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Chapter 27 - Presque Aveugle

La lumière était devenue une ennemie.

Quatro cligna des paupières, mais le monde restait voilé, comme si un brouillard épais s'était éternisé devant ses yeux. Les formes n'étaient plus que des taches mouvantes, les contours estompés par des mois passés dans l'obscurité putride des égouts. Il avançait en traînant les pieds, les mains en avant, effleurant l'air comme un aveugle. Il l'était presque aveugle. Les ombres dansaient à la limite de sa vision, fantômes moqueurs qui se dérobaient dès qu'il tentait de les fixer.

Le port n'était qu'un chœur de murmures hostiles. Les cris des mouettes se mêlaient aux jurons des dockers, les grincements des navires résonnaient comme des gémissements. L'odeur du poisson pourri et du goudron brûlé lui picotait les narines, plus vive que jamais. Chaque souffle du vent lui apportait des bribes de conversations lointaines, des rires gras, des pleurs étouffés.

« Hé, le clodo ! T'as perdu ta lanterne ? » Une voix rauque éclata à sa gauche.

Quatro se figea, les muscles tendus. Des pas claquèrent sur les planches pourries du quai. Il perçut l'haleine aigre de l'homme avant même de sentir la main s'abattre sur son épaule.

« Tu crois que c'est gratuit, ici ? » gronda le docker, sa poigne serrant l'os de la clavicule.

Quatro réagit d'instinct. Sa main trouva le cou de l'homme, les doigts enserrant la gorge avec une précision machinale.

"La guerre est ma langue."

Le docker hoqueta, surpris par la force de l'aveugle. Un craquement sec, et le corps s'effondra dans un claquement mou sur les planches.

Les bruits alentour cessèrent un instant. Puis la vie reprit, indifférente. Dans le port d'Etamenki, les morts anonymes n'étaient qu'une marchandise de plus à jeter à la mer.

Quatro respira un coup, les paumes tremblantes. "Je suis trop lent."

Ses réflexes s'émoussaient, rongés par la faim et la fatigue. Il s'accroupit, fouilla le cadavre à tâtons. Une bourse en cuir rêche, une lame courte cachée dans une botte. Il glissa le couteau dans sa ceinture, les doigts reconnaissant le manche gravé de runes familières. Une arme de parfumeur.

Un frisson lui parcourut l'échine. Ils étaient là, quelque part. Les sbires d'Axiome rôdaient toujours.

Il se remit en marche, guidé par le clapotis des vagues et les éclats de voix qui filtraient d'une taverne proche. La musique y était étouffée, une mélodie lancinante de flûte et de tambour. Il poussa la porte, qui grinça comme un animal blessé.

L'intérieur était une fournaise de bruits et d'odeurs. La bière aigre, la sueur, le bois moisi, de chien mouillé. Des rires fusèrent quand il trébucha contre une table.

« Regarde-moi ça ! Il est déjà ivre et il cherche encore à boire ! »

Une main le poussa dans le dos. Quatro tomba à genoux, les paumes écorchées par le sol rugueux. Un silence moqueur l'enveloppa.

Les voix se superposaient, fragments de conversations volés par son ouïe aiguisée.

« … le Seigneur Axiome cherche encore des testeurs… payé en or… »

« … une femme, hier, ils l'ont traînée vers les Tours Dorées… peau noire comme la nuit… »

Quatro retint son souffle. "Peau noire." Son cœur cogna contre ses côtes. Il se releva, aveugle mais droit, et se dirigea vers la source de la voix.

« Parle, » gronda-t-il, saisissant l'homme par le col.

« Qu'est-ce que… ? Lâche-moi, sale fou ! »

La lame du parfumeur trouva la gorge du buveur. Un filet de sang chaud coula sur la main de Quatro.

« La femme. Où ? »

L'homme bafouilla, l'alcool mêlé à la peur dans son haleine. « Aux Tours… Les esclaves… Les parfumeurs l'ont prise pour… pour un rituel… »

Un choc sourd. Quatro lâcha le corps et recula, l'esprit en feu.

"Elle est vivante."

Dehors, la pluie s'était calmée, laissant place à une brume glaciale. Les Tours Dorées d'Etamenki luisaient au loin, fantômes dans la pénombre. Quatro serra le couteau.

Mais dans l'ombre, d'autres yeux veillaient. Un parfumeur, masqué de cuir noir, le suivait depuis le port.