-il avant de se lancer dans une joute de regard.

Le combat acharné ne semblant pas trouver de vainqueur, j'interviens d'une voix timide.

– Excusez-moi…

Ils tournent soudain leurs yeux vers moi avec une synchronicité effrayante, me faisant instinctivement reculer d'un pas.

– Et donc ? C'est qui lui ?

– Un voyageur que j'ai rencontré à la capitale. Il semblait un peu perdu alors je lui suis venu en aide, d'où mon retard…

– Toutes les raisons sont bonnes pour tirer au flanc à ce que je vois. Et tu lui as même fait porter tes sacs ?!

– C'était un échange de bon procédé !

– C'est ça, bien sûr, et que lui as-tu donné en échange d'avoir dû te supporter toute un après-midi ?

– Parles donc ! Pour ce qui est de la compagnie, je pense que la mienne surpasse largement celle d'une sorcière acariâtre qui a une verrue dans le bas du dos.

– C-COMMENT TU SAIS ÇA, s'écrie-t-elle offusquée.

– Prends pas ton air surpris, toute la famille est au courant.

– Elle est tombée il y a de ça trois jours ! Et elle était toute petite !

– Aussi petite que les monts d'Atalmor.

Le visage de la jeune fille devient rouge écarlate. Puisque la joute, maintenant verbale et bientôt physique, semble s'éterniser, j'interviens de nouveau avant qu'une victime ne soit à déplorer.

– Enchanté, dis-je d'une voix suffisamment haute pour forcer leur attention. Natsuki ne m'avait pas dit qu'il avait une sœur aussi charmante.

Je ne pensais pas un jour dire une phrase aussi bateau, mais à grands soucis les grands moyens.

– Et bien, en voilà un qui sait respecter ses aînés au moins. Bien que je me méfie de ceux qui ont le compliment un peu trop facile.

C'est bien ce que je craignais… Bah, au moins j'ai pu attirer son attention.

– Quand feras-tu donc la distinction entre compliment forcé et sincérité, renvenime Natsuki.

– J'étais à la recherche d'information et Natsuki a honoré sa part du marché en échange de mes services, je m'empresse de dire avant que sa provocation ne fasse effet. Sans lui, j'aurais sans doute repris la route bredouille à l'heure qu'il est.

Elle commence à me tourner autour, m'analysant sous toutes les coutures.

Je ne m'habituerai jamais à être regardé de cette façon…

– Et puis-je savoir pourquoi il a jugé bon de ramener un inconnu dans cet endroit sensé rester secret ?

– Il n'a pas l'air de quelqu'un de dangereux, et Mère dis toujours que les voyageurs sont les bienvenus à sa table. Tu sais bien qu'elle ne peut résister à l'idée d'écouter les récits d'un Ex-muros.

– Un Ex quoi ?

– Un Ex-muros, c'est comme ça qu'on appelle ceux qui vivent en dehors des hauts murs, répond la jeune fille sans détourner son attention de moi, allant jusqu'à me lever un bras pour en analyser le verso.

– Fais attention à toi, c'est une brute qui n'hésiterait pas à t'attaquer dans ton sommeil si tu venais à la contrarier un tant soit peu, me préviens Natsuki alors qu'elle approche son visage du mien comme si elle comptait plonger dans mes yeux.

– Si je me rappelle bien, tu es censé aider en cuisine ce soir non ? Qu'est-ce que tu fais encore là, demande-t-elle sèchement, contenant admirablement son irritation.

– Mais, je lui ai promis de l'emmener voir Mère—

– Je m'en occupe ! Va couper les oignons avant que je ne te coupe les tiens, le menace-t-elle sans même le regarder.

– D'accord, d'accord, s'avoue-t-il vaincu en soupirant.

Ces deux-là n'ont décidemment pas l'air de pouvoir se supporter. Moi qui trouvais que cet endroit respirait le bonheur et la joie de vivre…

– Pardon pour ce spectacle, s'excuse-t-elle d'une voix douce une fois Natsuki partit en cuisine.

– Haha, ne te soucie pas de moi. Je ne devrais pas être ici pour commencer.

– Tu te trompes.

– Comment ça ?

– Personne n'arrive ici par hasard. Ta rencontre avec Natsuki était probablement la volonté de Varandir.

Je vois mal comment une créature mythologique disparue depuis la nuit des temps a pu influencer notre rencontre tout à fait… hasardeuse.

– Le hasard n'existe pas, déclare-t-elle comme si elle lisait dans mes pensées. Des plus sanglantes batailles jusqu'à la fleur sur laquelle se pose l'abeille, tout est inscrit dans le Vahna.

Ses pieuses paroles, dépourvues de doute, me font comprendre qu'il vaut mieux ne pas lui faire part de mes réticences.

– De plus, bien qu'il me soit difficile à l'admettre, Natsuki a généralement un bon flair lorsqu'il s'agit de juger les gens.

– Vous vous connaissez depuis longtemps n'est-ce pas ? Je vous envie.

– Quoi ?! Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a à envier, réagit-elle au quart de tour.

– Excuse-moi, j'ai parlé comme si je savais quelque chose de votre relation. Mais pour un voyageur solitaire, vos chamailleries sont aussi douces aux oreilles que le crépitement d'un feu d'hiver.

Le rouge lui montant soudain aux joues, elle tourne la tête d'un air gêné, révélant un côté mignon insoupçonné.

– Suis moi au lieu de raconter des âneries, je vais t'emmener voir Mère, prétexte-t-elle pour cacher son embarras en me tournant le dos.

Je l'interromps en l'attrapant brusquement par le bras, provoquant un petit cri de surprise qui me surprend moi-même.

Ses bras sont décidemment aussi durs que roche. Seul un entraînement physique sévère peut produire un tel résultat à un si jeune âge. Je ne vois pas bien ce qui peut effrayer une femme comme elle chez moi. Peut-être me suis-je montré trop familier ? Je ne connais encore rien des distances sociales et règles de bienséance... Oh et puis zut, elle-même a oublié la chose la plus importante.

– Il me semble qu'on ne s'est pas encore présenté, lui dis-je en relâchant ma prise sur son bras.

– Mais où avais-je la tête ! Tu as raison, je m'excuse. Ce n'est pas une raison pour saisir les gens par le bras sans prévenir cela dit.

– Haha, pardon pour ça, j'ai perdu l'habitude d'interagir avec les gens.

– Je ne t'en veux pas. Moi, c'est Mai, juste Mai !

– Enchanté, Mai. Moi c'est Ishizora.

– Quel nom étrange… C'est certain que tu n'es pas d'ici. Enchanté, Ishizora. Que les ancêtres te guident et te protègent, dit-elle cérémonieusement.

Ça doit être une expression locale.

À cet instant, un cri retentit en provenance de la cuisine. Curieux, je passe ma tête par l'entrebâillement et aperçois Natsuki en train de couper des légumes avec une vigueur incroyable, sa passion audible donnant l'impression qu'il s'élance sur un champ de bataille avec l'intention de vaincre ou périr, bien que ses adversaires végétaux ne semblent pas en mesure de riposter. Les autres personnes chargées de cuisiner se sont arrêté pour l'observer, impressionnés.

 – Non d'un scarabarde, il a la pêche lui en tout cas, dis-je moi aussi admiratif.

– Il a toujours été comme ça, m'avoue Mai d'un air blasé.

– Eh Natsuki, intervient le cuisto le plus âgé, tu ferais mieux de ralentir un peu si tu ne veux pas te bless—

Un nouveau cri, de douleur cette fois, s'échappe de l'organe vocal de Natsuki, tandis que quelques gouttes de liquide rouge perlent du bout de son doigt.

– Tu vois ? Ça ne te ferait pas de mal d'écouter tes aînés de temps en temps.

Une fois fini de sucer son doigt, Natsuki s'excuse avant de recommencer de plus belle.

– Natsuki, tu mets du sang partout, s'indigne une des cuisinières.

– Sa stupidité aussi n'a pas changé d'un poil, soupire Mai, à quoi je réponds par un sourire amusé. Dépêchons-nous maintenant. Mère nous attend, lâche-t-elle froidement avant de commencer à marcher à une vitesse qui se rapproche plus de la course.

Même si c'est la deuxième fois que j'entends cette phrase, elle me fait toujours aussi froid dans le dos. Quel genre de personne peut-elle bien être, cette "Mère" ?

Entre l'impatience et l'appréhension, mon pas est assez rapide pour ne pas perdre ma guide de vue mais suffisamment lent pour créer une certaine distance entre elle et moi, la forçant à ralentir un peu. Lorsqu'elle se retourne pour constater mon retard, je prétexte de regarder les environs avec émerveillement. Mai s'arrête soudain devant une énorme racine, trop haute pour songer à l'escalader, et assez longue pour ne pas voir l'endroit où elle disparait dans le sol.

Se serait-elle perdue dans son propre jardin ?

Elle se retourne vers moi, les bras croisés et tapotant du pied pour ne pas cacher son impatience. Lorsque je la rattrape enfin, à quelques pas de l'immense racine — pour peu qu'on puisse appeler ça une racine — j'aperçois un escalier en colimaçon qui s'enfonce en-dessous de celle-ci. Une lumière intense et changeante s'échappe du souterrain, comme si des êtres de lumière dansaient un balai envoutant pour m'inviter à descendre. En ayant visiblement assez de se tordre le cou pour vérifier ma position, Mai m'invite à descendre en premier avec un large et faux sourire. Je m'élance dans l'escalier étroit d'un pas hésitant — ma retraite étant maintenant coupée, je n'ai d'autre choix que de suivre la lumière sautante vers une destination incertaine.

L'escalier est-il court ? Ou me suis-je simplement laissé hypnotisé par la lumière rougeoyante qui se reflète sur les murs, en perdant jusqu'à ma notion des distances ? Ce ne serait pas la première fois aujourd'hui.

Arrivé en bas de l'escalier, je m'arrête face à un rideau filtrant l'intense lumière qui sévit au-delà, tel un portail menant vers un autre monde. Mai m'incite à traverser le rideau, et je déglutis, essayant d'imaginer ce qui se trouve de l'autre côté pour me préparer mentalement. Alors même que je m'apprêtais à faire le grand pas, elle me pousse brusquement en avant et je me retrouve projeté dans la lumière comme un enfant qu'on aurait jeté à la mer pour lui apprendre à nager.