« À toi que la nature a préservé et accordé ses dons, tu brilleras dans la tempête d'une lumière étincelante, jusqu'à ce que les abysses emportent ton âme. »
…
**Whoosh**
Un poing serré frôla la joue du jeune homme aux cheveux brun clair qui se balançaient dans le vent à mesure qu'il essayait d'esquiver le coup.
**Thump**
Un autre poing percuta l'abdomen du jeune homme, dont les yeux d'un vert émeraude semblaient perdre en vitalité à mesure qu'il s'écroulait. Sa tête se rapprocha du sol alors qu'il semblait succomber à la douleur, lorsque tout à coup, un son violent suivi de deux cris se fit entendre.
**Clac**
Dans sa chute, le jeune homme s'était élancé, et sa nuque avait frappé le menton de son adversaire. Ce dernier s'attrapa la mâchoire, et l'on put voir ses larmes couler alors qu'il tombait en arrière. Le jeune homme, qui venait d'asséner un coup décisif, se caressa la nuque.
**Tap tap tap**
Se rendant compte que celui de derrière s'approchait à vive allure, le jeune homme s'accroupit lentement, guettant l'arrière. Deux respirations plus tard, il souleva son pied droit avec vélocité et force, et son talon frappa l'entrejambe du malheureux qui, dans son élan de course, ne put freiner son allure.
Un bruit étouffé s'échappa des lèvres du garçon alors qu'il tombait en avant sur quelques pas, mélangeant un grognement de douleur avec un souffle expiré brusquement. Son visage, plutôt clair, vira au rouge en un instant alors qu'il se tordait visiblement de douleur.
Le jeune homme, debout au-dessus de ses deux assaillants, se nettoyait les mains. Après cette altercation, il était recouvert de poussière et d'égratignures. Alors qu'il faisait le décompte de ses plaies et des fissures sur ses vêtements faits de lianes, il vit quelqu'un s'approcher au loin. En cet instant, dans ses yeux émeraude, on pouvait lire la panique se mêler à un sentiment de honte.
« Adonis, tu t'es encore battu. Tu m'avais pourtant promis que ça ne se reproduirait plus la fois dernière. En plus, tu le fais aujourd'hui… Aujourd'hui ! »
Adonis, ainsi mis au pas par la personne en face de lui, se sentit soudain honteux. Il se mit à bégayer et s'éloigna rapidement des deux individus au sol qui se tordaient toujours de douleur, comme s'il n'était pas impliqué dans la scène, puis rejoignit la demoiselle qui se trouvait une dizaine de pas plus loin.
« Écoute, Héra… regarde, en fait… tu vois, je ne me suis pas… ils m'ont provoqué, alors… non, ce n'est pas ça… ils sont venus m'attaquer, et ils étaient deux… donc… tu vois un peu… »
Tout en cherchant ses mots, il se rapprocha de Héra, gesticulant comme pour expliquer la situation sans réellement trouver les mots adéquats.
« Donc tu veux me faire croire que ces deux idiots t'ont poussé à te battre par leur simple parole ? Tu sais bien qu'ils n'auraient pas eu le courage de t'attaquer directement. »
Adonis semblait regarder dans le vide, toujours à la recherche d'une raison pour se justifier.
« Ils se moquaient de moi. Ils n'ont pas arrêté de dire que, comme tu partais pour les terres extérieures, je me retrouverais tout seul et que je n'ai rien à faire ici. »
Elle écouta ses justifications d'une oreille distraite, puis ajouta : « Tu ne peux pas toujours t'en remettre à la violence lorsque quelque chose te contrarie. J'espère seulement que cela ne te jouera pas des tours un jour. »
Pour une raison ou une autre, Adonis sembla amusé par l'idée, un sourire à peine voilé aux lèvres. « Je me demande bien ce qui pourrait arriver. »
La jeune Héra, voyant clairement son entêtement, décida de changer de sujet.
« Tu as manqué le cours. Madame Iris a fini plus tôt aujourd'hui. Il semble qu'elle voulait rentrer chez elle avant que les voiles du ciel ne s'assombrissent. »
Il s'agissait de l'une des enseignantes des guerriers novices, chargée d'instruire les jeunes sur les légendes du passé. On croyait que l'histoire et les mythes anciens étaient, à une certaine échelle, indispensables au développement mental des nouveaux initiés. Ainsi, le cours de L'Origine était érigé à la même importance que les cours de chasse, de pêche et d'artisanat. Ces derniers étaient cependant moins importants que les cours d'Intuition sauvage.
« Cette vieille femme ne fait que nous raconter les mêmes histoires à chaque nouvelle session. Je parie qu'elle a encore raconté comment nous venons tous des étrangers et que les voiles du ciel sont un cadeau que Dieu nous a fait pour nous protéger des flammes d'en haut. »
L'essentiel des sessions de Madame Iris portait sur l'origine de la tribu. Il était dit dans ces sessions que le tout premier humain de cette terre était en fait un Étranger qui, guidé par Dieu, avait traversé les eaux avec sa compagne pour échapper à la lumière dorée qui, en ce temps-là, leur brûlait la peau. Toujours selon l'histoire racontée, après leur arrivée, Dieu avait fait cracher la montagne de feu pour effrayer la Lumière dorée qui poursuivait l'humain, et c'est ainsi qu'apparurent les voiles du ciel, qui avaient pour mission de s'interposer entre l'humain et la Lumière dorée. Après cela, l'humain entama sa vie sur cette nouvelle terre et développa sa tribu au fil des siècles.
Adonis et Héra marchaient sur le chemin du retour. Il s'agissait d'un chemin assez large, rempli de pierres au sol. Il y avait là toutes sortes de pierres : certaines de couleur vert grisâtre semblaient réfléchissantes, d'autres étaient plutôt noires avec une forte odeur. Tout autour du chemin se trouvaient des arbres variant en taille, entre deux et cinq fois la taille d'Adonis. Ce dernier, tout en marchant, frappait les pierres sur le sol avec ses pieds.
« Elle ne fait que répéter les histoires sans cesse. Elle nous parle tout le temps des Étrangers et de ceux qui ont décidé de partir à l'aventure après le rituel initiatique. Alors, lorsque je dis qu'il est plus important de rester et de s'occuper de la tribu, elle et les autres se moquent de moi. Ils n'arrêtent pas de dire que, vu que je ressemble à certains Étrangers dépeints dans les livres, je ferais mieux de m'en aller après mon rituel. »
Dans la tribu d'Adonis, tout le monde avait une peau pâle, voire très claire, en raison du fait que les nuages, qu'ils appelaient les voiles du ciel, couvraient entièrement la région, ne laissant pénétrer que les rayons de l'astre de la nuit.
Adonis, quant à lui, avait depuis la naissance une couleur de peau plus foncée, tellement plus foncée qu'il se démarquait clairement du reste. Cela lui valut bien des moqueries de la part de ses pairs.
« Tu es la seule qui te comportes avec moi normalement, sans te soucier de ma couleur… », se dit Adonis alors qu'il tenait la main d'Héra pour traverser un cours d'eau se trouvant sur leur chemin.
« Ne va pas croire que ça justifie le fait que tu te sois battu aujourd'hui. Tu m'avais fait une promesse pour aujourd'hui particulièrement : pas de bagarre le jour de mon anniversaire. Tu te souviens ? »
Héra, en ce jour-là, fêtait ses 20 ans selon le calendrier des Étrangers, ce qui, au sein de la tribu, était considéré comme l'âge de maturité. Au lendemain de son vingtième anniversaire, la tribu offrait à chaque novice le choix d'évoluer en tant que guerrier pour les hommes et artisane pour les femmes, ou de quitter la tribu afin d'essayer de parcourir le monde au-delà des eaux profondes, encore appelé le monde des Étrangers selon les livres d'histoire de la tribu. Ils appelaient cela le Rituel d'Initiation.
« De plus, tu te trompes… », reprit Héra qui, en ayant accumulé l'air dans sa bouche, gonfla ses joues, lui donnant l'air de bouder. « Elle nous a plutôt raconté une histoire qu'elle tenait d'un recueil secret d'un Étranger, selon ses dires. Et c'est même à cause de cette histoire que la session s'est terminée plus tôt que d'habitude. Tu veux savoir ce que c'est… ? Tu veux savoir ? »
« Évidemment que je veux savoir… », se dit Adonis, même s'il était pratiquement sûr que ce serait encore un conte sur un lieu plein de chevaux brillants produisant de la brume et où plus de deux personnes peuvent s'asseoir. Des oiseaux plus gros que des hommes et qui n'ont pas besoin de battre des ailes pour voler en haut. »
Ils arrivaient bientôt au bout du chemin qu'ils arpentaient. En face d'eux se trouvait une intersection qui ne continuait plus en ligne droite, mais il y avait à la place deux routes, respectivement à gauche et à droite. Il s'agissait des deux directions de leurs habitations.
La gauche s'enfonçait un peu plus dans la végétation. Les arbres y étaient plus proéminents, plus grands, le sol plus rugueux. C'était dans cette direction que se trouvait la maison d'Adonis. Quant à la droite, elle était plus peuplée, semblait plus soignée, du fait que les chemins semblaient moins rugueux et les arbres soit plus courts, soit taillés.
Adonis balaya gauche et droite de la tête, puis s'arrêta en face de la demoiselle. Il la tira contre lui, lui attrapa le menton de sa main, et alors qu'elle le regardait droit dans les yeux, il rapprocha son visage du sien et finit par l'embrasser au front.
« Tu me raconteras les histoires de Madame Iris durant notre soirée à la montagne de feu. Je viendrai te chercher après la chasse avec Grand-Pa. Je ramènerai même un morceau pour ta mère. »
Héra l'écoutait parler pendant qu'elle lui parcourait le visage des mains, touchant occasionnellement ses égratignures, ce qui faisait grimacer Adonis par moments. « Fais attention à toi, Adonis… », lui dit-elle avant de toucher ses lèvres des siennes. Puis elle prit le chemin sur sa droite, où des gens les regardaient, et s'en alla.
Le village dans lequel ils résidaient était tel un hameau. Il était de taille modeste, et l'on pouvait y recenser une communauté d'un peu moins d'un millier de personnes. Les hommes et les femmes y avaient des rôles bien spécifiques. Les hommes évoluaient en devenant des guerriers chargés de chasser et de rapporter la nourriture à leur famille ainsi qu'au clan. Les chasses organisées par le clan pour les nécessités générales offraient aux participants des points de contribution. Ces points de contribution permettaient plus tard au guerrier de réclamer diverses choses au clan, telles que des outils, de la main-d'œuvre, des biens, et même parfois la main d'une partenaire en particulier.
Les femmes, quant à elles, avaient la tâche de veiller à l'équilibre du clan. Elles étaient chargées de l'artisanat, habillant tout le clan, en passant des maisons aux hommes. Elles se chargeaient également de l'éducation des jeunes enfants et prenaient la charge des futurs guerriers avant l'âge de dix ans du calendrier des Étrangers.
Adonis, ayant pris le chemin de gauche, marchait en réfléchissant : *Pourquoi certains doivent-ils quitter le clan pour tenter l'aventure après le rituel initiatique ? Ne serait-il pas plus logique de rester et aider le clan à se développer ? Certains n'ont même pas le choix de rester s'ils le souhaitent ou de partir s'ils le désirent. Le clan les force et impose leur choix. Je ne veux pas que Héra s'en aille. Bientôt, ce sera mon rituel. Je suis sûr que le clan voudra que je parte pour les terres par-delà les eaux profondes, même si ce n'est absolument pas ce que je veux.* Son visage se fronçait à mesure qu'il marchait.
« Bonsoir, Mère », dit Adonis à la femme assise sur le siège à rotule avec de la laine faite de coton entre les mains.
« Adonis, mon chéri, tu rentres bien plus tôt. Aurais-tu encore manqué les cours ?! » Elle lui dit cela en le regardant droit dans les yeux. On aurait pu croire qu'elle essayait de déceler si son aîné lui mentirait ou non.
Adonis regarda sa mère en souriant. Elle n'était pas très grande de taille et avait une poitrine robuste. Elle était assise et tricotait, mais à cet instant, elle dévisageait son fils, et Adonis sentait que son âme était interrogée. Il n'y avait rien de plus important et de plus imposant que les femmes du clan. Elles avaient connu et éduqué les jeunes guerriers jusqu'à ce que ces derniers deviennent des guerriers accomplis, et même après. Même si l'école prenait le relais à l'âge de dix ans du calendrier des Étrangers, ces femmes continuaient à recadrer ces jeunes hommes à la maison pendant que les pères étaient occupés au-dehors par la chasse et la pêche. Comment de telles femmes pouvaient-elles être simplifiées, minimisées ? Elles étaient l'essence même du clan, et Adonis avait pour sa mère le plus absolu des respects, même dans sa phase rebelle.
Il continua à sourire en répondant : « Non, non, non… Madame Iris a fini le cours plus tôt aujourd'hui, donc je suis rentré pour rendre visite à Grand-Pa. »
C'est seulement après avoir entendu la réponse de son premier-né et l'avoir observé un peu plus longtemps qu'elle se décida à baisser la tête sur la laine dans ses mains. Elle s'appelait Solatricia et était connue pour être l'une des femmes les plus respectées du clan, même si elle ne faisait pas partie du conseil.
Adonis expira profondément alors qu'il entra dans la maison. Cette dernière était faite de paille et de terre cuite. Elle mesurait environ mille trois cents pieds carrés et était constituée d'un espace à manger aussi grand que les deux salles pour dormir réunies. L'espace à manger avait des murs de terre décorés avec des têtes d'animaux empalées. Cette façon de faire était presque la même dans toutes les maisons et permettait de démontrer l'habileté et la force de l'homme de la maison.
Adonis traversa la salle principale, passant devant une dizaine de têtes empalées de tailles variables, en se dirigeant vers sa salle pour dormir, à lui et à son frère. Dans cette salle, se trouvaient deux lits de paille recouverts d'un tissu épais fait de laine et qui était rembourré de feuilles vertes d'herbes à senteurs différentes. Sur le mur de la salle se trouvaient quatre têtes d'animaux. Trois d'entre elles étaient assez petites, mais une était de taille moyenne.
Il retira ses vêtements effilochés, puis, après avoir observé son anatomie, il porta une tenue ressemblant à une armure faite de tissu rembourré au niveau du bassin et des parties, avec des écorces d'arbres. Les manches étaient faites à base de lianes extrêmement résistantes et pourtant très flexibles. Son pantalon était un mélange d'écorces au niveau des cuisses jusqu'aux jambes, entrecoupé par des lianes au niveau des genoux.
Adonis sortit de la maison après s'être changé et repassa devant sa mère, qui avait toujours la laine de coton dans la main. On ne savait pas
ce qu'elle tricotait. Adonis marcha quelques pas, puis se retourna pour regarder sa mère avant de lui demander : « Mère, quel nom donne-t-on à la salle pour dormir ? »
Elle le regarda en souriant, puis répondit : « Une chambre. La grande salle est le salon, et la salle pour dormir est la chambre. »
« Une chambre… », répéta mentalement Adonis. Il se retourna pour partir lorsqu'il entendit derrière lui : « Fais attention à toi. » Il ne se retourna pas, mais répondit laconiquement : « Comme toujours. » Puis il s'enfonça dans la forêt devant lui.
Il était de culture dans le clan d'exposer dans un espace personnel les trophées de chasse. Cela participait au prestige de l'individu et, par extension, de la famille. Ainsi, les pères accrochaient les animaux empaillés dans leur salon, et les jeunes guerriers dans leur chambre. À l'âge d'Adonis, les jeunes participaient souvent à la chasse, mais comme ils étaient surtout un support et n'en étaient que rarement l'acteur principal, ils avaient bien souvent un à deux trophées dans leur chambre. Adonis faisait partie des exceptions.
Il marcha encore un certain temps dans la forêt, ses pensées volatiles et éparpillées. Puis il arriva devant une hutte recouverte de lianes, qui se fondait pratiquement dans le décor.
**Ssshhhh**
Adonis, qui marchait jusque-là, s'arrêta soudain et plongea dans un amas de feuilles à sa droite. Un objet extrêmement rapide venait de traverser l'espace où se tenait précédemment sa tête.
**Swoosh**
Une autre flèche vint se planter dans le sol alors qu'Adonis se roulait sur lui-même pour enfin se lever et courir en direction de la hutte. Il n'y eut plus de bruit de flèche fendant l'air. Les seuls bruits environnants restaient les gazouillements des oiseaux et autres insectes des alentours.
« Bonsoir, Grand-Mère », dit-il à la dame mûre assise devant la hutte, qui le regardait, le visage enjoué. « Soit tu es devenu bien plus rapide, soit Grand-Père perd vraiment en précision », dit-elle en réponse au jeune homme devant elle.
Dans ses yeux, elle voyait un jeune garçon au teint très foncé, mais encore distinguable dans un sombre éclairage. Il avait les yeux d'un vert émeraude, les cheveux mi-longs attachés en arrière, ce qui lui donnait un visage lisse et sphérique. Il était de corpulence moyenne et avait une musculature assez prononcée. Ses mains longues étaient recouvertes de lianes, et un arc était accroché à son dos.
Adonis s'approcha de la dame d'âge mûr et demanda : « Y a-t-il un nom pour le tas d'herbe derrière lequel je me suis caché précédemment ? » Elle lui répondit : « Oui, Adonis, cela s'appelle un buisson. »
Encore une fois, il répéta ce qu'il venait d'apprendre dans sa tête, puis s'accroupit devant la dame avant de lui baiser la main. Elle lui tapota le visage et les cheveux pour en retirer les morceaux de feuille qui y étaient encore lorsqu'un homme d'âge mûr sortit de la pénombre derrière elle.
**Chh-chh**
Ses pas étaient légers, presque indiscernables. Alors que la dame d'âge mûr continuait de nettoyer le jeune homme aux cheveux noirs de jais, le monsieur d'âge mûr ne fut plus qu'à moins de dix pas d'eux.
« Grand-Père, aujourd'hui encore, tu as failli m'avoir. »
Adonis n'avait à aucun moment baissé sa garde. Ainsi, il avait pu percevoir et démêler les faibles bruits de pas s'approchant de lui.
Grâce à Grand-Père, qui était considéré dans le clan comme l'un des meilleurs chasseurs, Adonis avait, depuis ses plus jeunes années, expérimenté les aléas de la chasse. Il avait depuis lors développé ses sens ainsi que son instinct de survie. Et cela pouvait se voir sur les quatre trophées dans sa chambre. En réalité, son nombre de trophées était légèrement plus important, mais certaines choses ne devaient pas être totalement exposées à la vue de tous.
Adonis était né dans le clan avec une caractéristique singulière : sa couleur de peau. Et au nom de cette particularité, il fut ostracisé par ses pairs. Telle était la nature humaine. Pourtant, il avait bien plus de caractéristiques innées pouvant davantage prononcer le trait de sa singularité.
« Adonis, attrape le sac de flèches derrière et suis-moi. J'ai déjà repéré la proie d'aujourd'hui », lui dit Grand-Père alors que ce dernier s'exécutait sans perdre un instant.
« Nanfaros, n'oublie pas de rentrer avant le quatrième son de coucou », l'avertit la dame d'âge mûr, Rutheléa.
Nanfaros secoua la tête alors qu'il retournait dans la végétation, suivi par Adonis.
Adonis, qui n'avait pas du tout une marche lente, s'arrêta après quelques pas, se retourna, puis cria en direction de Rutheléa : « Comment appelle-t-on un sac rempli de flèches ? »
« Ça se dit un carquois », lui répondit Rutheléa, le sourire aux lèvres. Elle n'en fut pas surprise le moins du monde.
Alors qu'il se répétait mentalement ce qu'il venait d'apprendre, Adonis courut pour rattraper l'avance qu'avait prise Nanfaros.
Tous deux marchèrent sur des centaines de pas, parfois en tournant sur la gauche, puis le sens opposé, et ce à un rythme maintenu qui était pourtant loin d'être lent. Ils traversèrent une ligne de troncs d'arbres positionnés en forme de pic, dont on ne pouvait distinguer les limites, mais Adonis savait depuis longtemps qu'il s'agissait ici des limites du village. Jusqu'à ce niveau-là, le territoire était continuellement inspecté et nettoyé. Voilà pourquoi ils n'avaient rencontré aucun animal féroce durant leur avancée. Mais par-delà cette ligne de troncs d'arbres, ils se devaient d'être extrêmement prudents. Plus ils s'enfonceraient, plus ils risqueraient de faire des rencontres infortunées.
Nanfaros, en tête de marche, se retournait de temps à autre afin de confirmer la situation et l'état d'Adonis. Ils avaient déjà marché quelques milliers de pas, et une centaine depuis qu'ils avaient franchi la ligne de troncs.
**Chip chip chip**
En entendant un bruit particulier provenant de plus en avant dans la forêt, Nanfaros se courba instinctivement, puis, jetant un coup d'œil en arrière, il constata qu'Adonis avait déjà arqué une flèche et se tenait prêt.
Entre les ombres profondes de la forêt, un renard roux se déplaçait avec une grâce furtive. Son pelage lustré, éclairé sporadiquement par les faibles rayons de lumière filtrant à travers les feuilles, lui conférait une aura presque magique. Les reflets cuivrés dans l'obscurité suggéraient une créature adaptée à l'art du camouflage nocturne.
Les yeux du renard, vifs et perçants, captaient la moindre lueur ambiante. Ils brillaient comme des émeraudes dans l'obscurité, ajoutant une note énigmatique à sa présence. Ses oreilles triangulaires se dressaient, attentives aux moindres bruits de la forêt.
À la lisière de la pénombre, le renard se faufilait, sa queue touffue se balançant avec une grâce subtile. Ses mouvements, bien que rapides et agiles, étaient empreints de cette élégance silencieuse qui caractérise cet être nocturne. On pourrait presque croire qu'il dansait au rythme secret de la nuit, un maître de cérémonie dans le théâtre sombre de la forêt.
Du bout d'une tête de flèche qui se confondait presque avec la nature, Adonis observait silencieusement ce spectacle. Il était face à sa proie, et s'il ne voulait pas la devenir lui-même, il se devait d'être méticuleux. La chasse du jour était la chasse au renard. Il se camoufla dans un buisson tout en faisant le moins de gestes possible. Avec sa flèche arquée, il regarda Nanfaros, puis, avec un léger signe de ce dernier, Adonis décocha sa flèche.
**Swoosh**
Le renard, qui à un moment donné avait tourné sa tête dans la direction de ses chasseurs embusqués, semblait avoir remarqué une anomalie. L'espace d'un instant, on put voir le reflet d'une flèche passer dans ses yeux alors que cette dernière semblait pouvoir se loger dans son cou. D'un geste soudain, l'animal bondit. La flèche, ciblant initialement son cou, vint se loger dans sa patte inférieure gauche. Du sang jaillit de la plaie alors que la flèche s'y était logée profondément.
**Ziip … ziip**
Deux autres flèches se suivirent à un rythme soutenu, mais n'atteignirent plus leur cible. L'animal était déjà préparé, et bien que blessé, il n'allait pas renoncer à la vie pour autant.
Même s'il avait manqué son objectif premier, Adonis n'était pas désemparé, car il avait tout de même réussi à entraver sa proie. Le renard était connu pour sa grande agilité et sa vitesse ; le blesser à la patte restait un succès dont il ne fallait pas pâlir. La vraie chasse ne commencerait que maintenant.
**Raaarrrrr**
Le renard, rugissant de douleur à cause de sa blessure, se mit à courir. Des flèches fusèrent et manquèrent de lui arracher son dernier souffle. À un moment donné, il s'arrêta, tourna sa tête vers sa patte embrochée. Il écarta son museau, et des dents acérées vinrent mordre et briser la partie visible de la flèche qui s'y était logée plus tôt. À ce moment-là, une flèche vint se loger sur le tronc d'arbre derrière lequel le renard avait trouvé refuge.
**Swoosh**
Il se remit à courir dans la lisière, mais désormais, sa vitesse semblait plus importante. Nanfaros et Adonis, qui avaient dû se mouvoir et courir depuis le début, commençaient à haleter doucement alors que la vitesse de l'animal augmentait.
Adonis remit son carquois sur son dos et se tourna vers Nanfaros. Il dégaina une dague qu'il conservait sous son armure de lianes. Il mordit la dague, puis s'élança à la poursuite de l'animal.
**Crunch-crunch-crunch…**
Ses jambes s'étant élancées, Adonis frappait le sol à chaque pas. Il avait toujours été connu pour ses capacités physiques exceptionnelles, cela jumelé à son apparence physique contribuait à son dédain de la part de ses compères. Il faisait face à un animal qu'aucun humain n'aurait pu rivaliser en termes de vitesse, mais ce dernier saignait à chaque pas, et qu'il le veuille ou non, la tête de flèche encastrée dans sa patte réduisait grandement sa mobilité.
Adonis rattrapa l'animal avec pas mal de difficulté dans cette forêt où l'obscurité s'étalait et où la lumière éclairait à peine. Les deux êtres aux yeux émeraude étaient en pleine épreuve de vélocité. Adonis n'était qu'à une dizaine de pas du renard lorsque ce dernier tourna sur sa gauche. Il continua sa course effrénée en changeant occasionnellement de direction. L'écart entre les deux s'accroissait et s'amenuisait avec le temps qui passait.
À un moment donné, lorsque le handicap de l'animal commençait à se faire plus grand, Adonis attrapa la dague qu'il avait conservée à la bouche, alors que sa salive coulait. D'un geste rapide mais décisif, il lança la dague au moment où l'animal s'apprêtait de nouveau à changer de direction. La dague vint frapper l'abdomen de l'animal, créant une déchirure exagérée à l'endroit.
Un rugissement put être entendu. L'animal, réalisant son état, fit un demi-tour et, cette fois, fonça sur son assaillant. Il avait le museau ouvert, ses yeux d'un vert émeraude devinrent rouges, injectés de sang et de rage. Cela offrait un magnifique contraste avec l'environnement, un spectacle macabre. Il se rapprochait grandement d'Adonis, qui avait retiré son arc de son dos afin de résister à l'assaut.
**Swoosh**
Tel un son lointain se réverbérant, une flèche apparut l'espace d'un battement de cil et vint traverser la tête du renard, qui n'était qu'à trois pas d'Adonis. L'animal mourut sur le coup, et du sang rouge gicla, aspergeant Adonis.
La chasse avait pris fin.