Hana était en train de rédiger un email pour Mme Jintani quand son téléphone posé sur la table se mit à sonner. Elle prit donc son smartphone en main pour voir qui l'appelait, et fut surprise de lire le nom de Mari sur l'écran.
Elle n'était pas censée travailler aujourd'hui, alors pourquoi la femme plus âgée l'appelait-elle aujourd'hui ?
Intriguée, elle décrocha le téléphone, et entendit immédiatement la voix de la femme élégante.
« Hana ! Est-ce que ça va ? » Demanda-t-elle avec entrain.
« Mari ? Euh… Ça va bien, oui, mais pourquoi tu m'appelles ? »
« Je voulais savoir si tu allais mieux, et si tu avais besoin de quelque chose, » dit Mari. « Tu peux me donner ton adresse ? »
« Euh… Oui, je peux t'envoyer ça par message... » Répondit Hana, un peu décontenancée par cette attitude très directe.
« Très bien ! Je passe d'ici une petite heure ! » S'imposa Mari.
« Quoi ? »
« Je viens te rendre visite, alors donne-moi bien ton adresse et le numéro d'appartement, d'accord ? »
« Euh… D'accord… ? »
Bien que la femme plus âgée avait imposé sa présence, cela ne dérangea pas Hana, et elle envoya son adresse par messagerie instantanée à sa collègue.
Effectivement une heure après, on sonnait à l'entrée de la résidence, et Hana lui permit d'entrer avant d'aller lui ouvrir la porte d'entrée de son appartement.
Elle fut cependant surprise de voir que Mari n'était pas seule : une collégienne en uniforme noir et vert foncé l'accompagnait, et l'espace d'un instant, Hana fut prise de confusion.
« Hé ! J'espère que ça ne te dérange pas, mais j'ai amené ma fille avec moi ! » Dit Mari en poussant dans les bras d'Hana un gros sac plastique blanc.
Hana écarquilla rapidement les yeux avant de froncer les sourcils. Cela la surprenait de voir que Mari avait une fille, qui plus est aussi grande ; en plus d'être confrontée à une personne en plus à recevoir.
Cependant, elle n'était pas insensible au point de refuser l'entrée à ses invités – surtout s'ils avaient pris la peine de lui amener quelque chose - et leur fit signe de s'avancer. Mari et sa fille prirent donc le temps de retirer leurs chaussures pour les laisser dans l'entrée, puis s'installèrent avec la propriétaire des lieux autour de la petite table au centre de l'appartement.
Hana posa le sac sur la table, et Mari s'affaira immédiatement à l'ouvrir pour en sortir son contenu.
« Je n'étais pas sûre de ce que tu aimais, alors j'ai pris un peu de tout, » dit-elle en sortant des desserts et des paquets de biscuits. « J'ai demandé au Chef Kobayashi pour savoir à quoi tu étais allergique exactement, vu que les médecins lui en avaient parlé. Donc tu n'as pas à t'en faire pour ça ! »
Hana sourit un petit peu et regarda avec fascination tout ce qui était en train de recouvrir la table : des yaourts à boire, des jeux de fruit, des pains au melon, à la patate douce ou au curry, de la gelée au café, du pudding, mais aussi des boîtes de pocky.
C'était même un peu trop, mais la jeune femme n'oserait jamais dire à Mari qu'elle avait un peu dépassé les limites avec tout ça.
« Prends ce que tu veux, c'est tout pour toi, » continua Mari.
« Merci, mais servez-vous aussi, » répondit Hana. « Jamais je ne pourrais manger tout ça... »
Mari acquiesça, et fit signe à sa fille qu'elle pouvait prendre ce qu'elle voulait dans le tas de friandises et de desserts.
La jeune fille était assez grande pour son âge - elle devait avoir entre 14 et 17 ans - et malgré son uniforme de collégienne, elle avait un air très mature. Ce n'était pas tant son apparence physique qui donnait cette impression à Hana, mais plutôt son comportement soigné et tranquille.
Cependant, ce qui déstabilisait un peu Hana, était qu'elle ne s'attendait pas du tout à découvrir que Mari avait une fille. Jusqu'à présent, elle avait pensé que la femme plus âgée était célibataire. Vu la façon dont elle s'habillait et se comportait, n'importe qui aurait sûrement pensé la même chose ; et son expression confuse dût survoler trop longtemps son visage, car Mari se mit à lui sourire.
« Tu es surprise, pas vrai ? »
« Quoi ? » Laissa échapper Hana, surprise par la prise de parole de l'autre femme.
« Que j'ai une fille, » précisa Mari.
« Ah… Un peu, oui... » Avoua Hana. « Je ne pensais pas que tu étais mariée... »
Mari se mit soudainement à éclater de rire, et la collégienne se contenta de plisser les yeux.
« Moi ? Mariée ?! » Rigola-t-elle de bon cœur.
Hana ne comprenait pas pourquoi elle réagissait comme ça. Est-ce qu'elle n'était pas mariée, en réalité ? Est-ce que ça semblait si ridicule que ça, de le penser ?
« Ah, désolée, c'est vrai que c'est ce qu'on aurait tendance à penser, mais c'est d'autant plus éloigné de la réalité, » dit Mari en essuyant ses larmes.
« V-Vraiment ? »
« Je suis toujours célibataire ! » S'exclama-t-elle. « Même si techniquement, je dois prendre soin de Sayuri ici présente. »
La collégienne ne releva même pas l'usage de son prénom, continuant de manger un paquet de pocky à la fraise qu'elle avait ouvert.
« C'est juste que… C'est tellement surprenant... » Dit avec gêne Hana.
« Je ne t'en veux pas pour ça, ce n'est pas non plus quelque chose que j'ai envie de dire à tout le monde à Marline, » dit calmement Mari. « C'est ma vie privée après tout. Si j'ai amené Sayuri ici, c'est parce que je sens que je peux te faire confiance. »
« Je… Je vois... »
Mari lui sourit, et caressa en même temps d'une main la tête de la collégienne qui continuait de manger en silence.
« Tu te souviens de la discussion que nous avons eue à ton arrivée ? » Lui demanda Mari, pensive.
La discussion qu'elles avaient eue ?
Voulait-elle parler…
« Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais je t'avais dit que nous étions dans la même situation, non ? »
C'était bien de ça qu'elle voulait parler : du fait qu'elles éprouvaient toutes les deux des sentiments pour quelqu'un, et ce, depuis très longtemps. La femme plus âgée avait dû comprendre que sa collègue était sur la même longueur d'onde, et continua de parler.
« En réalité, j'ai plus l'impression que tu es dans une situation plus enviable que la mienne, donc je suis un peu jalouse de toi, » avoua Mari.
« Jalouse ? » Répéta avec curiosité Hana.
« Mhh mhh, » fit Mari. « Tu sais, même si tu as l'air de le prendre plutôt bien, ce n'est pas le cas de tout le monde... »
C'est vrai qu'Hana avait été un peu surprise au début, même si c'était une réaction qui cumulait deux éléments en un : la présence de deux personnes au lieu d'une devant sa porte, et la révélation du lien de parenté entre ses deux invités.
Cependant, elle avait aussi une certaine expérience dans ce domaine, et s'était vite remise de cette découverte surprenante.
« C'est pas quelque chose de si choquant que ça, d'être un parent isolé, » dit Hana avec amertume. « Mon père a dû m'élever seule depuis mes douze ans, alors je comprends ce que c'est... »
Mari prit les mains d'Hana dans les siennes pour exprimer sa sollicitude, et les deux femmes se sourirent l'une à l'autre.
« Je suis heureuse que tu puisses au moins comprendre mon point de vue, Hana. » Dit-elle en lui serrant un peu les mains.
« Et… Je pense aussi qu'avoir un enfant n'est pas quelque chose de disqualifiant quand il s'agit d'aimer quelqu'un, » ajouta Hana.
« Ah, tu es adorable, Hana ! » S'exclama Mari. « Si seulement les gens pouvaient tous être comme toi ! »
Elle serra un peu plus les mains de la jeune femme dans les siennes, avant de les relâcher, et de s'emparer d'un pudding à la vanille.
« Tiens, manges ça ! » Dit-elle en poussant vers Hana le dessert.
« M-Merci, » la remercia rapidement Hana, ne sachant pas trop quoi faire.
Elle prit le dessert en main, et tandis qu'elle déballait la petite cuillère en plastique fournie avec, Mari reprit la parole.
« Je me dis vraiment que parfois, ça n'en vaut pas la peine, tu sais ? » Réfléchit-elle à voix haute. « Aimer quelqu'un, même en cachette, c'est plus se faire du mal à soi-même, parce qu'à la fin, ce n'est que déceptions et tristesse. »
« Même si on doit être blessé, pourquoi ça n'en vaudrait pas la peine ? » dit Hana. « Même si ça n'aboutit à rien, ça n'empêche pas de se sentir bien et d'être heureuse quand on pense à cette personne... »
« Hum, tu as sans doute raison, mais... »
« Et tant que la personne ne le sait pas, ce n'est que la moitié du travail qui est faite ! » Reprit avec vivacité Hana. « Le but, c'est que, même si ça ne débouche sur rien après avoir avoué ses sentiments, on puisse tout de même n'avoir aucuns regrets en y repensant ! »
« Alors selon toi, même si on finit blessé, ça en vaut la peine du moment qu'on a pas de regrets ? »
« Personnellement, c'est ce que je pense. On est toujours plus satisfait avec soi-même quand on va au bout des choses, non ? » Argumenta Hana.
« Hum, c'est pas faux... » Concéda Mari. « Mais ce n'est probablement pas assez pour me pousser à avouer mes sentiments à cette personne... »
Hana voyait bien que la femme plus âgée hésitait, et elle pensa alors à une potentielle raison qui pouvait être la cause de cette insécurité.
« C'est… Un de nos collègues du Département Catastrophes Naturelles, pas vrai ? » Demanda pour confirmation Hana.
Mari eut une expression surprise, comme si elle ne s'attendait pas à ce que quelqu'un lui dise un jour ceci, et se pencha en arrière sur sa chaise.
« Tu m'épates, Hana. » Déclara-t-elle. « Et dire que de nous deux, je suis censée être l'experte en relations… »
« J-je prétends pas être une experte ! » Se défendit avec gêne Hana, tout en levant ses mains devant elle.
Mari continua de sourire avec tendresse.
La jeune femme en face d'elle pouvait comprendre certaines choses que la plupart des gens ignoraient, et elle se demandait si Hana avait déjà compris qui était la personne pour qui Mari avait des sentiments.
Elles éprouvaient toutes les deux des sentiments depuis longtemps pour quelqu'un de leur entourage professionnel, mais si Hana semblait prête à passer à l'attaque, Mari, elle, était bien plus hésitante.
Aimer quelqu'un à sens unique et en secret était bien plus facile que d'avouer ses sentiments.