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Chapter 3 - Le dévoilement de l’artéfact

La nuit fut agitée, plongeant Jared dans un brouillard de rêves inachevés et d'angoisses tenaces. Son esprit était traversé d'images du vieil homme sur les docks, de cet avertissement mystérieux et des lunettes à l'allure lourde de sens, posées sur la table de chevet du motel. Chaque fois qu'il sombrait dans le sommeil, un sursaut d'adrénaline le ramenait à la réalité, comme si son inconscient refusait de le laisser se reposer. À l'aube, lorsque la clarté pâle du matin perça les rideaux élimés, il était déjà debout, arpentant fébrilement les quelques mètres carrés de sa chambre.

Il s'arrêta devant la table de nuit, le regard fixé sur les lunettes teintées. Même dans la pénombre matinale, les verres dégageaient un reflet singulier, comme s'ils captaient des éclats de couleur invisibles à l'œil nu. Jared soupira, massant la tension dans sa nuque. Une partie de lui voulait mettre les propos du vieil homme sur le compte de la folie—une simple lubie d'un inconnu. Pourtant, la curiosité le rongeait. Ces lunettes pouvaient-elles vraiment l'aider à découvrir qui l'avait piégé ?

Il tendit la main et les saisit par la monture. Un léger frisson glacé émana du métal, faisant remonter un tremblement le long de son bras.

« Ce ne sont que des lunettes, » maugréa-t-il, tentant de se rassurer. Mais si ce n'était vraiment que de simples lunettes, pourquoi ressentait-il à chaque fois cette pesanteur inexpliquée lorsqu'il les tenait ?

Ses doigts se crispèrent sur la monture, et il les leva lentement jusqu'à son visage. Son cœur s'emballa tandis qu'il les chaussait, s'attendant presque à une révélation surnaturelle immédiate—des symboles luminescents, des ombres virevoltantes, ou peut-être un affichage flottant de messages cryptiques. Pourtant, durant quelques secondes, rien ne se produisit. La pièce resta la même, simplement teintée d'un voile plus sombre. Le lavabo, le papier peint écaillé, la porte donnant sur le couloir… rien n'avait changé. Soulagement et déception se disputèrent en lui.

Il eut un bref rire amer. « Tu dérailles, Jared, » songea-t-il en ôtant les lunettes. L'avertissement du vieil homme—« Elles t'aideront à voir la vérité dans cette ville »—planait encore dans son esprit comme une note dissonante. Peut-être l'homme l'avait-il confondu avec quelqu'un d'autre. Ou peut-être que ce « pouvoir » ne devait pas être interprété au sens strict. Malgré tout, Jared ne put se résoudre à jeter l'artéfact.

Un coup soudain et vigoureux à la porte du motel le fit sursauter. Le cœur battant, il glissa les lunettes dans la poche de sa veste avant d'entrouvrir la porte. Sur le seuil se trouvait un homme mince d'âge mûr, en salopette sur laquelle était cousu le logo du motel. Son visage creusé laissait deviner l'épuisement de trop de tours de garde nocturnes.

« La direction, » annonça-t-il sèchement, exhibant un badge où l'on lisait « Harvey ». « On a une fuite dans la chambre voisine, ça pourrait traverser le mur de ta salle de bains. Je peux vérifier ? »

Jared s'effaça pour le laisser entrer.

« Allez-y, » dit-il, tâchant d'adopter un ton cordial.

Il observa Harvey disparaître dans la salle de bains en marmonnant des remarques sur la vétusté du bâtiment. Après quelques bruits de tuyaux, Harvey reparut, s'essuyant les mains sur un chiffon déjà bien sale.

« Pas encore de dégâts chez toi… pour l'instant, » grommela-t-il. « Surveille ça de près. Si le mur se met à fuir, préviens-moi, sinon ça sera pris sur ta caution. »

Jared se retint de ricaner. Une « caution » dans un taudis pareil, où l'on payait quasiment tout en liquide… Il se contenta d'acquiescer tandis que Harvey quittait la pièce. La porte claqua, laissant Jared seul à nouveau.

Il réalisa soudain qu'il devait se dépêcher s'il ne voulait pas rater son service à l'entrepôt. Le salaire était dérisoire, mais c'était mieux que rien, et il avait besoin du moindre dollar. Il s'aspergea le visage d'eau, s'habilla en hâte et fourra quelques affaires dans son sac. Enfin, il vérifia la présence des lunettes dans la poche de sa veste, sans trop savoir pourquoi il tenait tant à les emmener.

Dehors, Silvercoast City était déjà en effervescence. Le soleil du matin couvrait la skyline d'un éclat cuivré, tandis qu'une foule de travailleurs encombrait les trottoirs. Jared sauta dans un bus municipal, évitant soigneusement tout contact visuel qui risquerait d'engager la conversation. Assis au fond, il laissa son regard errer à travers la vitre, observant la ville défiler dans un kaléidoscope de tours imposantes, d'affiches publicitaires et de ruelles ornées de graffitis. Par instants, des souvenirs du campus universitaire lui revenaient—les pelouses impeccables, les amphithéâtres majestueux, et l'animation joyeuse de la vie étudiante. À présent, il avançait sur une route bien différente, plongée dans l'ombre et le mystère.

En arrivant dans le quartier des entrepôts, l'agitation coutumière l'accueillit : chariots élévateurs qui reculent en bipant, ouvriers qui se hélaient, et semi-remorques vrombissants dans les docks. Dès son deuxième jour, Jared s'était déjà habitué au vacarme ambiant. Il se dirigea d'abord vers la salle de repos, où il espérait trouver Dennis, son superviseur.

Dennis était penché sur une table pliante, sirotant un café tiède dans un thermos taché. Une radio posée sur une étagère crachotait les infos matinales—une histoire de corruption politique au conseil municipal, vite éclipsée par les résultats sportifs et la météo. Levant les yeux, Dennis fit un signe de la main à Jared.

« Salut, » dit Dennis, pas franchement chaleureux mais pas antipathique non plus. « On vient de recevoir une cargaison de l'étranger. J'ai besoin de toi pour aider au déchargement. »

« D'accord, » répondit Jared, en tentant de garder un air neutre. De toute façon, la manutention lui occuperait suffisamment l'esprit pour ne pas ressasser ses soucis.

Ils gagnèrent le quai de chargement, où trônait un conteneur aux portes grandes ouvertes. Le contraste avec celui de la veille, dont la porte était bloquée, était frappant : celui-ci était bien éclairé, bien rangé, et sans odeurs nauséabondes. À l'intérieur, des rangées de caisses en bois portaient des inscriptions dans une langue étrangère. Dennis tendit un pied-de-biche et une tablette de pointage à Jared.

« Tu les ouvres, tu vérifies que le contenu correspond à la liste d'expédition, puis tu les transfères à la zone de stockage numéro quatre. Tu notes toutes les anomalies, » expliqua-t-il en tapotant le clipboard. « Fais gaffe, certains colis sont lourds comme du plomb. »

Jared acquiesça. Tandis que Dennis s'éloignait pour superviser d'autres ouvriers, Jared pénétra dans le conteneur. L'air y était poussiéreux, traversé de particules en suspension dans la lumière tamisée. Il força la première caisse, révélant des pièces de machine. Il compara avec la liste. Tout correspondait. Pendant l'heure suivante, il s'affaira, ouvrant les caisses, contrôlant leur contenu et transportant les articles à l'emplacement indiqué.

À un moment, il s'accorda une courte pause pour boire de l'eau, sortant du conteneur afin de respirer un peu d'air frais. C'est alors qu'il remarqua, de l'autre côté de l'entrepôt, une silhouette encapuchonnée près d'une pile de caisses, à moitié dissimulée par l'ombre. D'ordinaire, il n'y aurait pas prêté attention—ici, bon nombre d'employés portaient un sweat à capuche pour lutter contre le froid ambiant. Mais il y avait quelque chose d'anormal dans la posture de cette personne, trop figée, trop concentrée.

Appuyé contre une rambarde, Jared fit mine de consulter son téléphone, tout en gardant la silhouette dans son champ de vision. Un frisson d'inquiétude lui parcourut l'échine. Était-il devenu parano, ou cette personne l'espionnait-elle vraiment ? Les messages inquiétants—« On t'a repéré. Fais attention »—lui revinrent en mémoire. Décidé à en avoir le cœur net, Jared feignit de rentrer dans le conteneur, puis se glissa derrière une pile de caisses. De là, il pouvait observer l'inconnu plus clairement : grand, large d'épaules, avec un reflet métallique au poignet—peut-être une montre. L'individu fixait bel et bien Jared.

Une bouffée d'adrénaline poussa ce dernier à un geste audacieux. Avec précaution, il extirpa de sa veste les fameuses lunettes teintées. Il n'était pas sûr qu'elles révéleraient quoi que ce soit… d'autre. Mais repensant aux mots énigmatiques du vieil homme, il voulut tenter sa chance. Le cœur battant à tout rompre, il les chaussa.

D'abord, la scène se noircit, comme s'il venait de mettre des lunettes de soleil très opaques. Puis, des détails imperceptibles commencèrent à émerger. Les néons du plafond semblaient pulser d'une étrange lueur, presque comme des éclairs de néon. Les recoins de l'entrepôt gagnaient en netteté, chaque ombre semblant gagner en profondeur.

Le plus troublant, cependant, fut la silhouette encapuchonnée. À travers ces verres, la personne se détachait avec un léger halo—une sorte de scintillement dans les tons pourpres et rouges. Ce n'était pas exactement une aura, plutôt une déformation de l'air tout autour, qui pulsait au rythme des respirations. Saisi, Jared manqua de laisser tomber les lunettes. Il releva brièvement les verres de son visage : le halo disparut aussitôt, ne laissant qu'une silhouette banale dans le halo blafard de l'entrepôt. En les remettant, il distinguait de nouveau cet étrange rayonnement.

« Qu'est-ce que je suis en train de voir ? » songea-t-il, le souffle court. Le vieil homme avait parlé de pouvoir et de danger, et Jared se retrouvait désormais témoin d'un phénomène qui défiait toute logique. Voyait-il une aura ? Une énergie ? Il n'avait aucun cadre de référence, mais il ne pouvait nier que les lunettes révélaient quelque chose d'invisible à l'œil nu.

À cet instant, la silhouette se raidit, comme si elle avait senti qu'on l'épiait. Affolé, Jared ôta les lunettes et les rangea dans sa poche. Il se détourna, faisant mine de s'affairer autour des caisses. Du coin de l'œil, il vit l'inconnu disparaître dans l'ombre, derrière un alignement de chariots élévateurs.

« On me surveille, » réalisa-t-il, la peur lui donnant des mains tremblantes. Il s'efforça de recouvrer son calme, même si son esprit tournait à toute vitesse. Si l'artéfact du vieil homme lui permettait de discerner ce genre de phénomène—un champ d'énergie, peut-être—d'autres devaient sûrement être au courant. Cette personne encapuchonnée s'intéressait-elle aux lunettes ? Ou à Jared lui-même ?

Les heures qui suivirent se déroulèrent dans une morne routine. Dennis lui confia d'autres tâches de rangement, et Jared s'y attela, l'esprit pourtant hanté par le poids invisible d'une menace. Chaque cliquetis de métal ou crissement de machine le tenait sur le qui-vive, comme si la silhouette pouvait ressurgir à tout moment. Mais à la fin de son service, nul signe de cet étrange inconnu.

Dehors, en fin d'après-midi, un vent frais venu du large caressait la peau, inhabituel pour cette période de l'année. Les mouettes piaillaient autour des quais, plongeant à la recherche de nourriture. Jared décida de prendre un détour pour rentrer, à la fois pour mettre de l'ordre dans ses pensées et pour s'assurer qu'il n'était pas suivi.

En s'engageant dans une ruelle étroite, il s'autorisa enfin à réfléchir aux implications de ce qu'il avait vu. Les lunettes possédaient indéniablement des propriétés surnaturelles. Elles lui avaient fait percevoir une forme d'aura, d'énergie, ou quelque chose d'encore plus mystérieux autour de cet inconnu. Il repensa aux mots prononcés par le vieil homme : « Elles t'aideront à voir la vérité dans cette ville. Mais sois prudent… le pouvoir attire le danger. »

Comment tout cela se rattachait-il à son expulsion de Bernington ? Qu'en était-il des messages énigmatiques ? Tant de questions se bousculaient qu'il se sentait près d'être submergé. Pourtant, au milieu de cette confusion, il sentit naître une détermination nouvelle. Depuis plusieurs jours, il subissait les événements—exclu de l'université, poussé à accepter un emploi précaire, traqué par des menaces inconnues. Pour la première fois, il tenait peut-être un atout. Si ces lunettes étaient réellement aussi spéciales qu'il le pensait, il pourrait s'en servir pour dénicher des indices, voire prouver son innocence.

Un vibreur le tira de ses pensées. Après s'être assuré qu'il était à l'abri des regards, il sortit son téléphone. Un nouveau message anonyme : « Tu possèdes quelque chose qu'ils veulent. Méfie-toi. »

Un courant d'air froid parcourut la ruelle, faisant voler des journaux et des sacs en plastique abandonnés. Jared jeta un coup d'œil autour de lui, de plus en plus nerveux, scrutant chaque recoin pour y déceler la présence d'éventuels guetteurs—encapuchonnés ou non. Le sens du texto était clair : des gens savaient qu'il détenait les lunettes, ou tout au moins un objet de grande valeur. Et ils étaient prêts à tout pour les récupérer.

Il rangea son téléphone, puis s'arrêta un instant, passant la main dans ses cheveux pour se calmer. Les révélations de la journée l'écrasaient, mais au fond de lui naissait une volonté farouche. « Ça suffit de fuir, » songea-t-il. S'ils voulaient l'effrayer, le forcer à abandonner, ils seraient déçus. Il n'avait peut-être pas de ressources ni d'alliés, mais il avait une raison de se battre : dévoiler la machination derrière son renvoi et percer les couches de corruption qui rongeaient Silvercoast.

Pour le moment, toutefois, il fallait rester discret sur l'existence des lunettes, du moins jusqu'à ce qu'il en découvre toutes les capacités. Il essaierait d'accumuler des informations, de pressentir le danger. Le souvenir du halo pourpre autour de la silhouette le hantait : il se passait quelque chose de surnaturel dans ces docks. Il se promit de redoubler de prudence.

En quittant la ruelle, Jared décida de contacter l'unique personne susceptible de l'aider à explorer le côté obscur de la ville. Marcus, un ami du lycée installé dans un quartier pauvre de Silvercoast, était un adepte des combines et connaissait les rumeurs les plus folles. Ils n'avaient pas parlé depuis des années, mais Jared était prêt à tout pour grappiller la moindre piste. Peut-être que Marcus pourrait aussi l'héberger, loin de ce motel miteux.

Relevant les yeux, Jared constata que le crépuscule était déjà là, peignant le ciel de gris et de bleus profonds. Les lampadaires s'allumaient, projetant une clarté vacillante sur les trottoirs. En se dirigeant vers l'arrêt de bus, il sentit le poids des lunettes dans sa poche, à la fois rassurant et effrayant. Le cadeau du vieil homme était peut-être la clé pour tout démêler—à condition d'oser l'utiliser.

Demain, il appellerait Marcus pour renouer le contact. Et il ferait d'autres tests avec l'artéfact, pour découvrir ce qu'il cachait encore. « Tu possèdes quelque chose qu'ils veulent. Méfie-toi. » L'avertissement résonnait dans sa tête comme un sombre présage, mais Jared serra les dents. Il avait trop longtemps subi la situation, victime de complots qu'il ne maîtrisait pas. À présent, il détenait son propre secret—un secret qui pourrait changer la donne.

Et pour la première fois depuis que sa vie était partie à la dérive, Jared King sentit une flamme d'espoir s'allumer en lui.