« Euh c'est une plaisanterie là ? » s'exclama Adrien en se levant vivement du canapé.
Ils étaient de retour à la maison des cinq colocataires. Eowyn avait résumé en quelques mots la situation à ses amis. Des grognements et des sifflements avaient accompagné son récit. Elle leur avait montré la chaussure et le médaillon. Yohan avait alors proposé de suivre l'odeur de chien mouillé le plus loin qu'il pouvait à partir de la maison. Devant l'air ahuri d'Adrien, il s'était alors transformé en loup, puis de nouveau en humain !
— Vous pouvez tous vous transformer en animal ?!
— Toi aussi, lança Katherine amusée par l'incrédulité du lycéen.
— Donc il suffit que je pense à une espèce pour devenir cet animal ?
— Non, tu ne peux te transformer qu'en ton animal totem. Pour Yohan, c'est le loup, lui expliqua la petite blonde.
— Et toi, en quoi te transformes-tu ? demanda-t-il, curieux.
— En cheval.
— Oh ! Comment connaît-on son animal totem ?
Avant que Katherine ait pu lui répondre, Eowyn la coupa.
— Ça ne vous ennuie pas que l'on revienne à nos moutons ? On pourra continuer cette conversation passionnante plus tard.
— Tu as raison acquiesça Mark en la prenant par les épaules. Ne t'inquiète pas, on va le retrouver.
Adrien plissa un peu les yeux. La voir étreinte ainsi l'agaçait. Son agacement se transforma en exaspération quand Mark cru bon de lui faire un baiser sur le front pour l'apaiser. Décidément, cet homme était bien trop proche de sa camarade à son goût.
***
La petite troupe emprunta ensemble la porte magique. Arrivés dans le jardin derrière la bâtisse blanche et bordeaux, Yohan se transforma en loup. Il grogna aussitôt et tourna sa tête vers Eowyn, qui le regarda avec intérêt, puis acquiesça. Ils semblaient avoir communiqué tous les deux, sans échanger un mot. Le lupin entra dans la maison, le nez au sol, il se dirigea directement au premier étage. Il renifla de nombreux objets dans la pièce et redescendit au rez-de-chaussé avant de sortir par la porte de derrière. Il continua son chemin en direction du pont vermillon et s'arrêta un instant à l'orée d'une épaisse forêt avant continuer à avancer. Après un ou deux kilomètres, la piste croisa une rivière et Yohan se reprit forme humaine.
— Eh bien, la trace s'arrête là ! Il faudrait traverser la rivière et la longer en espérant retrouver l'odeur.
— Peux-tu me confirmer ce que tu as pressenti tout à l'heure ? s'enquit Eowyn
— Oui ! fit Yohan, l'air inquiet. Malheureusement !
— Bon sang !
— Que se passe-t-il ? grogna Jonathan qui ne semblait pas plus comprendre la situation qu'Adrien.
— Mon maître a été enlevé par des loups-garous, et probablement, un sorcier.
Adrien n'en crût pas ses oreilles. Des loups-garous maintenant ! Mais y avait-il seulement un élément du folklore qui ne soit pas réel ?
— Comment peux-tu le savoir ?
— L'odeur de chien mouillé que j'ai perçue… expliqua Eowyn. Ça m'a mise sur la piste, Yohan n'a fait que confirmer ce que je redoutais. Son odorat de loup est plus fiable que le mien sous ma forme humaine. D'ailleurs, combien en as-tu compté ?
— Trois à l'intérieur et un quatrième qui n'est pas entré et devait faire le gué, lui répondit sombrement Yohan. Eowyn…C'est une meute…
— Je sais… fit-elle en secouant la tête.
— Les loups garous ne se mêlent pas aux sorciers. Ils se méfient de nous, intervint Katherine. Pourquoi enlever un sorcier aussi sage et respecté que Maître Guillaume ? Ils ne nous chassent pas, notre odeur les écœure, tout comme la leur nous répugne, donc ce n'est pas pour se nourrir.
— Tu as raison, mais mon maître connaît de nombreuses choses et les nôtres viennent le consulter régulièrement, fit Eowyn. C'est probablement pour avoir accès à ses conseils que l'on s'est attaqué à lui.
— Pourquoi ne pas lui demander ? lui répondit son amie. Il n'a jamais refusé son aide aux créatures surnaturelles, y compris aux loups garous.
— À moins que les loups ne soient que des messagers, de la main d'œuvre, intervint Jonathan. Ce ne serait pas la première fois que l'on rencontre des loups garous mercenaires… Si vous voyez ce que je veux dire…
— Je vois beaucoup trop distinctement, si tu veux mon avis, dit Katherine en frissonnant.
Yohan la prit dans ses bras, déposant au passage un doux baiser sur son front. La jeune femme le regarda l'air inquiet et il resserra son étreinte.
— Nous allons traverser la rivière, décida Mark, qui était resté silencieux jusqu'alors.
— Mais regarde le débit, s'affola Katherine. On va être emporté si on essaye de traverser.
— Cela vaut le coup d'essayer de suivre la piste, même si elle date déjà de plusieurs jours, comme tu le craignais Eowyn. Jonathan ? As-tu pris la corde ?
— Oui, répondit l'intéressé.
— Accroche un côté de la corde à cet arbre. Puis prends l'autre bout. Tu me le donneras dans les serres, je vais improviser un pont.
Mark se transforma alors en un magnifique pygargue à tête blanche. Il attrapa la corde en fils tressés que lui tendait Jonathan et battit des ailes en direction de la rive opposée. Là, il reprit forme humaine, fit un nœud à un arbre et, récupérant le bout de la corde dans ses serres, revint vers ses amis afin d'attacher le dernier bout à une autre branche.
Un à un les jeunes gens traversèrent la tumultueuse rivière en coinçant la corde sous leur bras. Une fois que tout le monde fut de l'autre côté, Yohan reprit sa forme lupine et commença à réaliser des cercles de plus en plus grands autour du bord de l'eau, truffe au sol.
Jonathan se transforma à son tour en ours… Adrien sourit. La comparaison qu'il s'était fait en son for intérieur correspondait plutôt bien à la réalité finalement. Est-ce que les animaux totems dépendaient du caractère du sorcier ?
— Eowyn… tu devrais aider Yohan, suggéra Mark.
Eowyn hésita, regardant nerveusement Adrien. Lui, était curieux de voir la forme animale de sa camarade. Il pensait à une loutre ou à un beau renard, après tout, elle était intelligente et savait disparaître rapidement et avec grâce.
Elle respira un bon coup, puis changea de forme. C'est alors qu'il comprit quel était son propre animal totem… Il avait raison… Il ne pouvait être QUE dangereux pour lui de fréquenter de simples humains.
Devant lui, se dressait un splendide fauve de trois mètres de long à la fourrure rousse et noire, qui le regardait de ses yeux vifs et ambrés. À la place d'Eowyn, se trouvait un tigre. Le même que celui de son tatouage.
Adrien se demanda tout de go, s'il allait se transformer en un dragon de conte de fées ou bien en un animal appartenant à la réalité d'un humain lambda, comme un dragon de Komodo par exemple.
— Les dragons ailés existent-ils vraiment ? souffla Adrien à Katherine pendant que ses trois amis cherchaient la trace des loups garous.
— Bien sûr ! lui répondit-elle en souriant. Mais, même si tu arrivais à te transformer, tu aurais du mal à suivre une piste aussi ancienne avec ton odorat de reptile.
— Je peux donc me transformer en un vrai dragon de contes de fées?
— Il faut vraiment que tu mettes de côté le fait que les créatures surnaturelles n'existent pas. Les contes, les mythes et les légendes recèlent bien plus de vérités que tu ne l'imagines.
Adrien déglutit découvrir la vérité rendait décidément la vie plus compliquée… et effrayante.
***
Dans les fourrés non loin, un rat les observait avec attention. Il était intrigué. Ces jeunes avaient réussi à suivre la trace des loups jusqu'à la rivière. Ils avaient même trouvé un moyen de la traverser sans encombre alors que lui-même avait eu du mal à garder son équilibre et était tombé plusieurs fois.
D'ailleurs, le fait de poursuivre des loups garous ne semblait pas les effrayer outre mesure. Ils étaient soient extrêmement courageux, soit très stupides… Ou alors, ils étaient attachés au vieil homme qui avait été enlevé. Et s'ils étaient aussi proches de lui, ils disposaient peut-être du médaillon manquant…
Dans ce cas, pourquoi ne pas les aider à trouver plus d'indices ? Ils semblaient suffisamment malins pour réussir à trouver l'objet. En plus, ils prendraient tous les risques à sa place… Et s'ils ne réussissaient pas, il lui suffirait de reprendre la chasse là où les jeunes gens auraient échoué… Oui ! C'était décidé !
Le rat fit apparaître deux médaillons retenus par des fils de cuir respectivement rouge et vert. Il les tira sur le chemin de l'un des métamorphes, puis s'éloigna. La truffe de Yohan ne tarda pas à les repérer. Le rat disparu dans les bosquets, satisfait.