Partie I : Une étrange rencontre
Kaelan était prêt à l'aube. Les premières lueurs du jour baignaient le village de Dorwyn d'un éclat doré, faisant scintiller la rosée sur les toits de chaume comme des perles oubliées par les dieux. Une mince brume enveloppait encore les deux lunes à peine visibles et le chant des oiseaux semblait presque lui souhaiter bonne chance. Le vent, chargé des odeurs de pins et de champs humides, lui caressait le visage lui rappelant qu'il entamait un voyage bien au-delà de tout ce qu'il avait connu.
Kaelan était encore hanté par le souvenir de ce rêve troublant, une vision dansante dans son esprit comme une flamme insaisissable. Mais ce matin-là, il était résolu. Sa besace frappait doucement contre sa hanche tandis qu'il avançait d'un pas déterminé et ferme, le vent jouant dans ses cheveux bruns. Il avait pris sa décision : le monde l'appelait, et il ne pouvait ignorer cet appel.
Chaque pas l'éloignait de sa Terre-Natale, et le rapprochait des réponses qu'il cherchait. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de douter : ces visions avaient-elles un véritable sens, ou n'était-il qu'un fou poursuivant un mirage ?
Le village, à peine plus grand qu'un hameau, disparaissait déjà derrière lui. Les vieilles pierres du puits central, usées par des générations, les champs nus après les moissons d'automne et les rares habitants qu'il connaissait tous par leur prénom appartenaient désormais au passé. Il se retourna une dernière fois. D'une voix presque imperceptible, il se promit de revenir — mais en homme changé.
— Tu es sûr de toi, garçon ? lança une voix familière derrière lui.
Kaelan se retourna et aperçut Oswald, le forgeron du village, dont le regard trahissait une inquiétude sincère.
— Aussi sûr que l'eau trouve toujours son chemin, répondit Kaelan avec un sourire aux lèvres.
— Alors prends ça. Un homme en route sans lame est un homme déjà mort.
Oswald tendit à Kaelan une épée simple mais solide, sa poignée faite de bois d'if, usée par le temps. Kaelan la saisit avec reconnaissance.
Après une poignée de main ferme il s'éloigna sans regarder en arrière, laissant derrière lui les sons familiers de Dorwyn.
— Reviens en un seul morceau, garçon, lança le forgeron, un sourire amer dissimulé sous sa barbe.
Ce petit cadeau semblait presque dérisoire, mais il symbolisait la confiance d'un homme qui avait vu grandir Kaelan et qui croyait à sa manière, au potentiel du garçon.
Il partait au solstice d'été de l'an 797 du calendrier myrandien, à peine âgé de dix-neuf hivers.
Son grand-père ne lui avait donné qu'une seule consigne : se rendre à Sovale, une cité où il trouverait des alliés et peut-être même des outils pour accomplir un devoir qui lui restait inconnu.
Mais Sovale était à quatre mois de marche. Sans cheval ni compagnon, Kaelan se lançait dans une aventure solitaire.
Le sentier serpentait à travers les collines vallonnées de Lirès, une région du sud-est d'Ambeor, emplie de légendes. Bien que résolu, Kaelan trouvait le voyage éprouvant. Ce n'était pas seulement la distance ou la fatigue ; c'était la solitude, une sensation qu'il ne connaissait pas dans les rues familières de Dorwyn.
Le long du chemin, il remarquait des cairns de pierre érigés par les anciens en l'honneur de Sylëa, déesse protectrice de la forêt. Chacun d'eux était orné d'offrandes : des fleurs fanées, des pierres polies, des rubans colorés noués aux branches environnantes. Il s'arrêta devant l'un des plus grands cairns, où des enfants avaient gravé maladroitement une représentation de Ylvasil, l'arbre sacré.
Protège-moi sur ce chemin, murmura-t-il.
Les premiers jours furent paisibles, presque contemplatifs. Les collines verdoyantes de Lirès s'étendaient comme un océan d'herbe ondulante. Kaelan s'exerçait à ressentir les manaons environnant, tentant d'affiner cette habitude depuis ses premières leçons de magie rudimentaire. Parfois, le cri strident d'un aigle fendait le silence, et Kaelan levait les yeux pour suivre ces silhouettes majestueuses.
Mais après deux jours de marche, le paysage changea. Les collines verdoyantes laissèrent place à une forêt dense et sombre, où les rayons du soleil peinaient à percer. Le silence oppressant des bois n'était brisé que par le craquement de ses pas et le bruissement des feuilles au vent.
Il marchait prudemment car il savait que ces bois étaient réputés pour abriter des créatures étranges, bien qu'il n'ait jamais cru aux vieilles histoires de fantômes, il préférait rester sur ses gardes.
Alors qu'il traversait un pont de bois rudimentaire enjambant un ruisseau, Kaelan aperçut une silhouette élancée qui s'approchait lentement de lui. Il pensait distinguer un elfe, au visage marqué par les cicatrices et les brûlures d'une vie de dangers. Sa longue chevelure noire, un trait rare chez les elfes, et ses yeux dorés, vifs et pénétrants, captèrent immédiatement l'attention de Kaelan ; ils semblaient le fixer d'une intensité extrême.
Il faut dire que Kaelan n'avait pas l'habitude de rencontrer des étrangers, et encore moins des elfes, lorsqu'il habitait dans son village replié sur lui-même. Les quelques elfes qu'il avait pu voir possédaient une longue chevelure blonde parfois argentée, ils n'avaient rien à voir avec cet inconnu. Ceux qu'il avait rencontré étaient des êtres mystérieux qui ne venaient que pour converser avec le vieux Drakel.
Le jeune garçon n'avait pas l'intention de se laisser emporter par ses premières impressions. Lui-même était souvent pris pour un elfe à cause de ses oreilles extraordinairement pointues mais pourtant courtes, et de ses yeux d'un vert éclatant. Pourtant, il savait qu'il n'avait rien d'un de ces êtres. Loin de posséder la puissance magique légendaire qui les caractérisait, il n'avait d'affinité qu'avec une forme rare et complexe de magie, la "Terre Antique", un don qu'il peinait encore à maîtriser. Là où les elfes excellaient dans les arts mystiques, Kaelan puisait sa véritable force dans un tout autre domaine : une puissance physique exceptionnelle et un corps parfaitement sculpté, bien loin des traits fins et élancés des elfes. Mais malgré tout, ceux qui l'entouraient ressentaient en lui cette même énergie mystérieuse et fascinante, une aura indéfinissable, semblable à celle des gardiens des forêts.
— Jeune humains, où te mènent tes pas ? lança l'inconnu d'une voix douce, presque musicale. Tu sembles perdu dans tes pensées.
Kaelan, méfiant mais intrigué, répondit brièvement :
— Sovale.
L'homme éclata d'un rire rauque, dévoilant des dents légèrement pointues.
— À pied, avec cet air songeur ? Tu n'y arriveras jamais. Tu mourras avant d'arriver. Écoute : il y a un village sur ta route, pas très grand, mais en détresse. Tu pourrais leur être utile, et qui sait, recevoir une récompense ?
Kaelan fronça les sourcils.
— Vous m'intimidez ou vous essayez de m'aider ?
L'étrange homme sembla amusé.
— Bois ceci, dit-il en tendant une gourde. Ce chemin que tu as choisi est long, et il va te mettre à l'épreuve. Ce village pourrait avoir besoin d'un gars comme toi. Ils n'ont plus d'eau, a ce que j'ai vu. Une histoire de barrage construit en amont. Ce genre d'injustice mérite un héros, non ? Le village en question est à 3 jours d'ici au nord-est, j'en reviens tout juste.
Kaelan hésita un instant avant d'accepter la gourde.
— Pourquoi m'aider ?
— Peut-être que je crois encore en la force des bonnes actions, ou que je mise sur toi. Peut-être aussi que c'est l'ennui qui parle. Ou peut-être est-ce cette lueur en toi, cette lumière rare que je n'ai pas rencontré depuis longtemps. Tu me rappelles un jeune aventurier que j'ai rencontré autre fois, il avançait aussi sans savoir ou aller.
Kaelan remercia l'inconnu en gravant son visage dans sa mémoire, un visage qu'il savait qu'il ne pourrait oublier. Il hésita un instant avant de poser une dernière question qui lui trottait dans l'esprit depuis le début de leur rencontre.
— J'aimerais vous demander une chose, dit-il, la voix un peu hésitante. Êtes-vous un elfe ?
L'être sembla le regarder un moment, comme s'il scrutait ses pensées les plus profondes. Ses yeux dorés se mirent à briller et un léger sourire se dessina sur ses lèvres, presque triste.
— Moi ? Un elfe ? Eh bien, oui, on peut dire ça. Mais toi… Est-ce que tu es un elfe, un humain… ou peut-être autre chose ? Il y a cette énergie qui émane de toi, quelque chose que je ne comprends pas.
Kaelan haussa les épaules, son regard avait fui un instant celui de l'elfe. Il n'avait jamais su définir cette énergie qu'on disait en lui, mais il l'avait toujours ressentie.
— On m'a souvent pris pour un elfe à cause de mes oreilles, répondit-il, les yeux perdus dans le vague. Mais je suis Kaelan, un humain parmi tant d'autres. Rien de plus.
L'elfe le regarda intensément, comme s'il évaluait chaque mot, chaque mouvement de Kaelan. Puis il hocha la tête lentement.
— Et moi, dit-il enfin, je suis Zaelith, un elfe parmi tant d'autres. Mais, après tout, ce qui importe vraiment n'est pas notre nom mais plutôt ce que l'on est, n'est-ce pas ? Puis, sans un mot de plus, l'elfe disparut dans la forêt.
Kaelan voulait répondre, mais avant qu'il ne puisse trouver les mots, Zaelith se tourna déjà vers la forêt. Avec un dernier regard pénétrant, l'elfe s'éloigna, disparaissant dans l'épaisse brume des arbres, comme une apparition qui ne laisserait derrière elle que des questions sans réponses.
Kaelan reprit sa route, intrigué. Il avait initialement prévu de se diriger vers Sovale, au nord-ouest, mais il se disait qu'il n'avait rien à perdre à aller vérifier ce village qui était à l'opposé de sa destination. Il n'avait que quelques jours de marche après tout, et il n'était pas pressé.
La naïveté n'avait rien à voir avec la confiance qu'il plaçait dans les paroles de cet inconnu. Cette conviction, profonde et instinctive, venait d'un autre endroit, un sentiment difficile à expliquer, mais qui lui parlait de manière indéniable.
Si c'était un piège, il était prêt à se battre de toute façon. Ses yeux cernés témoignaient des longues nuits passées à s'entraîner sans relâche, jour après jour, jusqu'à l'épuisement. C'était là, dans ces moments de lutte intérieure, que résidait son assurance, forgée dans l'effort et la ténacité.
Après plusieurs jours de marche ponctués de rencontres aussi intrigantes qu'imprévues — des gobelins farceurs, un basilic qu'il avait eu la chance d'éviter, et d'autres dangers mineurs — il croisa le chemin d'un mystérieux marchand. L'homme était un hybride. Il mesurait plusieurs têtes de plus que Kaelan, et des écailles rougeâtres recouvraient son corps entier, luisantes sous la lumière du soleil. Ses pupilles, d'un rouge profond, étaient fendues, semblables à celles d'un reptile. Mais cette rencontre était déjà connue du monde, c'était Regin.
Partie II : Injustice.
Au sixième jour depuis son départ de Dorwyn, Kaelan atteignit enfin le village mentionné par Zaelith.
Ce qu'il découvrit dépassa ses pires craintes. Le sol craquelé, les buissons desséchés, les maisons, bâties en bois et en torchis, semblaient à moitié abandonnées. Il ne fallut pas longtemps pour que Kaelan remarque l'évidence : l'endroit manquait cruellement d'eau.
Les rares habitants affichaient des visages tirés et creusés par la fatigue et le désespoir, ceux-ci erraient comme des ombres sous un ciel implacablement clair, leurs vêtements semblaient recouverts d'une poussière incrustée, comme si le temps lui-même s'était figé dans une lente désolation. Le paysage qui l'entourait portait les marques d'une agonie silencieuse : des arbres tordus à la rivière asséchée, réduite à un lit de pierres blanchies par le soleil, en témoignaient douloureusement.
Kaelan s'arrêta près d'un puits au centre du village. Une vieille femme, pliée sous le poids d'une jarre vide, lui lança un regard implorant. Ses joues creuses et ses yeux ternes racontaient une souffrance silencieuse, presque oubliée.
— Vous, voyageur… Avez-vous de l'eau ? demanda-t-elle d'une voix éteinte.
Kaelan secoua la tête, pris au dépourvu.
— Non… Je suis désolé, répondit-il doucement. Mais peut-être puis-je vous aider. Que se passe-t-il ici ?
Un vieillard aux cheveux blancs, assis près du puits central, leva les yeux vers lui. Dans son regard brillait une colère glaciale, alourdie par des années d'impuissance.
— Sovale, répondit-il avec une amertume palpable. Ils ont construit un barrage en amont, détournant le dernier cours d'eau qui nourrissait notre terre. Et ici, la pluie nous a oublié depuis des générations. Ils parlent de progrès… mais regarde où cela nous a menés.
— Il ne pleut jamais ? Même en plein mois de Velmar ? Ce mois où la pluie ne s'arrête jamais normalement ? Et pourquoi ne pas être allés protester pour votre cours d'eau ? demanda Kaelan, l'étonnement dans la voix, ne comprenant pas comment une telle situation était possible.
Le vieillard rit, un rire sec et désabusé.
— Protester ? Contre Sovale ? Nous ne sommes rien pour eux. De simples grains de poussière sur la route de ces marchands et dirigeants cupides.
Kaelan observa le puits et les alentours. Il comprenait mieux, désormais, pourquoi on lui avait conseillé de s'arrêter ici.
— Peut-être que je peux faire quelque chose, dit-il enfin, le regard déterminé.
Les villageois échangèrent des regards sceptiques, mais dans leurs yeux brillait un espoir fragile.
Kaelan passa la nuit à écouter les récits du vieillard et des autres habitants. Ils lui racontèrent les ravages causés par Sovale et le désespoir qui s'était installé dans le village.
Inspiré par ces récits, il se remémora les leçons de son mentor, les histoires de son grand-père et les fragments de sagesse partagés par les rares aventuriers qui étaient autorisés à passer par son village.
Une idée prit forme dans son esprit : utiliser des talismans magiques pour résoudre le problème.
Kaelan entreprit de concevoir un système pour fournir de l'eau au village. Il trouva refuge chez Théodas, un vieil érudit grincheux mais compétent, qui accepta de l'aider malgré ses grognements incessants.
La première étape fut d'approfondir le puits, espérant atteindre une nappe souterraine. Kaelan, aidé par les villageois, passa deux jours à creuser sans relâche, ses mains couvertes d'ampoules. Mais même une fois le puits approfondi, l'eau restait hors de portée.
C'est alors qu'il se tourna vers la magie, lui qui connaissait les bases de la création de talismans grâce à son mentor en magie.
Kaelan décida de créer deux talismans : l'un pour produire de la glace, l'autre du feu qui la fera fondre en eau. Une idée simple en apparence, mais, infiniment complexe en pratique.
Un talisman d'eau n'aurait fonctionné qu'une seule fois, car l'objectif était de créer un système où le feu régirait à la glace de manière continue. Il était donc impensable de l'utiliser pour maintenir un cycle automatique.
Kaelan n'avait jamais conçu de talismans complexes auparavant, mais il savait que c'était possible.
Il s'installa près du puits, entouré de livres poussiéreux empruntés à la bibliothèque de Théodas et des conseils de celui-ci.
— Tu veux utiliser des talismans pour alimenter le puits ? demanda Théodas en fronçant les sourcils.
Kaelan hocha la tête.
— Oui. Un talisman pour produire de la glace, et un autre de feu pour la faire fondre. Avec un peu de chance, l'eau s'accumulera et remplira le puits.
Théodas caressa sa barbe, dubitatif.
— C'est ambitieux. Et risqué. Le flux de mana environnant pourrait devenir instable si les talismans ne sont pas calibrés correctement. C'est simple dans l'idée, mais compliqué à automatiser et associer, c'est pour ça que je n'ai pas exploité cette idée.
Kaelan, déterminé, passa les jours suivants à travailler d'arrache-pied.
Il commença par graver des runes sur deux morceaux de cristal brut qu'il avait récupérés dans ses affaires.
Le talisman de glace devait être gravé de runes spécifiques, les Runes Frigs, capables d'attirer et de condenser les manaons ambiants en énergie glaciale. Les manaons sont les particules d'énergie magique présentes partout dans l'univers ; une fois absorbées, elles se transformaient en Mana, permettant l'utilisation de la magie.
Mais la moindre erreur dans les gravures risquait de saturer le talisman, le problème résidait dans l'équilibre. Si le talisman absorbait trop de ces manaons, il risquait de saturer puis d'exploser, une leçon qu'il apprit à ses dépens lors de sa première tentative.
De même, le talisman de feu, gravé des Runes Ignis, devait transformer cette énergie environnante en une énergie chaude et constante, pour provoquer une combustion. Mais là encore, maintenir l'équilibre entre les deux objets enchantés s'avéra être un défi colossal : les flux de mana entre les deux catalyseurs entraient constamment en déséquilibre, provoquant des surcharges ou des arrêts brutaux, chaque tentative échouait, un talisman se chargeait trop rapidement et explosait.
— Tu vas tout faire sauter, gamin, grogna Théodas en observant l'état désastreux de son atelier.
Kaelan, épuisé mais déterminé, répondit avec un sourire fatigué :
— Ce n'est qu'un détail.
Un jour, alors qu'il peinait à trouver une solution, un alchimiste itinérant fit halte dans le village. Vêtu de robes ornées de symboles élémentaires, il observa Kaelan avec curiosité.
— Tu te bats avec les éléments, jeune homme ? Tu as l'air d'un novice, demanda-t-il avec un sourire moqueur.
Kaelan leva les yeux, frustré.
— Oui, et je n'y arrive pas.
L'alchimiste éclata de rire.
— Peut-être parce que tu ne les comprends pas vraiment.
Kaelan se retourna brusquement.
— Qui êtes-vous ? demanda Kaelan.
— Un alchimiste d'Avalonis, répondit l'homme avec un sourire. Et toi, tu es un rêveur qui essaie de dompter les éléments sans vraiment les comprendre.
— Vous allez m'aider à sauver ce village, ou continuer d'essayer de me faire fuir ? Il faudra choisir, rétorqua le garçon.
L'alchimiste éclata de rire et s'assit près de lui.
— Je vais t'apprendre quelques rudiments, alors. À Avalonis, nous considérons les éléments comme les piliers de l'existence. La magie ne consiste pas seulement à les manipuler, mais à comprendre leur harmonie. Nous comprenons les éléments comme des forces vivantes. La glace et le feu sont opposés, mais ils peuvent coexister si tu trouves leur point d'harmonie.
— L'harmonie ?
— Pense aux flux de mana comme à des rivières. Si l'une coule trop vite, elle emportera tout sur son passage. Si l'autre est trop lente, elle s'asséchera. Tu dois équilibrer leurs rythmes. La glace et le feu ne sont pas des ennemis, dit-il. Ils sont comme deux danseurs : ils doivent se mouvoir en harmonie.
Kaelan passa un long moment sous la tutelle de l'alchimiste, apprenant à équilibrer le flux de mana entre différents éléments. Il travailla jour et nuit, ajustant chaque détail avec soin.
Il découvrit que chaque talisman devait être gravé avec des runes spécifiques pour fonctionner en harmonie. Le talisman de glace, par exemple, devait effectivement produire du froid, mais aussi se nourrir du mana sans perturber l'équilibre naturel en refroidissant l'air qui permettra aux flammes de naitre.
La première tentative échoua lamentablement. Le puits se couvrit de givre, rendant le mécanisme inutilisable. La seconde tentative fit exploser le talisman de feu, projetant des éclats brûlants dans tout l'atelier improvisé.
— Tu es têtu, gamin, dit Théodas, qui avait prêté son espace à Kaelan.
— Et c'est exactement pour ça que je vais réussir, répondit Kaelan, le regard brillant.
Il écouta attentivement, ajustant ses cristaux en fonction des conseils de l'alchimiste. Il ajouta des Runes de stabilisation, des glyphes qui régulaient le flux de mana entre les deux talismans.
Et après deux semaines d'efforts acharnés, il activa enfin le mécanisme. Gravés à la main sur chaque talisman, les runes brillaient d'une lueur douce, témoins de leur stabilité.
Le puits se remplit d'eau limpide, goutte après goutte, avant de relâcher un flot continu. Les villageois éclatèrent en applaudissements et en larmes.
Partie III : Légendes.
Le soir, autour d'un feu, les villageois célébrèrent Kaelan comme leur sauveur. Ils lui racontèrent des histoires anciennes : la guerre divine, le sacrifice de Sylëa pour protéger Ambeor, et les légendes des artefacts sacrés.
L'alchimiste, lui, évoqua les mystères d'Avalonis et leur vision des éléments. Kaelan n'avait aucune connaissance de tout ce qu'il venait d'apprendre : de la magie, du monde, des gens.
À vrai dire, dans son village rien de tout ça n'était enseigné, on ne cherchait qu'à maîtriser la magie de la terre de façon parfaite.
Un villageois commença à raconter les histoires d'une lance légendaire, et d'une épée de feu, toutes deux perdues depuis des siècles sur le continent de Myrandis.
— On dit que ces armes n'existent pas que pour la destruction, mais sont des entités vivantes à part entière.
— Tu as l'étoffe d'un héros, dit l'un d'eux. Peut-être que ton voyage te mènera à des merveilles que nous ne pouvons qu'imaginer.
Plus tard, Kaelan s'assit seul près du puits, son reflet dans l'eau fraîche éclairé par les étoiles. Le silence de la nuit enveloppait le village, créant une atmosphère paisible mais étrange.
Théodas, l'érudit aux cheveux argentés et à la sagesse indéniable, s'approcha lentement. Il s'assit à côté de Kaelan, l'air pensif, mais un léger sourire sur les lèvres.
— C'est une belle chose que tu as faite, dit-il en posant une main sur son épaule, ses yeux brillaient d'une reconnaissance sincère. Je suis fier de toi, Kaelan.
Kaelan haussa les épaules.
— Ce n'est qu'un début. Un tout petit début, comparé à ce que je veux accomplir. Mais… tu sais, je voulais tout accomplir seul, sans aide. Je me rends maintenant compte que je ne peux pas. C'est plus compliqué que ce que j'avais imaginé.
Théodas le regarda attentivement, son regard plein de compréhension.
— Tu cherches à accomplir des choses sans faire appel aux autres ? C'est noble, mais parfois, on doit accepter qu'il y ait des moments où l'on ne peut pas tout porter seul. Un homme n'est pas fait d'un seul être, Kaelan. Il faut savoir accepter l'aide quand elle se présente, sans honte ni faiblesse.
Kaelan baissa la tête, un rictus un peu amer sur les lèvres.
— Peut-être. Mais tout ce voyage… je ne sais pas. Il n'a jamais été le mien. Je ne l'ai pas choisi, comme si quelqu'un d'autre en était le maître. J'ai toujours été mis de côté, dans mon village, tu sais. Sans raison, sans explication. Je n'étais pas l'un d'eux. J'étais trop… différent. Mais ici, dehors, en voyageant, en rencontrant des gens comme toi… je ne me sens pas aussi mal. J'ai l'impression de faire enfin quelque chose de vrai. Quelque chose qui me permet d'exister.
Théodas hocha la tête, comme s'il comprenait parfaitement.
— La solitude, c'est un fardeau lourd à porter, mais aussi une voie parfois nécessaire pour grandir. Tu dis que ton voyage n'est pas le tien, mais peut-être qu'il le deviendra. Il te faut encore du temps pour le comprendre. Nous ne choisissons pas toujours notre propre chemin, Kaelan. Mais il arrive que le destin nous guide là où nous devons être, même si nous ne le comprenons pas immédiatement.
Kaelan tourna son regard vers Théodas, curieux.
— Et toi, Théodas, tu as été à ma place un jour ? Tu n'as jamais eu ce sentiment d'être de trop chez toi ? De devoir partir ?
Théodas sourit doucement, son regard se perdant dans les étoiles, comme s'il se rappelait de lointains souvenirs.
— Oh, j'ai ressenti cela, plus que tu ne peux l'imaginer, Kaelan. Il y a bien des années, j'étais moi aussi ce jeune homme avide de découvrir le monde, sans savoir où j'allais. Je n'avais aucune idée de ce que je voulais vraiment, mais je savais que je devais quitter mon village, fuir la monotonie. Toutes ces rencontres, même celles qui m'ont paru inutiles à l'époque, m'ont façonné. Et ce savoir, Kaelan, est plus précieux que n'importe quel trésor.
— Tu as croisé tant de monde au cours de tes aventures ? s'exclama Kaelan, l'enthousiasme dans la voix, captivé par les récits de Théodas.
— Oui, l'une d'elle m'a beaucoup marqué. J'ai rencontré un elfe différent de tous les autres. Son nom était Dornvenn. Un éxilé, solitaire rejeté par son propre clan, rejeté par les hommes, il avait traversé bien plus que quiconque dans ce monde. Un être convaincu que la compagnie des autres ne faisait qu'alourdir le fardeau de sa vie, faisant tout pour se tenir à l'écart du monde. En croyant que la meilleure façon de survivre, était de ne dépendre de personne. Mais au final, la colère et la tristesse l'ont englouti. Il s'est perdu dans tout ça... sans même s'en rendre compte.
Kaelan se tourna vers Théodas, plus pensif que jamais. Il avait entendu ce nom lorsqu'il n'était qu'un enfant, c'était une des seules choses que son grand-père lui racontait sur le monde extérieur : Dornvenn, l'ombre de la forêt, un elfe légendaire dont les exploits résonnaient à travers tout le continent.
— Et tu… tu l'as connu ? C'est lui qui t'a tout appris ?
Théodas hocha lentement la tête, un sourire mélancolique effleurant ses lèvres.
— Il vivait dans la forêt, seul, se nourrissant de ses propres pensées et de sa colère. Il refusait toute compagnie, comme si la solitude était son unique refuge. Mais moi, je n'ai pas pu le laisser ainsi. J'ai vu au fond de lui quelque chose que même lui ignorait : une âme qui avait simplement oublié comment accepter les autres tellement elle fut rejetée. Alors, je l'ai forcé à m'accepter, à accepter que l'on soit plus forts ensembles. D'autres se sont joints à nous, et petit à petit, ce groupe que nous formions l'avait changé. Il était devenu quelqu'un d'autre, quelqu'un de plus grand que la tristesse et la colère qui l'avaient rongé.
Kaelan se tourna vers Théodas, fasciné par ce qu'il venait d'entendre.
— Tu veux dire qu'il n'était pas comme il est aujourd'hui au départ ?
— Non, pas du tout. Mais au fil du temps celui qu'on surnommait "l'ombre de la foret" avait appris à faire confiance à ceux qui l'entouraient. Il a laissé la colère se dissiper, et la compagnie des autres est devenue sa véritable force. Il est devenu un aventurier légendaire, connu dans tout Ambeor. Et ce changement, Kaelan, ce n'est pas grâce à ses armes ou à sa magie. C'est grâce à ses compagnons, à nous, qui l'avions aidé à redevenir quelqu'un. Et c'est ainsi qu'on a tous apprit le plus grand enseignement de nos vies : ce n'est pas la solitude qui forge un homme, mais ses compagnons.
Kaelan réfléchit un instant, son regard tourné vers l'horizon. Il n'avait jamais pensé à l'amitié de cette manière. Peut-être que ce voyage qu'il accomplissait n'était pas uniquement le sien, mais celui d'un chemin commun avec des gens qui, comme lui, portaient une histoire.
— Tu sais, Théodas, je crois que tu es à peu près la seule personne "normale" que j'ai rencontrée cette semaine. Toutes les autres rencontres, ces gens mystérieux… ils sont toujours un peu hors de portée. Mais toi, tu me sembles… réel.
Théodas éclata d'un rire doux, une sagesse évidente dans ses yeux.
— Normal, dis-tu ? La normalité n'est qu'un concept humain, Kaelan. Les mystères font partie du voyage. Chaque être que tu rencontres, qu'il soit étrange ou difficile à comprendre, t'enseignera quelque chose de précieux. Tu dois juste savoir écouter. Car le véritable voyage ne réside pas dans les destinations, mais dans ce que tu découvres en chemin. Gamin, ce n'est pas notre nom qui importe, mais ce que l'on est. Dornvenn a laissé derrière lui un héritage, mais c'était aussi un homme, comme toi et moi.
Kaelan se tourna lentement vers son ami et lui sourit, sentant un léger apaisement dans son cœur. Il n'était peut-être pas tout à fait prêt à comprendre ce voyage ni ce qu'il était censé accomplir, mais il savait maintenant que ce n'était pas à lui de tout comprendre immédiatement. Parfois, il fallait simplement avancer, et se laisser guider par ceux qui avaient un peu plus d'expérience que lui.
Désormais Kaelan était prêt à affronter les trois semaines de voyage restantes jusqu'à Sovale. Les étoiles brillaient au-dessus de lui, comme si elles approuvaient son chemin. Tandis que la nuit s'étendait autour d'eux, Kaelan et Théodas poursuivaient leur conversation, plongés dans des échanges sur les aventures passées de Théodas et les merveilles du monde qui les attendait.
Pourtant, une phrase persistait dans son esprit, tournant sans cesse en boucle, comme un écho lointain : celle que Théodas venait de lui murmurer, empreinte de sagesse : Ce n'est pas notre nom qui importe, mais ce que l'on est. Il avait la sensation de l'avoir déjà entendue, comme si ces mots résonnaient au fond de lui. Mais Kaelan ne parvenait pas à en saisir l'origine. Peu à peu, il laissa cette pensée s'éloigner, ne lui accordant plus de place.
Au matin, les villageois lui offrirent un cheval noir qu'il nomma Obsidius. Il quitta le village après y avoir passé 2 longues semaines le 22eme jours du mois de Solarys de l'an 797.
Un sentiment de fierté l'envahissait, il était maintenant plus déterminé que jamais. Il avait non seulement gagné un cheval, mais aussi une nouvelle compréhension de lui-même et du monde qui l'entourait. Il était prêt à affronter le reste de son voyage, les étoiles comme seuls témoins de son courage naissant.
Chaque pas le rapprochait de son destin. Kaelan n'était plus seulement un voyageur. Il était, désormais, un héros en devenir.