Il faisait beau malgré une légère bise glaciale qui fit rougir ses joues. Des nuages blancs informes et tout effilochés parsemaient le ciel suscitant son admiration, mais fut très vite remplacées par les ombres de grands chênes.
La route s'engageait sous les arbres. Siya avait l'habitude de prendre ce chemin depuis bien petite. Elle aimait ses petites excursions en ville qu'elle faisait généralement en compagnie de sa mère au moins une fois par mois, si bien qu'elle connaissait le trajet sur le bout des doigts qui pouvait prendre environ une heure en petit trots.
La plupart des chênes verdoyaient de larges feuilles d'un vert éclatant. Plus loin la route tournait et tout en haut du sentier longeait une rivière qui se poursuivait jusqu'à dépasser l'autre extrémité du coté de la foret d'Oris. En apercevant cette dernière Siya ne pu que frissonner en se rappelant l'horrible mésaventure qu'avait enduré Charles. Chassant ses pensées elle se concentra sur la nature qui l'entourait et accéléra la cadence...
Elle atteignit la ville pile à l'heure du déjeuner.
Descendant de sa selle, elle se promena dans le dédale des rues de la capitale et constata que celle-ci avait bien peu changé depuis le mois dernier. Siya retrouva son agitation, ses habitants affairés, le parfum d'épices aux milles senteurs et la foule de commerçants revenus des quatre coins de l'empire pavanant leurs nouveaux produits : des habits, bijoux, foulards et diamants de toutes sortes et formes. C'est que le marché de Mirabelle n'était pas considéré comme le plus grand marché d'Acra pour rien.
Alors que la jeune femme s'apprêtait à arpenter une ruelle qui menait vers sa destination, un jeune marchand s'approcha d'elle subitement :
- Mademoiselle, ce collier en perle sans nacre de conche rose venu tout droit de Frost vous irait à ravir avec votre teint ! Je puis vous l'assurer !
Il semblait assez jeune, la vingtaine, un jeune roux à la mine joyeuse qui avait de l'expérience dans l'art de l'idolâtrie. En somme un beau orateur.
La jeune femme sursauta mais repris bonne figure et répondit d'une voix à la fois calme, respectueuse mais ferme :
- Merci bien mais je suis pressée. Un autre jour sans doute.
Son regard d'émeraude ne descendit pas sur le bijou en question car la jeune femme n'avait jamais été attirée par les parures malgré qu'elle ne réfutait aucunement leurs beauté et raffinement. Non, Siya était une rhapsodie vivante de douceur et d'harmonie. Ses yeux pétillants, pareils à des étangs d'émeraude, reflétaient toujours et encore l'émerveillement constant qu'elle éprouvait face à la beauté éphémère du monde naturel, des milles herbes capables de tant de choses, instigateurs de bien-être et remèdes contre les souffrances. On pourrait même dire que la jeune femme était éperdument passionnée.
Elle accompagna ses dires d'un sourire poli et s'apprêta à partir quand un deuxième inconnu apparut de nulle part. Un homme qui semblait être un vieux mendiant et qui visiblement avaient entendu leur léger échange s'approcha d'eux :
- Venu tout droit de Frost a-t- il dit, je ne le croirais pas de sitôt si j'étais vous jeune demoiselle. Le chemin pour revenir est mortelle.
Le ton de sa voix contrastait avec son image porteuse des stigmates du temps avec dignité et résilience.
- Que voulez-vous dire ?
Siya s'attarda sur son visage, un kaléidoscope de rides profondes tels des sillons profonds tracés par les tempêtes déchainées par de longues années de vie. Ses yeux fatigués, sans doute brillants tels ceux de la jeune femme jadis, étaient emplis d'une lueur d'acceptation, témoignant des batailles qu'il avait du livrer. Seul sa voix restait intacte, forte et nullement endurcie par les intempéries de l'existence.
- Personne ne peut le traverser sans être transformé, continu a-t-il comme par évidence.
Siya fonça ses sourcils fins et trouva nécessaire de répliquer comme si une force extérieure lui ordonnait de ne pas couper court à la conversation:
- Je pense que vous vous trompez, mon frère viens tout juste de revenir la veille de son long voyage. Il est aussi commerçant comme ce jeune marchand voyez vous.
Indifférent face à sa réponse le vieil homme vêtu de haillons défraichis leva son index calleux vers le ciel et continua son discours comme si de rien n'était:
- Ils se sont réveillés et ont soifs de vengeance. La fin est proche.
A ce moment précis, le jeune roux visiblement agacé que quelqu'un puisse s'interposer entre lui et un client potentiel haussa le ton:
- Qui ?! Mais de qui parlez-vous ? Je vous prie s'il vous plait de continuer votre route !
Le vieux mendiant garda son regard épuisé fixé sur Siya qui pour une raison méconnaissable était prête à l'écouter davantage. Un sourire authentique dévoila quelques dents abimées.
- Les socoles.
- Socole ? Répeta-elle bêtement, dubitative.
L'homme au dos courbé ne fit qu'hocher la tete avant de fouiller dans son long manteau déchiqueté et tendit gracieusement à la jeune femme un court parchemin à milles plis. S'était sa dernière réponse avant de suivre les instructions du jeune roux et de continuer son chemin comme s'il ne s'était jamais arrêté.
Siya serra le bout de papier à présent sur ses paumes mais n'eut pas le réflexe de le poursuivre pour plus de questionnement. Elle resta là devant les différents échoppes colorés de bijoux. Immobile. Le regard fixé vers l'horizon d'une foule: son dernier indice du passage de ce mystérieux individu au présage lugubre.
Et le jeune marchand dans cette histoire ?
Il abandonna ses efforts de conviction pour accoster un nouveau client, une dame veloutée qui fut ravie de porter ledit collier en perle sans nacre de conche rose venu tout droit de Frost, l'empire voisin...
...
Un mélange de brun, de volutes de vapeur s'éleva de sa tasse en porcelaine blanche telle une danse éphémère.
Un mélange de thé d'aromes offrant une promesse de réconfort. Mais elle laissait place plutôt en réalité à une connivence. La connivence montée par sa mère et sa tante Fiona.
Car aussitôt que la jeune femmes aux ondulations brunes avait passée la porte de la librairie , elle remarqua que sa chère tante n'était pas seule: un jeune homme respectable qu'elle connaissais bien pour ses avances à son égard lui tenait compagnie.
Elle qui était venue préparée pour offrir son mélange d'herbe médicinale se retrouve à présent pris au piège d'un réel prétendant qui la courtisait depuis maintenant des mois.
S'était un jeune couturier du nom de Thomas. Sa silhouette mince et élancée portait l'emprunte de sa passion pour le tissu. Assis, ses deux mains jointes comme s'il priait près d'elle, sur un large canapé d'un séjour tapissé de livres et parchemins. Des livres partout. Comme décor donnant vie aux alentours.
Fiona, la soeur de Douria était assise plus loin, sa tasse de thé porté vers une bouche malicieuse dans un demi-sourire. Car Siya avait bien raison, le mélange de thé d'aromes n'offrait pas de promesse de réconfort mais était de connivence avec un prétendant poli et aimé.
Mais et si son cœur avait déjà fait l'objet d'une conquête ?
Ce qui était sur, c'est que Siya ne désirait qu'une chose, se retrouver seule pour découvrir le parchemin que le mendiant lui avait tendu.
Une découverte qui ne manquera pas de la surprendre...