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Un sourire... un vrai sourire. Mes yeux, depuis si longtemps habitués à l'hostilité, furent instantanément éblouis. Un sourire chaleureux, sincère, accompagné de ces mots : "Je t'aime". Un choc. Un éclair dans mon cœur glacé. C'était peut-être la première fois, depuis le décès de ma nourrice, que quelqu'un m'adressait une telle affection. Un amour désintéressé. À cet instant précis, les vannes de mon enfance s'ouvrirent en grand. Les souvenirs remontèrent à la surface, douloureux et doux à la fois. Je sentis les larmes monter, prêtes à jaillir, quand soudain... cette voix. Froide , tranchante, chargée de la haine qui me poursuivait depuis toujours.
« Les êtres faibles ne sont bons qu'à être détruits. Veux-tu être détruite par ta propre mère, ma fille ? »
Le coup. La douleur. Puis un autre, et encore un autre. Ce jour-là, les coups pleuvaient, implacables. Chaque sanglot, chaque appel à la pitié ne faisait qu'attiser la fureur de ma mère. J'avais fini par intérioriser cette logique cruelle : les faibles méritent d'être méprisés, maltraités. Une vérité gravée au fer rouge dans mon âme. Pourtant, aujourd'hui, face à Béatrice, ma propre sœur, la haine ne trouvait plus son chemin. Je ne pouvais plus la mépriser.
Mon visage se détourna lentement, mon corps tremblait de fatigue et de douleur. D'une voix brisée, à peine audible, je murmurai : « Si vous avez fini, disposez. J'ai besoin de repos. »
Sans un mot, elle me tourna le dos et s'en alla. Le monde autour de moi se brouilla. Ma respiration devint difficile, saccadée. Ma tête tournait. Et puis, le néant. Je m'évanouis.
** CAPITAL , CENTRE VILLE **
Le soleil cognait contre mes paupières closes. Je n'avais même plus la force de lever les mains pour me protéger de ses rayons. Les voix arrivaient, perçantes, blessantes. Je les connaissais bien, ces injures.
« Meurtrière ! Vipère ! Traîtresse ! »
Même dans ce chariot misérable, vêtue de cette robe indigne, entourée de ces visages haineux, personne ne voyait ma souffrance. Ils ne voyaient que l'image de la princesse déchue, de la monstrueuse Églantine que j'avais été.
« Qu'ai-je fait de si terrible à ces gens pour qu'ils me haïssent autant ? » murmurai-je, les lèvres sèches.
« Vous avez été une rose épineuse, et aujourd'hui, vous êtes une rose fanée », répondit une voix.
« Même... vous, Alain ? »
« Croyez-vous un seul instant que j'étais de votre côté ? Laissez-moi rire. »
La trahison. La pire de toutes. Alain, mon garde personnel, celui en qui j'avais placé ma confiance, le seul à qui j'avais montré la véritable Églantine, le seul que j'avais aimé... mon premier amour. Il était là, les yeux injectés de haine.
Ce jour-là, au milieu de la foule hurlante, je fis une promesse solennelle : je ne tomberais plus jamais amoureuse. L'amour n'existait plus pour moi. Cet homme que j'avais tant aimé se tenait devant moi, le visage déformé par la haine.
« J'avais confiance en vous, mais vous m'avez trahie. Tout ce que nous avons vécu ensemble... cela ne signifiait donc rien pour vous ? Vous n'êtes qu'un... »
Il s'empara de ma mâchoire, la serra violemment. Son regard était glacial. « Ceci est ma vengeance pour avoir tué ma bien-aimée. Bien sûr, vous ne vous en souvenez pas. Vous avez tué tellement de personnes... »
Il me relâcha, brutalement. Je restai silencieuse, anéantie. Je n'avais plus rien à dire. J'étais consciente du poids de mes actes. Je n'attendais plus que mon châtiment.
** TRIBUNAL ROYAL **
Celle qui avait tant rabaissé les autres se tenait à genoux, enchaînée, devant eux. Celle qui les avait tant méprisés était aujourd'hui misérable. Celle qui était l'héritière n'était plus qu'une princesse déchue. La rose, autrefois si fière, avait fané.
« Églantine Alys Risfillerd d'Aragon, pour avoir attenté à la vie de notre roi, sans compter vos nombreux autres crimes, votre sentence aurait dû être l'exécution. »
La foule, qui emplissait la salle d'audience, rugissait de colère. Ils réclamaient ma mort. L'attentat contre le roi n'était que la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Il y avait tous les autres, ceux à qui j'avais fait du mal.
« Mais... Son Altesse Royale, la princesse héritière, a eu la bonté de commuer votre sentence en une destitution partielle. »
« Bouh ! » La foule était furieuse. Ils voulaient ma mort. Béatrice, assise sur son trône, me regardait avec pitié. Je me sentais encore plus humiliée. J'avais déshonoré ma mère.
« Vous serez donc exilée partiellement à Cristen pour une durée d'un an et deux jours. Y a-t-il des objections ? »
« Cristen ! Si elle y est envoyée, elle mourra ! » « Elle sera dévorée par les loups ! » « Elle mourra de froid ! » « La princesse héritière cache bien son jeu ! »
Il n'y eut aucune objection. Je savais qu'il n'y en aurait pas. Cristen, c'était la mort assurée. Mais qu'importait ? Je n'avais plus de raison de vivre. J'avais perdu mon honneur, ma famille. La neige de Cristen aurait raison de moi, et c'était bien ainsi.
« Ma sœur ? »
La salle se vidait. Alors que je me levais pour partir, j'entendis la voix de Béatrice.
« Promets-moi une chose. »
« Vous voulez que je vous fasse une promesse, alors que vous m'envoyez mourir ? »
« Tu ne mourras pas. Le duc Candell est prêt à t'accueillir dans le domaine qu'il a fait construire à Cristen. »
« Hahaha... Vous êtes si naïve. Si vous voulez accéder au trône, commencez par vous occuper de votre entourage, à commencer par votre fiancé. C'est le seul conseil que je puisse vous donner, en tant que sœur aînée. »
« Merci, je m'en souviendrai. »
« Mr nous pouvons y aller . »