Damien était calme, étrangement calme. Pourtant, quelque chose dans sa posture, dans son regard, trahissait une tension. Sophia s'assit face à lui, le carnet de son père toujours posé entre eux. Mais cette fois, elle ne voulait pas parler de son père. Elle voulait comprendre Damien.
« Pourquoi avez-vous tué, Damien ? » demanda-t-elle, sa voix plus douce que d'habitude.
Il resta silencieux un instant, ses yeux fixés sur le carnet. Puis il se mit à parler, lentement, comme s'il pesait chaque mot.
« Vous voulez savoir pourquoi ? C'est ce que tout le monde veut savoir, n'est-ce pas ? La presse, la police, les psychiatres… Mais personne n'écoute vraiment. Vous écouterez, Sophia ? »
Elle hocha la tête. « Essayez-moi. »
Damien inspira profondément, ses yeux se perdant dans le vide. « Je suis né dans un endroit où la vie n'avait aucune valeur. »
J'avait grandi dans un quartier oublié, où la misère était une langue parlée par tous. Sa mère était une femme brisée, accrochée à l'alcool et à des hommes violents. Son père ? Une ombre absente. Dès son plus jeune âge, Damien avait appris que personne ne viendrait le sauver.
« J'avais sept ans quand j'ai vu ma mère mourir sous mes yeux, » dit-il d'une voix froide, presque mécanique.
Sophia sentit un frisson la parcourir.
« Un de ses… compagnons. Il était ivre, furieux. Elle a essayé de le calmer, mais il l'a frappée encore et encore. Elle est tombée, et elle n'a pas bougé. J'ai crié. Je me souviens avoir hurlé si fort que ma gorge me brûlait. Mais personne n'est venu. Personne n'a jamais rien fait. »
Il leva les yeux vers Sophia, ses iris sombres comme un puits sans fond. « À ce moment-là, j'ai compris que le monde était un endroit cruel. Et que pour survivre, je devais devenir encore plus cruel. »
Après la mort de ma mère, j'avait été placé dans un foyer d'accueil. Mais ce lieu, censé être un refuge, s'était révélé pire encore.
« Vous savez ce qu'on fait aux enfants dans ces endroits ? » demanda-t-il, un sourire amer sur les lèvres. « On les brise. On les réduit en miettes, morceau par morceau. J'ai vu des choses que personne ne devrait voir. Des adultes qui abusaient de leur pouvoir. D'autres enfants qui devenaient des monstres pour survivre. J'ai appris à ne faire confiance à personne. »
Sophia était silencieuse, bouleversée par ses paroles.
« À quatorze ans, je me suis enfui. Je vivais dans les rues, volant pour manger, me battant pour ne pas mourir de froid. Mais même là, le danger était partout. J'ai rencontré des gens… des gens comme Jonathan Price, des hommes qui manipulaient les faibles, qui les utilisaient pour leurs propres profits. Des gens qui n'hésitaient pas à sacrifier des vies pour du pouvoir ou de l'argent. »
Damien serra les poings, ses menottes cliquetant sur la table. « J'ai décidé que je ne serais plus une victime. J'ai décidé que si le monde voulait des monstres, alors j'en deviendrais un. »
Sophia sentit un poids dans sa poitrine. Elle savait que son rôle était de rester neutre, de ne pas se laisser entraîner par ses émotions. Mais les mots de Damien la touchaient plus profondément qu'elle ne l'aurait voulu.
« Et ces meurtres en prison ? » demanda-t-elle. « Pourquoi tuer ceux qui étaient déjà condamnés ? »
Damien la fixa, son regard froid et calculateur. Mais pour la première fois, elle crut y voir une lueur de douleur.
« Vous pensez que c'était des meurtres gratuits ? Que j'ai tué pour le plaisir ? Non, Sophia. Ces hommes… ces monstres… étaient comme ceux que j'ai croisés quand j'étais enfant. Ils étaient corrompus, cruels. Ils tiraient les ficelles depuis l'ombre, même derrière les barreaux. Ils continuaient à briser des vies, à répandre leur poison. »
Il se pencha légèrement en avant, son visage à quelques centimètres du sien. « J'ai fait ce que personne n'avait le courage de faire. Je les ai arrêtés. Une fois pour toutes. »
Sophia sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Chaque mot qu'il prononçait laissait une marque indélébile dans son esprit.
« Alors, vous vous voyez comme une sorte de… justicier ? » demanda-t-elle, sa voix tremblante.
Damien éclata d'un rire sombre. « Justicier ? Non. Je ne me fais pas d'illusions, Sophia. Je suis un monstre. Mais parfois, il faut un monstre pour en arrêter un autre. »
Sophia ne savait plus quoi penser. Chaque fois qu'elle croyait comprendre Damien, il changeait la donne.
« Vous savez ce qui est ironique, Sophia ? » murmura-t-il, un sourire glacé sur les lèvres. « Le monde me hait pour ce que j'ai fait. Mais beaucoup de ceux que j'ai tués méritaient bien pire. Et maintenant, vous êtes ici, face à moi, à essayer de comprendre pourquoi. Peut-être que vous devriez vous demander pourquoi cela vous intéresse tant. »
En quittant la prison ce jour-là, Sophia était plus perdue que jamais. Damien n'était pas seulement un tueur. Il était le produit d'un monde brisé, un homme façonné par la violence et la douleur.
Mais une question continuait de hanter Sophia : si Damien disait la vérité, alors qui étaient les véritables monstres ?