Chapitre 10: Lien
Une lumière éblouissante recouvrait l'ensemble de la zone. Mes yeux restaient fixés sur la créature, et le temps semblait ralentir l'espace d'un instant. Dans ses yeux d'ombre mouvante, je pouvais distinguer un reflet : le visage meurtri et blessé de mon frère, figé dans une douleur que je ne pouvais pardonner.
Mon sang s'accéléra, et l'énergie en moi rugit, s'agitant violemment dans le corps de mon héritier. Il avait déjà atteint ses limites : du sang perlait de son nez, glissant de ses yeux fermés par la douleur. Mais cela n'avait plus d'importance. Je ne comptais pas me retenir.
"Pourquoi…" La voix de Tanza s'éleva faiblement dans l'obscurité de notre esprit partagé.
"Pourquoi quoi ?" répondis-je, concentré sur la bête qui préparait son prochain mouvement.
"Qui es-tu… et pourquoi es-tu aussi… en colère ? Ce n'est pas seulement pour me protéger que tu es là, n'est-ce pas ?"
Un bref instant, ses paroles me troublèrent. Je fis un pas en avant, mon aura explosant autour de nous pour contrer les premières lances d'ombre de la créature. Les ténèbres se dispersèrent brièvement avant de se reformer, prêtes à frapper de nouveau.
"Tu n'es pas encore prêt pour ces réponses, garçon," répondis-je, une froideur contenue dans ma voix.
"Je crois que si. Tu es lié à cette chose, n'est-ce pas ?"
"Intelligent… mais imprudent," murmurai-je. "Concentre-toi, ou tu mourras."
La créature fit un mouvement rapide, et une marée d'ombres déferla sur nous. Je sautai dans les airs, esquivant de justesse, et ripostai avec une onde lumineuse qui réduisit une partie des ténèbres en cendres. Mais le labyrinthe se déformait sous nos pieds, piégeant chaque tentative d'attaque. Les murs se refermaient, et les passages changeaient à chaque seconde.
"Ce labyrinthe… Ce n'est pas qu'un piège. C'était un sanctuaire," murmura Tanza, sa voix tremblant.
Je ris intérieurement. "Sanctuaire ? Non. Une tombe."
Une lance d'ombre fendit l'air, manquant de peu ma tête. J'atterris lourdement, propulsant une explosion de lumière pour repousser les ombres. La créature rugit, et je sentis sa frustration. Elle savait que je la dominais.
"C… C'est toi qui l'a enfermée ici, n'est-ce pas ?" demanda Tanza, son ton devenant plus sûr malgré sa fatigue.
Je marquai une pause. Les ombres autour de nous vacillèrent, comme si elles réagissaient à ses mots. "Tu es plus perspicace que je ne le pensais. Oui, cette chose était… non, c'est quelqu'un qui m'est précieux."
Tanza sembla surpris, mais je ne lui laissai pas le temps de répondre. La créature passa à l'offensive, se scindant en multiples clones d'ombre qui chargèrent dans toutes les directions. Je bloquai leurs attaques avec précision, mais la pression augmentait.
"Alors pourquoi ? Pourquoi l'avoir emprisonnée ici ?" insista-t-il, malgré la douleur qui le rongeait.
Je soupirai. "Parce qu'il n'y avait pas d'autre solution que de sceller ses fragments."
"Fragments ?"
Je sentis son incompréhension, mais expliquer davantage maintenant aurait été une perte de temps. La créature concentra soudain ses ombres en une immense sphère. Le labyrinthe entier trembla sous l'intensité de l'attaque qui se préparait.
"Écoute-moi bien, garçon," dis-je, mon ton redevenant autoritaire. "Si tu veux survivre, abandonne tes questions. Laisse-moi finir ce que j'ai commencé."
"Et si je ne veux pas ?" répliqua-t-il, sa détermination surprenante. "Je veux savoir qui tu es, ce que tu veux… Je refuse d'être seulement un spectateur !"
Je souris intérieurement. Ce garçon avait du cran. "Alors observe attentivement, Tanza. Observe… et apprends."
La sphère d'ombre fondit sur nous. Je rassemblai tout mon mana, le libérant dans une ultime explosion de lumière qui déchira la technique de la créature. Dans l'éclat aveuglant qui suivit, je vis l'ouverture que j'attendais. Je plongeai à travers ses défenses, frappant directement au cœur de sa forme spectrale.
Un silence pesant s'installa, seulement troublé par le souffle haletant de Tanza. La créature s'effondra, son essence se dissipant en une pluie d'ombres et de lumière. Mais je savais que ce n'était pas la fin. Une part d'elle était restée… une part qui, désormais, nous accompagnerait.
"Tu peux m'appeler SOUL, et ce que je veux…" murmurai-je finalement dans l'esprit de Tanza, "…c'est te préparer. Ce monde te sera bientôt très hostile…"
Mais avant qu'il puisse répondre, une interface lumineuse s'ouvrit soudainement devant moi, semblant défier la logique de ce lieu.
"UNE ANOMALIE A ÉTÉ DÉTECTÉE. DÉBUT DU PROTOCOLE ANTI-INTERFÉRENCE."
Je fronçai les sourcils, surpris. "Je dois partir… mais nous nous reverrons, garçon. Prépare-toi."
Prenant une dernière fois le contrôle de son corps, je le laissai avec ces mots, disparaissant dans les profondeurs de son esprit.
~Jun Pov ~
Je m'étais laissé glisser contre l'une des rares parois encore debout, le dos appuyé sur la pierre fissurée mais intacte. Tout autour de moi, l'énergie libérée par Tanza avait réduit une grande partie du labyrinthe en ruines.
Un instant. Cela n'avait pris qu'un instant pour qu'il en finisse avec cette chose…
Le paysage n'était plus qu'un champ de dévastation. Des flammes vacillantes dansaient sur les débris, projetant des ombres étranges contre les murs noircis. L'odeur métallique laissée par les éclairs persistait, et des arcs résiduels crépitaient encore dans l'air, échos d'un combat féroce. Ces murs, autrefois imposants et indestructibles, n'étaient plus qu'un amas de gravats. L'air, lourd de poussière, commençait enfin à se stabiliser, et la pression suffocante s'atténuait peu à peu.
Le combat était terminé.
Je pris une profonde inspiration, tremblante et douloureuse. Mes côtes protestèrent vivement, mais je pouvais de nouveau respirer. Le mana, omniprésent pendant l'affrontement, se dissipait rapidement. Avec lui, l'aura écrasante qui m'avait cloué au sol s'effaçait, laissant place à un calme étrange, presque irréel, comme après une tempête.
Mon regard se tourna vers l'origine de cette destruction. Là, au milieu du chaos, se tenait Tanza.
Cet enfant… Ce même enfant qui peinait à canaliser son mana quelques instants plus tôt.
Il restait debout, immobile devant la carcasse massive de la créature. Même à terre, elle dégageait encore une impression de menace insurmontable. Jamais je n'aurais osé rêver de l'affronter, et pourtant, Tanza l'avait terrassée.
Quelque chose en lui avait changé. Une présence nouvelle émanait de lui, celle d'un guerrier aguerri. Ce n'était pas seulement sa force brute qui m'impressionnait, mais cette aura, ce poids presque palpable qu'il semblait porter désormais sur ses épaules.
Sous les rayons de lumière qui traversaient le plafond éventré du labyrinthe, je l'observais en silence. Ses traits étaient tirés, son regard fixé sur son adversaire défait. Une tristesse étrange assombrissait son visage, comme si cette victoire lui avait coûté bien plus qu'il n'était prêt à l'admettre.
Et cette lumière…
Non, ce n'était pas une lumière ordinaire. Tout son être semblait émettre une radiance douce et solennelle, une aura presque sacrée. Mais quelque chose clochait. Une ombre fugace, insaisissable, semblait tapie sous cet éclat éclatant, ajoutant à la scène une étrangeté troublante.
Soudain, il se mit à bouger. Lentement, d'un pas lourd mais résolu, il s'approcha de la carcasse de la créature. À mesure qu'il avançait, son visage se crispait, et des larmes silencieuses roulaient sur ses joues, mêlées à la poussière et au sang.
Dans un geste empreint de solennité, il tendit les mains et les posa sur les paupières de la bête, les fermant doucement. Pas un mot ne fut prononcé, mais le silence qui suivit était chargé d'une profonde mélancolie.
Des étincelles légères commencèrent à danser autour de lui, flottant dans l'air comme des lucioles. Elles convergèrent lentement vers le creux de ses mains, où il les enferma précautionneusement contre sa poitrine, comme pour protéger quelque chose d'infiniment précieux.
Il resta immobile un long moment avant de se redresser. La pression étrange qui entourait son corps se dissipa en même temps que le mana qui l'enveloppait.
Son regard se tourna alors vers moi. Il était fatigué, épuisé même, et chacun de ses pas semblait être un effort insurmontable. Pourtant, il parvint à me rejoindre, s'effondrant près de moi avant de sombrer instantanément dans l'inconscience.
Nous avions survécu.
Non loin de là, dans l'ombre, un instructeur se tenait debout, un téléphone à la main.
"L'Oracle avait raison," murmura-t-il, sa voix encore tremblante. "Il a réagi. Nous avons trouvé l'un des quatre agneaux."
"Très bien," répondit une voix grave et posée de l'autre côté de la ligne. Elle appartenait à un homme d'une cinquantaine d'années, un sourire léger aux lèvres.
"Dès que son état sera stabilisé, procédez selon le plan," ajouta-t-il. "Et effacez toute trace de notre implication."