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Chapter 4 - Sous contrôle

Point de vue Emma

Le bruit devenait de plus en plus insupportable, comme si les murs eux-mêmes essayaient de se rebeller.

C'était presque comique que ma mère, qui ne quitte jamais son petit royaume de contrôle, se sente soudainement l'envie de quitter son précieux boulot pour aller s'enfermer dans le bureau avec mon père. Le même père qui, théoriquement, était censé être dans le Michigan pour une audience. Mais bien sûr, il n'y a aucune logique ici.

Pendant un instant, j'ai eu cette petite lueur d'espoir, cette folle idée que peut-être, juste peut-être, ils s'étaient enfin rendus compte que leur « relation » était aussi solide qu'un château de cartes sous un ventilateur. Qu'ils allaient enfin s'asseoir, avoir une conversation adulte et mettre un terme à ce cirque. Ah, quelle naïveté ! Si seulement c'était aussi simple. Je crois que j'aurais applaudi leur décision de divorcer, juste pour ne plus jamais avoir à subir leur numéro de faux couple heureux.

Ma mère parlait de moi, bien sûr. Quand est-ce qu'elle ne parlait pas de moi ? Son univers tout entier gravite autour de ma petite personne, comme si je vivais dans un cirque et elle en était la star.

Curieuse de savoir quelle nouvelle absurdité elle avait dénichée pour me rajouter à ses projets, j'ai décidé de m'approcher discrètement de la porte du bureau de mon père. Plus je m'en rapprochais, plus l'atmosphère devenait irrespirable, comme si l'air lui-même avait décidé de participer à leur crise de nerfs. C'était si tendu que j'avais presque l'impression de pouvoir couper l'air avec un couteau. Qu'est-ce qu'ils mijotent encore ?

— Tu crois vraiment que je vais te laisser faire ? La voix de mon père claqua comme un coup de tonnerre à travers la porte.

— Oh, mais tu n'as pas vraiment le choix, Rémy, rétorqua ma mère, son ton froid et tranchant, presque amusé.

— Ne me fais pas rire ! Bien sûr que j'ai le choix. Parce que c'est ma fille.

— Ah, et la mienne, alors ? Elle est quoi ? Une invitée ?

— Tu divagues complètement, Clara.

— Et toi, tu me manques de respect, Rémy. Ça, je ne vais pas le tolérer. Sa voix montait d'un cran, empreinte de ce mélange d'autorité glaciale et de moquerie qui la rendait si insupportable.

— Ce que je ne vais plus tolérer, répliqua mon père en haussant le ton, c'est d'être complice de tes folies. Tu crois que je ne vois pas ce que tu fais ? Que je vais te suivre comme un idiot ?

— S'il te plaît, Rémy, arrête… Elle laissa planer un soupir dramatique, comme si c'était elle la victime dans toute cette histoire.

Le son de leurs voix m'attirait irrésistiblement. Je n'avais jamais eu l'habitude d'écouter derrière les portes, mais cette fois-ci, quelque chose dans la voix de mon père, si forte, si brisée, m'obligeait à rester.

— Alors c'est quoi, Clara ? Explique-moi. Qu'est-ce que tu espères accomplir avec… avec cette folie ?

— Oh, c'est simple, répondit-elle avec une froideur effrayante. Elle est en âge de gagner son propre argent.

— On parle d'une adolescente de 15 ans !

La voix de mon père tremblait, entre colère et incrédulité.

— À 15ans, Rémy, j'avais déjà affronté des réalités bien plus dures. Tu veux un exemple ? Mon premier avortement. Alors désolé de te dire ça, mais si elle est en âge de procréer, elle est en âge de faire face à la vie.

Il y eut un silence glacial, seulement brisé par la respiration lourde de mon père.

— T'es… T'es malade, finit-il par dire, chaque mot chargé d'un mélange de dégoût et d'impuissance.

— Malade ? Non, pragmatique. Je pense à son avenir, Rémy. Ce n'est pas en la couvant comme un petit oiseau fragile qu'elle apprendra à voler.

— Oh, ne me sors pas ton discours sur "l'avenir". Ce que tu veux, c'est toujours pour toi. N'essaie même pas de me faire croire que tu fais ça par amour ou par souci pour elle.

— Et si c'était pour moi ? Elle laissa échapper un petit rire, froid et cruel. Je n'y vois aucun le problème si c'était pour ça .

— Cette conversation est terminée. Sors immédiatement de mon bureau, Clara. La voix de mon père explosa, remplie d'une fureur qu'il avait rarement montrée.

— Comme tu veux. Elle fit mine de céder, mais sa voix était toujours trempée de sarcasme. Mais ma décision reste la même.

— TU SORS !

— Que tu sois d'accord ou pas, ajouta-t-elle, insistant sur chaque mot avec une lenteur exaspérante.

— Tu entends ce que je te dis, Clara ? DEHORS !

— Jimmy m'a assuré qu'il n'y avait aucun risque, lança-t-elle, presque nonchalamment.

— Jimmy ? Mon père éclata d'un rire sec et amer. Jimmy est aussi fou que toi.

— S'il te plaît, Rémy, arrête de rendre les choses plus compliquées qu'elles ne le sont déjà.

— Arrête de compliquer les choses ? Il éclata de rire, mais son rire était rempli de sarcasme. Je peux pas croire que j'ai annulé un voyage important pour écouter des… des absurdités pareilles !

— Et moi, Rémy, je te rappelle que j'ai mis plusieurs patients en attente pour venir te parler de tout ça. Sa voix dégoulinait d'une ironie glaciale. On fait tous des sacrifices, tu vois.

À travers la porte, je me mordis la lèvre. Personne ne voulait lâcher le morceau, mais tout semblait graviter autour de moi. Une adolescente de 16 ans, disait mon père. En âge de gagner son propre argent, répliquait ma mère. Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'ils voulaient dire ?

Un frisson me parcourut. Je sentais que quelque chose d'énorme se tramait.

J'entendais les pas lourds de mon père résonner dans la pièce. Son rythme était irrégulier, nerveux, comme s'il cherchait à contenir une tempête. Sa voix finit par éclater, grave, presque implorante.

— Clara… Pourquoi tu veux faire ça ?

Un silence. Puis, la réponse de ma mère claqua dans l'air, glaciale et implacable.

— Pour Emma.

Mon père rit, un rire sec et incrédule.

— Ne commence pas, Clara. Pas avec ça. Je te connais. Tu ne fais jamais rien gratuitement.

— Et pourtant, cette fois, c'est vrai. Je le fais pour elle. Et pour moi. Rémy, on parle de millions ! Tu te rends compte de ce que ça représente ? Des millions ! Et toi, tu préfères rester aveugle.

— Je suis déjà millionnaire, Clara ! rugit-il. Tu veux quoi, un milliard maintenant ?

— Non mais écoute-toi. Un rire méprisant s'échappa de ses lèvres. Tu es tellement habitué à tout avoir que tu ne sais même plus ce que c'est de vouloir quelque chose.

— Clara, tu portes mon nom. Je t'ai donné une vie que tu n'aurais jamais pu imaginer. Une vie de reine ! Tout ce que tu consommes, tout ce que tu portes, c'est grâce à moi. Les gens te respectent parce que tu es ma femme. Qu'est-ce que tu veux de plus ?

— Et toi, tu ne vois toujours pas, hein ? Elle laissa échapper un soupir, à mi-chemin entre l'exaspération et la colère. Toi, Rémy, tu as tout eu. Tout. Mais moi ? Moi, je n'ai jamais rien eu. Rien qui soit à moi.

— De quoi tu parles ? demanda-t-il, sa voix presque un murmure, comme s'il avait peur de la réponse.

— Je veux avoir mon propre argent. Mon propre pouvoir. Je ne veux plus être juste "ta femme". Toi, ta famille t'a tout donné. Tu n'as jamais eu à te battre pour quoi que ce soit. Tu n'as même pas besoin de lever le petit doigt pour vivre éternellement dans le luxe. Mais moi ? Si tu me renies demain, qu'est-ce que je deviens, hein ? Une mendiante, comme avant.

Le silence qui suivit me fit frissonner. Même à travers la porte, je pouvais sentir l'onde de choc de ses mots.

— Clara… dit-il enfin, sa voix tremblant légèrement. Même si rien ne va entre nous, je ne te ferais jamais ça. Tu es la mère de ma fille. Nous sommes liés, toi et moi.

Un rire amer, presque brisé, lui répondit.

— Peut-être. Mais ça n'a pas d'importance. Ce que je veux dire, c'est que je ne veux plus être rattachée à toi. À ton nom. À ton argent. Je veux exister par moi-même, Rémy. Je veux être libre.

— Libre ? Sa voix se fit plus dure, plus froide. Tu as déjà tout, Clara.

— Non, Rémy. Toi, tu as tout. Moi, je n'ai rien.

— Tu es ma femme, Clara. Ce qui est à moi est à toi aussi. C'est comme ça que ça marche.

— Oui, ta femme. Elle rit, un rire chargé de sarcasme et de douleur. Mais jusqu'à quand, hein ? Jusqu'à ce que tu trouves une autre femme à ajouter à ta collection ? Une comme la mère de Phoebe, peut-être ? Tu crois que je ne sais pas ce qu'elle te disait avant de partir ?

Je sentis mon père se figer de l'autre côté de la porte.

— Arrête de tout mélanger, Clara ! gronda-t-il.

— Pourquoi ? Parce que ça te dérange ? La vérité te dérange, Rémy ? Tu crois que je vais rester là, silencieuse, comme elle l'a fait, à attendre que tu décides de me jeter ? Non. Je refuse.

Sa voix tremblait d'émotion, mais chaque mot était une gifle.

— Très bien. Fais ce que tu veux. Mais je t'interdis, Clara, tu m'entends ? Je t'interdis d'entraîner Emma dans cette folie.

— Tu m'interdis ? répéta-t-elle, sa voix basse et venimeuse. Tu m'interdis, Rémy ? Tu n'interdis rien à personne. On verra bien qui décide.

— Ne me défie pas, Clara. Sa voix était froide, coupante, mais il semblait vaciller.

J'entendis ses pas s'éloigner, mais il se retourna brusquement, lançant une dernière mise en garde.

— Rappelle-toi, Clara. Tu es en train de jouer avec le feu. Et ce feu va te consumer.

Le silence qui suivit fut brisé par un murmure, un murmure glacial et déterminé.

— Peut-être, Rémy. Mais au moins, cette fois, je suis celle qui tient les allumettes.

Je reculai doucement de la porte, le cœur battant à tout rompre. Chaque mot résonnait dans ma tête comme une bombe.

Alors que je tentais d'approcher encore un peu, chaque fibre de mon corps tendue comme un fil prêt à se rompre, un bruit retentit derrière moi. Un bruit familier, agaçant, presque mécanique.

Phoebe.

Je n'eus même pas le temps de réagir. Avant que je ne comprenne ce qui se passait, la porte s'ouvrit brutalement, et avec elle, ma dignité s'échappa dans un tourbillon de honte.

Dans ma précipitation, mes jambes flanchèrent, et je me retrouvai par terre, les fesses contre le sol glacé, aussi vulnérable qu'un chaton mouillé sous la pluie. Le regard de mes parents me transperça instantanément. Ils étaient figés, comme s'ils contemplaient une œuvre d'art particulièrement pathétique.

Un silence pesant s'abattit sur la pièce. Le genre de silence qui donne envie de disparaître dans un trou noir.

Et puis, il y avait elle. Phoebe.

Elle se tenait là, parfaitement immobile, mais tout dans son expression hurlait de satisfaction. Ce sourire… Oh, ce sourire suffisant, en coin, étiré comme une vipère qui s'apprête à frapper. Elle n'avait même pas besoin de dire quoi que ce soit. Ses yeux, étincelants de malice, faisaient tout le travail.

— Tiens, tiens… Regarde qui joue les espionnes.

Son ton dégoulinait de plaisir, chaque mot pesant comme une brique sur ma fierté déjà en miettes.

Je ravalai ma salive, tentant de reprendre contenance, mais c'était peine perdue. La scène était déjà jouée, et j'en étais la grande perdante.

— Ça va, Emma ? Tu veux peut-être une main pour te relever ? ajouta-t-elle, faussement innocente, sa voix traînante comme du miel empoisonné.

Je ne répondis pas. J'étais trop occupée à brûler de honte sous les regards de mes parents. Ma mère, toujours aussi stoïque, leva un sourcil. Quant à mon père, il ne semblait pas savoir s'il devait être furieux ou simplement consterné.

Et moi, là, à terre, j'étais incapable de bouger.

Phoebe finit par s'approcher, ses talons claquant contre le sol avec une précision presque militaire. Elle se pencha légèrement, une expression de fausse pitié plaquée sur son visage.

— Tu sais, tu devrais vraiment faire attention. L'espionnage, c'est dangereux. On pourrait… t'écraser, par accident.

Ses mots, murmurés juste assez fort pour que je les entende, me glacèrent le sang. Ce n'était pas une menace explicite, mais venant d'elle, cela suffisait pour que mes poils se hérissent.

« Mais t'es folle ou quoi ? Tu vois pas que tu allais me faire mal ? »

Phoebe haussa les épaules avec un sourire narquois, comme si elle venait de découvrir une blague hilarante.

« Je n'ai fait que pousser la porte, Emma. Je ne t'ai même pas touchée. »

Et elle osait sourire, cette sorcière avec sa face de macaque ?

« Je peux savoir ce que vous faites ici ? » lança mon père d'un ton glacial, brisant la tension comme un fouet dans l'air.

Phoebe, évidemment, ne perdit pas une seconde. Elle pivota sur elle-même avec un aplomb digne d'une actrice oscarisée.

« Demande à Emma. »

Ah, la reine des coups bas. Elle n'avait aucune limite, aucune morale, juste une satisfaction malsaine à me voir piégée.

Mon père fronça les sourcils, son regard aussi tranchant qu'un scalpel.

« Lui demander quoi ? Vous nous espionniez ? »

Phoebe s'empressa de se dédouaner, levant les mains dans un geste dramatique.

« Eh oh, ne me mêlez pas à ça… Moi, j'étais juste là par hasard. Je savais même pas qu'il y avait un drame familial derrière cette porte. »

Super, maintenant j'étais seule sous le feu des projecteurs. Le regard de mon père se fixa sur moi, froid, scrutateur, comme s'il essayait de lire directement dans mon cerveau.

« Emma, tu m'expliques ce qui se passe ici ? »

Sa voix était si tendue que j'eus l'impression qu'il parlait à un criminel en cavale. Mon cœur battait à tout rompre, et mes mains tremblaient légèrement.

« Je… je voulais pas… »

Mais ma mère ne comptait pas me laisser le luxe de m'expliquer. Elle me rejoins , ses talons claquant avec une précision militaire, comme pour signaler à tout le monde que c'était elle qui contrôlait la situation.

« Tu as entendu tout ce qu'on a dit ? » demanda-t-elle, ses yeux pleins de reproches et de calculs.

Je sentis mes joues brûler. Mentir ? Dire la vérité ? J'étais prise au piège, et je savais que tout ce que je dirais ne ferait que m'enfoncer davantage.

« Non… enfin, oui… Mais je n'ai pas tout compris. »

Erreur fatale. Elle se pencha vers moi, son regard devenant perçant, presque cruel.

« Alors comme ça, tu écoutes derrière les portes maintenant ? »

Phoebe, toujours dans son rôle de spectatrice cynique, laissa échapper un petit ricanement.

« C'était pas voulu, je… »

Ma mère leva une main pour m'interrompre, comme si j'étais une enfant prise en flagrant délit de vol de cookies.

« Rémy, je crois qu'on devrait lui dire. De toute façon, elle finira par l'apprendre. »

Le visage de mon père se contracta instantanément.

« Clara, non. Je te l'interdit. »

Elle haussa les épaules avec un petit sourire.

« Ah, mais si, c'est le moment parfait. »

« Maman, qu'est-ce qui se passe ? » demandai-je, ma voix tremblante mais déterminée.

Ma mère se redressa, plantant ses mains sur ses hanches comme une reine prête à annoncer un décret.

« Tu vas arrêter les cours pour travailler à Girlsway. Une agence prestigieuse. Une opportunité en or pour toi de devenir une égérie de marque. »

…OK. Mon cerveau mit quelques secondes à enregistrer l'information.

Un silence mortel s'installa, jusqu'à ce que mon père se redresse brusquement, son regard brûlant d'indignation.

« Pourquoi tu ne lui dis pas tout, Clara ? Pourquoi tu ne lui expliques pas ce qu'on fait vraiment dans cette agence ? »

Je me tournai vers lui, confuse.

« Et… on y fait quoi, exactement ? »

La bombe explosa.

« TU VAS POSER NUE POUR DES MAGAZINES PORNO ! CLARA, TU DEVRAIS PRÉCISER CE GENRE DE DÉTAILS À TA FILLE, NON ?! »

Le sol semblait s'ouvrir sous mes pieds. Phoebe, pour une fois, avait perdu son sourire suffisant. Elle paraissait aussi choquée que moi, ce qui était presque rassurant.

Ma mère, cependant, resta impassible. Elle s'approcha de moi, posant ses mains sur mes épaules comme pour me persuader.

« Ne l'écoute pas, Emma. Ce n'est pas du tout ça. Jimmy m'a assuré que ton visage ne sera pas exposé. Personne ne saura qui tu es. »

« Protéger son visage ?! » Mon père éclata de rire, un rire amer et désespéré. « Et ça change quoi, Clara ? Tu veux envoyer notre fille se prostituer pour tes petits projets foireux ? »

« Poser nue n'est pas de la prostitution, Rémy. Arrête de tout mélanger ! » répliqua ma mère, exaspérée.

Et là, comme toujours, j'étais réduite au silence. Aucun choix. Aucune opinion. Juste un pion dans un jeu auquel je n'avais jamais voulu jouer.

« Je ne peux pas faire ça », soufflai-je.

Ma mère serra les mâchoires, son regard brillant d'une étrange combinaison d'exaspération et d'avidité.

« Si tu peux. Tu seras payée 100 000 $ par casting, Emma. Est-ce que tu comprends ce que ça représente ? »

Et c'était ça. Tout était là. L'argent. Elle ne voyait rien d'autre.

Mon père explosa, tel un volcan trop longtemps contenu :

— Tu n'as pas honte de parler de ce genre de choses ta fille ? Non, mais sérieusement, t'es encore plus folle que ce que je pensais !

Clara, les bras croisés et l'air exaspéré, leva les yeux au ciel.

— Honte ? Pourquoi aurais-je honte ? On parle de son avenir, de son travail ! Mais bien sûr, c'est moi la folle ici. Franchement, on devrait déjà être en train de commander du caviar et des feux d'artifice : Emma va être riche, tu te rends compte ?

Mon père la fusilla du regard, les poings serrés.

— Je ne laisserai jamais ça arriver, Clara. Jamais.

Ma mère, feignant une terreur dramatique, plaqua une main sur son cœur.

— Oh, quel homme courageux ! C'est tellement touchant. Mais dis-moi, depuis quand tu as une quelconque autorité dans cette maison ? Ah oui, c'est vrai : jamais.

Toujours, impassible, elle leva les yeux au ciel avec un soupir théâtral, comme si elle assistait à la énième rediffusion d'un mauvais feuilleton.

« Oh, s'il te plaît, Rémy. Tu pourrais au moins varier tes discours… » Elle ajouta d'une voix traînante, tranchante :

« La décision est déjà prise. Et devine quoi ? Ni ton avis, ni celui d'Emma ne m'intéressent. »

Elle balaya l'air d'un geste de la main, comme si elle chassait une poussière gênante – ou en l'occurrence, son mari – et s'éloigna avec une majesté glaciale, laissant derrière elle un silence assourdissant.

« Clara, je te préviens… » La voix de mon père tremblait, mi-rage, mi-supplique. « Si tu continues sur cette voie, je demanderai le divorce. Et je te traînerai en justice. Je te le jure. »

Elle s'arrêta net, une main sur la rampe de l'escalier. Lentement, elle pivota, offrant à mon père un regard chargé d'un mélange parfait de mépris et d'ennui. Son sourire en coin – cet horrible sourire – était si cruel qu'il aurait pu figer un cœur en pleine course.

« Oh, quelle menace effrayante, Rémy… Comme si j'en avais quelque chose à faire. Mais vas-y, menace encore. Fais ton petit numéro. » Elle gloussa doucement, un rire glacé qui semblait se moquer de tout son être. « Divorcé, ruiné, humilié… T'as vraiment de quoi m'effrayer. »

Elle tourna les talons sans attendre de réponse, ses pas résonnant lourdement sur les marches. « Mais pour ce soir, épargne-moi tes lamentations héroïques. Ça m'épuise. »

Et elle disparut, laissant mon père planté là, la mâchoire crispée et le regard fixé sur l'endroit où elle s'était tenue une seconde plus tôt. Une statue figée dans une tempête de colère, mais sans plus personne pour le voir.

Il remarqua que ma peau était devenue blême, comme si tout le sang avait décidé d'aller voir ailleurs. Sans un mot, il me serra contre lui, ses gestes maladroits, mais étrangement protecteurs. Sa main glissa dans mes cheveux, redescendit lentement jusqu'à mon dos, comme s'il cherchait à effacer tout ce malaise.

« Ta mère ne va pas bien… Elle ne sait pas ce qu'elle dit, » murmura-t-il avec une tendresse désespérée, presque comme s'il essayait de me bercer.

Sa voix, douce pour une fois, réussit à apaiser un peu l'orage qui grondait en moi.

« Tant que je suis là, je ne la laisserai pas te faire du mal, » ajouta-t-il, son ton sincère mais teinté d'une angoisse qu'il n'arrivait pas à masquer.

Mais voilà, on aurait dû vérifier les alentours. Ma sœur était là, debout, témoin silencieuse de cette pièce de théâtre familiale qui virait au drame. Mon père finit par la remarquer, et une lueur de honte traversa son regard. Phoebe, elle, n'avait pas besoin de dire un mot pour exprimer son opinion : l'amertume dans ses yeux parlait pour elle.

Puis, enfin, elle lâcha la bombe avec un détachement si tranchant qu'il en devenait presque comique :

« Tu as une femme de taré, sérieux, papa. »

Le ton froid, presque clinique, fit mouche. C'était un coup direct, et mon père ne put que cligner des yeux, comme s'il avait été pris par surprise.

Ma sœur, fidèle à elle-même, tourna les talons, prête à quitter cette mascarade comme si elle avait mieux à faire. Mais mon père, pris d'une soudaine impulsion, attrapa son coude avec une urgence presque désespérée.

« Attends, » souffla-t-il, sa voix tremblante. Son emprise était ferme, comme s'il essayait de retenir ce qui glissait entre ses doigts.

Phoebe se retourna lentement, un sourcil levé, son regard chargé d'un mépris qu'elle ne cherchait même pas à cacher.

« S'il te plaît, Phoebe… Que cette histoire ne sorte pas d'ici, » implora-t-il, l'air abattu.

Elle le fixa pendant un moment qui sembla durer une éternité, avant de ricaner, un sourire cynique étirant ses lèvres.

« Oh, t'inquiète, papa. J'ai aucune envie d'aller crier sur tous les toits que ta femme veut transformer sa fille en poupée de magazines pornos. Je crois qu'on a déjà assez de problèmes à gérer ici. »

Puis, dans un geste vif, elle libéra son bras, le dégageant de son emprise. Elle planta son regard une dernière fois dans celui de mon père.

Sans attendre une réponse, elle s'éloigna, ses pas martelant le sol comme un écho froid, laissant derrière elle une tension qui ne demandait qu'à exploser.

 ✓✓✓✓✓✓

La journée s'acheva, chacun tourmenté par ses propres pensées, jusqu'au lendemain matin. Ma mère entra dans ma chambre sans prévenir, comme si de rien n'était. Elle ne se contenta pas de me réveiller, elle me força à m'asseoir et commença à me torturer le visage avec des couches épaisses de maquillage. Ses doigts étaient rapides et implacables, me peignant comme une poupée. Puis, elle me lança une de ses tenues vulgaires, une de ces robes en quatre pièces qui semblaient tout droit sorties d'un autre monde, celui des apparences et du superficiel. C'était toujours le même genre de vêtements, courts et révélateurs, des tenues qu'elle portait elle-même, et qui lui donnaient ce sentiment étrange de pouvoir. C'était pour ça que les amis de Phoebe, et même Phoebe elle-même, la trouvaient "cool" et "belle" à son âge. Mais moi, je ne voyais qu'une façade. Une façade qu'elle m'imposait, m'étouffant sous son idéal de beauté.

Pendant le petit déjeuner, le silence régnait, pesant et lourd. Aucun de nous ne semblait vouloir briser l'atmosphère glaciale, à l'exception de Phoebe qui, d'un ton plus ferme que d'habitude, posa une question à mon père.

"Quand aura lieu l'inauguration pour ta prochaine candidature ?"

Une question sans grande importance, mais au moins elle permit de faire renaître un peu de l'illusion d'une conversation normale. L'ambiance, bien que rétablie, restait tendue. Nous finîmes de manger dans un silence lourd, chacun pris dans ses pensées.

Ma mère m'emmena au lycée, sans un mot, et ma sœur partit de son côté, toujours à parler politique avec mon père, comme si elle en avait quelque chose à faire. Je savais bien que c'était juste un jeu pour elle, une façon de s'attirer sa complicité.

Hier soir, seule dans ma chambre, j'ai repensé à ce que ma mère m'avait dit. Je m'étais souvent habituée à ce qu'elle me pousse à participer à des concours futiles, juste pour que, au final, ce soit elle qui récolte les récompenses que j'avais obtenues. Elle arrangait aussi des rencontres avec des hommes beaucoup plus vieux, des inconnus dont je ne savais même pas ce qu'ils pouvaient bien avoir à me dire. C'était toujours la même histoire. Je devais me plier à ses désirs, sans poser de questions.

Et pour la première fois, mon père n'est pas venu dans ma chambre hier soir. D'habitude, il venait me rassurer, me dire que tout allait s'arranger, même si au fond rien ne changeait jamais. Parfois, il s'allongeait simplement sur mon lit, écoutant longuement mes récits de la journée, de ce que j'avais fait avec ma mère avant son arrivée. Mais cette fois, il n'est pas venu. J'ai compris que, tout comme moi, il se sentait mal. Il savait qu'il ne pouvait rien faire pour m'empêcher de subir tout ça. Il avait honte, et c'était pour ça qu'il évitait mon regard.

En chemin vers l'école, assise à côté de ma mère, le silence était lourd, presque palpable. Aucun mot ne passait entre nous. Elle se contentait de manipuler le volant d'une main, les yeux fixés sur le rétroviseur, jetant de temps en temps un regard furtif dans ma direction. Rien dans son comportement ne trahissait ce qu'elle pensait, comme si elle était perdue dans ses pensées, totalement absorbée par sa propre réalité.

Lorsqu'elle gara la voiture, c'était de manière calculée, encore plus près du portail, histoire que tout le monde remarque sa Porsche GT3 grise. Elle voulait que les professeurs, mais surtout les élèves, ne puissent pas manquer cette scène. Et, bien sûr, qu'ils me voient en sortir, comme si ma simple présence à ses côtés était un gage de son pouvoir et de sa réussite.

Quand elle ouvrit la portière avec hâte, sa main intercepta la mienne comme un obstacle impitoyable, me retenant avant que je ne puisse poser le pied au sol. Un geste rapide, direct, comme si elle voulait s'assurer que j'avais bien capté l'importance de cette entrée.

-Attends, fit-elle, avec l'assurance de quelqu'un qui sait qu'on n'a jamais de « bon moment » pour ses petites révélations.

-Je suis en retard, répondis-je, parce que, vous savez, il faut bien ajouter un peu de normalité dans cette folie.

-Je t'ai demandé d'attendre ! ordonna-t-elle, l'air d'une mère à qui on ne refuse rien.

Je poussai un long soupir, l'ennui m'envahissant. Je n'avais vraiment pas envie de parler avec elle.

- Ferme cette porte. redemanda-t-elle, comme si fermer une porte pouvait effacer tout ce qui se passait dans nos vies.

Et je m'exécutai, bien sûr, comme un robot programmé pour obéir.

— Je n'ai pas voulu te dire ça devant ton père, mais aujourd'hui, c'est ton dernier jour au lycée.

Je devrais être folle de joie, non ? Mais non. Pour la première fois de ma vie, je voulais rester au lycée, loin de cette situation, loin d'elle, loin de tout ça. C'était le seul endroit où je pouvais respirer, être moi-même, avec les autres, loin de cette mascarade.

— Je comprends pas, fis-je, espérant naïvement qu'elle allait peut-être enfin dire quelque chose de sensé.

— Écoute-moi, Emma. Tu dois te dire que je suis une mère horrible, mais si je fais ça, c'est pour ton bien.

Et là, c'est l'argument infaillible : pour ton bien. La fameuse excuse.

— C'est de la folie ! répondis-je, l'absurdité de la situation m'éclatant en plein visage.

— Chérie, tu n'auras pas toujours la vie de luxe que tu as.

Et voilà, la corde sensible : la fin de la vie de rêve. Parce que, bien sûr, je vivais dans un conte de fées avec des licornes et des châteaux.

Sentant que je risquais de craquer, je détournai rapidement le regard. Mes yeux se posèrent sur la fenêtre de la voiture, et je fixai les autres élèves qui, eux, semblaient avoir des parents normaux. Ils étaient déposés avec des baisers, des sourires, des câlins. Tout semblait facile et naturel pour eux. Leur bonheur m'a frappée de plein fouet, comme une gifle silencieuse. Chaque geste, chaque étreinte, me rappelaient douloureusement ce que je n'avais jamais eu. Un amour authentique, sans arrière-pensée, sans manipulation.

— Emma, je te parle ! lança-t-elle, son ton un peu plus autoritaire.

Résignée, je me tournai vers elle, prête à entendre une autre de ses "sages" paroles.

— Emma, y a personne, non, je te dis PERSONNE sur cette terre qui t'aime comme moi. Si je voyais qu'il y a vraiment un risque, je te jure que j'y mettrai un terme immédiatement.

— C'est normal que tu n'y trouves aucun risque. Ce n'est pas toi qui vas te faire filmer en train de… enfin, tu vois quoi.

Je laissai la phrase en suspens, laissant tout le non-dit se faire entendre.

— Personne ne saura qui tu es, répéta-t-elle, avec une assurance digne d'un expert en dissimulation.

— Comment tu peux en être sûre ? demandai-je, l'incrédulité dans la voix.

— Tout le monde dans cette ville te connaît. Ils nous connaissent, ton père et moi. Tu crois vraiment que je prendrai le risque d'entacher notre image ? répondit-elle, comme si l'image de notre famille parfaite était plus importante que ma dignité.

Ah, tout doit tourner autour d'elle, bien sûr.

- Tu crois vraiment que je vais les laisser propager ton visage pour que tout le monde entier te reconnaisse ? insista-t-elle, comme si je pouvais croire une seule de ses paroles.

- Tu comprends pas, maman... J'ai pas envie de me déshabiller devant des gens que je ne connais pas. Je veux pas que mon corps devienne un objet d'excitation pour tous ceux qui vont me regarder.

- Les corps sont pareils. Ça peut être le mien, le tien, ou celui de n'importe qui d'autre. rétorqua-t-elle avec une froideur glaciale.

- Alors pourquoi tu ne te vends pas aussi ? demandai-je, la morsure du sarcasme presque impossible à ignorer.

- Ils recrutent des corps beaucoup plus jeunes. répondit-elle, sans une once de honte.

- Et toi, t'as pensé « Ah… ma fille Emma, elle fera la candidate idéale ! » fis-je, déglutissant difficilement.

- Oui, chérie ! Tu incarnes la beauté et la féminité. Tu as un corps mince et parfait. Je veux te faire profiter du mieux que je peux de ta beauté extraordinaire ! Ce que tu as sous tes vêtements, des centaines de filles tueraient pour l'avoir. Ce trésor incroyable que tu as, tu dois jamais le négliger. Et là, elle le dit avec une telle certitude, comme si c'était un compliment.

- Sérieusement, maman ?! répondis-je, l'incrédulité dans la voix.

- Emma, grandis un peu, voyons. Arrête de penser comme ton père. Lui, il veut qu'on reste éternellement ses esclaves, à profiter de son argent, alors que toi et moi, on peut avoir bien plus.

- Je te donne la capacité de devenir millionnaire, chérie. En enlevant quelques vêtements pendant 15 minutes. Et puis c'est tout. T'es en âge de choisir qui tu veux être dans la vie. Je te donne cette chance.

Je n'étais même plus surprise, juste épuisée par la répétition de cette même rengaine.

- Non, c'est là où tu te trompes. Moi, je veux pas que tu deviennes une pute. Jamais. Je ne permettrai jamais que tu sois une pute. Girlsway ne recrute pas des putains, non. On y embauche des actrices.

- Oui, des actrices qui vendent leur corps ! répondis-je, l'ironie dans la voix, mais je savais déjà ce qu'elle allait dire.

- Vois les choses du bon côté, Emma. 100 000 $ par jour, c'est pas rien. Dans quelques mois, tu seras millionnaire et tu me remercieras.

J'avoue qu'à un moment, l'offre m'a presque séduite.

- Pourquoi ne pas attendre que je finisse le lycée ?

- Les mineurs sont les mieux payés. Plus que les autres. Le manager veut te rencontrer le plus tôt possible. Dès qu'il t'a vue, il a doublé l'offre de 2 % juste pour t'avoir.

- Maman, c'est dingue.

- Chérie, je t'aime. Et jamais je ne ferais quelque chose qui te mettrait en péril. Fais-moi confiance.

Ah, la grande déclaration de mère, toujours prête à te dire qu'elle veut ton bien, surtout quand cela implique de t'utiliser pour réaliser ses propres ambitions.

- En plus, le lycée et toutes ces conneries qu'on vous apprend là-bas ne vous aideront à rien.

Bien sûr, pourquoi se donner la peine d'apprendre quelque chose d'utile quand tu peux être une star, non ?

- Tu sais, Millie Bobby Brown était déjà millionnaire à ton âge, et elle n'avait même pas besoin de passer par l'école. Et n'oublie pas Zendaya, qui a aussi engrangé des millions bien avant ses 18 ans. Voilà, des exemples parfaits de jeunes actrices qui ont saisi chaque opportunité et l'ont transformée en une machine à cash. Moi aussi, je veux te faire réaliser tes rêves.

Si par rêves tu veux dire devenir une icône du showbiz avant de savoir vraiment ce que c'est que vivre normalement, alors oui, on est bien d'accord.

- Je vais faire de toi une star, comme celles que tu admires. Elles ont compris depuis longtemps comment se servir de leurs talents avant même d'avoir leur permis de conduire.

Elle me parlait comme si j'avais vraiment le choix. Comme si j'étais la dernière des naïves à croire que j'aurais une chance de dire non. Mais je la connaissais trop bien. Dans ce genre de scénario, le mot « non » n'existait pas dans son dictionnaire. Elle savait toujours comment tourner les choses de manière à ce que tout lui revienne, et, bien sûr, peu importait ce que je ressentais. Peu importait si je me débattais ou pas.

- Allez, va en cours et dis aux élèves et aux proviseurs que tu changes d'école pour suivre des cours de théâtre à la Royal Academy of Dramatic Art à Londres. Ça a l'air tellement crédible, n'est-ce pas ?

- Mais c'est débile, personne ne va me croire. J

- Ah, mais bien sûr qu'ils vont te croire ! Tu es riche, belle, et tu as ce petit air mystérieux qui te rend irrésistible. Qui refuserait une star en devenir qui part étudier à la RADA, hein ?

Elle avait ce ton, comme si c'était la chose la plus évidente au monde. Parce que, bien sûr, à Londres, tout le monde se bat pour avoir des « élèves » comme moi, des ados qui fuient le lycée pour devenir des acteurs internationaux. C'est pas comme si ça sentait un peu la supercherie à plein nez.

— Et Phoebe dans tout ça ? Elle va sûrement en parler avec Bryan et tous les autres, non ?

— Oh, ça a déjà été réglé, chérie. On en a parlé hier soir. Tout est sous contrôle, t'as rien à craindre.

Bien sûr, tout est toujours sous contrôle, n'est-ce pas ? Comme si elle pouvait tout prévoir, tout gérer. Et moi, dans tout ça, je n'étais rien de plus qu'une marionnette à ses yeux.

— Et papa ?

Elle haussait les épaules, son regard fuyant, comme si ce détail n'était qu'un petit contretemps.

— Oh, il est d'accord…

— Non, c'est pas vrai. Arrête de mentir.

Elle se figea un instant, une lueur d'énervement traversant ses yeux, avant de se reprendre.

— Il est un peu réticent au début, mais tu sais bien, ça passe. C'est juste une question de temps avant qu'il change d'avis.

La réponse était trop rapide, trop assurée. Trop facile. Comme si elle avait déjà anticipé toutes mes objections.

— Maman, papa affirme qu'il va divorcer de toi si tu continues avec tout ça.

Je vis sa tête se transformer en un masque de marbre, ses traits se durcir comme si elle venait de recevoir un coup de poing en plein visage. C'était surprenant. Hier, elle l'avait ignoré totalement, son indifférence à ses menaces avait été presque glaciale. Mais aujourd'hui, cette simple phrase avait fait mouche. Une petite fissure venait de se former dans son armure.

— Il a dit ça quand ?

Sa voix était d'abord calme, presque trop calme. Ses mains se crispaient sur le volant. Le silence qui suivit était lourd, pesant. Elle attendait une réponse, et je savais que chaque mot que je prononcerais comptait.

— Bah, hier et ce matin.

Elle cligna des yeux, une fraction de seconde, juste assez pour que je remarque que l'impact de mes paroles commençait à s'enraciner.

— Ce matin, il a dit quoi ?

Elle ne lâchait pas l'accélérateur, mais je pouvais sentir la tension dans ses épaules, prête à exploser.

— Maman, ça va ?

— REPONDS !

Elle hurla si fort que la voiture en trembla. J'avais l'impression que l'air autour de nous se densifiait, comme si une tempête se préparait à éclater.

Je me forçai à garder mon calme, mais c'était comme marcher sur une corde raide.

— Attends... Il a dit... Hmm... je m'en souviens pas bien...

Elle me fixa, ses yeux sombres comme des puits sans fond.

— Essaie de t'en souvenir !

Son ton était devenu froid, menaçant. Il n'y avait plus de place pour l'hésitation. Je savais qu'une seule erreur, une seule omission de ma part, et je risquais de tout perdre.

— Toi, t'étais à la cuisine, et moi j'étais dans le jardin, en train de parler à Juana.

— Et ?

Elle haussait à peine un sourcil, mais je sentais sa patience s'amenuiser à chaque seconde.

— Papa est passé devant moi, il était au téléphone avec je ne sais qui. Un collègue, peut-être.

Elle pencha la tête, comme un prédateur qui a flairé sa proie.

— Tu te rappelles de ce qu'ils ont dit ?

La pression était à son comble, le silence lourd de promesses menaçantes.

Je pouvais presque entendre les battements de mon cœur dans mes oreilles.

— Quelques bribes de conversation.

Elle se pencha en avant, ses yeux scintillant d'une lueur froide.

— Parles ! Il ne te reste pas beaucoup de temps.

Sa voix était basse, tranchante, et chaque mot semblait une lame qui me pressait contre le mur.

Je savais que je devais tout lui dire. Mais comment le faire sans me noyer dans l'océan de ses attentes ?

— Il lui a demandé de préparer tous les papiers nécessaires pour le divorce. Que ça doit être rapide. Il a aussi demandé que les papiers te soient envoyés à l'hôpital et que tu les signes en moins de deux jours.

Elle sembla se figer. Un instant. Un silence lourd comme la terre avant un orage.

— T'es sûre de ça ?

Elle serra les dents. Une menace invisible vibrait dans l'air. Je pouvais presque entendre son esprit en ébullition, cherchant une issue, un moyen de démentir ce que je venais de dire.

— J'étais là quand il en parlait au téléphone, mais je n'y ai pas prêté attention.

Je me sentais comme un témoin d'un procès sans issue, pris entre deux feux.

Elle détourna enfin les yeux, ses mains serrant si fort le volant qu'on aurait dit qu'elle allait le briser. Elle chercha autour d'elle, comme si elle pensait que l'environnement allait lui offrir une échappatoire. Mais l'air était saturé de tensions, et rien, absolument rien, ne pouvait la sauver.

— Vas-y, sors.

C'était plus un ordre qu'une demande. Un ordre lourd de sous-entendus. Et à cet instant, je sentais que ma respiration devenait plus difficile, comme si l'air se raréfiait.

Je déglutis, mon instinct me hurlait de partir, mais ma tête ne suivait pas tout de suite.

— T'es sûre que tu vas…

Elle m'interrompit d'une voix glacée, ses mots m'attrapant comme des chaînes invisibles.

— Allez dehors.

Sa voix était si tranchante, si impérieuse, qu'aucune résistance n'était possible. Elle savait parfaitement comment jouer de son autorité, comment faire fondre mes hésitations comme neige au soleil.

Je sortis de la voiture, en me demandant pourquoi j'avais cru bon de lui en parler. Bien sûr, c'était tellement intelligent de lui donner un aperçu de ce que papa avait dit. C'est pas comme si elle n'avait pas déjà assez de sources de stress dans sa vie. Non, vraiment, c'était la meilleure idée du siècle.