Roland se frotta les yeux, incrédule : mais enfin qu'est-ce que c'était ?
Cette chose pouvait-elle encore se situer dans le champ de variabilité biologique d'une bête démoniaque ? Ce qu'il voyait était difficile à décrire avec des mots, même les monstres dans les films d'horreur n'étaient pas aussi absurdes.
Vu de loin, cela ressemblait à une tortue géante à deux têtes, mais lorsqu'on s'en rapprochait, on s'apercevait qu'il s'agissait en fait de deux têtes de loup.
S'agissait-il d'un spécimen expérimental du Dr Frankenstein ? se demandait le prince.
Cette créature était presque aussi haute que les murs de la ville. Son corps mesurait 7 mètres de long, et elle avait six courtes pattes, comme celles d'un rhinocéros. Cependant, chacun de ses pieds était au moins aussi grand que le torse d'un adulte.
Et les têtes … Contrairement à celles des monstres à deux têtes que l'on pouvait voir dans certains films, celles-ci ne poussaient pas de cris, ne se mordaient pas ni ne tentaient de se dominer mutuellement. Au lieu de cela, elles pendaient simplement, les yeux fixes et vitreux. On aurait dit un zombie qui avançait stupidement.
Mais la particularité la plus frappante de cette bête démoniaque était la carapace qui recouvrait son dos. D'un brun sombre et couverte d'algues, elle était particulièrement dure. C'était une sorte de carapace de tortue, qui lui couvrait tout le corps.
Si, comme cet animal, ce monstre pouvait aussi se rétracter à l'intérieur de celle-ci, il allait être difficile de s'en débarrasser.
Cependant, Roland ne s'inquiétait pas. Une bête démoniaque aussi grosse ne pouvait qu'être lente et ferait une cible facile. Si les armes à feu ne pouvaient pas traverser sa coquille, il serait toujours possible de tirer sur les têtes qui dépassaient. Et si jamais elle avait l'intention de se cacher sous sa carapace, il faudrait la retourner avec des explosifs.
Nerveux, Hache-de-Fer se pencha vers le prince :
– « Votre Altesse, c'est une espèce hybride », dit-il avant de préciser : « A présent, je comprends pourquoi ces bêtes de différentes espèces collaboraient. Apparemment, elles étaient sous le contrôle de la bête démoniaque hybride. »
Un peu comme un lion qui commanderait des moutons ?
Roland hocha la tête.
– « Si je comprends bien, c'est une bête complètement différente de celle que vous avez rencontrée la dernière fois ? »
– « C'est aussi la première fois que je vois ce type d'hybride. Même si elle a l'air bizarre, nous devons rester prudents. A partir du moment où il s'agit d'une espèce mixte, il restera difficile de l'affronter. »
– « Elle sera bientôt à portée de nos archers, donc essayez d'abord de la tuer avec les arcs et les arbalètes », ordonna Roland.
Il neigeait encore un peu et un vent fort soufflait du Nord. Le temps n'était pas propice au tir à l'arc. Cependant, deux des chasseurs de l'équipe personnelle de Hache-de-Fer restaient convaincus de pouvoir tuer la bête.
Ils escaladèrent la tour de guet pour évaluer le vent et décrochèrent leurs flèches en l'air.
Comme s'il leur était poussé des yeux, celles-ci montèrent le plus haut qu'elles purent, avant de retomber, sous l'influence du vent et de la gravité, à un angle presque vertical sur leur cible.
Comme on pouvait s'y attendre, les flèches rebondirent sur la carapace. Dans l'esprit de Roland, c'était comme un ricochet.
En voyant cela, les chasseurs prirent immédiatement une autre flèche et réitérèrent l'opération.
Finalement, ce tir aboutit. Cette fois, la zone d'impact se situait à l'avant du monstre, de sorte qu'une flèche se ficha précisément dans la tête d'un loup tandis que l'autre flèche toucha le cou de l'autre tête.
Mais au lieu de rugir de colère ou d'accélérer sa charge, la bête démoniaque ne s'arrêta qu'un court instant, enfonça sa tête dans sa coquille et reprit sa lente progression.
Ce changement laissa tout le monde stupéfait.
La bête ressemblait maintenant à un tank, son corps touchait presque le sol, de sorte que même le meilleur tireur ne pourrait l'atteindre.
– « Prenez vos fusils », ordonna Roland.
La cible n'était plus qu'à 17 mètres du mur. Même si ce n'étaient pas des fusils à canon rayé, ils avaient peu de chance de la manquer.
Postés derrière le mur, le canon de leurs fusils reposant sur la bordure, Carter et Hache-de-Fer visèrent et tirèrent.
Tandis qu'un jet de fumée blanche sortait des fusils, Roland vit nettement les balles frapper la carapace. Quelques morceaux volèrent en éclat, laissant voir un petit trou. Cependant, l'espèce hybride, qui ne semblait pas en être affectée, maintint sa vitesse initiale.
Roland se dit que visiblement, cette sorte d'armure relevait d'une catégorie à forte intensité de carbone biologique. Malheureusement, les balles de plomb n'étaient pas assez dures, aussi se déformaient-elles facilement et ne pouvaient pas pénétrer une armure épaisse. Par conséquent, espérer pouvoir briser l'armure d'une espèce hybride avec seulement quatre fusils était totalement irréaliste. La seule option restante était d'utiliser des explosifs.
Hache-de-Fer approuva le jugement du prince, et ordonna immédiatement à son adjoint d'en apporter au plus vite, car la bête démoniaque avait déjà atteint le mur. La terre cessa de trembler. Contre toute attente, la créature entreprit de frapper sa carapace contre le mur, encore et encore, un peu comme un marteau rotatif à haute fréquence. Des éclats de pierre furent projetés dans toutes les directions et le ciment commença rapidement à se fissurer.
Les murs étaient très résistants à la pression, mais peu solides face à la traction et au cisaillement. Ce qui signifiait que leur capacité à résister aux vibrations était presque nulle. Ceux qui se tenaient debout sur le mur ressentirent de fortes trépidations suivies du son aigu d'une friction. La construction commençait à céder sous l'attaque de la créature l'hybride.
Celle-ci continua si bien que la moitié de son corps finit par s'encastrer dans le mur.
La milice avait déjà fui le secteur fissuré lorsque Rossignol, invisible, attrapa Roland par la taille et sauta. Si quelqu'un regardait le prince à ce moment précis, il l'aurait vu flotter tel un fantôme.
Lorsque Van'er arriva avec un paquet d'explosifs, il fut surpris de constater qu'il y avait un trou de 3 mètres dans le mur, tandis que la bête, qui avait réussi à passer, poursuivait sa lente progression.
– « Dépêchez-vous! » Cria Hache-de-Fer, «allumez-le et placez-le au pied de la bête démoniaque! »
La main de Van'er tremblait, mais son esprit était clair et chaque détail de sa formation sur les explosifs lui revint.
C'était une version différente de ceux utilisés à l'entraînement. Pour réduire les coûts, l'explosif était à présent placé dans une boîte en bois remplie de débris miniers. Simultanément, le dispositif d'allumage avait lui aussi été optimisé, composé de silex et d'une sorte de fil de cuivre. Dans le cas où cela ne fonctionnerait pas, le kit contenait également des fils d'allumage normaux.
Il se dépêcha d'arracher la toile cirée et ouvrit le sac, où il vit une mèche de cuivre. Van'er tira de toutes ses forces sur le fil et entendit un sifflement sortir de la boîte tandis qu'une fumée blanche s'élevait. L'allumage avait réussi.
Pour retarder le moment de l'explosion, le fil conducteur était trempé dans du sel. Il fallait compter à peu près l'équivalent de 10 respirations avant que le dispositif n'explose. Quand Van'er vit la fumée blanche s'élever de la boîte, le silence se fit autour de lui. Ayant déjà été témoin de la puissance de cette chose, il savait que si celle-ci venait à lui exploser dans les mains, on ne retrouverait plus grand-chose de lui.
Neuf respirations.
Van'er entendait les battements de son cœur, comme si ceux-ci marquaient le compte à rebours. Pas à pas, il se dirigea vers la bête démoniaque, afin de placer le paquet d'explosifs sous sa carapace.
Cinq respirations.
Il était à présent trop tard pour arrêter l'explosion.
Trois respirations.
Van'er se détourna et se mit à courir
Deux respirations.
Une…
Il n'entendit qu'un bruit étouffé. Van'er sentit l'onde de choc et le monde redevint bruyant.
Il se retourna et vit jaillir une vague blanche sous la carapace : c'était de la neige, projetée dans l'air par les explosifs. Au premier coup d'œil, cela ressemblait à une fleur brumeuse et diffuse.
La bête démoniaque stoppa finalement, mais avant de mourir, elle s'affala lourdement sur le sol, comme si elle ne pouvait plus porter le poids de sa carapace. Du sang noir en sortit, imprégnant le sol autour d'elle.
– « Wow wow wow! »
Devant ce spectacle, l'assistance éclata de joie.
Van'er se laissa tomber sur le sol, que ses vêtements étaient trempés de sueur.
Enfin c'était terminé.
C'était ce que tous pensaient, lorsque le son de la corne retentit à Border Town.
Une fois de plus, une horde de bêtes démoniaques marchait vers la ville, pour essayer de la détruire.