Nous dormîmes d'un sommeil lourd, de ceux qui vous rapprochent du schéol. Si lourd qu'il nous fit suffoquer, si profond que ni rêve ni cauchemarn'arrivèrent.Unsommeilloindutemps.Allongéssurledos,les poumons encrassés par le tabac. Nous ouvrîmes les yeux dans le noir, essayant de nous relever, mais dans l'impossibilité de bouger le moindre membre. Tel un cadavre attendant Charon, passeur des Enfers. Bien souvent, dans ces nuits de terreurs, nous réalisâmes que notre vie n'est qu'échec, regrets, idiotie et incompétence. Nous laissâmes tant de rêves se faner…
Puis nous nous réveillâmes, et nous mîmes un moment avant de comprendrequenousétionspartisdanslesbrasdeMorphée.Cematin-là, il y eut quelque chose d'étrange… Notre femme fut là comme toujours, allongée sur le lit à notre gauche… Son visage fut recouvert par ses longs cheveux;aussinoirsquelecharbonsortitdesprofondeursdesminesd'un pays lointain. On aurait dit un masquepour cacherson magnifique faciès. Ses seins nus furent toujours aussi beaux. Le lever du soleil illumina ses tétons roses. Mais derrière cette beauté, il sembla y avoir quelque chose d'autre…
Nous nous approchâmes pour examiner la bizarrerie… Notre main se glissa dans sa toison charbonneuse pour en découvrir le secret qui se cachaitderrière.Etlà,nousvîmeslemonstre!Unœilsordideaumilieu d'un énorme front vide. Étrangement, son bas de visage était lui aussi impacté par l'horreur. Cela déformait son nez qui s'enfonçait dans ce visage surréaliste. Choqués, nous nous reculâmes en mêlant stupeur et effroi.
"Quevousarrive-t-il?"s'exclama notre femme envoyant notre figure se crispant de dégoût.
"Votre visage!"
"Eh bien,mon visage?Ai-je oublié de me démaquiller hier soir?"
"Vous êtes monstrueuse !"
"Oh! Nous vous savions grossier, mais nous injurier de bon matin quand même !"
Horrifiés par la chose, nous courûmes nous enfermer dans la salle de bain. Nous passant de l'eau sur la nuque, espérant que le cauchemar prît fin. Il n'y eut plus aucun bruit. La bête immonde était-elle retournée dans le cloaquedémoniaqued'oùellefutsortie?Passantnotreregardparleverrou de la porte, nous vîmes que notre femme fut monstrueuse. C'était bienréel. Globuleux et rond, couvert par une arcade sourcilière énorme. La chose fut répugnante. Centré au milieu de sa tête, l'œil tenait on ne sache trop comment sur son crâne. Notre ventre se noua de peur et de dégoût devant ce spectacle abominable. Nous sortîmes alors affronter la chose !
"Quenousveux-tu, démon? Qu'as-tu fait de notre épouse !?"
"Es-tu devenu fou ? C'est moi, ta femme !"
Elle avait bien et bel la même voix que notre femme; mais comment celle que nous chérissions le plus eût-elle pu devenir si monstrueuse en une seule nuit ?
"Que t'est-il arrivé ? Ton visage !Va te voir dans un miroir, c'est horrible !"
La cyclope se précipita a lors devant le miroir et observa attentivement son reflet pendant un long instant, tournant sa tête de haut en bas. Comme si elle cherchait quelque chose qu'elle ne parvînt pas à trouver.
"Qui a-t-il avec notre visage ? Avons-nous un bouton sur le nez ?" "Ton œil ! Là, au milieu de ton visage !"
"Oui,notre œil. Avons-nous une poussière dedans?"
Elle trifouilla alors son globe oculaire,avec un doigt puis deux. La scène fut ignoble...
"Mais,ne vois-tu pas que tu n'as qu'un seul œil repoussant?"
Elle partit s'isoler dans le salon en courant; comme si la remarque que nous venions de lui faire l'eût profondément vexée. Une telle mocheté pouvait vraiment avoir des émotions ?
Nous nous habillâmes alors, décidés de sortir pour aller voir un spécialiste ; un docteur pourrait peut-être nous expliquer le phénomène amphigouriquequiétaitarrivéànotrefemme;nousprendrait-ilpourdes
fous ?Alors un exorciste ; la pauvre était peut-être possédée par un démon mal intentionné. Nous fouillâmes dans nos pensées, oscillant entre le rationneletle surnaturel.Était-ceuneréaction allergique?Avant-hier,elle avait mangé une tarte achetée dans une boulangerie où nous n'achetons jamais habituellement, heureusement, nous n'en avions pas mangé une part.Oubiencelapourraitêtrelestress.Oui,maislestressnevousfaitpas perdre un œil ; au mieux, il vous tue sur le coup, au pire, il vous cloue au lit.
Puisunepenséeterrifianteethonteusenoustraversal'esprit.Etsi…Etsi elle avait toujours été ainsi et nous ne l'avions tout simplement jamais remarqué ? On ne pouvait quand même pas louper un œil au milieu du visage de quelqu'un ?
Nousentendîmesalorssespleursdanslesalon.Elleétaitlàentraindese morfondre dans le canapé, articulant tristement des syllabes incompréhensibles.
"Vous ne m'avez jamais aimé!" Cria-t-elle d'une voix tremblante.
Pris de gêne, nous ne savions quoi dire, quoi penser, face à la situation. "Nous allons nous habiller puis sortir" Répliquâmes-nous,pris de désarroi.
"Je viens avec vous."
Horreur ! L'abomination voulut sortir en notre présence! Que diront les gens en voyant l'affreux monstre ? Les passants hurleront de peur et japperontdesinjuresenversnous."Lemaridumonstre".Ne voulant pas vexer notre épouse, nous lui répondîmes.
"Très bien,ma chérie,nous irons au parc prendre l'air et pique-niquer si vous le voulez."
Nous fûmes bloqués et cernés par la situation ! Joyeuse, notre femme chanta en se préparant et nous,anxieux du regard des autres, souhaitâmes ne croiser personne dehors. Puis le moment fatidique fut là, il fallut sortir.
Dans la rue devant chez nous ; personne. Fort heureusement.Arrivés au parc, nous croisâmes des passants, notre femme aimablement leur dit bonjour. Les passants ne répondirent pas. Nous étions morts de honte... Puis nous nous installâmes près du lac qui se situait au milieu du parc. Là, en pique-niquant sur un drap rouge, nous vîmes un enfant à l'air espiègle s'approcher. Il venait sûrement poursemoquerdu cyclopequi nousservait defemme.Intérieurement,nouspensions,"Ilvientpourhurlersarageetsa moquerie. Un enfant quivoit un être difforme, sortant delanorme, nepeut s'empêcher de rappeler à ce dit monstre qu'il est monstrueux.".
L'enfant rit en nous regardant puis partit.
"Vous avez mis de la sauce sur votre chemise"
Commenta joyeusement notre femme,le sourire aux lèvres. Effectivement,nous eûmes de la sauce sur notre chemise. En mangeant, nous nous fûmes tachés. Est-ce que cet enfant fut venu pour se moquer de notre femme ou de nous ; imbéciles tellement occupés à regarder les jugements des autres que nous en tachâmes notre chemise ?
Alors que nous tentions maladroitement de nettoyer la tache, une pensée insidieuse s'insinuait dans notre esprit. Peut-être que cet enfant ne fut pas venu pour se moquer, mais simplement pour jouer, sans arrière-pensée malveillante. Notre femme, toujours pleine de légèreté et de gentillesse, sembla ne pas accorder d'importance à cet épisode. Elle continua à savourer notre pique-nique,à apprécier la beauté du parc et la douceur de notre moment ensemble.
Alors,nous dîmes ces mots en regardant notre femme.
"Nous vous aimons, notre cyclope d'amour."
Fin.