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Chapter 50 - Les regrets de Mujin

"Je t'ai apporté un nouveau sac de riz. Tu as réussi à te rationner comme il fallait ?"

L'inquiétude se lisait sur le visage normalement impassible de Mujin.

Sulk savait ce à quoi pensait le garde. Il avait fait de son mieux pour paraître faible et plus maigre qu'auparavant.

Ce que Mujin ne pouvait pas voir, bien évidemment, c'était que le corps de Sulk était empli d'une vitalité incroyable, au point que même un tierran dans la fleur de l'âge nourri correctement n'aurait pas souvent.

Et pourtant ses muscles semblaient bien élimés, et même ses joues étaient légèrement creusées.

"J'ai fait de mon mieux mais c'est difficile...

- Tu dois faire très attention, si tu manges tout dès le début, à la fin du mois tu risques.. Bref. Tu veux savoir ce que je te conseille ? Tu prends une poignée de riz comme ça. Pas plus. Ça devrait te permettre d'éviter tout problème, et avec ce que je t'ai ramené tu mangera pendant un mois sans aucun doute."

Mujin continuait ses explications de comment Sulk devrait se rationner, mais celui-ci ne l'écoutait déjà plus.

Il regardait l'homme à genoux devant lui avec un regard empli d'une certaine lueur.

"Merci Mujin. Je vais essayer d'être plus raisonnable. C'est si compliquer de prévoir quand manger et combien. Et de s'occuper.."

Sulk frissonna volontairement.

Semblant se plonger dans des mémoires douloureuses, il continua, parlant avec une voix de plus en plus basse.

"C'est si long. Je savais plus si j'étais là depuis des jours ou des semaines. Chaque fois que je me réveille, me demander combien de temps j'ai dormi, si les mineurs sont au dortoir ou en train de creuser, sans jamais pouvoir en être certain ..."

Ses lèvres bougeaient encore mais sa voix s'était éteinte.

De nouveau Mujin posa sa main sur l'épaule frêle de Sulk.

"Crois moi mon garçon, j'ai aussi vécu dans une de ces cellules pendant un temps. Je sais ce que ça fait. Mais tu vois je suis là maintenant ! Je suis même devenu un garde !"

Pour la première fois dans sa vie, Mujin songea à partager son histoire avec quelqu'un. Sa véritable histoire.

"Pourtant lorsque je suis arrivé dans la mine, je n'étais pas plus qu'un criminel... Mais passons. Ce qui compte c'est que tu ne risques rien ici. Penses à ton séjour comme quelque chose de temporaire. Le plus important est de te battre, de ne jamais oublier que tu sortiras un jour. Je suis sûr que ça arrivera même plus tôt que tu ne le penses."

Mujin ébaucha un sourire. Mais sur le visage du garde qui n'avait pas souri depuis de longues années, cela ressemblait plus à un rictus terrifiant.

Les yeux légèrement exorbités, avec la lumière crue du cristal bleu éclairant la moitié de son visage, il paraissait encore plus féroce que d'habitude.

La tache de naissance sombre sur son crâne chauve sous l'éclairage fade ressemblait à une tâche de sang, comme s'il en était couvert.

Ne voulant pas vexer le garde, Sulk ne dit rien et garda son visage impassible.

Il ne savait pas s'il fallait rire ou pleurer.

La tentative de sympathie pour le jeune homme devant lui montrait à quel point toute la situation rendait Mujin mal à l'aise.

Il avait visiblement du mal avec les enfants. Sulk se souvint des rêves qu'il avait pu faire lorsque plus jeune il avait vu l'homme pour la première fois.

Il devait faire plus de deux fois sa taille à l'époque, et Sulk avait eu des cauchemars une poignée de fois dans lesquels Mujin, fort comme un taureau et bâti comme un ours, le poursuivait.

Il voulait le manger d'après lui et poussait des rugissement féroces.

En y repensant Sulk eut envie de rire.

Même si le souvenir n'était pas particulièrement plaisant, cela lui fit du bien de s'en rappeler.

Sulk se rendit alors compte que même si c'était moindre, la solitude l'affectait quand même dans une certaine mesure.

La visite de Mujin était agréable.

Bien qu'il fut maladroit et embêté par son statut de garde qui imposait une certaine ligne de conduite, Sulk sentait que Mujin ne lui cherchait pas de tort.

Détournant son regard du visage de Mujin, Sulk essaya de son mieux d'afficher un air légèrement rassuré mais pensif.

Content d'avoir redonné espoir à Sulk, l'officier se releva.

Il hésitait à raconter à Sulk comment lui même s'était sorti de sa situation de mineur prisonnier il y a des années quand Sulk l'interrompit.

"Comment vont Kahn et Lingi ? Et Banna et Gané ?"

Dans les yeux brillants de Sulk Mujin vit s'y refléter une sorte d'appréhension.

Détendu de voir le garçon changer de sujet, Mujin repris la parole.

"Ils vont tous très bien" dit-il d'une voix assurée.

Au moins il n'avait pas plus de mauvaises nouvelles à apporter.

"Ils sont en bonne santé. Ils se soucient de toi et m'ont demandé de tes nouvelles lorsque je redescendrait dans les galeries.

Je n'ai pas beaucoup vu la petite Lingi mais Banna m'a parlé pour elle."

Son regard sembla s'assombrir pendant une fraction de seconde, et les veines de son cou se gonflèrent légèrement.

"Le gamin voleur quant à lui... Je l'ai pas vu. On dirait qu'il m'évite. Arch m'a dit de te dire qu'il allait mieux et qu'il cicatrisait. Tant qu'il reste loin de mon chemin je suppose qu'il n'y a pas de soucis à se faire.

- Il s'appelle Kahn."

Mujin releva les yeux surpris.

Contre toute attente ceux de Sulk étaient plongés dans les siens et semblaient glacés.

Pendant une fraction de seconde Mujin crut sentir un frisson monter et un léger flash vif violet traverser les yeux de Sulk. La sensation s'estompa avant même que Mujin n'eut le temps de s'en rendre compte pleinement et Sulk baissa à nouveau les yeux.

Ce n'était pas bon, il avait agi impulsivement.

Assis en tailleurs dans son esprit, Sulk se donna un coup sec sur la cuisse. Ce n'était pas le moment de casser l'illusion du mineur faible et sensible.

Kahn était son ami, et son seul.

Sans compter Arch qui était plus une sorte de parent pour lui et Lingi qui était... eh bien c'était Lingi.

"Ex.. Excusez moi Officier Mujin. Je suis désolé."

Une fois de plus quelques larmes perlaient sous les yeux de Sulk qui avaient retrouvé leur teinte chaleureuse, sans aucune trace de la froideur perçante que Mujin avait presque aperçu une seconde auparavant.

"Non Sulk, je suis désolé. Tu n'as pas à l'être. Je sais que le gamin ne m'a jamais rien fait, c'est juste que les gens comme lui... Écoutes, oublie. Ce n'est pas important. Ton ami va bien, c'est tout ce qui compte."

Mujin s'empressa de changer de sujet.

Pendant l'instant suivant l'impression étrange que les yeux du garçon lui avait fait, il avait failli s'emporter à son tour.

Mais heureusement son instinct protecteur envers le garçon avait pris le dessus sur ses réflexes de contremaître. Après tout Sulk étaient visiblement affecté par son séjour dans la cellule qui ne faisait que commencer.

Mujin sentait qu'il valait mieux le laisser tranquille.

Une vague légèrement triste passa dans l'esprit de Mujin lorsqu'il réalisa que Sulk avait peur de lui.

Il ne se souvenait plus exactement quand le garçon avait commencé à l'appeler par son nom, sans l'appeler 'Officier' comme le faisaient la plupart des mineurs.

Mais dans la peur d'avoir contrarié la figure autoritaire devant lui, Sulk était retourné à cette adresse plus formelle.

En cet instant précis Sulk savait qu'il avait fait le bon choix.

Bien que loin d'être simple d'esprit, Mujin était un homme franc, et Sulk se rendit compte plus que jamais à quel point c'était facile de lire ses pensées sur son visage.

Peut être que son esprit était plus puissant à présent et qu'il détectait plus naturellement les mouvements du visage du garde.

Sulk sut que Mujin était peiné. Et c'était exactement ce qu'il voulait.