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Chapter 16 - Aînée redoutable

Il y avait une douce odeur de pommade, de plantes et d'huile essentielle dans l'air. Norval sentit les résidus d'une potion amère sur le bout de sa langue. Une douleur lancinante tambourinait à l'intérieur de son crâne, comme si une dizaine de lames y étaient enfoncées. Il était allongé dans un lit aux draps d'une blancheur éclatante, aussi immaculé que la neige fraîche et pure. Les hautes fenêtres sur le mur à sa gauche n'apportaient aucune lumière, signe que la nuit était déjà tombée. Parmi la vingtaine de lits qui occupaient la pièce, seulement trois lampes de chevet étaient allumées. Norval se massa le crâne, tentant d'apaiser la douleur, mais en vain. En observant ses bras, il constata que les entailles infligées par l'Adonis des Landes étaient déjà guéries, ne laissant que de légères cicatrices qui disparaîtraient dans les deux prochaines heures.

« Le venin de cette fleur est redoutable », marmonna Norval.

En réalité, la puissance du poison n'était pas la seule raison de son état actuel. En tant normal, il n'aurait pas dû être aussi vulnérable face à un poison de ce type. Cependant, puisqu'il n'était à présent qu'un illuminé de premier palier, sa défense était réduite, son Vis n'étant pas assez puissant pour le protéger.

À côté de son lit se trouvait un chariot avec un verre, une carafe d'eau et quelques autres bouteilles de couleurs variées. Parmi celles-ci, Norval reconnut une potion Analgésique, du Sumatriptan et même de l'Ergotamine. Ces potions de soins étaient exactement ce qu'il n'y avait pas besoin pour soulager son mal de tête. L'infirmière avait dû les laisser là en s'attendant à ce que son patient ressente ce genre de douleurs à son réveil. Norval ignorait où elle se trouvait actuellement, et la douleur était déjà trop intense pour attendre. Il versa une légère quantité de Sumatriptan dans le verre et l'ingéra immédiatement. Le goût amer lui fit faire d'étranges grimaces.

Un étudiant plus jeune, allongé dans le lit d'en face, le fixait, horrifié. De son point de vue, Norval semblait s'être imprudemment servi parmi des potions dont pas personne, sauf l'infirmière, ne connaissait les effets. Il n'avait même pas hésité avant de les avaler, donnant l'impression de vouloir mettre fin à sa vie.

Bien entendu, Norval n'avait aucune intention de révéler la vérité. Il trouvait plus amusant de laisser ce jeune étudiant penser qu'il était fou. Il lui fit un clin d'œil complice et sortit de son lit pour quitter la pièce. La potion avait été très efficace ; la douleur lancinante qu'il ressentait auparavant avait presque disparu.

Alors qu'il marchait dans les couloirs à la recherche d'une sortie, un bruit venant d'en face attira son attention. Sans hésitation, il se dissimula dans un léger renfoncement du mur, veillant à ne faire aucun bruit. Un groupe d'infirmiers pressés passa à proximité, transportant un élève. Celui-ci poussait des cris atroces, la partie inférieure de ses jambes était manquante et un flot de sang s'écoulait des extrémités dans les torchons déjà saturés qui enveloppaient la partie restante. Intrigué, Norval les suivit de loin pour arriver dans la chambre qu'il avait quittée. L'étudiant mutilé hurlait des phrases incohérentes, son esprit embrouillé par la douleur et le choc émotionnel. Norval observait depuis l'entrebâillement de la porte, n'ayant aucune intention d'entrer ni de dévoiler sa présence. En raison de l'urgence de la situation, les infirmiers ne remarqueraient pas son départ avant un certain temps.

En observant de plus près, Norval reconnut cet étudiant. Il n'y avait aucun doute, c'était l'un des courtisans impudents qui tournait autour du prince Karl pendant le cours d'étude du Vis. 

"Que s'est-il passé, comment a-t-il fini dans cet état ?" Hurla une infirmière.

— "Il a été trouvé comme ça sur un chemin qui mène à la forêt d'Arden. Ses camarades de chasse l'avaient perdu depuis un moment, mais ils l'ont découvert en rentrant".

— "Il aurait été attaqué par une bête mystique ?"

Norval, écoutant la conversation, sentait que quelque chose clochait dans cette histoire. Les blessures de l'étudiant pourraient bien provenir d'une bête, mais dans ce cas, pourquoi était-il toujours en vie ? Face à une créature monstrueuse, même le plus puissant des saints aurait du mal à survivre après avoir perdu ses jambes, alors qu'en est-il d'un jeune saint qui n'a même pas terminé ses études ? S'il s'était bel et bien battu contre une bête mystique, il n'aurait pas dû s'en sortir vivant. Bien sûr un tel cas n'était pas non plus impossible, mais Norval avait du mal à imaginer qu'une bête assez intelligente pour ressentir de la pitié puisse se trouver sur les terres de l'académie. À moins qu'elle n'ait pas épargné sa proie pour cette raison ? Quelque chose chez cet étudiant aurait-il incité la bête à se retirer ?

Les infirmiers semblaient également avoir des doutes. Après s'être échangé des regards interrogateurs, ils se tournèrent tous vers l'infirmière plus âgée. C'était à elle de prendre une décision. Légèrement penchée au-dessus de son patient, elle semblait plongée dans une profonde réflexion, qui ne dura pas longtemps. 

"Demain, à l'aube, l'un de vous ira rapporter ceci à la doyenne Herschel."

— "Je m'en charge," s'exclama un jeune infirmier.

Cet infirmier connaissait un peu la doyenne. Il avait été l'un de ses étudiants il y a quelques années. Ainsi, l'infirmière ne voyait aucun inconvénient à ce qu'il s'en charge. Au contraire, la doyenne Herschel accepterait sans doute plus rapidement la visite d'un guérisseur venant du pavillon de la santé si c'était quelqu'un qu'elle connaissait. 

La doyenne Herschel… Norval garda cette précieuse information en tête et quitta les lieux. La nuit devait être tombée il y a moins de deux heures. Un dégradé était encore visible dans le ciel. L'ouest était d'un bleu encore un peu clair, rappelait une mer calme et profonde, l'est d'une obscurité sans fin, taché par les points lumineux d'étoiles lointaines. La résidence Greum était à plus de trente minutes de marche, alors Norval passa le temps en observant le campus. L'académie avait un sublime aspect la nuit. Les bâtiments anciens et leurs architectures raffinées, les hautes tours qui surplombaient les villages et les pavillons, puis les jardins, dignes des plus nobles résidences de l'empire. Dryadalis était un lieu véritablement magnifique. Cela n'avait rien d'étonnant qu'il ait inspiré autant d'artistes au cours de l'histoire. Le plus grand poète de ces temps avait même étudié ici pendant sa jeunesse. 

La brise était fraîche, picotant son visage et faisant rougir les zones les plus sensibles. Bien que le vent ne soufflât pas fort, la nuit était bien plus froide que le jour, et malgré l'épais manteau qu'il portait, Norval ressentait fortement ce froid et avait hâte de rentrer se mettre au chaud.

La résidence était aussi calme qu'à son habitude, le chauffage y était fort, donnant la sensation d'entrer dans l'espace le plus confortable espéré. Évidemment c'était loin d'être le cas, comparé à toutes les autres résidences de l'académie, celle-ci était de loin la plus modeste. Néanmoins, elle n'était pas si désagréable à habiter. Puisque le salon était vide, Norval en profita pour se prélasser un moment. Il jeta habilement son manteau sur un canapé et s'y affala aussitôt. Son corps se réchauffait lentement et les rougeurs commençaient à disparaître. Les cicatrices sur ses bras étaient pratiquement guéries. 

En fermant les yeux, il visualisa son circuit de canaux énergétiques dans son esprit. Deux points lumineux étaient présents dans son corps, auxquels tous les canaux étaient reliés. Le premier était son cœur, où se concentrait le Vis stellaire, cette énergie des étoiles que seuls les mortels liés à une divinité pouvaient utiliser. Actuellement, le sien était isolé du circuit, restreint par le collier de perles qu'il portait au cou. Le second était le Kernel, situé dans le bas de l'estomac. Ce centre énergétique était également appelé la porte de la vie. Ici résidait le Vis Orbis, une énergie vitale que tous les êtres vivants possédaient. Son Kernel était d'une taille importante, capable de contenir une quantité considérable de Vis, mais il n'était rempli qu'à un peu plus de dix pourcents de sa capacité maximale. C'était la limite imposée par son niveau en raison du scellement de son Vis par le Chronarque. En vérité, même si son Vis avait été restreint au niveau d'un saint illuminé de cinquième palier, cela ne représentait toujours qu'un peu plus de quinze pourcents de son véritable niveau. Cependant, il y avait déjà une grande différence entre les deux. Le premier pouvait être considéré comme faible comparé au second. Mais Norval ne comptait pas en rester là. Même s'il lui était impossible de dépasser la limite qui lui était imposée, il regorgeait de ressources et avait déjà pensé à une solution pour résoudre le problème.

Jusqu'à présent, lorsqu'il pratiquait les cinq arts du Vis, il avait toujours privilégié la quantité à la qualité, puisque de toute manière, le Vis Stellaire étant l'énergie la plus pure qui soit, elle apportait un certain équilibre à son Vis. Maintenant que son Vis Stellaire ne pouvait plus être utilisé, seul son Vis Orbis circulait dans les canaux énergétiques de son corps. La constitution initiale de ce Vis en faisait une énergie bien plus faible que le Vis stellaire. Cependant, Norval savait qu'il était possible de raffiner ce Vis pour le rendre plus pur et dense. Le Vis condensé prendrait moins de place que la version primaire du Vis Orbis qu'il possédait actuellement. Ainsi, il serait capable d'en conserver davantage dans son Kernel. La quantité de ce Vis primaire qui représentait dix pourcents du pouvoir de son Kernel ne représenterait que cinq pourcents une fois parfaitement raffinés. Ainsi, en raffinant au mieux son Vis Orbis, Norval serait capable d'utiliser près de vingt pourcents de sa puissance et d'approcher du niveau d'un saint illuminé de cinquième palier. 

Cependant, le raffinage était une tâche éprouvante, prenant beaucoup de temps, demandant une concentration extrême et une grande quantité d'énergie. Heureusement, comme mentionné précédemment, Norval était plein de ressources. Même ici, il avait une solution pour soulager ces trois problèmes.

C'est assez dangereux, mais ça me permettra de gagner beaucoup de temps…

Un courant d'air froid traversa la pièce, et le son d'une bouteille en verre roulant sur le parquet résonna. Norval fut tiré de ses rêveries et se leva pour voir ce qui se passait. Dans la pièce voisine, la porte d'entrée était grande ouverte, et une personne visiblement ivre se tenait sur le seuil. Sa chevelure rousse épaisse recouvrait son visage, mais entre deux mèches, un œil au regard morne était légèrement visible. Le jeune homme avançait en titubant, chaque pas semblant lui demander un effort incommensurable. Au quatrième pas, il s'écroula, finissant allongé à plat ventre en étoile de mer sur le parquet brun du hall d'entrée. 

Norval le dévisagea durement, cet étudiant ivre avait eu la force d'ouvrir la porte et même de faire quelques pas mais il n'avait pas pu refermer derrière lui ? Quel bel enfoiré il faisait pour prétendu clerc.

Ayant eu le temps de se réchauffer en restant allongé sur le canapé, Norval n'avait plus envie de se lever. Cependant, la porte était grande ouverte, il ne pouvait pas la laisser ainsi. Toute la chaleur de la pièce s'échappait dans le froid hivernal de l'extérieur, comme si un destin splendide l'y attendait. Norval sentit un frisson de froid le traverser et contrarié, il se leva enfin du canapé pour refermer la porte.

David, allongé à ses pieds, marmonnait des phrases inaudibles, déjà plongé dans un profond sommeil. Pendant un moment, Norval pensa à le jeter dehors pour le punir de l'avoir obligé à se lever, mais très vite, il se rappela qu'il n'avait aucun moyen de remplir la tâche donnée par le Chronarque sans lui, alors il y renonça, contre son gré.

Il avait l'intention de monter dans sa chambre, mais c'est à ce moment que Rachel et Anastasia descendirent. En voyant leur camarade ivre mort à ses pieds, les deux réagirent différemment. Rachel parut choquée et s'inquiéta immédiatement pour lui. Anastasia lui adressa à peine un regard avant de saluer Norval puis de se diriger vers la cuisine.

"Ana ! Tu ne comptes pas nous aider ? Tu ne vois pas l'état dans lequel il est ?" s'exclama Rachel.

— "Nous ?" interrompit Norval.

Rachel ne sut quoi répondre et resta le regarder, abasourdie. Ses lèvres tremblaient légèrement. Elle ne s'attendait visiblement pas à ça. Qu'une personne agisse ainsi face à la détresse d'un camarade était déjà insoutenable, mais deux ? Est-ce qu'il n'y avait qu'elle à qui il arrivait de s'inquiéter pour autrui ? Les autres étaient-ils tous insensibles ?

— "Tu ne comptes pas l'aider ?"

— "Pourquoi devrais-je ? J'ai dû me lever et refermer la porte derrière lui à cause de son ivresse. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même pour avoir fini dans cet état."

Sur ces mots, Norval ignora Rachel et le pasteur ivre mort, prêt à monter dans sa chambre. C'était sans compter sur la résolution sans pareille de sa redoutable aînée. Celle-ci l'attrapa par le col alors qu'il lui tournait le dos, puis le projeta contre le mur. Son mal de tête à peine rétabli, il sentit à nouveau une douleur lui traverser le crâne. C'est vrai, même si elle n'en avait pas l'air, elle restait une élève de neuvième année. Sa formation touchait déjà à sa fin, elle était d'un niveau bien plus élevé que le sien. Cependant, elle-même semblait choquée par ce qu'il venait de se passer. Revenant de la cuisine avec un paquet de gâteaux à la main, Anastasia les regardait, confuse elle aussi.

"Oh mon- tu es bien plus faible que je ne le pensais." avoua Rachel, se recouvrant la bouche de ses deux mains.

Norval cligna plusieurs fois des yeux, ne comprenant pas leurs réactions excessives. Même si son niveau était vraiment bas, Rachel n'en restait pas moins une élève beaucoup plus âgée, cela n'avait rien d'étonnant qu'il se fasse maîtriser aussi facilement. Même s'il avait été au cinquième palier, il aurait eu du mal à lui faire face, alors pourquoi réagissait-elle ainsi ?

Anastasia s'approcha, observant Norval de manière suspecte. 

"Même si elle est en dernière année, Rachel est bien plus faible que les élèves de son âge. Alors qu'elle est sur le point de finir ses études, en vérité, elle n'a même pas encore atteint le niveau de saint parfait."

C'était donc ça…

Si son aînée était toujours une sainte illuminée, alors en effet ce n'était pas surprenant qu'elle se soit aperçue du niveau anormalement bas de Norval. Quelle malchance était-ce encore ?

Poussant un profond soupire, Norval massa l'arrière de son crâne, encore légèrement douloureux.