Andrew
Après plus de 10 heures de vol, nous atterrissions enfin à Dallas. Je suis exténué et Alex n'a pas l'air en meilleure forme que moi. Durant notre voyage, nous parlons beaucoup. De tout et de rien. De ce que nous aimons, de ses goûts musicaux surtout, qui, à ma grande surprise, sont les mêmes que les miens.
Alex me raconte son enfance, heureuse jusqu'à ses 13 ans. Il a ce petit sourire et cette lueur nostalgique dans le regard en parlant de ces moments passés auprès de son père. Ce dernier semblait très proche de lui. Étant le petit dernier, il l'emmenait souvent pêcher, seul, tous les deux. Puis son regard s'assombrit lorsqu'il vient à se confier de l'après ses 14 ans. Son père souhaitait qu'Alex suive ses pas et s'intéresse au business de la famille. Mais ce n'est pas ce que le jeune homme voulait. Il adorait cuisiner et se retrouvait très fréquemment dans la cuisine de la demeure familiale, où Erikaï, leur cuisinière, lui apprenait la magie de la restauration en cachette de son père.
Celui-ci se distancia de lui. Il ne l'emmena plus pêcher et ne furent plus jamais une seule sortie ensemble. Pour le maître de maison, Alexeï n'avait plus aucun intérêt pour lui et l'ignora jusqu'au fameux jour de son 18e anniversaire, où il le surprit en train d'embrasser un garçon dans sa chambre.
Comme je le savais déjà, Alex fut mis dehors. Non ! En fait il fut carrément éjecté de la demeure familiale sans rien pouvoir emporter avec lui et sans avoir la possibilité de dire au revoir à sa mère qui était absente à ce moment-là
La suite pour Alex se passa mal. Ne sachant où aller, il se rendit chez les quelques amis qu'il croyait avoir, mais toutes les portes lui furent claquées au nez. Personne n'aurait osé héberger Alex sans subir la colère de son puissant père.
Ne sachant quoi faire, le jeune homme pensa qu'il ferait mieux de quitter la Russie pour sa sécurité et pour pouvoir trouver un travail sans que son père ne puisse lui mettre des bâtons dans les roues. Alors il se souvint des moments heureux qu'il avait passés en France pendant son enfance et décida de revenir à Paris où il était certain de pouvoir vivre sa vie loin de sa dangereuse famille.
Après un long périple entre auto-stops et de longues et interminables marches, des nuits froides à dormir dehors ou à l'abri dans de vieilles ruines, il arriva enfin à la capitale française dans laquelle il avait placé tous ses espoirs.
Grosse erreur ! Personne ne voulait l'embaucher, et sans emploi, pas de logement. Il passa donc des jours à déambuler dans les rues, dormant la nuit dans des squats de fortune. Finalement, tiraillé par la faim, il dut se résoudre à faire la manche pour survivre et dormir sous un pont pour avoir un semblant d'abris.
— La suite, tu la connais, me dit-il, la voix tremblante.
J'agrippe la main qui repose sur l'accoudoir et le regarde fixement dans les yeux.
— Ce que tu as vécu est terrible et personne ne devrait subir un tel traitement de la part de sa famille. Je suis vraiment désolé de ce qui t'est arrivé, mais je te promets qu'à partir de maintenant, ta vie va changer. Et en bien, fais-moi confiance, j'y veillerai personnellement. Je ne laisserai jamais personne te faire de mal.
Nous discutons des heures, jusqu'à ce que la fatigue nous gagne. Alex tombe dans un sommeil profond et je ne tarde pas à tenter d'en faire de même.
Je n'arrive pas à m'endormir. Je pose la tête contre le dossier de mon fauteuil, puis tourne le visage en direction du jeune homme pour le regarder dormir. Je n'arrive pas à détourner les yeux de son visage endormi et paisible. Il est réellement magnifique lorsqu'il dort et que ses traits semblent apaisés. Il n'y a plus de tensions, plus d'inquiétudes sur les traits détendus de son visage. Il paraît en paix.
Je ferais tout ce qu'il faudra pour qu'il en soit toujours ainsi, me dis-je.
— Alex, il faut te réveiller, nous allons atterrir bientôt.
Il ouvre les yeux, paraissant un peu perdu quelques secondes, puis il me regarde en souriant, ce qui fait accélérer mon cœur.
— Ooh, je me suis endormi, je suis désolé d'être un aussi mauvais compagnon de voyage.
— Pas du tout, je crois que tu avais vraiment besoin de repos. Nous sommes presque arrivés à l'aéroport de Dallas, une fois là-bas, quelqu'un du ranch sera là pour nous accueillir. Je suis impatient de te faire visiter le domaine et de te présenter à mes hommes ainsi qu'à ma famille.
Quinze minutes plus tard, l'avion se pose sur la piste et nous descendons pour nous diriger au poste des douanes avant de récupérer nos bagages.
Nous sortons de l'aéroport et aperçois le SUV bleu nuit du ranch. Nous nous approchons près du véhicule et Jim en sort avec un grand sourire en avançant pour nous rejoindre.
— Patron ! Je suis content que tu sois rentré, me dit-il en me faisant une accolade.
J'éclate de rire, surpris par son élan.
— Jim, moi aussi je suis heureux de te voir, tu m'as manqué aussi.
Jim s'écarte et me rend un sourire tellement grand que j'en suis presque gêné. Parfois, je le trouve un peu bizarre avec moi.
— Jim, je voudrais te présenter Alex. Alex, voici Jim, mon meilleur chef équestre, et d'ailleurs le seul, j'avoue, en envoyant un clin d'œil à Jim.
Le sourire de Jim disparaît instantanément. Il tend la main et le salue d'un ton glacial, ce qui me surprend venant de quelqu'un habituellement aimable avec tout le monde.
— Très bien Jim, lui dis-je une fois nos bagages chargés, ramène-nous à la maison s'il te plaît.
Alex
Il y a trois heures de route pour arriver au Ranch. Trois longues heures assis à l'arrière du véhicule à regarder le paysage défiler. Je reconnais que la beauté de l'endroit me subjugue, rien à voir avec le béton gris et maussade de Paris.
Andrew m'explique au fur et à mesure. Nous passons devant plusieurs propriétés bordées de belles barrières en bois blanc où chevaux et bétail broutent tranquillement. C'est une image apaisante après la vie que j'avais en France. Je me surprends à aimer ça, au point d'avoir envie de chevaucher dans ces prairies.
Un raclement de gorge me fait revenir sur terre.
— Alex, tu as l'air d'être à mille lieues d'ici, me dit Andrew tout sourire.
— Hum... pas si loin que ça en fait, j'adore ces prairies et je m'imaginais faire une promenade à cheval. C'est vraiment très beau ici.
— Oui, effectivement, ça l'est. Bientôt, ton imagination deviendra réalité. Lorsque tu seras bien installé au ranch, tu auras tout le loisir de monter.
— Cool ! Réponds-je en souriant de toutes mes dents.
Évidemment cela semblait trop beau pour que ça dure ! Et un "pff" sonore se fait entendre du côté du conducteur.
Je tourne les yeux dans sa direction et surprends un regard chargé d'éclairs qui me fixe depuis le rétroviseur.
Je ressens un froid qui me glace le sang en croisant son regard.
Eh bien ! Même pas le temps d'arriver et j'ai déjà un ennemi. Ça promet !
— Dis-moi, Jim ? Quelque chose ne va pas ? Lui demande Andrew d'un ton sec. Si tu as un truc à dire, ne te gêne pas, c'est le moment.
Surpris par la remarque de son patron, le conducteur ne répond pas. Mais je vois bien la façon dont ses doigts se crispaient sur le volant alors qu'il me lance un regard incendiaire. Un regard qui semble me dire : "toi, je vais te pourrir la vie !".
Génial ! Je n'ai vraiment pas besoin de ça !
— C'est bien ce que je pensais, continue Andrew en le fixant.
Un silence pesant s'installe et personne ne décroche un mot durant la demi-heure suivante. J'en profite pour admirer la vue, époustouflé par tant de beauté. Je suis aux anges en voyant ces étendues verdoyantes. J'ai l'impression d'être enfin chez moi. À ma place.
Au bout d'un long moment, Andrew reprend la conversation, m'expliquant à qui appartiennent les terres que j'admire.
Finalement, nous arrivons dans une petite ville du nom de Gentry Lake. Andrew demande à Jim de s'arrêter au 'Sweet Coffee' afin de faire une pause avant d'arriver au ranch.
D'après lui, il nous reste encore une heure et demie de route, ce qui nous ferait arriver vers dix-sept heures. Il décide que nous nous arrêtions manger et dégourdir un peu nos jambes ankylosées.
Nous nous installons tous les trois à une table près de la vitrine. Jim s'installe à côté d'Andrew et moi sur la banquette face à eux. Un serveur arrive immédiatement poser les menus. Le jeune homme s'illumine en voyant que l'un de ses clients est Andrew qu'il semble bien connaître.
— Monsieur Mackenzie ! Ravi de vous revoir chez nous, ça faisait quelque temps que vous ne passiez pas nous voir.
Il regarde Andrew fixement dans les yeux, lui adressant un large sourire. Je reporte mon attention sur le serveur en remarquant sa beauté. Il est grand, avec des cheveux d'un blond clair lumineux, des yeux bleu océan et une peau d'un ton laiteux qui le rend très sexy. Bien sûr, il a l'air de savoir le charme qu'il dégage et en joue à la perfection. Il ne se gêne pas pour draguer ouvertement Andrew. Je remarque que Jim se crispe sur sa banquette. Il a l'air de bouillir de colère. Je comprends mieux son hostilité à mon égard. Il est jaloux !
— Bonjour, Anton, moi aussi je suis content de te revoir. Peux-tu nous apporter le plat du jour avec une bonne bouteille de vin français ? Un bordeaux de préférence et une carafe d'eau.
— Tout de suite, monsieur Mackenzie.
Le serveur ne bouge toujours pas et continue à fixer Andrew comme hypnotisé. À côté, Jim, que la réaction du jeune énerve copieusement, frappe la table du poing, faisant sursauter le jeune homme qui semble se ressaisir et part en direction des cuisines. J'ai envie d'éclater de rire.
Maintenant que je sais ce qui l'emmerde, je profitais du moment pour lancer une pique.
— Ben dit donc, Andrew, tu l'as complètement envoûté ! Encore un peu et il bavait sur la table, je lance en m'esclaffant.
Bien sûr, j'en profite aussi pour jeter un œil à Jim avec un sourire en coin. S'il le pouvait, il se jetterait sur moi pour m'étrangler. J'en suis certain.
Oui, c'est bien ça, jaloux !
— Oui, je sais, répond Andrew en riant. Chaque fois, c'est pareil, mais il ne m'intéresse pas, il est gentil et sympathique, mais ce n'est pas mon genre.
— Et quel est ton genre ? Je lance en prenant un air sérieux que je ne ressens pas du tout en voyant la tête que fait l'autre. Le genre de Jim, peut-être ?
Je jette une œillade à ce dernier qui le regarde en attendant la réponse.
— Jim, mon genre ? Non, lui est mon employé en plus d'être mon ami. Je crois que tu sais très bien quel genre d'homme je préfère, répond-il en me faisant un clin d'œil.
L'autre pâlit. Moi, je jubile intérieurement. Je n'aime pas les conflits, mais il ne faut pas me prendre pour un con non plus ! Jim se lève brusquement de table.
— Je retourne à la voiture, je vous attends là-bas, crache-t-il d'un ton glacial.
Je regarde Andrew qui le suit des yeux en haussant les épaules.
— T'inquiètes, ça lui passera.
— Probablement, mais je ne pense pas, je crois qu'il ne peut pas me voir.
— Pourquoi ? Il ne te connaît pas, et c'est à peine s'il t'a adressé la parole depuis que l'on est arrivés.
— Justement ! Je crois qu'il me voit comme un rival, lui dis-je en piquant un fard.
— Un rival ? De quoi parles-tu Alex ?
— Tu ne vois vraiment pas ce qu'il se passe en réalité ! Je lance en secouant la tête. Jim en pince pour toi, ça se voit clairement, c'est pour ça qu'il me regarde comme si j'étais un moustique à écraser. Pour lui, je suis un obstacle auquel tu prêtes trop attention et il se sent mis à l'écart.
Andrew en reste bouche bée et boit une bonne rasade de son verre de vin. Il est aveugle ou alors trop naïf.
— Tu dois certainement te tromper, Jim travaille pour moi depuis deux ans et nous sommes amis en plus. Je ne lui ai jamais laissé entendre qu'il aurait plus de ma part.
— Toi, peut-être, mais apparemment il s'est amouraché de toi. Tu n'as pas remarqué son changement de comportement lorsqu'un autre homme t'approche et te drague ? Regarde, tout à l'heure, le serveur qui bavait en te regardant. Tu as bien vu sa réaction, non ? Et depuis qu'il est venu nous chercher à l'aéroport, il me fusille du regard en permanence.
Andrew ne sait même plus quoi répondre à ma tirade. Il regarda par la vitrine en direction du SUV. Jim nous fixe depuis le véhicule sans nous lâcher du regard.
— Bon sang, je ne m'étais rendu compte de rien. Je ne le vois que comme ami et relation de travail, rien de plus.
Je voyais bien qu'il gamberge sur la situation. Cela me met mal à l'aise et je commence presque à regretter d'avoir mis le sujet sur le tapis.
Super ! Tu as encore perdu une occasion de la fermer !
— Écoute, je suis désolé de t'en avoir parlé, j'aurai mieux fait de me taire.
— Non. Tu as bien fait de m'ouvrir les yeux. Je ferais le nécessaire pour lui faire comprendre qu'il ne peut pas avoir autre chose qu'une relation de travail entre nous. D'ailleurs, s'il te moleste, dis-le-moi, je le remettrai à sa place.
Je fus surpris par la fin de sa phase, mais surtout vexé et piqué au vif.
— Quoi ? Je n'ai pas besoin que tu me protèges comme si j'étais ta femme ou que je t'appartenais. Je peux régler mes problèmes moi-même, lui balançai-je en le foudroyant du regard.
Il ouvre la bouche pour me répondre, mais n'en a pas le temps. Un coup de klaxon insistant se fait entendre en provenance du parking du restaurant. Nous tournons la tête en même temps pour voir un Jim on ne peut plus agacer, nous faisant signe en tapotant sa montre.
— Je crois que ton amoureux commence à s'impatienter sérieusement, dis-je en souriant.
— Ha ha ha... Tu te crois drôle ? Petit malin !
Un second coup de klaxon nous coupe. Cela énerve Andrew. Moi, je ris.
— Là, il dépasse les bornes, pour qui, se prend-il, celui-là ! Allez viens, allons y avant que cet idiot ne rameute tout le quartier.
Nous nous levons puis au moment de partir je me retourne.
— Nous n'avons pas payé la note, attend, j'y vais, je lance en me dirigeant vers le comptoir.
Andrew m'attrape le poignet, me rapprochant dangereusement de lui.
Il est beaucoup trop près. Je peux sentir sa chaleur à travers sa chemise et sentir son parfum Hugo Boss. Je n'aurai qu'à incliner un peu la tête pour que mes lèvres effleurent les siennes. Il me fait perdre la tête lorsqu'il est si proche. Je dois me ressaisir. Bordel de merde ! Cet homme me fait un effet de dingue. Rien que le contact de sa main sur mon poignet m'envoie des décharges électriques dans la totalité de mon corps.
— Ne t'inquiète pas pour ça Alex, le propriétaire est un très bon ami, il enverra la facture au ranch.
— Hein ? Bien sûr, évidemment, hum...
Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits. Depuis qu'il m'a attrapé le poignet, mon cerveau a déconnecté de ce qu'il se passe autour de moi. Ce mec me fait perdre tous mes moyens. Au point d'être incapable, de faire une phrase sans bafouiller. Il faut vraiment que je garde mes distances avec lui.
Je dégage mon poignet comme si je m'étais brûlé, sentant la rougeur envahir mon visage et me retourne pour me diriger vers la sortie.
— Je... enfin je crois que... hum... on devrait retourner à la voiture avant que ton soupirant ne pète un câble.
***
Bon sang, j'adore lorsqu'il perd ses moyens. Je le vois bien que je le trouble. Je n'en suis pas absolument certain, mais je jurerais avoir vu une lueur de désir dans son regard. S'il savait à quel point je le veux. J'ai de plus en plus de mal à me retenir de le toucher. J'ai un besoin vital de sentir son contact. La chaleur de sa peau m'électrise chaque fois qu'un millimètre de sa peau frôle la mienne. On ne se connaît que depuis quelques semaines, et je suis mordu comme un collégien face à son premier amour.
— Je suis foutu.
Alex se retourne, et je me rends compte que j'ai parlé à voix haute.
— Tu quoi ?
— Non, rien, je parle tout seul, lui dis-je en souriant bêtement.
— Ah bon ! La vieillesse ne pardonne pas, et vu ton grand âge ! Me lance-t-il en me faisant un clin d'œil.
— Petit morveux insolent, tu vas voir ce que le vieux va te faire, lui réponds en essayant de l'attraper pendant qu'il court comme un lapin de garenne en rigolant vers la voiture.
C'est avec Andrew me courant après que j'ouvre la porte arrière du SUV et m'engouffre à l'intérieur en refermant la porte aussitôt en gloussant comme une dinde. Il monte à l'avant, riant lui aussi, et se retourne vers moi, me montrant du doigt.
— Tu ne perds rien pour attendre, j'aurai ma vengeance petit merdeux !
— Mais pour ça, il faudra que tu arrives à m'attraper grand-père, ha ha ha.
Et bien sûr, Jim nous casse notre moment de joyeuseté.
— Pff... Ce n'est pas possible ! Vous êtes pires que des gosses, c'est lamentable ! Alors quand vous aurez fini vos pitreries, on pourra peut-être reprendre la route. Et toi... Ale... Quelque chose met ta ceinture, me dit-il sans se retourner, mais en me jetant encore un regard noir depuis le rétroviseur.
— Jim, ça suffit ! Je ne sais pas ce que tu as, mais on va devoir discuter, toi et moi, quand nous arriverons au ranch. Maintenant, démarre et ramène-nous à la maison.