Comme au ralenti, Hana avait parlé calmement ; et son attitude comme le contenu de ses paroles avaient suffi à mettre Chiho en colère.
« Si tu crois que je vais encore me laisser faire comme à l'époque, tu te trompes, » dit-elle. « Alors si tu ne veux pas que je dise à tout le monde que tu n'étais qu'une harceleuse au lycée, tiens-toi tranquille. »
'Quelle espèce de sale garce !' Vociféra intérieurement Chiho.
Sans pouvoir s'arrêter, Chiho leva sa main, et l'abattit sur Hana pour la gifler de toutes ses forces.
Cependant, avant même que sa main ne puisse atteindre la jeune femme en face d'elle, Hana saisit le poignet de Chiho de la main gauche, et de la droite, asséna une gifle au visage de Chiho.
Cette dernière, sous le choc, resta momentanément boue bée, incapable de dire un mot ou de faire le moindre geste.
Elle n'arrivait pas à croire ce qui venait de se passer ; même avec la chaleur qui s'emparait de sa joue gauche. C'était comme si quelque chose de tout simplement impossible s'était produit. Non seulement Hana lui avait tenu tête et ne s'était pas laissée gifler, mais en plus, c'était elle qui avait porté la main au visage de Chiho.
Puis, une fois passée la stupeur des premiers instants, Chiho s'était débattue pour libérer son poignet de la main d'Hana. Cette dernière l'avait finalement relâchée, avant de s'avancer encore plus vers l'autre femme pour la faire reculer.
Décontenancée face à cette attitude soudainement agressive, Chiho avait fait un, puis deux pas en arrière, avant que son dos ne heurte le mur de la cage d'escaliers.
Elle était prise au piège, entre le béton et la jeune femme devant elle, et pour la première fois, se mit à paniquer.
Hana, elle, resta calme, et avec un air sévère, posa une main contre le mur, juste au-dessus de l'épaule de Chiho.
« Je ne suis plus une victime comme à l'époque, et je n'ai plus l'intention de subir en silence quand quelqu'un s'en prends à moi, » énonça-t-elle avec un air déterminé.
Les deux femmes se regardèrent les yeux dans les yeux, sans qu'aucune ne détourne le regard ; Hana par insistance, et Chiho par crainte.
Jusqu'à présent, elle ne s'était jamais retrouvé de ce côté : celui des faibles, celui de ceux qui ne pouvaient rien faire d'autre que subir. Et Chiho détestait ça autant qu'elle détestait cette femme en face d'elle qui lui barrait le passage.
Non seulement, Hana l'empêchait de bouger physiquement, en la tenant contre le mur, mais elle l'empêchait aussi d'avancer mentalement, en se mettant en travers de son chemin vers la réussite et en menaçant son avenir immédiat.
Elle ne comprenait pas où cette fille craintive et chétive était passée, pour laisser place à quelqu'un qui pouvait lui tenir tête sans aucune hésitation.
L'espace d'un instant, Chiho avait presque regretté s'en être prise à Hana et avoir glissé de la cannelle dans son thé. Presque. Car il en fallait plus pour l'effrayer ; et elle serra les dents.
Hana remarqua son regard devenu défiant et hautain, mais n'en tint pas compte. L'attitude de Chiho n'était pas ce qui importait plus sur le moment. Ce qui était essentiel, c'était de montrer à son ancienne camarade de classe qu'elle avait le dessus sur elle, et qu'elle n'était plus une personne passive.
Reculant d'un pas, Hana continua de regarder Chiho, bien que son regard bougea et se déplaça des mains de la jeune femme à ses épaules pour observer les tics nerveux de la personne en face d'elle. Elle sentait que Chiho avait été déstabilisée par son approche directe, et comprenant que son ancienne camarade de classe ne l'interromprait pas, elle reprit la parole :
« Je n'en ai strictement rien à faire de toi, et de préférence, je préférerais que nous restions toutes les deux des étrangères l'une pour l'autre, » déclara Hana. « Alors laisses-moi tranquille, et j'en ferai de même. »
Face au silence de Chiho, Hana décida que la situation était réglée, et laissant l'autre jeune femme seule dans la cage d'escaliers, elle rejoint le Département Catastrophes Naturelles où ses autres collègues étaient entre-temps arrivés.
À peine avait-elle franchi et refermé la porte de la cage d'escaliers qu'elle poussa un soupir et crut que ses jambes allaient la lâcher.
'C'était… Vraiment tendu comme situation !' Pensa-t-elle avec soulagement.
Elle tremblait encore de cette altercation, et doutait même que cela se soit réellement produit. Après tout, c'était la première fois qu'elle se défendait réellement, et qu'elle tentait de se montrer forte.
Son cœur battait encore très fort dans sa poitrine, et elle avait encore du mal à réaliser qu'elle avait même menacé Chiho.
C'était étrange, comme sensation. Tout nouveau, et si excitant ; mais aussi terrifiant. Tout du long, elle s'était forcée à soutenir le regard de l'autre jeune femme, et à parler avec clarté sans bégayer ou faire des pauses d'hésitation. Son cœur aurait pu exploser dans sa poitrine qu'elle ne l'aurait pas remarqué.
Toutefois, ce qui était le plus étrange était l'étrange sentiment de satisfaction et de confiance en soi qui avait suivi. Soudain, Hana se sentait capable de déplacer des montagnes ; et se demanda si c'était dû à l'adrénaline parcourant son corps.
Probable que oui, et cette sensation de capacités repoussées allait bien l'aider pour un lundi matin.
Elle jeta un œil à son bureau, au loin, où plusieurs gros classeurs étaient toujours empilés, et dépitée, se dirigea vers son siège où ses trois collègues les plus proches étaient en train de s'installer.
Mari lui fit signe de la main, et Hana s'approcha du trio avec le sourire.
« Ça va mieux Hana ? » Lui demanda sa collègue.
« T'es arrivée tôt, dis donc ! » S'exclama Yuuto.
Ren se contenta de la saluer d'un hochement de tête, déjà assis derrière son bureau. Il devait très certainement être en train de consulter ses emails, et Hana profita de cette occasion pour répondre calmement à Mari et Yuuto.
« Hum, je vais mieux, » dit-elle en secouant la tête. « Et j'avais aussi des choses à régler avant de commencer la journée ».
« Laisse-moi deviner : encore du travail confié par le Chef Kobayashi ? » se moqua Yuuto.
Hana se contenta de sourire avec gêne, avant de lui répondre que ce n'était pas le cas ; ce qui laissa l'homme être un peu plus curieux vis-à-vis de la situation. Il voulait très certainement lui poser d'autres questions, quand Mari décida de prendre les devants pour lui couper la parole.
« Le plus important c'est que tu ailles mieux ! Le reste, on s'en fiche ! » S'exclama Mari en lui tapotant doucement l'épaule.
De sa main, elle accompagna les mouvements d'Hana pour la faire s'asseoir sur son siège, et la regarda avec insistance.
« Mais dis-moi, tu m'as l'air de très bonne humeur ce matin ! » Observa Mari. « Prendre quelques jours t'as vraiment réussi ! »
Les propos de la femme plus âgée embarrassèrent un peu Hana, qui décida de chasser de son esprit l'altercation qu'elle venait d'avoir avec Chiho. Elle avait choisi de faire abstraction de tout cela, et de ne plus s'en occuper ; même si elle en sentait encore le stress intense qu'elle avait subi. Elle ne voulait pas non plus avouer que son état de bien-être avait pour origine une dispute.
« Tu es sûre que tout va mieux, Hana ? » Chuchota Mari à son oreille.
Entre-temps, Mari s'était penchée vers la jeune femme pour lui parler avec discrétion. Elle semblait vouloir que la discussion ne soit audible que pour elles deux ; ce qui rendit Hana reconnaissante.
« Hum, oui, » répondit-elle à voix basse en souriant timidement. « J'avais un problème jusqu'à présent, mais je m'en suis occupée... »
« C'est parfait alors, mais si jamais tu as besoin d'aide, ou de conseils, n'hésite pas à nous le demander, hein. » Lui proposa Mari.
Hana hocha de la tête et remercia l'autre femme, qui après lui avoir affectueusement tapoté l'épaule, s'en alla s'asseoir à son propre siège pour allumer son poste informatique.
Pendant ce temps, Chiho se trouvait toujours dans la cage d'escaliers, à ruminer en silence. Elle n'avait pas bougé de position depuis le départ d'Hana, se trouvant toujours dos au mur, physiquement comme mentalement.
Ses pires craintes s'étaient réalisées. Son ancienne camarade de classe cherchait à faire pression sur elle et à ruiner sa carrière en la menaçant de révéler le harcèlement auquel Chiho avait participé.
Les journaux étaient sans arrêt remplis d'articles de ce genre : « un employé licencié pour avoir été un harceleur au lycée », « un employé renvoyé pour harcèlement moral aggravé », « il frappait ses camarades de classe au collège : plus aucune entreprise ne veut l'embaucher » ; « l'ancien harceleur se fait maintenant harceler en ligne par les netizens »…
Dans tous les cas, et peu importe la tournure que prenaient les choses, cela risquait de très mal se terminer pour Chiho si Hana l'ouvrait et déballait tout ce qu'elle savait sur elle.
Avec nervosité, ele porta ses doigts à sa bouche pour se mordiller les ongles et tenter de se calmer.
Elle repensa alors aux paroles de mademoiselle Yamada Kiyo : Est-ce que tout va bien pour vous ?
Non. Rien n'allait. Cette fille risquait de démolir tout ce que Chiho avait construit ces dernières années ; juste parce qu'elle ne pouvait pas oublier une blague douteuse faite à l'époque.
Pour Chiho, c'était juste ça. Une blague et rien de plus, pour s'amuser. Pas de quoi en faire un drame. Cette idiote était beaucoup trop sensible et exagérait sa réaction.
Les gens pouvaient bien plaisanter au lycée, non ?
Qui plus est, elle n'avait jamais rien dit quand Chiho la bousculait ou que des affaires venaient à manquer dans son casier. Alors c'était quoi cette fierté mal placée ?
Non seulement elle s'était moquée d'elle, mais en plus, elle tentait de la menacer et de lui faire la leçon ?
Elle ne savait vraiment pas où se trouvait sa place, alors Chiho la lui rappellerait.
Chiho serra les dents, une grimace barrant horizontalement son visage ; et elle fronça les sourcils.
Cette garce allait lui payer cette humiliation et ces menaces. Si c'était une question de qui serait viré en premier de Marline, alors Chiho ne perdrait pas. Elle avait bien l'intention de tout faire pour que Hana ne puisse plus se présenter dans l'entreprise, avant que cette dernière n'ouvre la bouche pour balancer tout ce qu'elle savait.