Le garçon était couvert de boue. Il venait de se faire maltraiter par les autres enfants de la rue.
Il se releva avec difficulté, et épousseta ses habits en lambeau, son expression étant de marbre.
« Ahh, j'en ai marre ! », laissa-t-il échapper d'entre ses dents serrées.
Marchant avec difficulté, une de ses jambes blessée au point que des gouttes de sang tombaient au sol, le tachant de leur couleur cramoisie, il se dirigeait vers une lointaine zone couverte de léger brouillard.
La traînée de sang qu'il laissait dans son sillage contrastait fortement avec l'environnement monotone et vétuste qui l'entourait.
Tout autour de lui, des bâtiments qui semblaient à deux doigts de s'effondrer servaient d'abri aux gens de son quartier.
Le soleil projetait ses ombres profondes tandis qu'il commençait sa descente au-delà de l'horizon. L'air était imprégné d'une odeur putride d'aliments en décompositions.
« Ahh, si ce ne serait pas le petit Tim que nous avons là.»
Un homme interpella le garçon qui marchait en boitant. Il vit sa blessure à la jambe, mais ne fit aucun commentaire à ce propos.
L'homme était un marchand qui tentait de gagner sa vie dans cet endroit infernal en vendant des pommes abîmées qu'il s'était procurées on ne sait où.
Tim semblait mal à l'aise en sa présence, il répondit néanmoins à la salutation de l'homme.
« Bonjour Monsieur Alan, belle journée, aujourd'hui, n'est ce pas ? … Euh, comment vont vos affaires en ce moment ? »
L'homme avait une quarantaine d'années, des rides se formant au coin ses yeux marron qui semblaient avoir perdu tout espoir. À sa question, Alan laissa échapper un long soupir.
« Eh bien… mal. Je ne fais plus autant de ventes qu'avant. En plus de cela, la qualité de mes pommes a baissé. Il est devenu beaucoup plus dur de s'en procurer, je sens que ma fin approche… enfin, ce n'est pas plus mal.»
Le garçon détourna son regard de l'homme et le focalisa sur un petit portrait posé derrière un panier de pommes, à l'abri des regards. Celui-ci représentait une jolie femme aux cheveux de lin, ainsi qu'une jeune fille qui semblait avoir aux alentours de 8 ans. Les cheveux de cette dernière étaient d'un marron étrangement similaire à ceux du marchand.
Tim s'abstint de poser des questions à ce sujet. L'histoire de l'homme était vraisemblablement tragique, et il savait qu'il n'aurait pas la force de l'écouter.
« Alors… je vous souhaite bonne chance, Monsieur Alan », lâcha-t-il finalement.
« Aha... », Alan laissa échapper un petit rire et poursuivit, « Merci mon petit, mais tu n'as pas besoin de t'inquiéter pour moi, tu sais. »
Un léger sourire se fraya un chemin sur le visage du garçon.
Son sourire disparut tout aussi vite qu'il était apparu alors qu'il continuait à marcher et s'apprêtait à dépasser le petit étal de pommes.
La main de Tim s'avança et essaya... d'emprunter pour une durée indéterminée… une pomme. Il était sur le point d'en saisir une.
Elle avait l'air si belle, et cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas mangé…
Cependant, sa main s'arrêta au dernier moment, son expression étant indéchiffrable. Il semblait en conflit intérieur.
S'il ne prenait pas cette pomme, il ne mangerait rien aujourd'hui encore. Mais s'il se faisait prendre, Tim se ferait tabasser une fois de plus par le groupe de garçons de la rue.
Ces derniers faisaient la loi. Dès que Tim parvenait à… emprunter pour une durée indéterminée... quelque chose, ils se mettaient à plusieurs contre lui et lui volait son butin.
Après avoir hésité quelques instants, Tim ne prit finalement pas la pomme. Il n'était pas prêt à prendre ce risque. Pas aujourd'hui.
Il soupira et continua son chemin en boitant.
***
Un fin brouillard obstruait la vue de Tim.
La nuit allait bientôt tomber.
L'herbe sous ses pieds était légèrement mouillée, son souffle était court.
Il se tenait la jambe. Sur son visage, on pouvait lire de la douleur, ses joues étaient rougies, et son souffle produisait de la vapeur d'eau, qui se mélangeait avec le brouillard.
Il pénétra sur un sentier de gravier. Ses chaussures usées jusqu'à la destruction depuis longtemps produisaient un crissement perçant dans le silence étouffant de l'environnement.
Au loin, il pouvait voir sa maison. Il semblait trembler rien qu'en la regardant.
Il se rapprocha assez pour distinguer les poutres de bois et les fenêtres cassées depuis si longtemps qu'il n'en avait aucun souvenir. Le toit avait été détruit et réparé à la va-vite si souvent que le bois d'origine n'était même plus visible.
Il scruta les pans d'herbe aux alentours avec une expression nostalgique. Il semblait regretter un temps lointain.
Son regard se déplaça et son visage prit un air de douleur.
Là, il y avait une tombe en mauvais état.
Les poings du garçon se refermèrent brusquement et ses ongles, en mauvais état et coupés maladroitement, pénétrèrent sa peau fragile mais endurcie par toutes les épreuves qu'il avait vécues.
Sur la tombe dégradée par le temps, il était écrit :
[Maria Elvins]
[2110 - 2136]
Une petite larme s'échappa des yeux de Tim, mais il se détourna et continua stoïquement son chemin malgré ses tremblements.
Un faible sanglot s'échappa de sa bouche crispée :
« Maman… je suis désolé… ta tombe est déjà détruite. »
Le jeune garçon arriva au pas de sa maison. Il se reprit et sécha ses larmes, mais il ne pouvait pas cacher le léger tremblement de ses membres.
Au-dessus de la porte, il y avait une écriture faite à la main dans une planche de bois de mauvaise qualité :
[Maison Elvins]
Tim prit son courage à deux mains et s'avança. Il toucha la vielle poignée rouillée… et la tourna.
Il s'apprêtait à aller en enfer.
Son enfer.