Après avoir arpenté les ruelles pavées de la ville, Lissandra et Fenris arrivèrent au manoir de Sin. La jeune fille fut surprise en l'apercevant et arbora son regard émerveillé habituel.
Il est… magnifique !
En se remémorant l'histoire de la divinité lors de leur retour du donjon, elle s'attendait à un bâtiment plus ou moins délabré. Mais il n'en était rien, car vu de l'extérieur celui-ci se montrait somptueux et bien entretenu.
Des pierres brutes apparentes ressortaient des murs et lui donnaient un ton rustique. De la glycine habillait ses parois d'une teinte végétale, les parsemant de cascades de fleurs blanches et bleues. Une odeur agréable et rafraîchissante s'en dégageait, faisant oublier les émanations putrides humées plus tôt dans la journée.
— Le manoir n'était pas censé être en ruine ? demanda-t-elle stupéfaite.
— Je n'ai pas précisé dans mon histoire qu'il s'est passé plusieurs années depuis ! avoua Fenris. Sin l'a restauré au fil du temps avec les récompenses qu'il a accumulées grâce aux quêtes. Et puis pour être franc, c'est Cid qui a fait le plus gros !
— Cid a également des compétences de bâtisseur ?!
— Hé bien… C'est un nain ! Je ne sais pas pourquoi, mais ces demi-portions ont un talent pour tout ce qu'ils touchent généralement. C'est assez incroyable d'ailleurs… Comparé à vous autres, bon à rien d'humain ! s'exclama-t-il d'une provocation gratuite.
— Vous redevenez désagréable, Sire Fenris ! En tout cas... Je vois mal Sire Sin faire des travaux, s'étonna Lissandra avec une pointe d'ironie.
Le louveteau acquiesça en ricanant à son tour.
En regardant minutieusement la demeure, le trouble de la jeune fille persistait :
— Il est gigantesque... Avait-il vraiment besoin de le restaurer entièrement ?
Fenris prit soudain un ton plus sérieux à l'énoncé de cette question :
— Je ne connais pas tout de Sin. Il reste très mystérieux sur son passé, comme si lui-même ne s'en souvenait pas. Un jour, comme toi, je lui ai demandé. Il m'a répondu que c'était l'un des rêves de son maître.
— Il a donc fait ça pour honorer son souhait...
— C'est ce qui paraît le plus cohérent. Ils sont arrivés en même temps ici et c'est la première chose qu'il désirait faire en voyant le piteux état du manoir.
— Ils semblaient entretenir une relation de père à fils, sous-entendit Lissandra.
Fenris acquiesça de nouveau sans hésitation :
— J'ai aussi eu ce sentiment, mais je n'en sais pas plus à vrai dire… Bref. On ne va pas parler de cet idiot toute la soirée ! Viens, je vais te faire visiter.
Il descendit alors courageusement des bras de l'élémentaliste et se dirigea vers l'entrée. Celle-ci se composait d'une porte en bois massif recouverte de gravures brutes, accentuant l'aspect rustique de la structure. La hauteur du bâtiment supposait qu'il comprenait deux niveaux et c'était en partie le cas.
Une fois à l'intérieur, le hall d'accueil se découvrait en un spacieux salon. Il se délimitait par de vastes étagères remplies de livres de tout âge. À l'une de ses extrémités se trouvait une imposante cheminée entourée par plusieurs canapés.
Le lieu se montrait chaleureux, émerveillant toujours plus Lissandra par l'ambiance qui s'en dégageait. Elle se mit à sourire, interpellant Fenris par l'admiration croissante qu'elle exprimait.
— On ne dirait pas comme ça, mais c'est Sin qui a fait la décoration.
Elle resta muette et hocha la tête.
— Quand nous sommes à l'intérieur, nous passons le plus clair de notre temps ici. Personnellement, après une partie de chasse j'adore dormir devant le feu de la cheminée ! Sin, lui, a tendance à lire sur l'un de ces sofas.
La jeune fille repérait peu à peu les lieux. Il fallait dire que l'immense bibliothèque appelait ses sens d'érudite. Elle réprimait tant bien que mal son irrésistible envie de lecture et de découverte que ces nombreux livres lui inspiraient. Conscient de cela, le louveteau maintint l'intention de son invitée et poursuivit sa visite guidée en sortant par l'arrière de la demeure. Ils rejoignirent le jardin modeste qui l'entourait. Étant situé au sommet d'une colline, le manoir offrait un point de vue extérieur stupéfiant.
Horizon étant topographiquement surélevée et entourée de grandes plaines, le nom de la cité prenait tout son sens ici. Il était possible d'apercevoir tout ce qui se trouvait à l'intérieur des murailles et même au-delà. Que ce soit les forêts avoisinantes, les arbres colossaux de la jungle elfique, des donjons ou bien tout simplement les confins du paysage.
Adossée à la ville, là où l'océan s'étendait à perte de vue, se dessinait dans le paysage une sphère rougeâtre titanesque. À mesure que la nuit tombait, ses teintes pourpres se répandaient dans les eaux salines et imperturbables au point de se mélanger en une couleur similaire.
Le vent soufflait plus fort ici qu'en contrebas. Il soulevait les cheveux argentés de Lissandra, saisissant ses petites narines de sa brise marine. Devant un tel panorama, son cœur se serra.
— C'est… C'est magnifique… jugea-t-elle en observant l'étendue infinie de l'océan.
Chaque détail, chaque sensation, aussi agréables soient-ils, apaisaient son corps et son esprit. Malgré les bienfaits de ce havre de paix, elle ressentait la fatigue l'envahir peu à peu. Cependant, ses yeux azurés étaient à la perpétuelle recherche de nouveautés. Analysant les alentours avec minutie, son regard ne tarda pas à se poser sur la singularité du lieu. De l'autre côté du jardin, dans un recoin, se dressait un grand cerisier fleuri de pétales roses sous lequel se présentaient deux pierres tombales. Curieuse, elle s'en approcha.
— C'est l'arbre dont vous parliez ? demanda-t-elle en touchant délicatement son écorce.
— Oui. Comme je l'avais énoncé, c'est un cerisier éternel.
Lissandra fronça les sourcils devant cette étrange appellation.
— Et pourquoi le nomme-t-on "éternel" ?
— Car il reste éternellement en fleurs, répondit-il en l'observant. Lorsque ses pétales tombent, d'autres fleurs bourgeonnent le lendemain. Cependant, à l'inverse des espèces d'arbres de ce type, ceux-là ne font aucun fruit.
— Ah bon ?! Alors c'est la première fois que j'en vois un ! affirma-t-elle avec un sourire joyeux.
— Ce fut aussi mon cas quand je l'ai aperçu. Ces arbres sont rares et difficiles à trouver vu qu'ils se situent généralement sur des montagnes abruptes. Selon Sin, son maître l'aurait déterré et récupéré lors d'une expédition juste après s'être installé dans le manoir.
— Mais… Cela veut dire qu'il était enfant lorsqu'ils sont arrivés ici ?!
— Il faut croire oui. À vrai dire, il ne connaît pas non plus son véritable âge... Et à ce propos, je vais te confier un secret. Il a falsifié sa carte d'aventurier ! murmura-t-il avec malice.
Lissandra prit un air abasourdi face à cette révélation.
Pourquoi mentirait-il sur son âge ?!
— Ne fais pas cette tête ! De toute manière, la synchronisation de pouvoir avec Hela avait déjà radicalement altéré son physique. Il n'a pas changé depuis à quelques détails près. S'il est véritablement immortel, lui donner son âge dans les années futures sera impossible...
— Mais… C'est horrible, vous ne trouvez pas ?
— Hé bien… Je ne suis ni humain ni mortel. Je ne peux pas savoir ce que vous ressentez dans ce cas de figure, répondit-il avec pragmatisme.
La jeune fille fut prise de court. Cependant, cette conversation ressemblait à celle du hall de la guilde.
C'est vrai, ma question est encore stupide… J'ai tendance à associer cet Esprit à un être humain. Il est difficile pour lui de juger ce genre de chose...
Elle observa les sépultures, un nom était gravé sur chacune d'entre elles.
Raven et Farah…
— Son maître s'appelait Raven ?
— Oui, confirma-t-il.
— Dans ce cas… À qui appartient la tombe de Farah ?
Fenris resta muet un instant, comme s'il ne souhaitait pas répondre. Il savait qu'une question pourrait en entraîner une autre. L'inévitable effet "boule de neige". Cependant, et même si c'était un sujet épineux, il devait crever l'abcès tôt ou tard dans le cas où Lissandra les accompagnerait.
— C'était une de nos camarades…
Le louveteau, jusqu'ici aux allures si fières et arrogantes, montrait soudain une facette différente. Il paraissait triste, comme s'il se remémorait un mauvais souvenir.
Elle le remarqua bien assez tôt, mais son esprit curieux ne pouvait lutter. Elle devait en savoir plus :
— Puis-je avoir plus de détails ?
Il soupira sans être surpris par sa demande.
— J'aimerais éviter d'en parler pour l'instant, mais tu finiras par l'entendre un de ces jours, autant le faire maintenant...
Fenris se rapprocha de la tombe et s'assit devant en la scrutant.
— C'était il y a plusieurs années de cela. Mon père nous avait convoqués juste après le rétablissement de Sin. Il souhaitait que nous nous rendions dans un coin reculé du monde pour rencontrer un maître de guerre.
Lissandra s'assit à son tour dans l'herbe pour écouter son histoire.
— Le but de ce voyage était de le former de différentes façons, mais principalement pour contrôler le nouveau pouvoir qu'il venait d'acquérir.
— P-Pourquoi ne pas être allé dans un camp militaire ou une kabbale ?
Le louveteau riait face à cette perspicacité naïve. Son raisonnement était juste, mais elle ne voyait pas les répercussions qui s'y associaient.
— As-tu observé ce qu'il s'est passé dans le donjon ? Imagine-toi cela dans une école, en ville et à une époque où il ne maîtrisait pas ce pouvoir !
— Oh…
— Oui. C'était bien entendu pour éviter d'éventuels dégâts collatéraux, mais aussi par mesure de discrétion. Je pense que tout le monde n'aurait pas vu d'un bon œil ce genre de capacité. Il faut croire que Loki est assez intelligent en ce sens.
La jeune fille acquiesça.
— En résumé, c'était une sorte de camp d'entraînement spécialisé pour les champions.
— Il y avait plusieurs champions là-bas ?! demanda-t-elle avec excitation.
Après avoir été témoin de la puissance de Sin, le regard de Lissandra dégageait une forme d'envie. Au fond, elle souhaitait voir cela de ses propres yeux.
— C'est exact, confirma Fenris. Nous étions assez nombreux d'ailleurs, une dizaine environ. Certains avaient déjà leur pouvoir, d'autres non.
— Pourquoi participer à ce camp s'ils n'en possédaient pas ?
— Tu as raison, c'est difficile à expliquer, soupira-t-il. Tu te souviens du pacte que Sin et Loki ont passé ?
— Oui, bien sûr. Lorsqu'il était sur le point de se faire tuer par ce warlord ?
— C'est ça. Hé bien… Pour conclure ce pacte, le champion doit se retrouver dans une situation périlleuse similaire. Au seuil de la mort, pour ainsi dire.
Lissandra esquissa une étrange incompréhension, mais laissa la divinité continuer.
— À ce moment précis, où l'être élu est livré à lui-même, son instinct lui dicte s'il doit lutter ou mourir. Ainsi, le dieu qui l'aura choisi apparaîtra devant lui et le mettra face à ce dilemme pour mesurer toute l'étendue de sa détermination.
— Ce… Cela semble effrayant…
— C'est le cas ! Cependant, c'est une épreuve obligatoire, car...
Fenris s'arrêta subitement en pleine explication, conscient qu'il se montrait un peu trop bavard face à la curiosité frénétique de son interlocutrice.
— Oui ? demanda la jeune fille, pendue aux dernières paroles de la bête.
— Hum. Pour l'instant, tu n'as pas besoin de le savoir !
Elle prit un air scandalisé face à ce mutisme soudain.
— En bref… Soit l'élu meurt par résignation ou désespoir, ou peut-être je ne sais quelle forme de fierté, soit il décide de survivre en acceptant la force que le dieu lui confie.
— D'accord… Mais ça ne répond pas à ma question, Sire Fenris !!
— Hmmm… Quelle question ?
— Pourquoi font-ils ce camp s'ils n'ont aucun pouvoir ?! réitéra-t-elle en mettant des petites tapes sur le crâne du louveteau.
— AH ! Hum... Hé bien, étant donné que cet événement peut se produire à tout moment, ou bien jamais… Disons que les dieux prennent les devants en les formant au combat et à l'utilisation de la magie s'ils possèdent déjà une quelconque affinité.
— Oh. Ils veulent donc optimiser leur temps, mais pourquoi ?
Les questions épineuses, que Fenris souhaitait éviter, se présentaient les unes après les autres. Il devait trouver un moyen de détourner la conversation.
— Je ne sais pas, répondit-il d'un mensonge éhonté.
Cette dernière le crut sans le moindre soupçon. Il soupira de nouveau, soulagé d'avoir passé ce cap sensible.
— Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle.
— Oh… Hum. Rien. Je suis juste fatigué moi aussi !
Lissandra prit soudain un air suspicieux, le dévisageant pour percevoir s'il lui mentait ou non. Incertaine, elle poursuivit ses investigations.
— Du coup... parlez-moi un peu plus de Farah, s'il vous plaît !
— Hmm... C'était une saharie qui n'avait pas encore obtenu de pouvoir à l'époque.
— Une "Saharie" ? Vous parlez de ce peuple humain vivant aux portes du Désert Noir ?
— Oui, les chasseurs de démon. Elle était l'une des candidates de Frigga pour acquérir les capacités de son fils Balder.
— Que… Quoi ?! Dame Frigga est aussi une déesse ?!
— Heu… Hé bien oui !
Lissandra paraissait perturbée par cette nouvelle. Elle la connaissait déjà de par sa réputation, mais n'aurait jamais pensé à ce qu'elle soit elle-même une divinité.
— Je… Je ne m'attendais pas du tout à cela ! Mais je ne comprends pas, si Farah devait être la championne de Dame Frigga... Pourquoi donner les pouvoirs de son fils et non les siens ?
— De la même façon que Loki a confié les capacités de sa fille Hela, Frigga souhaitait le faire avec ceux de son fils Balder.
— Je vois… Mais cela n'explique pas pourquoi Sire Loki et Dame Figga ne transmettent pas directement leur pouvoir...
Fenris s'avérait définitivement coincé. Il observa la détermination dans le regard azuré de Lissandra et finit par se résigner :
— Très bien… Quand les dieux se lient à un champion, il partage leurs pouvoirs, mais également leur vie...
— Je… Je ne saisis pas… marmonna Lissandra en fronçant ses petits sourcils.
— Si le champion meurt, le dieu meurt aussi et vis versa.
— C-Comment ?! s'exclama-t-elle en bondissant sur place. Mais… Mais… Vous n'êtes pas censé être immortel ?!
— Bien entendu, nous le sommes. Cette mortalité ne s'applique que si les dieux se lient à des êtres vivants. Pour être plus précis, en mourant ils sont bannis de Midgaïa et ne pourront jamais s'y réincarner.
— Mais... P-Pourquoi ? Pourquoi prendre de tels risques pour se lier à des champions ? Q-Quelle raison ont-ils de faire cela ?!
— C'est… compliqué. Je ne doute pas de ton intelligence, mais cela te dépasse totalement et je ne t'en dirai pas plus ! Peu de mortels possèdent ces informations... Tu devrais déjà être honoré et redevable envers moi de t'en apprendre autant, petite humaine !
— Oui... V-Vous avez raison... murmura-t-elle en baissant la tête. Excusez ma curiosité et mon impolitesse !
— Ce n'est rien ! Étant donné que je t'apprécie, je fermerai les yeux cette fois-ci. Sache que les dieux ont leurs propres règles tout comme vous autres midgaïens. Frigga et Loki, par exemple, ne peuvent pas prendre le risque de partager leurs pouvoirs quant aux rôles qu'ils ont à jouer ici.
Lissandra acquiesça avec reconnaissance. Par la suite, Fenris revint sur le principal sujet de cette conversation :
— Concernant Farah, nous avions tissé de bons liens avec elle ainsi que d'autres camarades lors de notre rencontre au camp. Sin en était tombé éperdument amoureux. Il la suivait partout comme un petit chiot, révéla-t-il en riant.
Lui qui semble si froid et distant… Je ne le vois pas avoir ce genre de… relation, songea la jeune fille avec ironie.
Ses pensées n'étaient pas critiques. Elle avait conscience de ne rien connaître du chevalier pour le juger de la sorte.
— Par la suite, pendant leur formation, ils ont été pris en embuscade par des humains en revenant d'une quête donné par le maître de guerre, poursuivit-il. Je n'étais pas avec eux lorsque cela s'est produit et il n'a jamais voulu me raconter les détails. Tout ce que je sais, c'est que ses amis se sont fait massacrer et que Farah… est également morte dans ses bras.
Elle ressentit une profonde tristesse en écoutant cette histoire, se remémorant la tragédie de ce matin avec la rôdeuse. Avec empathie, elle se doutait que ce sentiment devait être bien plus fort pour Sin.
— Depuis cet événement, il a radicalement... changé. Mais je pense qu'il sera plus apte à t'en parler que moi.
— À parler de quoi ? fit une voix, retentissant depuis la porte du jardin.
Il ne s'agissait que de Sin qui venait juste de rentrer.
— Quand on parle de la tête d'enclume... riposta Fenris avec arrogance.
Alors que le louveteau fixait à nouveau la tombe, le chevalier comprit aussitôt la nature de leur conversation :
— Tu lui as encore fait tes commérages. Ta langue est toujours aussi bien pendue à ce que je vois... Un jour, peut-être, je vous expliquerai les détails de ces péripéties, mais pas maintenant…
L'heure est aux festivités, non aux récits tragiques… pensa-t-il.
— Ce soir, nous fêterons notre succès et trinquerons aux morts. Je vous invite à la taverne.
Alors qu'il repartait dans le salon, la joie se propagea sur le visage de Fenris et Lissandra.
— Tu es de bien bonne humeur dis-moi ! observa la bête avec gaieté.
Sin se retourna et prit un air bien plus sombre. Il semblait avoir des comptes à régler avec son partenaire.
— Après le savon que Cid m'a passé, oui je le suis.
Saloperie de nain, il a vendu la mèche !
— Je présume que tu as également revu Claire ?
— En effet, confirma le chevalier.
La bête soupira, comprenant la nature de ce relâchement soudain.
— Qui est Claire ? demanda la jeune fille.
— Une mauvaise fréquentation ! aboya Fenris.
Sin observait la complicité qui émanait de ses acolytes avec du recul, se doutant de certains faits :
— Je suppose qu'elle va passer la nuit ici ?
— Hé bien… Oui ! Elle n'a pas de chambre en ville, déclara Fenris.
— Très bien… Tu dois être sale, supposa Sin en dévisageant Lissandra. Je vais te montrer les thermes.
Ne semblant pas contrariée par cette réflexion qui manquait d'élégance, elle lui fit un grand sourire et le suivit telle une enfant.
— Merci, Sire Sin !
Il acquiesça tout en se dirigeant vers la pièce dans laquelle un vaste bassin s'étendait et qui laissait place à une vue inestimable sur l'océan. Cependant, elle remarqua bien assez tôt qu'il n'y en avait qu'un seul, ce qui la rendait dubitative.
— Si tu te poses la question, c'est un bain de source mixte, dévoila-t-il avec franchise. Voir des femmes nues ne me dérange pas et être vu nu non plus.
Le chevalier imposa les règles de sa demeure sans la moindre hésitation, dérobant un sourire gêné à la jeune fille.
— Hé ! Attends un peu avant de montrer ta nature exhibitionniste, pervers ! s'exclama Fenris qui arriva en trombe en entendant ces paroles ambiguës.
— Je me passerai de tes propos sans intérêt, sac à puces.
Il s'adressa de nouveau à Lissandra avant de sortir de la pièce :
— Ne t'inquiète pas, j'en ai pris un lors de ma visite au temple. Tu pourras profiter seule de celui-ci.
Il est un peu rustre, mais au moins il est franc, pensa-t-elle en ricanant.
Aussi étonnant soit-il, le sous-sol de la ville d'Horizon regorge de sources thermales, ce qui est peu commun pour un endroit si éloigné des montagnes.
Selon des récits, avant d'être une vaste colline, le lieu était dominé par un mont. Un combat féroce l'aurait fait disparaître, réduisant drastiquement son altitude et déversant bon nombre de rochers - principalement du marbre - aux alentours. Des humains auraient profité de cette opportunité pour bâtir la ville sur ses restes. Finalement, ils avaient déjà tous les matériaux nécessaires sur place pour la construire.
Lissandra se débarrassa de sa robe à la hâte, laissant ses cheveux argentés caresser ses fesses. Elle dévoilait un corps fin et ferme avec des formes minimes. Fenris, qui s'absenta brièvement, revint au même instant en traînant des vêtements dans sa gueule.
— Tiens, fillette ! En attendant que ta robe soit propre, je t'ai apporté de vieilles affaires que Sin portait lorsqu'il était plus jeune.
Tout en révélant la nature de sa livraison inopinée, il observa les proportions chétives de l'élémentaliste.
— Avec tes dispositions physiques, tu passeras sans mal pour un garçon ! Ha ha.
— Merci… Sire Fenris, répondit-elle d'un regard hostile.
Lissandra rejoignit le bassin et soupira de plaisir une fois son corps submergé.
Si je m'attendais à prendre un bain ce soir… Je suis vraiment chanceuse ! pensa-t-elle avec un sourire béa.
Pendant ce temps, le louveteau pataugeait au bord des marches.
— Aïe, c'est chaud ! fit-il en couinant. Je ne comprendrai jamais les humains avec leur satané bain bouillant.
— Rien ne t'oblige à te laver ici, cabot !
Lissandra se moqua ouvertement de lui. Son regard avait changé et elle arborait un grand sourire arrogant.
— Hé ! Tu es bien familière ! rétorqua Fenris avec un petit aboiement.
Son aura n'est plus la même… Je trouvais déjà que cette humaine s'était incroyablement bien adaptée, mais là… elle est complètement différente…
Elle posa soudain la main sur sa tête en serrant les dents.
— Oh ! Ça va, fillette ?
Elle paraissait reprendre connaissance. Son aura l'englobait de sa douceur habituelle.
— Euh… Q-Qu'y a-t-il, Sire Fenris ? J'ai l'impression de m'être évanouie…
— C'est plutôt à moi de te demander ça ! Enfin, après cette journée, la chaleur du bain a dû te faire tourner la tête !
Même si cela ne dura qu'un instant, il focalisa sa réflexion sur cette étrange sensation.
Je ne sais pas si c'est une simple coïncidence… Mais j'ai déjà ressenti ce genre de chose. Cependant, ce n'était pas aussi prononcé. Je vais devoir la garder à l'œil… pensa-t-il avec une méfiance soudaine.
Apercevant sa peau virer au rose sous la chaleur de l'eau, Lissandra sortit du bain une fois lavée. Elle ne semblait pas emballée à l'idée d'enfiler les vêtements masculins apportés par le louveteau :
— Hum... Je ne suis pas sûr que ça m'aille !
— Tu plaisantes, c'est parfait ! Avec les cheveux attachés et un chapeau, tu pourrais vraiment te faire passer pour un garçon !
— Vous vous répétez et ce n'est pas drôle ! rétorqua-t-elle en boudant.
La bête la laissa et quitta la pièce pour rejoindre Sin. Ce dernier s'était lui aussi changé. Il portait des vêtements de ville ce qui lui donnait un style plus décontracté. Du moins à une exception près, il n'avait pas ôté son casque.
— Cid a réparé ton armure ?
Le chevalier observa la table basse devant la cheminée fraîchement allumée.
— Oui. Finalement, il n'y avait pas grand-chose à faire. J'en ai profité pour la nettoyer.
— Combien de temps de repos ?
— Une semaine environ.
— D'accord. Avant que nous ne repartions, la fillette restera avec nous ici, exigea Fenris avec fermeté.
Sin fut impassible devant la détermination de son partenaire. Il devinait déjà que ce dernier s'était farouchement préparé à débattre pour obtenir ce qu'il désirait.
— Comme tu voudras, déclara finalement ce dernier sans objection.
Quoi ?!!! pensa le louveteau avec des yeux emplis d'incompréhension.
Cette réponse simple et positive ébranla son mental. Mais avant qu'il n'ait pu fourrer son museau sur le pourquoi de ce revirement de situation, Lissandra arriva dans le salon. Il s'empressa alors de lui annoncer la bonne nouvelle d'un aboiement victorieux :
— Fillette ! Tu resteras avec nous cette semaine !
— Vraiment ?! demanda-t-elle tout aussi surprise.
En le dévisageant, dans l'espoir que cela ne soit pas une autre de ses farces, Lissandra fut rassurée lorsqu'il acquiesça de la tête.
— M-Merci, Sire Sin !! s'écria-t-elle en faisant une révérence brusque.
— Trêve de remerciement, allons-y, ajouta le chevalier en se dirigeant vers la sortie du manoir.
Alors que la nuit était déjà tombée et que la fraîcheur nocturne s'installait, le trio partit vers une taverne non loin de la guilde. Lissandra et Fenris couraient devant comme des enfants tandis que Sin les suivait d'un pas assuré.