– « Vous sentez-vous mieux à présent ? »
Anna tapotait le dos de Nana pour la réconforter. Elle aussi avait l'estomac retourné, mais elle était encore capable d'avaler.
Lorsque le blessé avait été amené, il était encore conscient et répétait constamment :
« Aidez-moi, aidez-moi … », avec dans les yeux une telle expression de désespoir et de supplication que ceux qui l'entouraient en eurent le cœur brisé.
Lorsqu'elle vit que ses boyaux pendaient hors de son ventre, Nana ne put se retenir de vomir
Malgré tout, elle insista pour le soigner. Après avoir remis en place les intestins du patient, la jeune sorcière imposa les mains au-dessus de la plaie, ferma les yeux et entreprit de guérir ses blessures.
– « Ah … » soupira Nana, épuisée, lorsque les soins furent achevés. Elle s'appuya contre l'épaule d'Anna et murmura :
– « La corne a retenti pour la première fois aujourd'hui. Pensez-vous que Son Altesse va bien? »
– « Je l'ignore. »
Anna secoua la tête. Elle aurait voulu se rendre au mur pour se faire sa propre idée de la situation. La jeune femme craignait que Roland ne soit en difficulté. Elle enviait même un peu Rossignol, sa capacité à agir sans être remarquée étant très pratique.
Au même instant, un bruit en provenance du mur leur parvint et tous sentirent la terre trembler légèrement.
Brian sauta du lit sur lequel il était assis et fit quelques pas dans la pièce.
– « Jeune homme, vous devez vous détendre », dit Monsieur Pine, qui essuyait tranquillement son épée: « Il n'est pas permis à un Chevalier de perdre son calme avant la bataille, cela ne ferait qu'empirer les choses. De plus, la situation est encore loin d'être mauvaise. »
– « Je suis vraiment désolé, monsieur », répondit Brian, honteux. « J'étais seulement en train de me dire que j'étais là, à perdre mon temps, alors qu'il y avait certainement en ce moment une furieuse bataille sur le mur. Je me sens mal à l'aise. Après tout, il est de mon devoir de défendre la ville. »
– « Peut-être », répondit Monsieur Pine en haussant les épaules, « mais il n'est pas de votre responsabilité de garder la ville. J'ai entendu dire que Son Altesse avait l'intention de vous adouber Chevalier lorsque l'hiver serait terminé, aussi devriez-vous savoir que le premier principe d'un chevalier est l'allégeance. Pour le moment, il a besoin de vous pour protéger Anna. Par conséquent, dans l'immédiat, c'est ici qu'est votre responsabilité. »
– « Vous… présenté comme ça…. »
Brian hésita un court instant, puis finalement se rassit.
Mais bientôt, la corne retentit à nouveau. C'était encore plus rapide que la première fois. Dans leur cœur, elle résonna comme le grondement du tonnerre.
Monsieur Pine fronça les sourcils.
– « Anna! » S'exclama Nana, bouleversée.
Son père se retourna pour voir la sorcière courir droit vers la porte. Brian la rattrapa immédiatement, et se plaça devant elle.
– « Vous vouliez défendre les murs ? Le moment est venu », dit Anna d'une voix calme et autocratique, « Tant que vous me suivrez, vous n'irez pas à l'encontre des ordres de Son Altesse Royale. »
Brian, profondément surpris, leva les yeux vers Monsieur Pine, l'air interrogatif.
« Quelle fille incroyable », se dit le Baron. Ce qu'elle venait de dire était exact. De plus, Son Altesse ne lui avait pas demandé de rester à l'école de médecine.
Il avait entendu dire par Nana qu'Anna pouvait convoquer des flammes. Par conséquent, si la situation s'avérait vraiment tendue, laisser une sorcière rejoindre la bataille serait peut-être un facteur décisif capable de la renverser.
Arrivé à cette conclusion, il hocha la tête :
– « Protégez-la bien! »
– « Comptez sur moi, monsieur! », s'écria Brian qui sentait déjà son sang bouillonner.
En les voyant partir ensemble, Nana demanda :
– « Père, n'allez-vous pas avec eux ? »
– « Ma bataille est ici, à vos côtés, gentille jeune fille », dit le Baron avec un sourire : « Que ce soient les bêtes démoniaques ou le diable lui-même, je ne laisserai personne vous faire du mal! »
La distance qui séparait le centre médical du mur n'était pas grande. Anna et Brian purent donc marcher tranquillement tout au long du chemin de pierre qui conduisait à l'est du mur. Lorsqu'ils furent suffisamment proches pour en distinguer les contours au niveau de la tour de guet centrale, tous deux s'aperçurent que la situation était devenue très problématique.
On distinguait une grande brèche dans le mur. Roland était protégé par ses gardiens personnels, mais plusieurs personnes redescendaient. Une bête démoniaque, qui avait la silhouette d'un ours, montait vers la milice. Personne ne pouvant l'arrêter, elle envoya voler les soldats qui étaient stationnés à l'avant.
Quelqu'un aperçut Anna qui accourait, vêtu de son étrange costume.
– « Hé, c'est dangereux par ici, éloignez-vous immédiatement! », cria l'homme.
Anna fit la sourde oreille et se dirigea vers la brèche.
La bête démoniaque qui avait renversé la milice se retourna et se précipita vers elle. Brian se rapprocha, prêt à la protéger, et se baissa pour donner des coups d'épée. Mais la folle créature, qui n'avait pas l'intention de chercher à esquiver, frappa celle-ci avec ses pattes avant. L'épée fut projetée dans les airs, mais dans son élan, la bête s'était coupé et même brisé les pattes.
Elle roula sur le sol en poussant des cris : l'animal ressemblait à un poisson privé d'eau en train de lutter pour respirer. Personne n'osait s'en approcher de peur d'être frappé. Mais Anna s'avança et posa ses deux mains sur le sol. En quelques secondes, la bête démoniaque s'enflamma pour se transformer en une boule de charbon.
Lorsqu'il aperçut les flammes au milieu des soldats, Roland comprit qu'Anna était venue en personne. Il fut pris de sueurs froides.
« Je n'avais pas prévu que vous vous montreriez de cette façon! »
Au départ, il avait l'intention de laisser Nana poser les bases. Lorsque la majorité des gens auraient accepté la présence d'une sorcière, il comptait annoncer publiquement la présence d'Anna.
A présent, tout ce qu'il avait planifié s'écroulait, aussi se retourna-t-il immédiatement et dit:
– « Ne vous inquiétez pas pour moi, allez la protéger! »
Il ne fallait pas perdre Anna. C'était un élément important pour le développement industriel de sa ville. Si elle était blessée, ce serait une perte incommensurable.
– « Je sais », dit Rossignol, « mais faites attention à votre propre sécurité. »
Anna se dirigea vers le mur fracturé. Lorsque les gardes de Roland virent s'avancer cette jeune fille vêtue étrangement, ils s'écartèrent immédiatement pour la laisser passer. Elle se tint au milieu des soldats, les bras écartés pour les protéger. De ses mains jaillirent des gerbes de flammes qui grimpèrent le long des murs de la section détruite.
Chacun resta bouche bée devant cette scène. Ils n'osèrent croire leurs yeux lorsqu'ils virent un mur de flammes s'élever et combler lentement la brèche.
Ce n'était pas une illusion. Tous les gardes avaient dû s'éloigner en raison de la température élevée. La neige environnante fondit rapidement, formant des nuages de brume blanche qui s'élevèrent dans l'air.
Les bêtes démoniaques aussi craignaient les flammes.
Elles s'écartèrent sur les côtés. Seules, une ou deux tentèrent de traverser le mur de feu, mais une bête démoniaque n'avait pas ce pouvoir.
– « Remontez tous sur le mur! », cria Roland, saisissant l'opportunité qui se présentait. «Replacez-vous en formation! Équipe des chasseurs, feu à volonté! »
S'emparant lui-même du fusil de Carter, il l'appuya sur le mur et se mit à abattre les bêtes démoniaques.
Voir le prince lancer lui-même l'attaque motiva toutes les personnes présentes. A cette époque, il était rare de voir un membre de la noblesse ou de la famille royale tenir le rôle principal et se battre aux côtés de la milice, aussi cela eut-il pour effet d'améliorer grandement le moral.
Les soldats entonnèrent le slogan « Gardons Border Town! Combattons pour le Prince!» tandis qu'ils formaient la ligne de défense tout en maintenant leur formation.
Les combats se poursuivirent jusqu'à la tombée de la nuit, jusqu'à ce que toutes les bêtes démoniaques qui se trouvaient devant le mur aient été tuées.
Lentement, le mur de flammes se dissipa et Anna, épuisée, essuya la sueur de son front.
C'est alors que Roland assista à une scène incroyable.
Les gardes personnels de Roland, le poing sur le cœur, s'inclinèrent en direction d'Anna. La milice, comme contaminée par ceux-ci, salua elle aussi. C'était incroyable, personne ne criait ni ne la maudissait, tous se contentaient de la regarder en silence.
La guerre terminée, tout Border Town retrouva son calme.
Assister pour la première fois à une telle démonstration de pouvoir était certes terrifiant, mais celui-ci avait servi en leur faveur. Le voir ainsi utilisé contre leurs pires ennemis dissipa peu à peu leur peur, qui fit place à un sentiment de confiance et de reconnaissance.
Le cœur de Roland devint fou tandis qu'il marchait en direction d'Anna, mais en arrivant à sa hauteur, il la trouva très pâle. Elle titubait, sur le point de s'écrouler.
– « Vous allez bien ? » Demanda-t-il, inquiet, en la prenant par les épaules.
Voyant le prince sain et sauf, Anna lui adressa un sourire forcé avant de s'effondrer dans ses bras.