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Il y a des siècles de cela, la Sainte Amélia, contrainte d'épouser le centième roi du royaume d'Aragon, consuma son union sans amour dans les affres d'un mariage politique. Dans sa solitude, elle chercha réconfort auprès de son garde personnel .
Lorsque le palais fut mis au fait de cette liaison, le roi, rongé par la fureur, convoqua le conseil.
La sentence fut sans appel : l'exécution de la Sainte. Le jour fatidique, une foule haineuse la hua et laissa pleuvoir sur elle un déluge de projectiles immondes, des tomates blettes aux pierres acérées.
« Nos actions, nos paroles, nos gestes, tout ce que nous accomplissons au quotidien sont observés par notre déesse. Son visage auguste se détourne de vous. Vous qui me lapidez, vous qui réclamez ma décapitation, vous qui me dévisagez avec tant de haine, souvenez-vous : lorsque les larmes de la rose couleront, la face de la déesse vous sera à jamais cachée. »
« Que cela signifie-t-il, dame Marie ? Les larmes de la rose... Les roses pleurent-elles ?
Elle me gratifia d'un sourire chaleureux et, caressant mes cheveux, me répondit : « N'êtes-vous pas vous-même une rose, princesse ? »
SALLE DE BAL
Des murmures feutrés emplissaient la salle, scandant mon nom avec une insistance malsaine. Des regards menaçants convergeaient vers moi. Mes mains et mes pieds tremblaient, mais je m'efforçais de conserver l'attitude hautaine et orgueilleuse qui sied à une princesse.
« Son Altesse Royale, la première princesse Églantine Alys Risfillerd d'Aragon, fait son entrée. »
Nuls applaudissements ne saluèrent mon arrivée, seuls des regards chargés de haine. Pourtant, celle qui se tenait devant eux n'était autre que la rose blanche, celle qui répondait à tous les critères de la noblesse féminine : de longs cheveux blonds, brillants et soyeux, des yeux d'un vert émeraude fascinant, une peau claire et lumineuse, des lèvres rouge fraise et une silhouette fine aux courbes harmonieuses.
Sa robe immaculée rehaussait ses atouts, tandis que ses ornements la sublimaient davantage encore, suscitant des commentaires acerbes de la part des dames de la cour.
D'un pas lent et gracieux, elle s'avança, ses talons hauts claquant sur le sol. Fidèle à son habitude, elle ne salua personne et gagna sa place d'héritière. L'entrée de la princesse héritière et de son fiancé fut annoncée en grande pompe.
« Nobles dames et nobles seigneurs, ce soir, nous ne célébrons pas seulement la fondation de notre royaume. Nous avons un autre événement, d'une importance au moins égale, à partager avec vous. »
Les nobles s'agitèrent, se demandant quel événement pouvait rivaliser avec la fondation du royaume. Églantine elle-même était perplexe.
« Quel événement peut être aussi spécial que la fondation de l'empire ? Et pourquoi n'en ai-je pas été informée ? » s'indigna-t-elle, frappant du poing son trône.
« Son Altesse Royale et son fiancé, la princesse héritière Béatrice Lynn Milano d'Aragon et le prince Frédéric Ivan Delmin d'Elmano, font leur entrée. »
« La comtesse avait donc raison ! », « La première princesse demeure la rose. », « Serait-ce la fille de la première reine ? », « Peut-être a-t-elle hérité du pouvoir divin de sa mère. » L'étonnement de la foule bruissait, les chuchotements redoublaient. Certains comparaient les deux princesses, tandis que d'autres admiraient les charmes du prince.
Églantine, cependant, bouillonnait sur son trône. Le couple salua l'assemblée, puis sa voix retentit, tranchante :
« Arrêtez sur-le-champ cette mascarade et dites-moi qui est cette femme ! »
La colère la consumait, prête à en découdre. Un silence glacial s'abattit sur la salle. Jamais on n'avait vu la princesse dans un tel état de fureur. Béatrice s'approcha d'Églantine et prit ses mains avec douceur .
« Veuillez excuser cette présentation tardive, ma sœur. Je suis la nouvelle princesse héritière, Béatrice Lynn Milano d'Aragon, et votre demi-sœur. Je suis ravie de faire votre connaissance. »
Églantine retira ses mains avec violence, ôta ses gants et les jeta au visage de Béatrice.
« Ah ! » (Un murmure d'étonnement parcourut la foule.)
« Comme vous pouvez le constater, mes mains sont précieuses, et je ne saurais souffrir que des créatures de votre espèce les souillent. Fort heureusement, j'avais prévu le coup. »
Le roi, dans sa loge, attendait tranquillement le moment de son entrée, ignorant tout de la scène qui se déroulait. Frédéric accourut pour défendre sa fiancée. « Je ne vous permets pas de parler ainsi à ma fiancée. »
« Voilà qui est une provocation adressée à la princesse », « La situation devient intéressante », « La team F est en place », commenta la foule.
Églantine le dévisagea avec une arrogance glaciale et laissa échapper un rire moqueur. « Le toutou vient défendre sa maîtresse... Pitoyable ! Qui vous croyez-vous donc pour oser élever la voix sur moi ? »
Béatrice s'interposa entre les deux , qui échangeaient des regards furibonds. « Arrêtez cela sur-le-champ, Frédéric. Je règle mes différends avec ma sœur, veuillez ne pas vous en mêler. »
« La princesse héritière intervient, c'est magnifique ! »
Frédéric, toujours furieux, s'inclina.
« Pff... Qu'attendre d'un toutou qui n'obéit qu'aux ordres de sa maîtresse ? Pathétique. » Son rire, sa façon de parler, son attitude même respiraient l'orgueil et l'arrogance.
« Je... Je ne vous permets pas de parler ainsi de mon fiancé. Ayez au moins un peu de respect. »
Les yeux baissés, la voix tremblante, Béatrice tentait de s'exprimer. Frédéric, quant à lui, semblait fier de sa fiancée. Églantine posa deux doigts sur le menton de Béatrice, releva sa tête et la fixa droit dans les yeux. « Vous me faites pitié. Vous prétendez être ma sœur et la nouvelle princesse héritière ? Laissez-moi rire. Vous n'êtes qu'une créature abjecte, bonne à être méprisée et rejetée. »
« Là, elle y est allée un peu fort », « Mets tes mains sur tes oreilles, mon fils », chuchota la foule.
Les larmes montèrent aux yeux de Béatrice, elle tremblait de tous ses membres. Le roi fit irruption dans la salle. « Que se passe-t-il ici ?
Des genoux touchèrent le sol, les trompettes retentirent dans toute la salle. Églantine se retira et regagna son trône, laissant Frédéric et Béatrice en larmes.
Le roi, inquiet car il connaissait Églantine, ne prit même pas la peine de saluer les nobles et s'approcha de sa fille, qu'il vit au bord des larmes. « Églantine, dîtes - moi ce qui se passe ici, sur-le-champ ! »
Assise sur son trône, elle n'accorda aucune attention à son père. Béatrice prit la parole. « Ne vous inquiétez pas, père, il ne s'est rien passé. »
« J'y suis peut-être allée un peu fort... Devrais-je m'excuser ? Non, elle le mérite . Personne ici ne le mérite. »
Malgré les injonctions répétées du roi, Églantine l'ignora superbement. Frédéric, exaspéré, s'écria : « Quelle insolence, princesse ! Vous ne méritez pas votre titre. »
Cette remarque acheva d'irriter Églantine, qui se leva et gifla Frédéric avec une violence inouïe.
« Elle n'est pas dans son assiette aujourd'hui », « Elle a dû se lever du mauvais pied », murmurèrent quelques courtisans.
Le silence se fit pesant après la gifle retentissante. Béatrice se précipita vers Frédéric, tandis que le roi, le visage congestionné par la colère, s'écriait : « Églantine, exigez sur-le-champ les excuses du fiancé de votre sœur, et les siennes par la même occasion ! »
« Pourquoi le ferais-je ? » répondit Églantine, la voix chargée de défi. Son esprit était embrumé par la fureur. Les visages qui l'entouraient, les chuchotements de la foule, tout cela la répugnait. Les regards haineux posés sur elle l'effrayaient.
Elle s'avança vers le roi, qui, instinctivement, recula, les yeux emplis de crainte.
« Père ! »
Le roi trébucha et chuta lourdement dans les escaliers. Les gardes se précipitèrent vers lui, appelant les médecins à l'aide. Béatrice et Frédéric accoururent, les larmes aux yeux. La foule était en émoi : des cris, des pleurs d'enfants, des chuchotements accusateurs. « C'est elle, je l'ai vue ! », « Elle a poussé notre roi ! », « À mort ! »
Églantine demeura immobile, les yeux fixés sur le corps inerte de son père, étendu sur le sol dans une mare de sang.
« Enfermez cette femme dans les cachots ! Nous déciderons de son sort lors du prochain conseil. »
SALLE DE CONSEIL
« Cette femme doit mourir ! Elle a osé attenter à la vie de notre roi ! »
« Je suis entièrement d'accord avec vous, comte Evan. »
« Mesdames et messieurs, calmez-vous, je vous prie. Attendons l'arrivée de l'héritière et du prince avant de prendre une décision. »
La tension était palpable. Tous réclamaient une punition exemplaire pour la princesse, mais les avis divergeaient sur la nature de cette punition. L'arrivée de la princesse héritière et de son fiancé fut annoncée. Malgré leur présence, les nobles continuèrent à s'invectiver, leurs voix se mêlant dans un brouhaha confus.
« Silence ! Oubliez-vous que vous êtes en présence de l'héritière du trône et de son futur époux ? »