Seraphina, toujours assise à côté d'Elena, bien qu'elle ait déjà terminé son repas, continua de parler du métamorphe qui venait de sortir.— C'est Lyrian. Le demi-frère du professeur que nous avons rencontré plus tôt, Aerendyl. Il est plutôt gentil, mais pas très bavard. Il est mi-métamorphe mi-elfe.Elena hocha simplement la tête, son esprit bourdonnant de questions. Elle n'avait même pas encore commencé à se faire à l'idée de ce nouveau monde que de nouvelles énigmes se présentaient. Essayant de se reconcentrer sur la conversation, elle reprit son rôle, répondant aux questions des autres étudiants de manière évasive, tout en essayant de manger quelques bouchées. Elle ne pouvait s'empêcher de remarquer que, malgré la nourriture magique, son appétit était minime face au tumulte de ses pensées.L'après-midi arriva plus vite qu'Elena ne l'avait anticipé. Son premier cours était celui de langue commune, une matière obligatoire pour tous les étudiants de premier cycle. Elle entra dans la salle de classe, ses pensées toujours flottantes, et s'assit à une table vers le fond. Autour d'elle, la majorité des élèves semblaient plus jeunes, probablement des adolescents d'une quinzaine d'années. Ils la dévisageaient avec une curiosité mêlée d'excitation, chuchotant entre eux.Le professeur entra bientôt, un homme trapu avec une barbe grise, et des lunettes rondes qui semblaient trop grandes pour son visage. Il portait une robe en toile simple, dénuée de toute décoration. Sa voix, cependant, était douce mais ferme.— Bienvenue au cours de langue commune. Pour ceux qui sont nouveaux, cette langue est celle qui nous unit tous, malgré nos différences d'espèces et d'origine. Elle nous permet de communiquer efficacement dans le monde magique, même si chacun a sa propre langue maternelle. Vous l'a comprenez tous naturellement, à l'oral, grâce à la magie, cependant, vous ne saurez jamais la lire ni l'écrire sans l'apprendre.Elena écouta avec attention, bien qu'une partie d'elle ne cessait de ruminer les événements du matin. L'enseignant expliqua les bases grammaticales et commença à leur faire écire quelques phrases simples. Le cours se déroulait sans grande difficulté, mais Elena, concentrée, tenta de mémoriser le plus possible. Malgré tout, une impression étrange la suivait, comme une présence invisible. De temps à autre, la voix revenait dans son esprit avec des remarques sarcastiques."Vraiment ? Apprendre des bases de grammaire ? Est-ce ainsi que tu t'imaginais ta grande aventure magique ?"Elle secoua la tête discrètement pour ignorer la voix, fixant son attention sur l'enseignant qui posait une question à la classe :— Quelqu'un sait-il pourquoi cette langue commune a été créée ? demanda-t-il en parcourant la salle du regard.Une jeune elfe leva la main et répondit :— Parce que chaque espèce a sa propre langue et qu'il fallait un moyen de communiquer entre tous les peuples du monde magique.— Exactement, approuva le professeur. La langue commune a été conçue il y a des siècles pour favoriser l'harmonie entre les différentes races et éviter les conflits. L'unité à travers la parole et les écrits est un pilier essentiel de notre civilisation.Le reste du cours se passa sans encombre. Elena nota quelques phrases dans son carnet, mais son esprit était ailleurs, incapable de se détacher complètement de la voix dans sa tête et du souvenir de ce garçon, Lyrian.Après le cours de langue, Elena se rendit à son deuxième cours de la journée : Histoire du monde magique, un sujet qu'elle redoutait un peu plus. Cette fois encore, la majorité des élèves étaient plus jeunes qu'elle. Le professeur, une femme élégante à l'apparence aussi sévère que son ton, avait des cheveux noirs relevés en un chignon parfait et portait une longue robe d'émeraude.— Aujourd'hui, nous allons aborder les fondements de la première guerre entre les espèces magiques et les non-magiques, annonça-t-elle d'un ton solennel. Ceux qui pensent que notre monde est éternellement stable feraient bien de se rappeler que notre paix actuelle n'est qu'un fragile équilibre.Elena écouta attentivement. Ce monde avait déjà connu des guerres ? Les détails étaient flous dans son esprit, mais elle comprit que ce cours ne se limiterait pas à des récits mythiques ; il s'agissait de réels enjeux politiques et historiques qui façonnaient leur société actuelle.— Pourquoi les non-magiques nous haïssaient-ils autant ? demanda un jeune élève, levant timidement la main.— Parce qu'ils nous craignaient, répondit le professeur avec gravité. Leurs craintes venaient de l'incompréhension, de l'envie, et surtout du fait que nos pouvoirs défiaient les limites de ce qu'ils pouvaient contrôler. La peur, dans leur monde, mène souvent à la violence. Ces mots résonnèrent en Elena, réveillant en elle une certaine appréhension. Elle était née parmi ces humains, mais elle découvrait désormais que son propre lien avec ce monde magique la plaçait entre deux mondes en conflit.— Mais nous n'allons pas étudier l'Histoire de leur point de vue aujourd'hui, continua l'enseignante.Le professeur d'histoire, avec une expression solennelle, scrutait la salle d'un regard grave. L'atmosphère devint lourde, les rires et murmures des élèves s'étant estompés dès qu'elle évoqua un nom qui semblait résonner dans la pièce, portant à lui seul le poids de l'ancienne guerre.— La première Guerre entre les espèces à eu lieu à l'époque du roi Zéphyr, commença-t-elle, dernier souverain unificateur avant la grande séparation des mondes, avant la création d'Eldaryn. Un homme puissant, sage, mais surtout, un dirigeant confronté à des choix déchirants.Elena ressentit un frisson. Ce nom, Zéphyr, semblait ancré dans les fondations mêmes de cet endroit, comme une ombre persistant dans le passé d'Aldaria.— À l'époque, continua la professeure, les tensions entre les mondes magiques et non-magiques étaient à leur paroxysme. Certains parmi nous pensaient que les humains pouvaient coexister avec nous, et Zéphyr était de ceux-là. Mais cette vision d'harmonie n'était pas partagée par tous, et les non-magiques eux-mêmes la rejetèrent, voyant en notre magie une menace incontrôlable.Un silence lourd se fit, et les élèves, captivés, écoutaient chaque mot, au fur et à mesure de son discours, sa magie faisait défiler des images, des illustrations à ses paroles sur le mur derrière elle. Elena trouva que cela ressemblait à l'utilisation des vidéoprojecteurs du monde humain, elle comparait avec ses cours à l'université.— La bataille la plus décisive, celle de la Vallée des Ombres marqua la fin de cette ère. C'est là que les armées de Zéphyr, aidées des fées et métamorphes, affrontèrent des soldats humains armés de fer et de feu. Ce fut un carnage. Les pertes furent immenses, de part et d'autre. Certains disent que Zéphyr lui-même pleura le sort de ses ennemis, voyant leurs corps étendus, reconnaissant dans leurs visages la peur et la haine d'êtres trop longtemps manipulés par l'ignorance.Elle fit une pause, laissant l'impact de ses paroles imprégner l'esprit de ses élèves.— Mais ce n'est pas cette bataille qui mena à la séparation définitive des mondes, dit-elle d'un ton plus grave encore. La trahison décisive vint de l'intérieur. Un conseiller proche de Zéphyr, un sorcier de confiance, négocia secrètement avec les non-magiques pour obtenir le pouvoir. En échange de son aide pour percer nos défenses, il souhaitait devenir leur allié, s'imaginant qu'il pourrait, de l'intérieur, contrôler le cours des choses.Elena sentit un pincement au cœur. La douleur de cette trahison, même des siècles plus tard, semblait flotter dans l'air, un rappel silencieux que la méfiance pouvait exister partout, même au cœur des alliances les plus solides.« Toujours la même histoire... L'Histoire est faite de trahisons,» marmonna la voix dans la tête d'Elena.— Lorsque Zéphyr découvrit cette trahison, il n'eut d'autre choix que de sceller définitivement le passage entre les mondes, séparant les humains de ceux possédant des dons magiques. Une séparation qui coûta cher, et qui entraîna des sacrifices immenses, tant matériels qu'émotionnels. Ce fut le dernier acte de Zéphyr comme roi des deux mondes. La grande séparation devint une légende, mais elle fut réelle, et son impact demeure. Le conseillé l'ayant trahi disparu après cette séparation."Il n'a pas seulement disparu, c'est incomplet", rajouta la voix.Elena essayait toujours d'ignorer au maximum ces interventions incessantes et inutiles dans sa tête, bien que par moments, ces paroles semblaient intéressantes, Elena ne voulait pas passer pour une folle entendant des voix.La professeure regarda alors chacun de ses élèves dans les yeux, comme si elle souhaitait s'assurer qu'ils comprenaient la gravité de ce passé.— Nous vivons aujourd'hui dans la paix, mais n'oublions jamais à quel point elle est fragile. Nos ancêtres ont payé un prix que nous ne devons pas ignorer.Pour Elena, ces mots avaient une double signification. Née du monde humain, elle se sentait malgré elle porteuse de cet héritage douloureux et de ce conflit passé.Le dîner arriva après une journée aussi longue que déroutante. Elena et Seraphina se retrouvèrent à la même table que le midi, mais l'ambiance était plus détendue, Lilas et Emilie s'étaient assises près d'elles, en grande conversation. D'autres étudiants s'étaient installés un peu partout dans la grande salle, échangeant des rires et des anecdotes sur leurs cours de la journée. Elena, cependant, se sentait toujours décalée, comme une pièce qui ne s'imbriquait pas correctement dans le puzzle.Seraphina, quant à elle, continuait de raconter des histoires sur Aldaria, expliquant quelques traditions locales et donnant des conseils à Elena pour s'adapter. Elena écoutait distraitement, mangeant par automatisme, tandis que la voix dans sa tête restait étrangement silencieuse, ne revenant que par bribes.De retour dans les dortoirs, après le repas, Seraphina accompagna Elena jusqu'à sa chambre. Elle s'assit sur le bord du lit, regardant Elena avec un sourire rassurant.— C'est une grande journée, non ? Tu te débrouilles bien, ne t'en fais pas. Demain sera plus facile, tu verras.— J'espère, murmura Elena en se frottant les yeux.— Je te laisse te reposer. Si tu as besoin de quoi que ce soit, ma chambre n'est pas loin, d'accord ?Elena hocha la tête. Seraphina la quitta finalement, fermant doucement la porte derrière elle. Elena se retrouva seule. Enfin... presque seule. Le silence dans la pièce était épais, mais elle savait que, quelque part dans son esprit, la voix pouvait ressurgir à tout moment.Et elle avait raison."Ah... enfin un peu de tranquillité. C'était long, non ?"Elena soupira, se laissant tomber sur le lit, fixant le plafond avec lassitude. Elle était fatiguée, mais son esprit, lui, ne semblait pas vouloir se reposer.