À l'aube de l'âge Ionique, il n'existait que la guerre, connue sous le nom de "Guerre sans fin". Un jeune prince nommé Quatro, dernier-né d'une lignée ancienne, portait en lui le sang des Premiers Hommes, dont la gloire et la fierté se transmettaient comme un héritage sacré. Chaque enfant de ce sang devait, dès sa dixième année, accompagner son père sur les champs de bataille, un rite initiatique inscrit dans la tradition des siens.
Cette année-là, Quatro chevauchait pour la première fois aux côtés de son père, le roi Troan, un guerrier dont le nom était murmuré avec respect et crainte. Ensemble, ils traversèrent les plaines de la Grande Tombe, un lieu empreint d'histoire et de douleur. C'était là que des milliers de vies avaient été offertes à la guerre. Le vent, chargé de poussière et de souvenirs, portait encore les échos des cris et des lames croisées. Le prince, trop jeune pour comprendre la portée de cette folie éternelle, observait son père avec un mélange d'admiration et de crainte. Pour lui, Troan était invincible, un rempart humain défiant la marée des ennemis.
L'ennemi qu'ils affrontaient portait un nom simple : les Occidentaux. Ces hommes, venus des terres lointaines où les forêts et les collines disparaissaient sous des murs de pierre. Leur équipement, finement forgé, brillait d'un éclat presque surnaturel.
Le combat s'engagea au crépuscule. Le ciel, teinté d'orange et de rouge, semblait saigner avec eux. Troan menait ses hommes avec une hargne indomptable, balayant l'avant-garde ennemie comme une tempête de fer et de feu. Mais alors qu'il s'élançait pour transpercer les lignes adverses, un détail échappa à sa vigilance : un trou dans le terrain, un piège naturel dissimulé sous l'herbe sèche.
Alors qu'il brandissait son glaive, prêt à abattre un capitaine occidental, son cheval trébucha et s'effondra brutalement. Le grand Troan roula au sol, désarmé pour un instant, un instant qui s'avéra fatal. Une lance jaillit des rangs ennemis, fendant l'air pour venir se loger dans son flanc, traversant son armure comme un coup du destin. Troan s'effondra, son souffle se brisant dans un râle douloureux.
Quatro, témoin impuissant, sentit son monde s'écrouler. L'ennemi reculait déjà, comme effrayé par l'idée même d'avoir abattu un tel géant, mais pour le jeune prince, cela n'avait plus d'importance. Il se précipita auprès de son père, tombant à genoux sur l'herbe ensanglantée. Le roi Troan, dans un effort ultime, posa une main tremblante sur l'épaule de son fils. Ses lèvres, tachées de sang, formèrent un dernier sourire.
"Quatro… Mon fils, souviens-toi… L'honneur du Premier Homme… C'est de..."
Sa main glissa, inerte. Le silence tomba, aussi lourd que le poids de son absence. Les guerriers de Troan s'étaient regroupés. Le prince serra les poings, ses larmes se mêlant au sang.
Un soldat âgé, marqué par les cicatrices de nombreuses batailles, s'approcha. Ses yeux portaient la sagesse d'une vie passée dans la fureur des combats.
"Ne pleure pas, jeune prince. Il n'y a pas de plus grand honneur pour un Premier Homme que de voir son père tomber ainsi. La guerre est notre lignée, notre souffle. Ton père est mort comme un roi : en combattant."
Ces mots étaient destinés à consoler, mais pour Quatro, ils résonnèrent comme une condamnation. "C'est ma faute." pensa-t-il.
"Si je n'avais pas été là… S'il n'avait pas dû me protéger..."
Alors que le jour mourait, Quatro fut hissé sur un cheval par les hommes de son père. Son regard était vide, son cœur en feu. Le vent glacé balayait les plaines, portant encore les cris de la bataille. Il devait rentrer chez lui, auprès de son peuple. Mais ce n'était plus un enfant qui chevauchait ; c'était un prince brisé, portant sur ses épaules le poids de son héritage.
Devant lui, les plaines semblaient sans fin, tout comme la guerre qu'il héritait désormais.