Quoi ? Se venger d'elle ? Parce que Ryuji aurait déménagé à cause d'elle ?
Qu'est-ce que c'était encore que ces histoires ?
Ryuji l'avait bien prévenu que Kaeri pouvait inventer tout et n'importe quoi, mais là, c'était vraiment grotesque. Il avait déjà dit à ses amis qu'il déménagerait sûrement à cause du travail de ses parents, alors pourquoi est-ce que cette rumeur subsistait ? Les garçons qui étaient au courant n'auraient-ils pas dû faire en sorte de rétablir la vérité ?
Cherchant du regard la salle de classe, Jun vit que les quelques garçons qui étaient les plus proches de Ryuji se tenaient à l'écart, dans leur propre groupe fermé. Peut-être n'avaient-ils pas envie de se fatiguer pour une cause perdue, ou peut-être s'en fichaient-ils. Il était aussi probable que la moindre incartade provoque à nouveau une bagarre sérieuse entre les deux groupes, et que pour éviter les ennuis, ils préféraient ne pas intervenir du tout.
En tout cas, c'était vraiment n'importe quoi. Il ne se serait pas douté que les garçons et les filles entourant Kaeri soient bêtes au point d'en croire de telles âneries. Pourtant, il aurait dû avoir des soupçons, sachant que la fille au cœur de toute cette affaire agissait avec un aplomb inimaginable, et une assurance à faire pâlir n'importe qui de jalousie. Pour elle, c'était tout à fait normal que tout le monde croit sa version des faits et prenne son côté.
Jun, en revanche, s'en fichait pas mal.
« Non, Ryuji n'a pas déménagé à cause d'elle, » contredit-il le garçon. « Ses parents ont été mutés dans une autre ville, et il n'a pas eu d'autre choix que les suivre. »
« C'est sûrement ce qu'il a voulu dire pour préserver les apparences, » répliqua Kaeri, sûre d'elle. « C'est dur d'avouer qu'on doive partir à cause d'une fille. »
« S'il avait dû partir à cause d'une fille, ce serait sûrement à cause de toi, » répondit sèchement Jun.
« Pardon ? » S'exclama Kaeri, offusqué.
« Tu lui pourrissait la vie, donc s'il avait dû déménager à cause d'une fille, ce serait plutôt à cause de toi. » Continua Jun. « Mais c'est que mon avis, donc impossible à vérifier, comme ta version des faits. »
Kaeri serra instinctivement les poings, enfonçant ses ongles dans les paumes de ses mains.
« Qu'est-ce que tu insinues par là ? » Dit-elle avec une voix menaçante.
« Rien du tout. Je fais qu'exprimer mon avis, comme toi. C'est pas interdit, non ? » Dit-il avec assurance.
Puis, sans même lui donner le temps de répondre, il s'éloigna pour rejoindre le groupe d'amis de Ryuji ; sous les regards hostiles de Kaeri et de son groupe.
« Ça va Kaeri ? » Demanda l'une des filles.
« Il se prends pour qui ce type ? » Pesta l'un des garçons du groupe. « Kaeri, tu veux que je lui fasse sa fête ? »
La meneuse du groupe feignit d'être émotionnellement blessée, même si, intérieurement, elle fulminait avec hargne. Une leçon ne lui ferait pas de mal, en effet.
Pendant ce temps, Jun avait déjà rejoint les garçons du groupe, qui semblaient à la fois surpris et content de le voir.
« Jun ! Si je m'attendais à voir le petit nouveau ici ! » S'exclama un des plus grands garçons du groupe, du nom de Hayato.
« Je ne suis plus le petit nouveau depuis un moment déjà... » Dit calmement Jun. « Mais vous pouvez m'expliquer ce qui se passe exactement avec le groupe de Kaeri ? Pourquoi vous laissez des rumeurs sur Ryuji se propager ? »
Face à cette question, certains membres du groupe détournèrent le regard, honteux. D'autres se contentèrent de fixer Jun sans dire un mot.
« On se dit que peut-être, Jun a vraiment pété un câble... » Se risqua à dire l'un d'entre eux. « Qui serait assez dingue pour aller approcher la recluse... »
« Personnellement, je crois pas à ces rumeurs du tout, » dit un autre garçon. « Ryuji détestait Kaeri, mais la contredire elle et son petit groupe, surtout après la bagarre qu'il y a eu avant les vacances, c'est risqué. Surtout qu'elle a encore raconté des conneries pendant les vacances d'été, et que plus de monde semble être de son côté. »
« Et vous avez laissé faire ? » Les réprimanda Jun. « Vous avez peut ou quoi ? »
Honteusement, les garçons hochèrent de la tête.
« Le problème est pas tant de contrer Kaeri et ses rumeurs, » dit Hayato. « Le problème est que même si on tentait quoi que ce soit, les rumeurs sont déjà répandues dans tout le lycée, et personne ne nous croira. »
« Moi, je vous crois, » dit Jun. « Je crois aussi Ryuji et ce qu'il m'a dit. Pas vous ? »
« Honnêtement ? Ça vaut pas le coup. » Trancha l'un des garçons. « Ryuji est déjà loin, donc ça le concerne plus... »
Donc, parce que Ryuji n'était plus là, ce n'était plus la peine de rétablir la vérité ? Ça, Jun ne pouvait pas l'accepter. Son seul ami proche était calomnié et utilisé à des fins égoïstes juste parce qu'il n'était plus là pour se défendre. De plus, ses « amis » de longue date semblaient repoussés dans un coin nommé « inaction », à cause de diverses raisons.
Vraiment, Jun n'avait plus envie de se trouver là. Seulement, il avait tout de même quelque chose à faire avant de partir. Il devait au moins tenir la promesse qu'il avait faite à Ryuji, et parler au moins une fois à Takeuchi Hana. Depuis le milieu de la classe où il se trouvait avec les anciens amis de Ryuji, il l'observait en silence, et quelque chose le frappa mentalement.
Non seulement elle mangeait seule, mais il semblait aussi que personne ne lui prêtait attention. C'était comme si elle était invisible, bien que quelques regards indiscrets ne s'attardent parfois sur elle. Elle semblait aussi avoir une expression terne, qui n'exprimait rien de particulier ; et il sembla à Jun que elle aussi, elle venait contre son gré en cours.
Peut-être que comme lui, elle ne voulait pas vraiment être là, ou qu'elle se forçait à venir.
Il était aussi possible que le jeune garçon y voit trop de choses, alors que si ça se trouvait, elle était juste ennuyée d'être là mais sans plus.
Toutefois, ça n'empêchait pas Jun de faire un parallèle avec ses propres expériences passées. Lui aussi, il s'était parfois retrouvé isolé, parce qu'il ne se comprenait pas lui-même, et n'osait pas approcher les autres. Et quand on ne parlait à personne, on finissait tout bonnement par être isolé.
Ah, Ce n'était pas son problème, de toute façon. Ça le contrariait même de voir en elle le garçon qu'il avait été il y a plusieurs mois de cela, en déménageant dans cette ville, et avant que Ryuji ne lui adresse la parole.
Est-ce que c'était pour ça que son ami avait tant insisté ? Parce qu'il avait vu dans cette fille la même chose qu'il avait vue en Jun ?
« Quoi ? Me dis pas que toi aussi, tu te laisses avoir par son air innocent ? » Lui fit remarquer un des amis de Ryuji.
« Ça va pas de dire ça ? » Le réprimanda Hayato. « Jusqu'à présent, elle a toujours été tranquille comme fille... »
« Dans ce cas, pourquoi tu vas pas la soutenir ? » Dit avec moquerie le garçon. « Je suis sûr que vous vous entendriez très bien, vu comment tu idolâtre Ryuji ! »
« Répète un peu ? » Gronda Hayato en se levant du bureau où il était assis.
Très grand, le garçon dépassait d'au moins une tête tous ses camarades de classe, qui le surnommaient parfois « Hayato le colosse ». Avec une silhouette aussi reconnaissable de loin, bon nombre de clubs sportifs avaient tenté de le recruter, sans succès. Hayato n'était pas fait pour les clubs scolaires, selon lui-même. Il risquait même de mettre la pagaille, ou de blesser quelqu'un, encore selon ses propres mots ; qui passaient plus pour une sorte de fanfaronnade qu'un vrai aveu de sa part. Les gens ne l'avaient jamais vu se battre, donc ce n'était pas comme s'ils pouvaient juger ses aptitudes physiques avec certitude. Alors quand il se levait et prenait offense, sa taille imposante seule suffisait à faire peur aux autres. Nul besoin d'imaginer ce que le jeune garçon faisait avec ses mains ou ses jambes : une bonne claque de la part du colosse était sûre de vous envoyer valser.
Comme prévu, le garçon qui avait osé ouvrir la bouche n'osait plus dire un mot, Hayato le toisant d ses yeux gris.
Il semblait que même au sein du groupe d'amis de Ryuji, personne n'était du même avis face à cette situation.
« Ryuji ne vous as pas dit qu'il appréciait cette fille ? » Demanda avec doute Jun.
« Il a juste dit prendre des cours de soutien au départ, alors on s'est pas inquiétés, même si c'était bizarre qu'il demande ça à la recluse... » Avoua un des garçons. « Personne lui parle jamais, donc bon… Puis vu la réputation de menteuse qu'elle se traîne... »
Jun soupira, ces types n'étaient vraiment pas clairs. S'ils se mettent à ne pas apprécier quelqu'un pour aucune raison valable, ça ne vaut pas mieux que le groupe de Kaeri.
« Et il ne vous as pas dit qu'il lui avait fait une confession ? » Demanda Jun.
Cette nouvelle sembla surprendre certains garçons, mais pas Hayato.
« Moi oui, je le savais. », dit-il tranquillement.
« Quoi ? Tu le savais ? Et tu nous as rien dit ? » S'exclama un des garçons du groupe.
Son haussement de ton attira un peu l'attention des autres élèves présents, mais ce fut passager et vite oublié.
« J'allais pas le dire à des types idiots comme vous qui croient tout et n'importe quoi, » dit-il avec un rictus. « Mais oui, Ryuji était sincère, alors allez pas détester cette fille pour rien. »
Il y eut un court silence de réflexion, sûrement parce que la nouvelle avait besoin d'être assimilée, et Hayato reprit la parole.
« Et toi, tu comptes faire quoi maintenant, Jun ? » Demanda-t-il en regardant le garçon.
« Je sais pas trop, pourquoi ? »
« Ryuji m'a dit qu'il avait peur que tu te retrouves à nouveau seul. Ça va aller ? » S'enquit Hayato.
Le garçon haussa les épaules. Il était habitué à être seul, là n'était pas la question. Le soucis était de savoir s'il voulait vraiment perdre son temps à se refaire des amis, ou à rester comme cela jusqu'à la fin du lycée.