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Chapter 13 - CHAPITRE XIII – VERS LA SURFACE

Dans cet environnement souterrain exigu, le temps passa telle une flèche voyageant vers l'infini.

Les cités souterraines avaient pour la plupart des caractéristiques particulières, des formes singulières qui les différenciaient les unes des autres.

Tout dépendait en fait de l'entité qui avait investi dans leur conception et création.

Bien souvent, deux cités pouvaient ne rien avoir en commun, ou presque.

La cité dans laquelle Adonis se réfugiait « frauduleusement », si elle devait être classée, ferait partie des plus ordinaires. Des plus simples, du moins avant la création des deux extensions que sont Quadras et Quintis.

Pourtant, cet endroit possédait une foreuse.

Un matériau extrêmement rare et précieux que l'on ne trouvait presque pas, même dans les cités souterraines de haut grade.

Si le monde extérieur le savait, ils en seraient sûrement jaloux.

Une foreuse était synonyme de pouvoir construire sa propre cité souterraine, étendre celle déjà existante ainsi que tout un tas de possibilités.

Dans ce nouveau monde, depuis le tout premier cataclysme, les stations ou cités souterraines étaient les nouvelles villes, voire métropoles, qui rassemblaient les gens.

Elles étaient indispensables.

Malgré tout, peu importe la nature ou la forme de la cité, il était presque impossible d'imiter les sensations de la surface.

Des dispositifs étaient créés, comme celui des étages supérieurs qui permettaient de simuler un jour ensoleillé et des nuits étoilées, reproduisant ainsi les sensations de la surface. Néanmoins, il ne s'agissait que d'imitations. Des copies factices, vides de matière et sans réelle profondeur.

On pouvait simuler le jour et la nuit, mais pas l'impression et l'impact que ces deux états avaient sur le corps.

Tant que l'on observait, on pouvait assister à une sublime aurore, un apaisant crépuscule. Mais on ne pouvait sentir l'écoulement des saisons.

Il n'y avait pas de vent. Pas de neige. Les feuilles ne tombaient pas à l'automne, l'air ne se réchauffait pas durant l'été, le brouillard ne se formait pas durant l'hiver, il n'y avait pas d'oiseau pour roucouler durant le printemps.

En fait, des jours venaient de s'écouler, des semaines. Pourtant, Adonis ne s'en était même pas rendu compte.

La monotonie de cette station était désormais son quotidien.

Les choses suivirent leur cours pendant ce temps. Adonis ne fut ni alarmé ni averti d'aucun événement marquant.

En fait, depuis la dernière fois qu'il avait rapporté à Raphaël les événements survenus à Solis, ces deux-là n'étaient plus rentrés en contact.

Amanise était passée de temps en temps, mais jamais très longtemps. Adonis avait tout de même eu l'occasion de l'interroger un peu sur la nature du monde et de cette cité souterraine. Les réponses qu'il obtint furent à la fois choquantes et revitalisantes.

Choquantes car il réalisa que son objectif était encore plus invraisemblable qu'il ne le croyait.

Revitalisantes parce que certaines histoires éveillèrent en lui un esprit d'aventure qu'il ne s'imaginait pas avoir.

En bref, il avait encore beaucoup à découvrir sur ce monde, ou cette planète comme il l'appelait désormais.

Entre-temps, il continua à s'exercer, renforçant son corps entre deux sessions de sommeil.

Le temps passa à toute vitesse pour lui. Beaucoup moins pour d'autres.

Dans cet espace exigu où les rayons tranchants du soleil ne pouvaient pénétrer, les seuls indicateurs de l'écoulement du temps étaient les orbes mécaniques illuminant le ciel, changeant d'intensité entre le jour et la nuit.

Le corps s'ajoutait à l'ensemble comme unité de mesure. Jour et nuit devenant des concepts personnels plutôt qu'universels.

Le « jour » pour une personne était le moment où son alarme sonnait pour signifier le retour au travail. La « nuit », lorsque le corps suffisamment épuisé rappelait l'individu à l'ordre, les mêmes alarmes marquant la rotation des services en accompagnement.

Il serait extrêmement difficile de se représenter un monde sans astres naturels pour guider tout un chacun.

En un écoulement de sablier, deux mois passèrent.

Sortant de la douche, un jeune homme à la musculature fine mais dessinée arpentait les couloirs de la grande maison.

Il avait les cheveux brun clair. À un moment donné, ces derniers avaient poussé au point de lui arriver au cou. L'humidité dans ses cheveux leur donnait un air luisant et raffiné. Ses yeux avaient des pupilles d'un vert émeraude, c'était une combinaison frappante.

Il s'agissait d'Adonis.

Il était présentement seul dans la résidence. Il venait de finir sa séance de « renforcement physique », comme il aimait l'appeler. Le bain glacé qui s'ensuivit fut manifestement revigorant.

Il se trouvait en ce moment dépourvu de vêtements. D'un avis personnel, cela ne le gênait aucunement. De toute façon, il n'y avait personne d'autre à la ronde. Aussi, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, il avait toujours apprécié le minimalisme vestimentaire, préférant parfois les vêtements d'Amanise, qu'il trouvait plus confortables pour se déplacer.

Seulement, ces derniers étaient trop petits et étroits pour lui, d'autant plus maintenant.

Sur son corps nu, plusieurs cicatrices de longueurs variables transparaissaient. Certaines semblaient très anciennes, alors que d'autres beaucoup moins.

Il ne connaissait l'origine que de très peu d'entre elles.

Ces dernières semaines, sa forme physique gagnait en assurance ; il se sentait revigoré.

« Il faudrait que je m'apprête », murmura-t-il en se dirigeant vers sa chambre. Il en ressortit avec un ensemble vestimentaire dont il se trouvait assez fier.

Ces derniers jours, il n'avait pas été occupé à grand-chose, se consacrant par défaut au renforcement musculaire.

Amanise lui avait procuré un ensemble athlétique qu'elle tenait d'on ne savait où.

Désormais, le moment était venu de retourner en exploration. S'il n'avait pas grand-chose à faire de son côté, ce n'était pas le cas des autres.

S'ils auraient tous les trois effectué cette exploration bien plus tôt pour diverses raisons, la réalité des choses jouait en leur défaveur. Raphaël était le plus entreprenant du groupe, ayant en charge, en plus de leur confectionner des outils pour leur exploration, le traitement des informations qu'il engrangeait et la réparation des installations qui, pour une raison ou une autre, défaillaient plus que de raison.

En somme, il avait énormément à gérer.

Son aînée, Amanise, n'était assurément pas en reste de ce côté-là. La Grippe des Profondeurs lui donnait d'énormes migraines. De plus, en tant que responsable de la zone de soins, elle n'avait pas que cela comme responsabilité à gérer.

Si Raphaël avait des implications physiques et se renforçait d'une certaine manière par l'application, Amanise effectuait un travail mental.

Troubles, anxiété, détresse, accidents… elle avait beaucoup sur les bras.

En fait, Adonis avait une vie plutôt paisible. Peu ou pas de responsabilités. Il n'avait à s'inquiéter que d'un léger inconfort dû à sa situation.

Le temps passa, et le moment était désormais venu de se rendre à l'extérieur.

Le bonheur de ce dernier était réel.

« Hé, l'idiot ! Ramène ta fraise ici ! » Raphaël arriva à un moment donné.

Pour une raison ou une autre, Raphaël, d'ordinaire stoïque et détaché de tout, se sentait irritable dès qu'il s'agissait d'Adonis.

« Oh ! Ne serait-ce pas mon meilleur pote là ?! » Adonis le rejoignit, le sourire aux lèvres.

« Je vois que tu as appris le sarcasme. »

« On peut dire, et je sens que c'est le langage qui correspondra le mieux quand il me faudra traiter avec toi. Sinon, elle n'est pas venue avec toi ? » Ne voyant pas Amanise arriver, Adonis s'interrogea.

« Elle devrait se montrer bientôt. Avec ses engagements ces derniers mois, elle n'a pas pu rencontrer l'autre vieux. Elle s'y rend donc en ce moment. » Raphaël expliqua calmement.

Il tendit à Adonis l'accessoire qu'il avait confectionné pour leur exploration. Ce dernier était censé les aider à tenir plus longtemps sous les rayons tranchants du soleil.

Adonis, qui se montrait réticent au départ, finit par l'essayer.

« Je me demandais un truc… », dit ce dernier alors qu'il avait la tête emmêlée dans ses vêtements. Il n'eut pas fini sa phrase que son interlocuteur lui avait déjà gratifié d'une réponse.

« Alors il t'arrive de réfléchir… Quelle surprise ! »

Adonis s'arrêta un moment, puis, feignant d'ignorer cette remarque, continua sur sa lancée. Il avait appris cela d'Amanise.

« Ces gens que tu m'avais demandé de suivre la dernière fois… qui sont-ils, et comment as-tu pu savoir qu'ils seraient là-bas ? » Il portait désormais un genre d'ensemble complet. Ce dernier lui recouvrait entièrement le corps, ne laissant même pas transparaître ses orteils. Le tout épousait intégralement sa peau, ressemblant à une seconde couche.

La sensation était légère mais solide. L'apparence reflétait presque pleinement la peau, une opacité subtile. Dans le cas d'Adonis, le résultat était surtout une teinte plus foncée que son teint déjà sombre.

À dire vrai, il ne se sentait pas le moins du monde à l'aise dans cet accoutrement. Il avait l'impression que sa respiration était étrangement régulée, ce qui n'avait rien de naturel.

Pourtant, la fratrie jugeait cela indispensable, donc à chaque fois, il s'en contentait. Cette fois-ci n'était pas différente.

« Et pourquoi penses-tu que je te le dirai ? » Rétorqua Raphaël avec dédain.

« Je vais être franc avec toi tant que nous y sommes.

Je n'ai pas la moindre confiance en toi. Ne te leurre pas le moins du monde.

Tu nous es utile, et je crois au jugement de ma sœur, mais tu es toujours un étranger.

Un être sorti de nulle part, prétextant une perte de mémoire plutôt pratique. Que ce soient les cicatrices dont ton corps est recouvert ou la force physique dont tu fais preuve, il s'agit d'attributs rares et suspects, même dans un monde pourri comme le nôtre. Ceux que tu as pu rencontrer jusqu'à présent en sont la preuve. »

À un moment donné, Adonis se mit à suffoquer, sa trachée se resserrant alors qu'il tentait de se défaire de la surcouche de vêtements qu'il revêtait.

Ses yeux devinrent rouges, injectés de sang. Il tenta de foncer sur Raphaël, proche de lui, alors que ce dernier semblait manipuler un objet inconnu.

Il n'eut pas fait un pas qu'il s'écroula, ses jambes incapables de se mouvoir.

« Je ne crois pas à ton histoire de perte de mémoire. C'est une excuse bien trop commode pour avoir accès à une autre cité. De plus, je sais que tu ne nous as pas tout dit. Tu te sers de nous pour une raison que j'ignore. »

Peu après, Adonis, qui se débattait au sol, retrouva peu à peu sa mobilité. Il poussa un grand soupir, aspirant tout l'air qu'il pouvait emmagasiner dans ses poumons.

Il ne lui fallut pas longtemps pour se reprendre. Il se leva, fixant intensément l'autre dans les yeux.

« Je testais une nouvelle fonctionnalité que j'ai récemment ajoutée à l'ensemble. J'espère que tu aimes… Jusqu'ici, la portée de mon contrôle semble s'étendre aux cinq couches de cette cité. » Raphaël s'assit, parcourant l'écran qu'il tenait en main.

« Il semble parfaitement fonctionner… Nous sommes désormais quittes. La prochaine fois que tu me refais ce coup… » répondit Adonis, un demi-sourire sur le visage.

Ces deux-là avaient tendance à se sauter dessus dès qu'Amanise n'était pas là pour tempérer leurs ardeurs. Des situations similaires s'étaient déjà produites auparavant.

« Enfin ! Pour répondre à ta question, je dirai avant tout que c'est quelque chose dont on n'a pas à se mêler. Du moins, tant qu'ils n'interfèrent pas avec nos activités. Cette cité, les cités en général, sont gorgées de mystères et de secrets qu'il ne vaut mieux pas percer. Tout comme je me fous des tiens tant qu'ils ne me mettent pas en danger, ainsi qu'elle. Garde cela à l'esprit. »

Il y a quelques mois de cela, Raphaël avait envoyé Adonis espionner un groupuscule qu'il considérait susceptible d'agir contre ses intérêts dans un futur proche. Un événement s'était produit au cours de cette « mission », et un individu était mort, de manière totalement détachée de l'affaire qui les concernait globalement.

L'événement avait ravivé certains souvenirs dans la mémoire d'Adonis, ce qui l'avait énormément troublé. Mais comme dans toute mésaventure se cache une opportunité, ce dernier put reconnecter avec ce fragment de souvenir et en tira un indice sur son passé, possiblement lié à la terre qui l'abritait avant de se retrouver ici.

Évidemment, Raphaël ignorait cette partie des événements, mais peu importait.

De son côté, les informations réunies lui avaient également permis de progresser dans ses suspicions, qu'il ne partagea évidemment pas avec Adonis.

Une certaine menace planait sur cette station, ayant pour origine ce groupe étrange. Plutôt que d'en alerter quiconque, il décida d'observer patiemment le déroulé des événements.

Tant que cela n'allait pas à l'encontre de ses plans, il ne comptait pas intervenir.

Au fond, lui aussi pensait que les décideurs en place manquaient de discernement dans la gestion de la crise en cours.

Le monde n'était plus gouverné par la démocratie ou un quelconque système décisionnaire qui aurait existé à une époque. Désormais, il fallait beaucoup plus pour être suivi et écouté.

Et ces gens-là, en haut, manquaient de cela. Quoi de plus normal que l'on tente de les évincer.

« Le souci majeur ici est que je suspecte l'un de ces individus d'être comme toi, c'est-à-dire un clandestin. »

Adonis fronça les sourcils en entendant cela. Raphaël poursuivit son explication : « Au départ, nous étions totalement ignorants de l'existence du tunnel conduisant à la surface. Et pour des raisons que tu dois avoir comprises à présent, nous évitons encore d'en divulguer publiquement l'existence.

Seulement, la manière dont nous l'avons découvert me pousse à penser que nous n'étions pas les premiers à nous en servir. Plus encore, il semble que l'on ne s'en soit pas échappé, mais plutôt introduit.

Cette éventualité est extrêmement inquiétante, comme je te l'ai expliqué au départ. Pirater une autre cité est une activité courante qui était énormément pratiquée il y a quelques années, avant la dernière grande catastrophe.

Il m'aura fallu des mois pour enfin retrouver celui que je suspecte être l'intrus. Entre-temps, il ne semble pas avoir chômé non plus, au vu de ce à quoi tu as assisté la dernière fois. Tout cela me contraint à être très précautionneux pour les périodes à venir.

Pour autant, notre priorité reste votre exploration en surface. Les bénéfices que nous pourrions en tirer sont largement supérieurs aux risques encourus ici-bas. Pendant ces derniers mois, tu t'es baladé, tu as certainement pu voir les conditions de vie dans les différents secteurs. Si nous n'agissons pas maintenant, les conséquences seront imprévisibles. »

Au départ, Adonis n'avait qu'une conception étriquée de ce qu'était la vie dans cette station, mais les deux derniers mois lui avaient accordé l'opportunité d'élargir son champ de vision. Pas uniquement lors de ses rencontres avec Amanise, mais aussi lors de ses déplacements dans les différentes strates de cette cité. Il s'était même lié d'amitié avec quelques individus.

Au fond de lui, il commençait à apprécier cet endroit. Ainsi, son implication prit racine plus profondément que la superficialité qui le caractérisait au départ.

Même si Raphaël ne l'avait pas rencontré durant cette période, il le comprit en l'observant plus tôt.

« Malgré tout cela, vous ne diffusez toujours pas la nouvelle comme quoi il est désormais possible de se rendre à la surface… Pourquoi ? » Adonis avait une expression sérieuse alors qu'il posait la question.

Ce fait suscitait en lui une réelle incompréhension. Cela avait changé depuis sa curiosité initiale à cet égard. Maintenant qu'il se sentait un peu impliqué dans ce qui se passait, il trouvait d'autant plus anormal qu'une telle information reste secrète.

La finalité de cette exploration et des diverses opérations dont il avait été témoin, même des petites conspirations auxquelles il avait assisté, restait la surface.

Un chemin existait. Il l'avait emprunté plusieurs fois, il s'y était même installé. En conséquence, il trouvait cela incompréhensible que ces deux-là disent vouloir préparer le retour de tous à la surface tout en gardant secrète une découverte aussi capitale pour cette population à l'agonie.

Raphaël pouvait comprendre cette réaction, cela le conforta même dans ce qu'il pensait intérieurement d'Adonis. Il poussa quelques soupirs bien audibles avant de se tourner pour lui faire face et demander :

« Pourquoi vis-tu ici exactement ? »

Adonis fut surpris par cette question. Il resta momentanément silencieux.

« Je veux dire, physiquement, tu es plutôt bien formé. Il te serait possible de te débrouiller en surface, d'après les informations que ma sœur et toi m'avez rapportées.

Alors, quelle est la logique qui justifie que quelqu'un d'aussi bien préparé que toi n'y retourne pas immédiatement pour affronter ce qui s'y trouve ?

La réponse est que tu n'es pas prêt.

Maintenant, seconde question :

Si je t'informais que j'ai retrouvé des indices sur tes souvenirs, qu'il y a une terre loin à l'ouest où un marchand croirait avoir vu ta famille… que ferais-tu ?

Resterais-tu ici à continuer de te préparer comme tu le fais jusqu'à être optimal ? »

Adonis, qui commençait à voir le bout de ce raisonnement, fronça les sourcils. « Non, je foncerais à la première occasion pour découvrir ce qu'il en est ! »

« Tout en sachant à quel point l'extérieur serait dangereux, même pour toi ? » poursuivit Raphaël.

« Même en ayant conscience de ce à quoi je m'expose. » répondit Adonis, dépité.

Il réalisa à peu près ce qui était en jeu désormais.

Du fait d'un incident survenu des années auparavant, l'accès à la sortie fut en quelque sorte scellé. Les communications avec l'extérieur furent également paralysées. Les conditions du monde extérieur leur étaient inconnues.

À vrai dire, Adonis était la première personne tangible de l'extérieur avec laquelle ils entrèrent en relation.

Annoncer à tous qu'il y avait désormais un moyen de se rendre à l'extérieur créerait sans aucun doute une grande commotion. La population actuelle ne resterait pas sans réagir violemment, quitte à oublier les précautions les plus élémentaires. L'attente avait été trop longue, l'environnement trop aride, la vie trop pénible.

Ils en oublieraient presque les dangers extérieurs après avoir vécu l'équivalent de bientôt quatre années dans un tel milieu.

Il ne s'agissait plus de simplement annoncer que l'on pouvait sortir, mais de s'engager à ce que ce nouvel espoir ne se transforme pas en sentence fatale pour la station entière.

« Garde à l'esprit tes aptitudes. As-tu eu l'impression, lors de tes promenades, que beaucoup auraient des capacités similaires ? Non, disons même de s'en rapprocher ?

Il ne s'agit pas simplement de permettre à n'importe qui de s'en aller, mais de le faire de telle sorte que l'édifice entier ne tombe pas en ruine. Il y a tellement de choses sur ce monde dont tu sembles insouciant que je commence vraiment à croire ton histoire de perte de mémoire. »

Alors que ces deux-là poursuivaient leurs échanges, Adonis en apprenait davantage sur la structure sous-jacente de ce qui se trouvait devant ses yeux.

Grâce à ce bref échange avec Raphaël, sa compréhension des mécaniques de ce lieu sembla grimper d'un niveau.

La porte s'ouvrit silencieusement.

Amanise arriva, le pas léger.

Sa mine n'était pas des plus agréables. Elle paraissait lessivée ; les rides, inexistantes sur la surface lisse de son visage, commençaient à prendre vie. Les dernières semaines avaient été particulièrement rudes pour elle.

Le nombre de cas atteints de la Grippe des Profondeurs avait grimpé au plafond. Les conditions de vie s'amenuisaient à mesure que les cas croissaient, augmentant davantage les infections.

Il y eut même quelques morts. La situation était devenue critique.

« Tu n'as vraiment pas bonne mine, chère sœur. Penses-tu que le moment soit véritablement idéal pour t'absenter de nouveau ? » s'enquit Adonis en lorgnant vers elle.

« Le moment n'a rien d'idéal, et tu le sais que trop bien. Mais si cela n'est pas fait maintenant, j'ai le pressentiment que nous n'en aurons plus l'opportunité ultérieurement. » Expliqua-t-elle en s'affalant sur l'un des sièges. Elle regarda Adonis, semblant scruter son revêtement. « Est-ce là tout ce qu'il nous faudra ? » demanda-t-elle avec suspicion.

« Tu n'as pas à t'inquiéter. Je me suis assuré de les rendre aussi résistants que possible. J'y ai même ajouté quelques fonctionnalités dont ton "sujet test" a été témoin… très intéressant, cela fut. » Ses lèvres se déformèrent en un sourire à peine dissimulé.

Adonis se contrôla fortement pour ne pas réagir à cette provocation à peine voilée.

Assistante à cette petite scène de « ménage », Amanise s'abstint de toute réaction ; la nature de ces deux-là ne lui était pas inconnue.

Au bout de quelques minutes, après avoir pratiqué quelques exercices de respiration qui laissèrent Adonis dubitatif, Amanise se leva et enfila le revêtement qui l'attendait.

« À titre de rappel, les objectifs pour cette expédition sont avant tout l'antenne relais de diffusion située à quinze kilomètres au nord-est, en partant de l'arbre qui trône au centre de la formation au-dessus de nous. Je vous ai installé des boussoles ainsi que d'autres moyens de repérage dans ce revêtement. »

Raphaël présenta, grâce à une projection holographique tirée de l'appareil qu'il tenait en main, une image qui attira l'attention des deux autres. « Voilà à quoi ressemble l'antenne qui nous intéresse.

Autour de ce secteur se trouvent plusieurs d'entre elles, alors faites attention à bien identifier la bonne. Il devrait s'agir d'un pic de couleur bleu violacé, comme vous pouvez le voir sur l'image.

Mais je dois préciser que cette archive date de l'installation de l'antenne, il y a plus de quatre ans maintenant. Nous n'avons aucune information sur son état exact en ce moment. Vous devrez donc vous débrouiller une fois dans la zone concernée.

Une fois que vous serez certains d'avoir trouvé la bonne antenne, Amanise, ton revêtement contient une capsule de mes nanomachines personnelles de reconstitution. Je les ai reprogrammées spécifiquement pour s'attacher à l'antenne et reconstituer les parties potentiellement endommagées.

Une fois cela fait, vous pourrez laisser l'antenne pour vous tourner vers notre second objectif : l'analyse de la zone au-dessus de nous, dans un diamètre de quelques kilomètres. Le plus large possible dans le laps de temps convenu.

L'intérêt est de vérifier le niveau de sûreté de la zone pour un éventuel retour à la surface.

Les cavités environnantes sont un problème plutôt inquiétant sur lequel j'aimerais que vous posiez l'œil.

Par contre, avec les données que vous avez rassemblées durant la dernière exploration, je peux confirmer qu'il y a un aspect étrange aux bêtes qui nous échappe encore. Soyez d'une extrême vigilance, même face à des animaux d'un naturel inoffensif. Il m'est pour l'heure impossible de définir la nature de chacun d'eux.

L'extérieur est extrêmement dangereux, nous le savons bien », proclama Amanise, coupant ainsi la parole à l'orateur qui s'exprimait depuis un moment déjà.

« Il s'agit là de vraiment beaucoup de tâches. Nous ne pourrons pas toutes les effectuer de nuit ; sinon, cela nous prendrait des semaines. Alors, j'espère que ton revêtement saura pleinement remplir sa fonction première. » Conclut-elle en souriant.

Elle disait cela, mais au fond, elle n'avait aucun doute quant aux aptitudes de son jeune frère.

Ces deux-là n'avaient compté que l'un sur l'autre depuis qu'ils avaient été abandonnés par leurs parents, longtemps auparavant. Ils avaient bâti une relation de confiance qui en rendrait jaloux plus d'un.

Dans ce monde délabré, ils étaient un duo dont il ne fallait surtout pas sous-estimer la valeur. Ils avaient en quelque sorte pris le contrôle de cette cité souterraine sans que quiconque ne les voie venir, en contrôlant chacun une zone indispensable à la station.

Leur talent individuel forçait déjà le respect. Mais une fois combinés, ils ne pouvaient être méprisés.

« Rassure-toi, vieille peau. Si ta peau gagne en rigidité, ce ne sera certainement pas à cause de l'inefficacité de mon œuvre. Tu sais, la vieillesse, tout ça… »

Il eut à peine fini de parler qu'un bruit retentit dans la pièce.

Il se frotta la nuque, où une rougeur se manifesta naturellement.

« Hum… Bref, vous aurez trois jours. J'aimerais que vous soyez rentrés dans ce délai. D'après ce que nous avons rassemblé ces derniers temps, il semble clair que quelque chose se trame au niveau de Solis. Il nous faut résoudre la situation liée aux communications si nous voulons parer aux différentes éventualités.

Pas mal de choses étranges se profilent à l'horizon. Alors tâchez de faire au plus vite. » Termina-t-il en se frottant encore la nuque.

Le plan était clair. Chacun était au fait de sa partition.

Maintenant, il était temps d'agir.

Adonis ne se rendait pas à l'extérieur pour la première fois ; en fait, il venait même des terres extérieures, celles plus au nord. Pourtant, dans l'opération de cette fois, il ressentait une certaine appréhension, une certaine crainte.

Il avait pris le temps de connaître certaines personnes dans cette station, les avait côtoyées quasi quotidiennement ces dernières semaines. Ainsi, même s'il restait fondamentalement le même et que ses projets personnels étaient inchangés, il avait développé une certaine attache pour ces personnes.

Il ne pouvait plus se prétendre aussi indifférent qu'avant.

Le trio descendit l'ascenseur jusqu'au quatrième niveau.

Après un petit moment, ils arrivèrent à Quadra, là où leurs chemins se séparèrent.

Amanise et son assistant avaient une mission à accomplir ; ils s'engouffrèrent donc dans le tunnel menant à la surface, loin des regards.

Mais ce qu'ils ne savaient pas, c'est que pendant qu'ils entamaient cette exploration externe, la cité pour laquelle ils se battaient ferait face à un défi majeur en leur absence.