Calendrier Impérial - 7eme décimale – an 777
"Et merde…" murmura l'homme, sa voix à peine audible, perdue dans l'immensité qui s'étendait devant lui.
Une plaine surréaliste s'étalait à perte de vue, infinie comme le souffle du temps lui-même. L'horizon était baigné d'une lumière dorée, le soleil déversant ses rayons sur la vallée tel un artiste déchaîné éclaboussant une toile vierge de ses pigments les plus précieux. L'air vibrait d'une énergie palpable, saturée d'une puissance ancienne et immuable, si dense qu'il semblait presque impossible de respirer.
Et là, au cœur de cette fresque intemporelle, ils étaient réunis. Des dizaines de milliers. Non, des centaines de milliers. Les créatures les plus redoutables et impitoyables que l'Helix ait jamais engendrées. Chaque bête, chaque guerrier, chaque entité était l'incarnation même de la force.. Leur présence seule semblait tordre la réalité autour d'eux. Les ombres dansaient et les couleurs vacillaient, comme si même l'univers ne pouvait contenir la puissance de leurs auras.
Leurs regards flamboyaient, des prunelles tantôt braises, tantôt éclats de métal en fusion. Leurs corps, recouverts d'écailles scintillantes, de fourrures sombres ou d'armures antiques, portaient les stigmates de mille batailles – des cicatrices gravées dans la chair, le métal ou la pierre. Individuels dans leur grandeur, mais unis par un même destin.
Et ils étaient tous là… pour lui.
Un homme. Qui n'était plus qu'un écho brisé de ce qu'il avait été. Ses mains tremblaient légèrement, non pas de peur, mais d'un mélange d'incrédulité et de désespoir. Des sentiments qu'il connaissait trop bien, devenus ses seuls compagnons au fil des années, remplaçant ceux et celles qu'il avait perdus.
Ses vêtements, simples et déchirés, semblaient presque blasphématoires face à la grandeur de la scène. Une tache insignifiante sur un tableau divin. Pourtant, sous ce ciel irradiant d'or et de jugements silencieux, une étincelle s'éveilla en lui.
Une flamme ténue mais tenace, luttant contre les glaces de son apathie. Une chance. Une opportunité de reprendre tout ce que le monde lui avait arraché. Pour respirer, voir et entendre à nouveau. Pas comme un spectateur passif, mais comme un acteur, maître de son propre destin.
"Je ne comprends toujours pas comment tout cela a pu déraper…" murmura-t-il, un sourire mêlé d'amusement et d'anxiété éclairant son visage.
C'était la première fois depuis longtemps qu'il ressentit de l'espoir.
Les créatures, elles, attendaient immobiles, solennelles, une mer de yeux scintillants fixant cet homme, suspendues à ses moindres gestes, ses moindres mots.
Alors, dans ce silence écrasant, le vent se leva. Une bourrasque monumentale, comme si la plaine elle-même voulait lui souffler une réponse. Elle portait des murmures, des mots oubliés, des serments gravés dans les étoiles.
Puis un rugissement éclata. Un cri primal, né des entrailles de la création elle-même. La terre trembla, le ciel s'effondra presque sous son poids, et une silhouette émergea de la masse. Enveloppée d'ombres et de lumière, elle était l'incarnation du pouvoir.
"Nous sommes devant toi parce que tu as défié les fondements mêmes de cet univers. Tu t'es déclaré ennemi de l'Helix. Et comme ennemi de l'Helix tu périras ici même"
La voix résonna eu lui, pourtant, l'attention absolue qu'il accorda à cette dernière ne fut qu'un instant. Il s'agissait là d'une étincelle fugace précédant un plongeon dans l'abîme de ses pensées. Là, au plus profond de son être, une voix fragile, délicate, s'éleva. Non pas une voix présente, mais le spectre d'un souvenir, celui d'un temps depuis longtemps révolu.
Elle éclata dans son esprit avec une vivacité poignante, se matérialisant avec une clarté insoutenable :
– « Art, va-t'en ! Laisse-moi et survis ! » hurla une voix enfantine, empreinte de désespoir.
– « Rei, je préfère brûler et cette ville entière que de te laisser derrière moi, » répondit-il, sa voix d'alors jeune mais ardente, saturée d'une détermination pure et brutale.
Cette révélation le heurta comme une lame glacée lorsqu'il revint à lui. Ce n'était pas une ville qu'il s'apprêtait à réduire en cendres, non… c'était l'Helix lui-même. L'existence de milliers de mondes, la toile de réalités infinies. Tout cela, il était prêt à le sacrifier, à le détruire pour l'espoir ténu, la promesse insensée de retrouver ce qu'il avait perdu.
Et à cet instant, quelque chose changea. Ses jambes, vacillantes, trouvèrent une stabilité nouvelle. Ses poings se refermèrent, et la flamme en lui explosa en un brasier dévorant. Un feu alimenté non par le désespoir, mais par la rage, la foi, et l'écho d'un serment qu'il s'était fait à lui-même.
Mais ça, cher lecteur, c'est une histoire pour une autre fois.
Revenons plutôt quinze ans en arrière, dans une ville nichée au cœur des terres arides d'Afrique du Nord. Une ville renaissant des cendres de la Troisième Grande Guerre, désormais appelée Alterian.