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Chapter 5 - En route vers les Ruines

Le matin se leva dans un tourbillon de brume. Damon ouvrit les yeux à la lueur blafarde qui filtrait sous la toile de sa tente de fortune. Le campement de la caravane, niché dans un petit bosquet en retrait de la route principale, s'éveillait dans un calme feutré : murmures à voix basse, bruissement des sacs et tintements métalliques de gardes vérifiant leurs armes. L'air était frais, et Damon frissonna sous sa couverture trop fine.

Il inspira profondément, se rappelant les confidences échangées avec Seraphina la veille au soir. La Couronne est bien réelle. Des forces obscures la recherchent. Ces mots résonnaient dans son esprit, mêlant excitation et appréhension. Lorsqu'il sortit affronter l'humidité du petit matin, il aperçut Seraphina accroupie au pied d'un grand chêne, en train de boucler ses affaires. Elle ne le remarqua pas tout de suite, lui laissant quelques secondes pour observer l'aisance de ses gestes, la précision de ses mouvements. Qui est-elle vraiment ? se demanda-t-il encore une fois, songeant aux secrets qu'elle pouvait dissimuler.

— Bonjour, dit-il finalement pour rompre le silence.

Seraphina leva la tête. Ses cheveux auburn étaient tressés avec soin, et son expression, quoique polie, restait méfiante.

— Bonjour, répondit-elle. Nous devrions manger vite si on ne veut pas retarder le groupe.

Un discret sourire effleura ses lèvres avant de s'évanouir, tandis qu'elle reportait son attention sur le nœud qu'elle serrait sur son sac.

Damon hocha la tête.

— Je vais voir ce que Thormund peut nous donner.

Il trouva Thormund près du chariot central de la caravane, penché sur des caisses. Le marchand l'accueillit chaleureusement et lui offrit un biscuit dur et un morceau de fromage.

— Ce n'est pas un festin, mais ça te tiendra au corps, plaisanta-t-il.

Malgré ses airs enjoués, Damon percevait chez Thormund une tension résiduelle, écho du raid qu'ils avaient subi. Toutefois, le marchand semblait soulagé que le matin se passe sans encombre.

— Merci, répondit Damon en croquant dans le biscuit.

Pendant qu'il mastiquait, il balaya du regard le campement. Kelwick se trouvait un peu plus loin, en pleine discussion au-dessus d'une carte étalée sur une caisse renversée. Deux de ses gardes, dont Rivan, examinaient le tracé d'un air concentré. Damon capta quelques bribes de leur échange : rotation des tours de garde, menaces possibles, itinéraire de rechange.

Intrigué, Damon s'approcha. Kelwick tapota la carte du doigt ganté.

— La route principale bifurque ici, expliquait-il, menant vers le sud et des axes plus importants. Mais on m'a rapporté qu'un pont s'est peut-être effondré dans ce secteur. Si c'est vrai, on perdrait plusieurs jours en contournant.

Rivan poussa un soupir discret.

— On ne peut pas se le permettre. On a déjà pris du retard à cause de l'attaque.

Seraphina, silencieuse comme une ombre, se joignit au groupe.

— Il y a un autre chemin qui traverse l'ancienne forêt, dit-elle à voix basse. On longe les collines, mais on traverse une zone autrefois occupée par un culte dédié aux dragons. Il reste des ruines, d'après les rumeurs. Le sentier est peut-être difficile, mais on éviterait un éventuel pont écroulé.

Kelwick haussa un sourcil.

— Tu sembles bien connaître l'endroit.

Elle hésita, effleurant Damon du regard.

— J'ai… étudié d'anciennes cartes et légendes. Si vous voulez éviter le risque d'un pont bloqué, c'est une option.

Le cœur de Damon s'emballa. Il se souvenait vaguement de récits sur d'antiques temples et des objets mystérieux, qu'il prenait jadis pour de simples fables. Peut-être ces ruines recelaient-elles des indices sur la Couronne Cramoisie ? L'idée le fascinait.

— Si on prend le chemin de la forêt, on arrivera peut-être plus vite à Silverhold, suggéra-t-il. Et si le pont est vraiment détruit sur la route sud, on gagnera un temps précieux.

Kelwick laissa échapper un long souffle, pesant le pour et le contre.

— Quitter la grande route, c'est s'isoler de toute aide en cas de pépin. Mais si on mise sur la route sud et qu'elle est bloquée, on sera encore plus retardés.

Thormund fit la grimace.

— Mes marchandises doivent parvenir rapidement à la capitale pour un festival. Je préférerais éviter de rester coincé. Mais ces ruines de culte me donnent la chair de poule…

Seraphina afficha un mince sourire rassurant.

— Ne vous en faites pas, on peut très bien contourner les ruines sans s'y aventurer… Sauf si on le souhaite.

Damon s'efforça de cacher son intérêt grandissant. Il sentait que Seraphina mentionnait ces ruines pour ses propres raisons, tout comme lui en avait de personnelles. Leurs regards se croisèrent, un bref instant de connivence muette. Peut-être suspecte-t-elle que je m'intéresse à la Couronne, ou bien cherche-t-elle elle-même quelque chose dans ces vieilles pierres ?

— Bien, conclut Kelwick en pliant la carte. On prendra le chemin de la forêt. Mieux vaut braver un peu de nature sauvage qu'un pont infranchissable. En route.

Ainsi, la caravane se remit en marche. Deux chariots partirent en tête, Kelwick ouvrant la voie à cheval, épaulé par Rivan et un autre garde en éclaireurs. Seraphina et Damon suivaient à pied, elle guidant sa jument, tandis que Thormund fermait la marche avec son propre chariot. La brume du matin se dissipa peu à peu, et les feuilles humides scintillèrent sous un soleil timide.

Ils voyagèrent pendant des heures, quittant les plaines pour un paysage vallonné et boisé. La route principale se rétrécissait en un sentier, serpentant sous de grands chênes recouverts de mousse. Le soleil, tamisé par le feuillage épais, baignait l'air d'une clarté verdoyante. Une atmosphère étrange régnait, comme si la forêt elle-même les observait.

À la mi-journée, ils franchirent une crête modeste et aperçurent dans le creux d'une vallée, entre les arbres, de vieux piliers de pierre couverts de lierre. Damon sentit un frisson le parcourir. Les ruines existent donc vraiment.

Seraphina s'arrêta près de lui, le regard fixé sur les colonnes écroulées.

— Un fragment d'histoire oublié, murmura-t-elle. Autrefois, des sigles de dragons ornaient ces piliers, d'après les récits. La plupart ont été effacés par le temps.

La voix de Kelwick, plus loin, les pressa d'avancer. Il fallait continuer si la caravane voulait camper avant la nuit. Damon remarqua un éclat de désir dans les yeux de Seraphina, peut-être la même curiosité qui le poussait lui aussi à envisager une exploration. Mais elle reprit la route sans mot dire, ramenant sa jument dans le sillage du groupe.

Ils progressèrent jusqu'en fin d'après-midi. Plus ils s'enfonçaient sous les frondaisons, plus ils repéraient des traces de vestiges enfouis : statues mutilées, arcades écroulées, murs rongés par la végétation. Le sentier devenait étroit et accidenté, obligeant les chariots à manœuvrer prudemment parmi les racines et les rochers.

Kelwick finit par stopper la caravane dans une clairière où coulait un petit ruisseau.

— On va établir le camp ici, annonça-t-il en mettant pied à terre. Voyager de nuit au milieu de ces ruines serait trop risqué.

Tandis que chacun s'affairait à monter les tentes et à rassembler des provisions, Damon ne pouvait détacher ses pensées des colonnes effondrées aperçues plus tôt. Il devinait derrière les buissons un antique temple, ou quelque chose s'en approchant. Peut-être y apprendrait-il des indices sur la Couronne Cramoisie ?

— Tu comptes aller explorer ? fit la voix douce de Seraphina dans son dos.

Il sursauta. Elle se tenait là, les yeux fixés sur lui, sans agressivité mais avec une curiosité palpable.

Damon hocha la tête, conscient que son envie trahissait peut-être ses intentions.

— Oui. Je ne peux pas m'en empêcher. Mon maître me racontait qu'un culte voué aux dragons aurait laissé des artéfacts, ou des traces de leurs croyances. Voire un indice sur quelque relique puissante…

Un léger sourire étira les lèvres de Seraphina, comme si elle devinait la référence à la Couronne.

— Mieux vaut attendre la nuit, souffla-t-elle. Les gardes seront en place, et nous pourrons nous éclipser sans alarmer Kelwick ni Thormund, qui se méfient de ces ruines.

Damon acquiesça.

— D'accord. Après la tombée du jour.

Lorsque le ciel se teinta d'un bleu profond, les feux de camp s'animèrent au sein de la caravane. On servit un ragoût simple, et Damon mangea rapidement, le ventre noué par l'excitation. Seraphina sirotait son eau un peu à l'écart, le regard baissé comme si elle méditait.

Quand le moment parut propice, Damon se leva en prétextant aller vérifier les chevaux. Seraphina l'imita peu après, prétextant une ronde de sécurité. Ils contournèrent le camp sous le couvert de la nuit, puis se retrouvèrent en lisière de la forêt.

— Tu es sûr de vouloir y aller ? demanda Seraphina à voix basse. On risque de ne trouver que des pierres effondrées et des racines.

Damon soutint son regard, la détermination ancrée en lui.

— Oui. J'ai besoin de savoir s'il existe un lien avec la Couronne. Quelque chose m'appelle vers elle.

Après un instant d'observation, Seraphina hocha la tête.

— Dans ce cas, avançons vite. La forêt n'est pas sûre la nuit, et je ne tiens pas à m'éterniser loin du camp.

Ils progressèrent à la lueur de la lune, dont les rayons argentés filtraient à travers les frondaisons. Les ombres semblaient danser sous leurs pas, et chaque brindille brisée par leurs bottes résonnait comme un coup de tonnerre dans le silence oppressant. Damon gardait la main près de la garde de son épée, encore hanté par l'attaque des bandits et imaginant sans peine d'autres menaces tapies dans ces bois antiques.

En quelques minutes, ils atteignirent l'endroit que Damon avait repéré : une arche de pierre effondrée, si rongée par le temps que ses reliefs étaient presque indéchiffrables. Au-delà, une clairière centrale laissait deviner les vestiges d'une structure circulaire. Quatre piliers se dressaient toujours, un à chaque point cardinal, bien que deux d'entre eux s'inclinent dangereusement, menaçant de s'écrouler.

Seraphina brandit une petite lanterne, éclairant d'antiques symboles taillés dans la roche.

— Motifs draconiques, murmura-t-elle, effleurant du bout des doigts les gravures érodées. Regarde ce serpent ailé, enroulé autour d'un diadème.

Damon approcha. En effet, la bête représentée était sinueuse et ailée, enlaçant une sorte de couronne hérissée de pointes. Son cœur accéléra.

— Ce devait être un lieu de culte.

Il ressentait un trouble profond, comme si ces symboles faisaient écho à un sentiment caché. Il se souvenait des histoires qu'on lui racontait, enfant, sur les dragons d'Elandris, qui pouvaient conclure des pactes ou ravager des contrées entières. Serait-il possible que la Couronne Cramoisie tire son pouvoir de cette mythologie ?

Seraphina enjamba quelques blocs épars, s'avançant vers ce qui ressemblait à une plateforme centrale. Damon la suivit avec précaution, notant les fissures au sol où s'entremêlaient les racines. Au milieu se trouvait un autel rond, à moitié enseveli sous les débris. Seraphina s'agenouilla, lanternes braquée sur des gravures à demi effacées.

Soudain, ses yeux s'agrandirent.

— Regarde, dit-elle en lui faisant signe de venir. Il y a des runes ici.

Damon se pencha, remarquant des caractères anciens à peine lisibles. Certains scintillaient faiblement sous la lumière, comme si des minéraux ou une magie résiduelle subsistaient dans la roche. Il reconnut un motif récurrent : un diadème annelé de pointes, semblable à celui des piliers.

— Qu'est-ce que ça raconte ? demanda-t-il, le souffle court.

Seraphina hocha la tête en signe d'incertitude.

— C'est une forme archaïque de draconique. Je ne peux en déchiffrer que des bribes : « Ascension… Couronne… Sang… » Et une allusion à un « éveil ».

Elle posa la paume sur la pierre rugueuse.

— Cet endroit a autrefois servi à un rituel ou à une cérémonie liée à la puissance des dragons. Peut-être que ce savoir a été perdu, ou volontairement dissimulé.

Un silence tomba sur eux, tandis qu'ils réalisaient la portée de ces inscriptions. Aux alentours, les bruits de la forêt semblaient soudain plus intenses : bruissements d'insectes, craquements de branches. L'air paraissait chargé d'électricité, comme avant un orage. Damon ferma un instant les yeux, les mots de Seraphina résonnant : La Couronne existe… et je me tiens dans un temple qui la vénérait, ou quelque chose d'approchant.

— Donc c'est vrai, souffla-t-il, presque pour lui-même. Quelque part, la Couronne Cramoisie existe vraiment… avec un pouvoir qu'on ne mesure pas encore.

Seraphina tourna la tête vers lui, ses yeux étincelant dans la lumière ténue.

— Damon, si tu cherches réellement cette Couronne, prépare-toi à en assumer les conséquences. Le culte qui a bâti ces lieux glorifiait la puissance brute des dragons, et leurs rites étaient souvent sanglants.

Un frisson parcourut Damon.

— Des rites de sang ?

Elle acquiesça, l'air grave.

— On raconte que la Couronne aurait été forgée après un pacte passé avec une divinité draconique. Celui qui la porte obtiendrait une force démesurée, mais le prix à payer serait colossal.

Ses yeux reflétaient une forme de compassion, ou peut-être de mise en garde.

— Parfois, certains objets anciens restent enfouis pour de bonnes raisons.

Damon sentit un maelström d'émotions l'envahir : l'exaltation à l'idée de détenir un pouvoir capable de protéger les faibles, mais aussi la crainte d'y perdre une part de lui-même. Il revit l'attaque des bandits, la violence brute, le sang. Serait-il prêt à se damner pour empêcher de nouvelles atrocités ?

Avant qu'il ne trouve les mots, un bruit dans les fourrés les fit sursauter. Damon se redressa, l'épée à moitié dégainée. Seraphina éteignit sa lanterne, les plongeant dans une obscurité quasi totale troublée par un mince rai de lune. Une branche craqua à nouveau, plus près.

Ils se reculèrent lentement, la peur leur nouant le ventre. Était-ce une bête sauvage, un garde invisible des ruines, ou pire, des voleurs attirés par les mêmes légendes ? Damon repensa aux rumeurs évoquant des protections magiques ou des esprits liés à ces temples oubliés.

Ils se réfugièrent derrière un bloc de pierre tombé au sol, à l'écoute. Le bruissement s'estompa. Au bout d'une longue minute de tension, Seraphina murmura :

— Partons. Quel que soit ce bruit, on ne tient pas à se battre seuls dans un lieu pareil.

Damon acquiesça, jetant un dernier regard vers l'autel à demi effondré. Les runes semblaient scintiller, l'appelant presque à revenir un jour. Mais la prudence l'emporta. Courbés, ils s'éloignèrent en silence, fendant les herbes et les racines, tous les sens en alerte. Le retour vers le campement sembla interminable, chaque craquement d'écorce faisant tressaillir Damon.

Ils atteignirent enfin les feux de la caravane, dont la lueur vacillante leur apparut entre les troncs. Seraphina relâcha un peu la tension dans ses épaules et fit un signe d'entente à Damon. Ils rejoignirent le périmètre du camp comme s'ils venaient juste de veiller à la sécurité des lieux.

La plupart des membres de la caravane dormaient déjà, hormis les sentinelles et quelques insomniaques. Personne ne sembla remarquer leur absence. Damon poussa un soupir tremblant : ce qu'ils venaient de découvrir le hantait déjà. La Couronne Cramoisie est bien plus qu'un mythe, songea-t-il. Et ses racines dans le culte draconique sont profondes.

Seraphina posa un regard sérieux sur lui.

— Ne dis rien à personne. Pas pour l'instant.

Il hocha la tête.

— D'accord. On garde ça pour nous.

Ils regagnèrent alors leurs tentes. Damon s'allongea sur sa couche, l'épée à portée de main. Le sommeil se refusait à lui, tant son esprit bouillonnait de visions de runes lumineuses, de dragons oubliés et d'un pouvoir peut-être aussi destructeur que salvateur. Il repensa aux mises en garde de Jareth et aux avertissements de Seraphina. Si la Couronne existe vraiment, elle pourrait être à la fois une bénédiction et une malédiction.

Pourtant, l'épuisement finit par l'emporter. Avant de sombrer, Damon crut percevoir, au plus profond de sa conscience, un écho lointain : le rugissement d'un dragon, résonnant hors du temps. Demain, la caravane poursuivrait sa route vers Silverhold, le rapprochant d'un destin qu'il ne comprenait pas encore pleinement. En attendant, il emportait le secret de ces ruines, preuve intangible de la réalité de la Couronne — et promesse de tempêtes à venir.