Cela fait maintenant quatre jours qu'il est en haut dans la chambre d'amis. Je suis assez épuisé depuis son arrivée. Je ne quitte pratiquement pas sa chambre, sauf pour descendre manger. Je m'endors de temps en temps dans le fauteuil. Enfin... dormir c'est vite dit, m'assoupir serait plus juste. Mais bon, que voulez-vous, je m'inquiète beaucoup trop pour lui. D'ailleurs, il commence à aller mieux, la fièvre est tombée et il reprend des couleurs.
Lorsqu'il se réveille, je lui demande s'il veut manger un peu. Il accepte timidement, mais refuse que cela soit moi qui le lui donne. Du coup, j'ai demandé à Grant de bien vouloir l'aider pour ses repas.
Ce type est une tête de mule. Il refuse de me parler et même de me regarder. Mais je tiens bon. Si monsieur veut se la jouer comme ça, il ne sait pas encore à qui il a faire. Je l'aurai à l'usure, pensais-je en souriant.
Le majordome sort de la chambre et vient me rejoindre dans le salon.
— Monsieur Andrew, le jeune homme a terminé son repas. Il a quasiment tout mangé, son appétit a l'air d'être revenu.
— Merci, Grant, c'est une bonne nouvelle. Il vous a parlé ?
— Un peu, monsieur, il m'a demandé où il était et ce qu'il faisait ici. Je lui ai expliqué que vous lui aviez sauvé la mise en le ramenant chez vous pour le soigner.
— Bien, très bien, et que vous a-t-il répondu ?
— Rien du tout, monsieur, il m'a regardé avec étonnement, mais n'a rien dit, alors je suis parti.
Cela ne m'étonne pas de Grant. Cet homme est d'une grande discrétion et je préfère ne pas insister.
— Merci, Grant, je vais monter voir comment il va.
Arrivé devant la porte de la chambre, j'entends un bruit venir de l'intérieur. Je frappe, mais aucune réponse ne me parvient. Je décide de pousser le battant, au cas où il aurait un problème.
— C'est pire que l'entrée du métro ici ! S'exclame-t-il alors qu'il se tient debout face à l'armoire ouverte, une serviette de bain enroulée autour de ses hanches.
Forcément, il n'a plus rien pour s'habiller. Nous avons jeté ses fringues miteuses à la poubelle. J'ai demandé à Brant de lui acheter des sous-vêtements en attendant de connaître sa taille pour racheter des habits neufs.
— Pardon, mais j'ai frappé avant, je te signale !
Je suis passé au tutoiement sans m'en rendre compte.
— Que fais-tu debout ! Tu devrais être allongé, j'ajoute en croisant les bras sur ma poitrine. Tu n'es pas encore totalement remis.
— Je cherche mes fringues pour me tirer d'ici monsieur B.A. du jour. Et merci pour votre aide même si je ne vous ai rien demandé.
Piqué au vif, j'avance de quelques pas dans sa direction.
— Arrête avec cette histoire de bonne action, je lance passablement énervé. Tu commences sérieusement à me prendre la tête avec ton caractère de merde.
Il pivote pour me faire face. Une lueur de mécontentement transparaît dans son regard.
— Moi ? Un caractère de merde ? À qui la faute ? Qui m'a filé cinquante euros, puis m'a invité pour mieux se foutre de ma gueule devant tous ces connards dans le resto ? Moi, peut-être ?
— Tu te trompes complètement, tu sais. Ce n'est pas ce qu'il s'est passé. Maintenant, tu te calmes et tu te poses sur ce lit pour que je puisse t'expliquer. Tu es dans l'erreur en ce qui me concerne. OK ?
Il me surprend en ne répondant rien et s'assoit sur le lit tout en me jetant des œillades. Cela m'étonne qu'il ne rétorque pas, vu le caractère emporté qu'il semble avoir. Je lui raconte la partie du restaurant, précisant bien que j'ai compris que ce sont les deux jeunes cuisiniers qui ont commis un impair dans les toilettes. Une fois mon récit terminé, je le regarde bien en face, espérant une réaction de sa part. Il baisse les yeux sur ses pieds, apparemment gêné par ce que je viens de lui dire.
— Regarde-moi s'il te plaît, je lui demande gentiment. Tu sais, je ne suis pas en colère contre toi, un malentendu, cela peut arriver, et là, c'est le cas. D'ailleurs, j'ai viré ces deux petits cons.
— Virés ? Le restaurant est à vous ?
— Oui, c'est l'une de mes entreprises. Et je compte bien t'inviter à nouveau.
Il me regarde en levant ses sourcils, étonné par ce que je lui dis.
— Vous n'êtes pas obligé de faire ça. Ce n'est pas ma place, et je ne suis pas présentable pour dîner dans un tel endroit, j'y serai mal à l'aise.
J'esquisse un léger rictus en constatant qu'il lâche un peu de lest.
— Ne t'inquiète pas pour ça maintenant, on verra plus tard, je le rassure. Pour l'instant, tu dois te remettre de cette fatigue et te reposer.
Je me dirige vers la porte et avant de sortir, me retourne, un sourire au bord des lèvres.
— Je m'appelle Andrew. Et toi, tu veux bien me dire ton nom ?
Il me regarde quelques secondes et hoche la tête en passant sa main dans ses cheveux.
— Alexeï, mais je préfère que l'on m'appelle Alex.
— Enchanté Alex, repose-toi encore un peu. On se verra ce soir en bas pour le dîner vers vingt heures.
Je sors de la chambre en souriant, heureux d'avoir enfin eu l'opportunité de discuter avec lui sans qu'il se braque.
Sainte patience !
8 jours plus tard...
Alex va de mieux en mieux. Sa fièvre est tombée et il semble avoir retrouvé l'appétit. Ces derniers jours, j'ai enfin réussi à établir un dialogue. Il est toujours un petit peu distant, mais ne fuit plus mon regard.
La sonnerie du téléphone me ramène à la réalité et Grant entre dans le salon.
— Excusez-moi, monsieur, votre mère au téléphone.
— Merci, Grant, je vais prendre l'appel dans le salon.
— Bonjour, Maman, quelque chose ne va pas au ranch ?
Je l'entends soupirer à travers le combiné.
— Bonjour, mon chéri, désolée de te déranger, mais nous avons un petit problème ici. Le nouveau contremaître vient de m'informer qu'il partait la semaine prochaine.
— Comment ça il part ? Tu veux dire qu'il démissionne ? Je n'y crois pas, là, je peste en faisant les cent pas. Ce n'est pas vrai, merde !
— Calme-toi, mon cœur, tu pourras toujours trouver un autre contremaître.
— Oui, mais pour ça, il faudrait que je revienne, et je n'avais pas prévu mon retour avant au moins deux ou trois semaines. Bon, je vais régler mes dernières affaires ici et réserver un vol pour rentrer le plus tôt possible.
— Merci, Andrew, je ne savais pas quoi faire pour régler le problème. Avant, c'était ton père qui gérait tout ça, et sans contremaître, je ne sais pas comment diriger les hommes pour faire leur travail.
— Ne t'inquiètes pas maman, je serai là dans quelques jours.
Je suis particulièrement agacé par cette nouvelle, je vais devoir reporter presque tous les rendez-vous que j'avais prévus et la visite de toutes mes entreprises en France. Ce qui m'obligera à revenir plus tard. Je suis furax.
— Merde ! Je grogne en raccrochant, ça ne m'arrange pas du tout !
Je regarde le combiné en secouant la tête avant d'appeler ma secrétaire à mon bureau rue de Clichy.
— Bureau de Monsieur Mackenzie !
— Julie, bonjour, comment allez-vous ?
— Bonjour, monsieur Mackenzie, que puis-je faire pour vous ?
— J'ai un problème familial et je dois repartir au Texas très rapidement. Il faudrait que vous annuliez mes rendez-vous pour le moment et jusqu'à nouvel ordre. Je ne sais pas à quel moment je pourrais revenir à Paris.
— Bien sûr, monsieur Mackenzie, je vais tous les annuler et prévenir que vous ne serez pas présent pour une visite à vos entreprises.
— Merci Julie vous êtes une vraie perle, dommage que vous ne vouliez pas venir au Texas avec moi.
— Oh non, monsieur, j'aime trop la vie parisienne pour aller dans vos contrées sauvages, me répond-elle avec un petit rire.
— Dommage pour moi, mais peut-être qu'un jour, vous changerez d'avis.
— L'espoir fait vivre, mais je ne pense pas que cela arrive un jour. Avez-vous besoin d'autre chose ?
— Ah oui ! Heureusement que vous m'y faites penser, pourriez-vous me réserver le vol pour Dallas le plus rapidement possible ? Je veux dire pour après-demain bien sûr.
— Oui monsieur, je vous enverrai les coordonnées de votre vol par mail.
— Merci Julie, et j'oubliais, il faudrait que ce soit pour 2 personnes.
— Très bien monsieur, je m'occupe de vos réservations immédiatement.
Maintenant que tout est réglé pour le travail, il ne me reste plus qu'à m'occuper d'Alex.
Depuis que je l'ai aperçu pour la première fois, alors qu'il faisait la manche dans la rue, je n'arrive plus à le sortir de ma tête. J'ai été subjugué par sa beauté, par son regard, mais aussi par la tristesse qu'il y avait dans les yeux. Il m'a fallu plusieurs jours pour qu'Alex s'ouvre un petit peu plus à moi, et je ne sais toujours pas pourquoi le jeune homme s'est retrouvé à la rue. C'est un sujet qu'il semble ne pas vouloir aborder.
Je sais qu'il finira par m'en parler un jour ou l'autre. Il ne me reste plus qu'à patienter jusqu'à ce que ce moment arrive.
Pour l'heure, je me prépare à discuter avec lui au sujet de mon prochain voyage, espérant que le jeune homme accepte de partir avec moi.
Là, ce n'est pas gagné d'avance.
J'appelle Grant pour savoir où se trouvait Alex.
— Le jeune homme est avec moi en cuisine, monsieur.
— En cuisine ?
— Oui monsieur, ce jeune homme a un grand talent pour la cuisine, c'est vraiment surprenant.
— Eh bien, Grant, vous faites des miracles !
— Moi ? Oh non monsieur, le miracle, c'est justement ce jeune homme.
— Que voulez-vous dire par là ?
— Je crois que vous le découvrirez bientôt, monsieur, ce jeune homme est plein de surprises.
Je suis surpris par la voix enjouée et émue de mon majordome, habituellement il est plutôt rigide. Mais depuis qu'Alex est dans la maison, beaucoup de choses ont changé. Moi-même, je ne ressens plus l'envie de sortir et je n'ai qu'une hâte lorsque je suis à l'extérieur, rentrer le plus vite possible à la maison pour voir le jeune homme. Plus les jours passent, plus mon intérêt à son égard se fait pressant. Et plus je m'attache à lui.
— Pourriez-vous dire à Alex de me rejoindre dans le salon s'il vous plaît, et apportez-nous du café aussi, merci Grant.
Quelques minutes plus tard, Alex entre dans le salon accompagné du majordome qui dépose le plateau de café sur la table basse.
Le jeune homme reste près de la porte avec une expression d'inquiétude sur le visage.
— Salut, Alex ! Ne reste pas debout, viens t'asseoir, nous avons à parler de quelque chose d'important.
Le regard d'Alex passe de l'inquiétude à la panique. Je m'en aperçois et m'empresse de le tranquilliser.
— Ne t'inquiète pas Alex, il n'y a rien de grave, tu peux être tranquille.
— C'est parce que j'étais en cuisine ? Je croyais que je pouvais, dit-il, baissant en la tête.
— Quoi ? Bien sûr que oui, tu peux faire ce que tu veux, tu es ici chez toi, lui dis-je d'une voix douce pour le rassurer.
— Je n'ai pas de chez moi, me répond-il, mais merci de me le dire quand même. Je sais que vous dites cela pour être sympa.
— Non, non, je le dis parce que je le pense réellement, si tu le veux vraiment, je t'offre un chez-toi, et tu y seras en sécurité.
— Comment ça ? Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Et je suppose que vous souhaitez quelque chose en échange ? Lance-t-il en fronçant les sourcils. Personne ne fait rien pour rien de nos jours !
Oui, ton intérêt, et peut-être ton amour aussi...
Je perçois bien le malaise qui l'envahit et me décide à aller droit au but.
— Bon, écoute, ça fait plus d'une semaine que tu vis ici avec moi et Grant, et j'aimerais... non plutôt, ça me plairait beaucoup que tu veuilles bien rester avec nous. Et non ! Je n'attends rien en contrepartie. Alors s'il te plaît, assieds-toi pour que nous puissions discuter tranquillement.
Il me regarde d'un air dubitatif, soupire, mais vient s'asseoir dans le fauteuil face à moi, visiblement intrigué.
— Bon, sers-toi un café et nous pourrons commencer à parler.
J'attends quelques minutes, le temps de lui laisser boire quelques gorgées de son café. Ses mains tremblent légèrement, et pour ne pas le faire attendre plus longtemps, je me lance pour lui expliquer ce que je compte lui proposer.
— Comme tu as dû t'en apercevoir, je ne suis pas Français, enfin pas complètement. Je suis franco-américain, j'ai des entreprises ici en France, mais je possède également un ranch au Texas.
Il relève brusquement le nez de sa tasse avec de grands yeux surpris.
— Ooh !
C'est le seul mot qui sort de sa bouche.
— Oui, je sais, ça te surprend. En fait, je viens uniquement à Paris une fois par an pour visiter les entreprises que je possède et régler toutes mes affaires. Habituellement, je reste sur Paris au moins un mois, mais hélas, j'ai reçu un appel du ranch et je vais devoir rentrer d'ici à quelques jours pour régler un problème de maintenance.
— OK, j'ai compris, me dit-il. Je vais réunir mes quelques affaires et je vais partir, je ne vous dérangerai pas plus longtemps. D'ailleurs ça ne me surprend pas, il y a quelques minutes, vous me disiez que je pouvais avoir un chez-moi, et maintenant vous me dites que vous partez pour le Texas. J'avais donc raison, c'était bien une bonne action et vous avez aimé vous foutre de moi. Je suis tellement stupide de croire encore que l'on peut s'intéresser à moi, ajoute-t-il avec les larmes au bord des yeux.
Il posa sa tasse sur la table basse, et se lève du canapé, comme poussé par un ressort.
— Qu'est-ce que tu fais ? Je lui demande sans bouger.
— Je monte dans la chambre pour chercher mes affaires et m'en aller. C'est ce que vous venez de dire.
— Je n'ai jamais dit ça, tu m'as mal interprété, rassieds-toi, s'il te plaît. Écoute ce que j'ai à te dire, lui demandai-je d'un ton un peu plus sévère.
Il reprend sa place dans le fauteuil face à moi en regardant sa tasse posée sur la table basse.
— Regarde-moi s'il te plaît. Je ne veux pas que tu partes. Au contraire, ce que j'aimerais, c'est que tu viennes avec moi au Texas.
Il écarquille les yeux, la bouche ouverte, comme si la mâchoire allait tomber à ses pieds. J'ai envie de rire, mais je me retiens. Monsieur est, comme qui dirait, un peu susceptible !
Comme il ne répond pas et qu'il me regarde comme si j'avais perdu la tête, je décide de parler à sa place.