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Chapter 2 - 02. Inconnu

Anaël ne se présenta pas au bureau durant les jours qui suivirent.

Ceux-ci s'étiraient dans une monotonie pesante, étouffante.

Malgré les rassurantes paroles de Janek, April ne pouvait ignorer la désagréable impression que sa présence n'était pas souhaitée.

L'atmosphère au bureau s'était considérablement tendue, et chaque instant sans la silhouette particulière d'Anaël ne faisait que renfoncer son sentiment de lassitude et d'exclusion. 

Puis, il y avait encore ce cauchemar qui gravitait autour d'elle. De sombres détails menaçants revenaient hanter ses pensées dès qu'elle tentait de fermer les yeux. Ainsi, tout sommeil reposant restait impossible.

Le vendredi touchait à sa fin et avec lui, une semaine au goût amer. La fatigue avait gagné April. Le menton contre une pile de dossiers, elle s'était assoupie un instant sur son bureau. Alors qu'elle retrouva soudainement dans ce champ de blé qui était déjà apparu dans son cauchemar les nuits précédentes, avec ce ciel bleu sans soleil, elle crut de nouveau entendre son prénom.

Elle ouvrit les yeux, un frisson la faisant frémir.

Anaël se tenait là, son bras tendu offrant avec prévenance un breuvage chaud. Sur le coup, elle ne sut si cela était la réalité ou bien une autre continuité de ce qu'elle avait vu dans ses songes. Toutefois, lorsqu'il posa le gobelet fumant face à elle, elle comprit qu'il était bien là. 

Il semblait d'ailleurs différent, quelque chose ayant changé en lui.

Surprise, bien que tardive, par sa présence soudaine, April se redressa comme piquée à vif, son cœur battant légèrement plus vite dans sa poitrine. Elle se frotta les yeux comme pour ôter la dernière pellicule de rêve qui s'accrochait à son esprit. 

Anaël, malgré sa silhouette familière, avait bel et bien changé. Son sourire, à peine visible, paraissait plus las, son regard portait les stigmates d'une profonde fatigue, comme s'il avait accumulé les nuits blanches. Le regard interrogateur, il ne pipa pourtant aucun mot.

April lui rendit, ne pouvant s'empêcher de noter les petites modifications sur son visage; les cernes sombres sous ses yeux, le mince sourire. Il paraissait étrangement détaché, comme s'il était ailleurs, plongé dans ses propres pensées. Cette absence contrastait fortement avec sa forte présence qui restait, quant à elle, intacte. 

Le silence traîna tel un repas de fête. Alors, en brouillon, April se mit à parler, guettant une réaction. 

"Vous avez été malade ?"

Elle avait saisi entre ses mains le breuvage qu'elle porta à ses lèvres. Il fit de même, se contentant d'opiner. Ses battements de cils rendaient son expression plus vivante, en contradiction parfaite avec le reste de son corps. 

April fut étonnée de constater que le breuvage n'était autre qu'un chocolat chaud, légèrement amer, avec une petite guimauve en son centre qu'elle regarda disparaître dans le liquide. 

Anaël avait saisi une chaise du bureau voisin sur laquelle il s'installa, croisant ses jambes longues et filiformes que l'on pouvait deviner sous son pantalon noir bien trop grand. 

À cet instant-là, April le savait inéluctable. 

"Pourquoi avez-vous choisi mon cabinet ?" Ses yeux transpercèrent les siens d'un air bien torve. 

Anaël se pencha dans la lueur tamisée de la pièce, éclairée alors par la seule lampe de bureau de la jeune femme. Les bras tendus vers ses genoux, observant April dans l'attente de sa réponse. 

Ce fut avec une faible voix, légèrement anxieuse, qu'April s'exprima.

"J'ai suivi vos dossiers durant mes études. Vous faites votre travail de manière humaine, avant tout pour aider autrui et non pour vous remplir les poches comme la plupart de nos confrères…"

Il absorbait soigneusement ses explications, cependant son visage restait impassible, indéchiffrable. 

"Je vois…" murmura-t-il au bout d'un moment, sa voix profonde et légèrement rocailleuse résonnant dans la pièce faiblement éclairée. "Vous estimez donc que notre cabinet se démarque par sa philosophie « plus humaine » en accord avec vos principes."

Elle opina. 

Anaël s'affairait tranquillement à ranger les dossiers sur les bureaux de ses collègues, ses yeux se portant de temps à autre sur April, savourant son breuvage. Alors que les bruits des voitures et des sirènes provenant de l'extérieur résonnaient au loin, Anaël semblait patiemment attendre en silence sans se presser de partir, ce qui intriguait la jeune femme. Celle-ci se demandait si son patron attendait qu'elle ait fini son chocolat seulement tiède pour l'escorter jusqu'à sa voiture, puisque dehors, les ténèbres enveloppaient le bâtiment. 

Alors que le silence avait pris place dans les lieux, une voix douce, légèrement rauque, brisa soudainement l'atmosphère paisible.

"Avez-vous fini ?", demanda Anaël, les yeux toujours rivés sur April.

Surprise, peut-être par cette soudaine attention, mais également par le changement de comportement de Anaël à son encontre, April se redressa sur sa chaise, reprenant conscience de cette présence qui l'entourait.

Elle baissa le regard vers son gobelet vide, la dernière gorgée de chocolat au lait encore accrochée à son bord. Elle fronça légèrement les sourcils, perplexe, tentant de comprendre ce changement d'attitude.

Elle toisa un instant le regard de Anaël.

"Je ne comprends pas", dit-elle finalement, hésitante, sans lâcher ces deux iris de couleur différente. "Vous n'étiez pas aussi… gentil, la première fois que nous nous sommes vus. Vous avez été même horrible."

Anaël suspendit brièvement son rangement, semblant réfléchir à ce qu'il allait dire. Il posa un dernier dossier sur le bureau de Janek avant de se retourner vers elle, le visage éclairé par l'ampoule tiède de la lampe de bureau. Dans cette lueur, ses cheveux paraissaient être parsemés de paillettes, des reflets nacrés qui fascinèrent April.

"Mmmh…", fit-il d'un air pensif, s'appuyant légèrement contre le rebord du bureau. "Disons que j'ai mes raisons de me comporter différemment aujourd'hui'. 

April se recula légèrement sur sa chaise, produisant un petit craquement alors que les pieds en métal frottaient légèrement contre le sol. Elle croisa les bras sur sa poitrine, son regard sceptique témoignait de son incompréhension face à la réponse d'Anaël. Cependant, son attitude parut prendre Anaël au dépourvu, faisant disparaître momentanément de son visage l'assurance et la confiance habituelle, remplacés par un étonnement fugace reflété dans ses yeux bicolores. 

"Quelles sont ces raisons ?", demanda-t-elle, presque sûre d'elle.

Anaël esquissa un sourire narquois, croisant les bras à son tour sur sa poitrine. 

"Écoute…", commença-t-il sur un ton froid et distant. 

April frémit légèrement à l'emploi soudain du tutoiement, puis à la froideur de sa voix.

"Il se fait tard," reprit-il d'un ton mordant, "alors, tu ferais mieux d'accepter simplement ma réponse et de ne plus poser aucune question. Je vais te raccompagner jusqu'à ta voiture. Donc, si tu pouvais simplement te lever et me suivre, ce serait parfait."

Anaël imposa un silence, fixant April avec un regard sans émotion. Il se dirigea ensuite vers la porte du bureau, attendant visiblement qu'elle le suive.

Ce qu'elle fit. 

Le parking était quasiment plongé dans l'obscurité totale, seule une poignée de lampadaires éclairaient les alentours. L'environnement, étrangement sinistre, contrastait avec la nervosité palpable d'April en présence d'Anaël. Malgré la fascination qu'elle ressentait pour lui, elle ne pouvait pas s'empêcher d'être irritée par son comportement capricieux.

April ressentait un inexplicable lien de familiarité envers Anaël, mais en même temps, il y avait quelque chose de sombre et d'inaccessible en lui qui la mettait mal à l'aise.

Anaël avançait en silence, ses pieds produisant des craquements légers sur le gravier, et April suivait, quelques pas derrière lui, ses pensées tourbillonnant en tous sens alors qu'elle avait le regard posé sur cette silhouette. Cette même silhouette qu'elle avait vue dans son cauchemar. 

Lorsqu'ils arrivèrent près d'une voiture noire et discrète, il la regarda brièvement, son visage dénué d'expression presque caché par les ténèbres.

April hésita, son coeur palpitant d'un sentiment contradictoire. Elle voulait s'éloigner de lui, et pourtant, elle ne voulait pas le quitter.

Elle ignorait pourquoi elle avait soudainement peur de le laisser là, comme si elle abandonnait quelque chose d'important. Elle avait des émotions contradictoires envers lui, qui lui étaient inconfortables, bien que quelque chose d'intimement essentiel à sa personne. 

April se tourna finalement vers lui et murmura un léger « merci » avant de se diriger rapidement vers sa propre voiture, essayant de ne pas se retourner. Cependant, lorsque le grondement du moteur d'Anaël se fit entendre, elle ne put s'empêcher de lancer un rapide coup d'œil par-dessus son épaule. La berline avait déjà disparu dans la nuit, la laissant surprise et un peu déconcertée par sa propre réaction.