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Chapter 4 - chap 4

En sortant dans la cour d'honneur il rejoint son cocher, adossé négligemment contre un mur, la pipe au bec. Il ne l'avait pas prévenu, mais le vieux Math, cocher depuis trois générations, connaît son métier et attendait la sortie de son maître. "Il n'empêche que c'est fichtrement long d'attendre sans rien savoir", pense-t-il. "Heureusement qu'il m'avait donné les sous pour une nuit à l'auberge... mais il est radin et j'ai pas eu de quoi boire mon content. Tu verras, sur le chemin du retour, je vais te les faire ravaler tes sous.... héhéhé je prendrais les nids de poule avec un plaisir sucré!"

" Ah, maître ! Vous voilà. Vous en avez mis du temps!"

" Je serais bien parti plus tôt..."

" On vous a fait un cadeau? Dit le cocher en zieutant le paquet dans les bras de Tarly. Pourtant z'avez pas l'air ravi. Bon, bon, je sais, c'est pas mes affaires. Je vais chercher vot'carrosse.

" Nous partons immédiatement. Vers les Ichaux. je t'attend dans un lu* à l'extérieur du palais."

Le cocher, malgré son impolitesse et sa curiosité malplacée ne sera pas viré. Il est trop vieux, de toute façon. Mais il est surtout particulièrement fidèle et discret à sa manière. Il aime être mis dans les secrets de son maître et en est fier comme un coq, mais il place cette fierté dans son silence ensuite. À plusieurs reprises, à cause des occupations cachées du ministre de la Sécurité, il a été testé, et n'a jamais déçu sa confiance.

Les deux se séparent, le cocher en grommelant, à cause du lu beaucoup trop court, vers la partie des écuries du palais que les visiteurs ont le droit d'utiliser.

Les Ichaux, hameaux où se trouve la maison de repos des Deor est sur la route de l'ouest, vers son pays. Il prévoit donc de s'y arrêter un moment, pour préparer son voyage qui durera plus d'un mois. Chaque étape du voyage doit être étudiée...

Car l'empire** est en effet très étendu, fait non seulement des terres propres à l'empereur, mais aussi d'une mosaïque de fiefs, de marches et de royaumes. Son organisation est féodale : chaque territoire a son seigneur, qui doit rendre compte à l'empereur; et chaque seigneur a son lot de vassaux qui possèdent chacun un fief. Le fief de la maison de Deor est une marche: voilà l'explication.

Le centre d'Erel, autour de la capitale, est sous l'administration directe du palais, ainsi que quelques lieux stratégiques éparpillés, comme des ports fluviaux, maritimes ou des mines.

Puis le territoire est divisé en fiefs indépendants de plus ou moins grande importance, de la simple seigneurerie au duché. Et chaque lieu a ses propres lois, en sus de la loi impériale, c'est pourquoi pendant le trajet, une fois le sursis d'un mois donné par l'empereur écoulé, ils devront faire attention à ne vexer personne, pour ne pas qu'ils se retrouvent dans le cachot d'un baron pour une stupide histoire de droit de passage...

Enfin, aux bords de l'empire se trouvent les royaumes et les marches. Ces royaumes n'ont pas perdu tout à fait leur indépendance et ce qui fait leur identité, leur fonctionnement, leur culture et leur langage ; mais ils ont signé pour être vassaux de l'empereur et recevoir sa protection. En échange, ils perdent beaucoup de leur liberté de mouvement. Il y a trois royaumes à Erel.

Les marches ont quant à elles un statut particulier : ce n'est pas le seigneur d'un lieu qui s'est inféodé volontairement à l'empereur, mais ce dernier qui a imposé comme seigneur au territoire récalcitrant, un fidèle vassal. Cette méthode est utilisée pour mater les territoires conquis et y récolter un tribut: les marches peuvent donc être situées au-delà des royaumes puisqu'elles sont faites après une guerre. Son seigneur est appelé maréchal, et il y a quatre marches: une au Nord, la plus ancienne ; une à l'Ouest, celle des Deor, et deux au sud, au delà du Royaume d'Alindhe, les plus récentes.

Une fois bien assis dans la voiture, Tarly regarde plus attentivement le bébé qu'il a depuis quelques instants dans les bras. Il écarte délicatement toutes les couvertures pour découvrir, dormant à poings fermés, un petit bonhomme gris et fripé. "Mais sa jeunesse de quelques heures n'excuse pas son air malade, il va falloir que je le manie comme une porcelaine fragile", pense-t-il. Le métier de nourrice n'est pas très adapté à sa profession. D'ailleurs en parlant de nourrice... "comment je vais me débrouiller pour lui donner du lait?"

Il décide d'attendre leur arrivée pour s'en occuper. Il y aura toujours une femme dans le voisinnage qui vient d'avoir un enfant... Pourvu que le bébé ne pleure pas trop d'ici-là. L'enfant, très faible, se réveille à peine de tout le trajet. Quand de temps en temps un gémissement sort des couvertures à cause d'une bosse oy d'un tournant, il se tait aussitôt.

En passant sur la place d'Ichaux, juste avant leur arrivée, Tarly dit à Math d'arrêter la voiture. Il en descend, l'enfant dans les bras, pour ne pas le laisser sans surveillance ; et se dirige vers la plus grosse maison visible. Ce petit hameau n'a qu'une vingtaine de maisons et de fermes dont seulement la moitié sont rassemblées autour de la place. Mais il s'agit du dernier rassemblement de population avant une forêt assez étendue et fréquentée seulement par des chasseurs, des charbonniers et quelques paysans qui viennent y nourrir leur bétail. C'est pourquoi l'endroit est toujours assez peuplé, d'autant plus que cette maison, vers laquelle ils se dirigent, est le seul débit de boisson à plusieurs lieues à la ronde.

Une large fenêtre à petits carreaux donne sur la place, et Tarly se penche, une main au dessus des yeux, pour voir au travers s'il y a du monde à l'intérieur. L'endroit est sombre, mais il voir le propriétaire lui faire signe depuis son comptoir. Tan Deor est une figure connue ici, et c'est un honneur de l'avoir chez soi, autant qu'une habitude ; car il apprécie l'alcool de son voisin et vient régulièrement. Enfin c'est ce qu'il veut faire croire, sans doute pour ne pas gâcher les relations de bon voisinnage.

En poussant la porte, vitrée et décorée à l'intérieur de rideaux crasseux de vichy rouge, il ne voit que peu de monde, puisque la matinée est à peine entamée. Mais l'essentiel est présent : la vieille mère du propriétaire, appelée par les mauvaises langues la gazette nationale, est assise comme de coutume dans un coin de la salle, entrain de crocheter un carré de couverture.

notes:

* c'est casse-pieds, mais il me faut un système de temps différent de celui qu'on a et qui me pose des problèmes tout le temps.

Une lente fait une demi journée. 3 lyes font une lente. 12 lus font une lye. (Facile: 1lente=6h, 1lye=2h, 1lu=10min). Le concept est périmé de nos jours où les gens sont stressés et où les montres existent, mais, comme autrefois, les gens ne prennent pas de rdv à telle heure, ils disent juste la date si c'est dans longtemps, ou juste demain matin, première lye, si ça doit être tôt.

** inspiration libre du saint empire romain germanique