Sulk se fichait éperdument d'avoir pris la vie de quelqu'un.
Après tout c'était Faryl, il le méritait probablement, dans l'esprit du jeune homme.
Yahzin ne put s'empêcher d'être impressionné par celui avec qui il partageait un corps.
Il se remémora le choc mental qu'il avait subi lorsqu'il avait du combattre à mort un homme pour la première fois, il y a bien des années.
Sulk paraissait avoir un sang froid incomparable pour un garçon de quatorze ans.
Peut-être était-ce dû à une vie intense dans la mine, son histoire n'était pas comparable avec celle de Yahzin. Et pourtant il y avait ce rêve étrange que Sulk avait fait suite à la mort d'Arega.
Yahzin avait bien entendu assisté à ce rêve, via les pensées de Sulk endormi.
Ce qui l'avait étonné au premier abord était que le jeune garçon rêve.
Il était courant qu'une fois qu'un mortel ait fait son premier pas sur le chemin de la Voie, passant ainsi au stade d'Éveillé, il ne rêve plus.
La présence d'un méridien dans le corps d'un être vivant dirigeait l'énergie interne de la personne, influant sur son flux de pensées, et le privant de rêves à tout jamais.
Yahzin avait connaissance d'un ou deux peuples d'Anciens qui avaient une certaine maîtrise des illusions comme base de leur magie, et qui leur avait donné beaucoup de mal lors de la grande guerre.
Mais une personne ayant quitté le stade de mortel et ayant des rêves naturels, c'était un phénomène totalement unique dont il n'avait jamais entendu parler.
Le rêve qu'avait subi Sulk était d'autant plus étrange que Yahzin le connaissait bien.
Sulk avait seulement vu quelques images et avait tant bien que mal essayé de l'interpréter mais sans succès.
Pourtant lorsque Yahzin avait vu les images projetées dans l'esprit du garçon, une partie de son âme qu'il avait pensé éteinte depuis des années s'était réveillée avec un pincement profond qu'il ne pouvait pas nier.
Sulk avait vu une partie de la vie de Yahzin.
Le phénomène étrange qui s'était déroulé était dû à une résonance profonde.
Suite à l'éveil complet de l'esprit de Yahzin, les deux âmes cohabitant avaient fait un pas de plus l'une vers l'autre.
C'était une étape dangereuse pour l'hôte, et c'est pour cela que Yahzin avait préférer endurcir le corps de Sulk avant que cela n'arrive.
L'esprit de Sulk était encore relativement fragile et l'arrivée d'un autre esprit de force pouvait causer des dommages profonds pouvant handicaper Sulk à tout jamais.
Mais maintenant que Yahzin était éveillé, une partie de son âme avait du quitter la sphère dans laquelle la magie ancienne de la rune l'avait confinée.
Cette partie était ensuite entrée en résonance avec ce qui arrivait à Sulk, qui était étrangement similaire à sa propre histoire.
Yahzin ne put émettre que de simples suppositions mais lorsque Sulk avait perdu le contrôle, Faryl en payant le prix, peut être était-ce dû à la résonance qui avait porté un coup aux défenses mentales du garçon.
Yahzin se résolut de trouver l'explication exacte de ce qui s'était passé.
Sulk était trop jeune et inexpérimenté pour savoir ce qu'il avait vécu avant d'être prisonnier de la rune, mais si de nouvelles résonances se produisaient, le garçon finirait par s'en rendre compte.
Yahzin continua à réfléchir silencieusement, parfois se rappelant quelques souvenir douloureux liés à la mort de sa propre mère, pendant que Sulk continuait son observation de la cellule.
Sulk se leva et arpenta la pièce carrée.
Elle n'était pas grande et en quelques pas il en avait déjà fait le tour complet.
Il se rapprocha des barreaux en bois pour observer l'extérieur.
Malheureusement la cellule était construite dans un renfoncement de la roche et à cause des barreaux son champ de vision était limité à seulement quelques mètres de chaque côté du couloir.
Sulk était plongé dans la pénombre, mais ses yeux s'étaient immédiatement habitués.
Même si le cristal bleu en face de lui, de l'autre côté de la grille, n'avaient pas été là, il aurait eu une vision parfaite de son entourage.
N'ayant rien d'autre à faire, Sulk employa la puissance de son esprit, la concentra dans ses yeux.
Ses iris prirent une coloration violette tandis que le monde autour de lui changea.
Il voyait maintenant avec précision les veines du bois composant les barreaux, les clous épais les maintenant en place, et les excavations dans le mur dans lesquels ils s'appuyaient.
Tournant la tête, Sulk balaya une fois de plus du regard la pièce.
Les murs étaient étrangement lisses, au point où même avec sa vision améliorée il ne distinguait aucune aspérité.
Les coins de la cellule étaient tracés parfaitement droit. Cette pièce ne ressemblait en rien à toutes les galeries qu'il y avait plus bas dans la mine.
En bas même les dortoirs et la salle à manger étaient des salles voûtées au plafond assez bas.
Les murs étaient habituellement rugueux, et parfois de gros morceaux de roche formaient des protubérances pouvant érafler facilement une épaule ou un genou lorsque l'on passait un peu trop près.
Ici la cellule était parfaitement cubique, le plafond étant aussi haut que les murs étaient larges.
La main passée sur les parois, Sulk ne sentit rien d'autre que de la pierre froide et glissante tellement elle était lisse.
Bientôt Sulk se lassa de son exploration.
Après tout la pièce ne faisait pas deux fois sa taille, et sa vue de l'extérieur se limitait à quelques mètres de plus.
Sulk se décida à méditer en attendant.
Il ne savait pas exactement ce qu'il attendait, mais il se doutait que quelqu'un ne tarderait pas à venir.
Il était déjà enfermé depuis plusieurs heures, et il s'attendait à ce que quelqu'un lui apporte à manger et à boire.
Bien que ce soit un cachot, les prisonniers de la mine ne mouraient pas de faim.
Leur punition pour avoir commis un crime plus ou moins important était le plus souvent un séjour dans les cachots.
Lorsqu'il était plus jeune, Sulk avait un jour demandé à Arch en quoi c'était une punition.
Il avait argumenté en disant que puisque tout le monde était déjà enfermé dans la mine, c'était même plutôt agréable de ne pas travailler durement la roche et de seulement patienter.
Dans l'esprit de Sulk petit, c'était bien mieux de ne rien faire plutôt que de s'épuiser à creuser où à ramasser des débris.
La réponse de Arch avait marqué profondément le garçon qu'il était.
"C'est vrai, tu es enfermé également. Mais rien n'est pire que la solitude. Lorsque tu n'as absolument rien à faire et personne avec qui parler, pendant des jours et des jours, ton esprit commence à te jouer des tours.
Beaucoup de mineurs ayant séjourné dans les cachots ont frôlé la folie. Et aussi loin que je me souvienne, aucun d'entre eux n'a jamais recommencé à commettre un crime.
L'idée de retourner dans les pièces sombres et silencieuses pendant des semaines suffit à les dissuader. Et cela devrait aussi te dissuader."
Sulk sourit intérieurement.
C'était vrai que cela l'avait grandement impressionné.
Et cela serait encore le cas, si il n'avait pas une autre personne avec qui partager son corps.
La solitude ne serait pas un problème pour lui.
Il s'apprêtait à contacter Yahzin lorsque un grondement ébranla le sol.