Mon duel était terminé depuis un peu moins d'une heure mais la tension ne s'était pas dissipée. Alors que les derniers affrontements se déroulaient sur le terrain d'entraînement.
Après un nouveau quart d'heure nous avions été rassemblés à l'écart des plateformes de duel, sous un auvent de pierre ombragé. L'instructeur en chef nous observait d'un œil scrutateur, semblant jauger notre état physique et mental.
« Écoutez bien, » déclara-t-il enfin d'une voix ferme. « Le duel n'était qu'un test pour s'assurer de vos capacités et leurs résultats ne méritent en rien que vous vous enorgueillissiez. Demain par contre, vous recevrez votre seconde effusion. C'est le moment où votre véritable potentiel pourra fleurir… ou faner. »
Un silence pesant tomba sur l'assemblée. Nous avions tous conscience de l'importance de l'effusion . C'était une étape cruciale de notre vie, une épreuve qui déterminait notre avenir. Certains en ressortaient grandis, d'autres... brisés.
L'instructeur balaya les rangs du regard, s'attardant sur certains d'entre nous, moi y compris. « Ce soir, vous serez isolés. Pas de discussions, pas d'interactions. Vous devrez préparer votre corps et votre esprit à accueillir de nouvelles runes. Un esprit instable ou une volonté fragile ne ferait que vous nuire. »
Il claqua des doigts et plusieurs assistants vinrent nous distribuer de petites fioles remplies d'un liquide translucide. « Ceci purifiera votre corps et préparera votre mana à l'éffusion. Buvez-le avant de vous coucher. Dès l'aube, vous serez convoqués. »
Je serrai la fiole entre mes doigts, ressentant une pointe d'appréhension. L'éffusion était une porte vers la puissance, mais aussi un précipice. Si mon mana n'était pas compatible, si mon esprit flanchait sous la pression, que m'arriverait-il ?
À côté de moi, Erca fixait sa fiole avec une expression partagée entre excitation et nervosité. « Ça va être une sacrée nuit... » murmura-t-il.
Je ne répondis pas. Je savais qu'il avait raison.
Dans la solitude de ma cellule de méditation, je laissai mes pensées dériver. L'espace était exigu, éclairé seulement par la faible lueur de runes gravées sur les murs gris. Aucun bruit ne venait troubler ma concentration. Hormis le clignotement ambré des inscriptions, comme les braises vacillantes d'un feu mourant, il n'y avait tout simplement rien qui puisse m'éloigner de mes pensées. Il n'y avait qu'une seule chose que je pouvais faire. Je m'assis en tailleur, fermai les yeux et laissai mon souffle ralentir.
Le mana atmosphérique s'insinua dans mes veines de mana, coulant lentement vers mon noyau rouge clair. Il y tourna un moment, se purifiant au passage. La consécration était agréable, une chaleur diffuse enveloppant mon corps, comme si je plongeais dans un bain apaisant.
Puis, une douleur familière vrilla mon front, brisant ma concentration.
Je grimaçai. Encore.
Cela arrivait de plus en plus souvent et je ne comprenais toujours pas pourquoi.
Frustré, je pris une inspiration profonde avant de saisir la petite fiole posée à mes côtés. Le liquide à l'intérieur avait une teinte azurée, presque hypnotique. Une étrange appréhension me noua l'estomac.
Pourquoi hésiter ? Je connaissais déjà son goût amer et ses effets secondaires. Pourtant, quelque chose me retenait. Après une minute d'hésitation, je me forçai à en avaler le contenu.
Les effets n'étaient pas immédiats. Il me fallut me reconcentrer pour observer une amélioration de mon absorption de mana mais çà n'était pas suffisant quoiqu'il arrive je devais m'arrêter pour vider le mana de mon noyau pour pouvoir continuer... Continuer?
Mais pourquoi étais-je contraint à ce cycle inefficace ?
Une idée me traversa l'esprit. Et si… au lieu d'alterner absorption et relâchement, je faisais les deux simultanément ?
Je tentai l'expérience, guidant le mana purifié hors de mon corps au même rythme que celui que j'absorbais. L'exercice demandait une concentration extrême : deux courants d'énergie opposés circulant en moi en même temps.
C'était difficile et la plupart du temps le circuit de mana s'interrompait avant que je n'en expulse la moindre goutte.
Mais enfin après une vingtaine de tentatives j'y suis arrivé libérant une très faible quantité, mais une quantité quand même.
C'était un pas de géant pour moi. Je ne savais pas comment contenir mon excitation m'efforçant de rester immergé pour mémoriser la sensation du mana qui traversait mon corps et... et...
Quelque chose changea.
Des fragments de souvenirs me revinrent, des images fugaces qui défilaient dans mon esprit, une sorte de dessin ? Un monde lointain. Une armure, non une monstre suivis d'un ensemble de textes puis, soudain, un nom.
Un nom à la fois familier et étranger.
Mon esprit bascula.
Je me retrouvai dans une immense bibliothèque et le monde autour d'elle n'était qu'un vaste vide. D'innombrables étagères s'élevaient autour de moi, pleines de livres d'un gris terne. Après avoir pris du temps pour me calmer je commençai à avancer, effleurant du bout des doigts les couvertures, mais elles restaient floues, comme effacées par le temps. Impossible de discerner un titre, une illustration.
Seule une table se détachait du décor.
Là, en son centre, reposait un livre différent. Ses pages brillaient faiblement, ses couleurs légèrement plus vives. Je m'en emparai avec précaution et l'ouvris, parcourant les lignes illisibles, guidé par une intuition inexplicable.
Jusqu'à ce qu'un passage se révèle enfin.
"Rotation de mana."
Je fronçai les sourcils. Une technique ? Une clé ? Pourquoi ce mot me semblait-il si important ?
Une violente douleur me transperça le crâne, et tout s'effaça.
Je n'étais pas censé être ici.
Quelque chose ou quelqu'un m'avait amené ici.
Puis vint cette sensation.
Un appel, à la fois distant et pressant. Un murmure au fond de mon esprit.
Une borne. Je venais de trouver une borne mémorielle, une pièce manquante du puzzle. Elle me permettrait de retrouver plus de ma mémoire.
Mais je n'étais pas encore prêt. L'éclat de vérité m'échappait déjà, la bibliothèque s'effritant sous mes yeux, les livres redevenant poussière.
Je tendis mentalement la main pour la retenir.
Trop tard.
Mon esprit fut brutalement arraché à cet espace et je me réveillai, haletant.
Je serrai les poings.
Pas encore.
Mais bientôt.