Encore une fois, je n'y arrive pas. Comme toujours, c'est la même histoire, ma pauvre vache, son lait ne sort pas. Je pars demander de l'aide à mon cher Alexeï.
"_Alexeï !! Tu peux venir s'il-te-plaît !!
_Quoi ? Dit-il en arrivant dans l'étable. Il me regarde, il le voit aussi, le problème. Il roule des yeux.
_Encore... Encore une fois ?
_Mais c'est dur, enfin... Pauvre Tâchenoire, ça va peut-être lui faire mal, dis-je.
_NON. Je te l'ai déjà dit, ça ne va pas lui faire mal, d'ailleurs, ça lui ferait presque du bien, regarde."
Alexeï trait la vache, je le regarde faire, impressioné, il ne se lasse jamais de venir ici quand je n'ai pas envie de toucher les mamelles de Tâchenoire, je l'adore, je n'ai que lui maintenant. Après ce qui nous est arrivé avec le gouvernement, nous voilà ici, au milieu de ce trou perdu, menant une vie plutôt active, dans notre petite cabane qui n'est pas très loin d'un petit village tout aussi misérable que nous.
"_Tu as vu comment en fait ? Voilà, nous avons un seau de lait, mets-le quelque part tandis que je retourne couper du bois."
Je hoche la tête et m'en vais chercher une pièce à l'abri des microbes pour y mettre notre lait, Alexeï continue son travail de bûcheron, et moi, avec mon pauvre lait...
Je me rappelle ce jour où tout a basculé, le jour de notre "déchéance" comme ils aiment si bien l'appeler. Alexeï et moi nous tenions côtes à côtes, coupables du même crime, ensemble, toujours ensemble, ses cheveux étaient courts ce jour là, mais maintenant ils ont poussé et ont pris une teinture plus sombre, proche du rouge mais nuancé violet, magnifique... Et les miens, toujours ce blond qui va bien avec le lait.
"Il ne t'arrivera rien, ne t'inquiètes pas, tu seras avec moi quoi qu'il arrive" lui ai-je dit, j'étais tellement courageux, j'ai essayé de le réconforter, il avait l'air si déçu, le pauvre. Heureusement, trois mois se sont écoulés depuis, et nous voilà toujours vivants, un peu délabrés mais, toujours vivants ! Nous n'avions pas perdu notre force intérieure.
"Eek!" Sorti de ma bouche, j'ai trébuché... J'étais trop perdu dans mes pensées. J'ai fait tomber le lait ! Mince ! Alexeï va me tuer... Il faut que je cache ça ! Je vais lui faire changer les idées, d'ailleurs, c'est l'heure de préparer le déjeuner, mais d'abord, je nettoie tout ça...
Par la fenêtre, je peux l'apercevoir, ce cher Lex, il travaille dur, cette activité de bûcheron lui va comme un gant, il adore ça hache. Heureusement, j'ai fini de mettre la table. Ça sent bon... Alexeï arrive! J'espère que je ne rougis pas!
"_Ça a l'air bon, j'espère que t'as pas encore cassé un bol ou je ne sais quoi! Dit-il en se lavant les mains à l'eau de pluie.
_Non, dis-je, pas encore.
_Ta maladresse légendaire aurait pu nous être très utile, si tu étais dans leur camp. Tu aurais détruit tout leurs gadgets en un rien de temps.
_Haha, mange."
Il en parle encore, de l'autre camp, le pauvre... Je ne dis plus un mot. Il doit encore penser à l'ancien temps...
"_Tu n'aurais pas dépassé ma ration habituelle ? Demande-il, oui, il a compris.
_Euh... Bah non voyons ! Dis-je même s'il sait déjà.
_On ne peut pas se le permettre, il nous en reste que pour deux ou trois jours, et nous sommes déjà Jeudi! Tu ne me cacherais pas quelque chose ?
_Euh... Bah non voyons ! Mange tant que c'est chaud."
Il regarde les alentours, il regarde le sol ! Il a vu !
"Traire du lait c'est facile, mais gagner de l'argent avec c'est autre chose, et la vache n'en a pas à volonté, alors essaie de faire attention."
Je hoche la tête intensément, il ne m'a pas grondé fort, hourra ! Même si, ça m'est égal, nous avons le même âge, 19 ans ! C'est jeune hein ? Nous sommes encore tout frais, lui il est frais, regardez son corps sculté, ses traits fins, il a un corps d'athlète ! Mais... Son visage s'amincit, il refuse de manger beaucoup...
Normalement, comme d'habitude, pour gagner notre vie, Alexeï vend des bûches, du bois pour faire du feu, il part très loin, même s'il ne connait pas la région. Moi, je vend du lait aux villageois et aux touristes qui passent sur la route nationale, mais, oups, je l'ai fait tomber aujourd'hui, je pense traire une nouvelle fois Tâchenoire.
Après quelques moments de repos pour bien digérer ce peu de repas que nous avons mangé, Alexeï me dit :
"_Je crois que je vais y aller, je nous apporterai quelques pièces d'or.
_Essaie de ne pas te perdre, encore, tu m'avais inquiété à mort hier, tellement tu étais rentré tard, dis-je.
_Ne t'en fais pas, je ne serai jamais loin de toi."
Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, Al est très doué pour ce genre de phrases taquines, mais j'aimerais qu'elles ne le soient pas, elles ont le dont de me mettre dans un de ces états...
Il part le sac lourd, et moi, je l'attends patiemment. Quoique, peut-être je pourrais aller au village quand-même.
Nos chemins à Al et à moi s'opposent, le village est à deux collines de notre cabane. Quand je parviens au village, je vois des maisons très traditionnelles, elles non plus n'ont pas l'électricité, elles se ressemblent un peu, déjà, elles ont toutes la même couleur, la couleur de la terre avec laquelle on les a construites.
"_Que faites-vous ici, garnement, on vous a déjà dit qu'on n'en voulait pas de votre p*tain de lait.
_Je sais, dis-je, le cœur serré. Je n'ai pas de lait.
_Alors partez!"
Les villageois ne nous ont jamais aimé, Alexeï et moi. Ils nous trouvent très louches. Ils ont raison, nous le sommes, mais, pourtant, nous sommes tous dans le même bateau... Ces villageois ne connaissent qu'une seule source de revenu, la cultivation. Il me faut argumenter pour obtenir un peu de leur produits... Je ne me lasse pas de les regarder, mais je pense que je vais rentrer et attendre Al.
C'était à peine une toute petite escapade, je n'avais même pas de lait, ils ont beau dire qu'ils n'en veulent pas, certains m'en achètent quand-même. Je retourne sous cet arbre près de notre cabane et observe cette nature, le cœur battant de nouveau la chamade. Je repense à Alexeï, mais d'un autre regard, ici j'ai essayé de lui tenir la main. Je peux encore ressentir ce contact avec sa peau dure. Et puis... Je m'endors.
J'ai fait un doux rêve d'après-midi, mais mes yeux sont fatigués d'être fermés, ils s'ouvrent à petit feu et je vois Alexeï, tout près de moi, trop près...
"_Mince ! Tu me regardes dormir depuis longtemps ?
_Non, Dès, je viens d'arriver il y a quelques minutes, je ne voulais pas te réveiller.
_Al, qu'est-ce qu'on avait dit sur ce fait ? J'aime pas quand tu me regardes dormir... TwT
_Mais tu étais tout mignon..."
Encore une fois, cet Alexeï a encore frappé, mon cœur ne peut plus s'arrêter de battre fort, pourvu qu'il n'entende pas mes battements...
"_J'ai croisé tu sais qui tout à l'heure, il a encore proféré des menaces, mais je pense qu'il était vraiment sérieux. Il prépare quelque chose.
_Non, sérieux !? Dis-je, inquiet.
_Oui, tu en penses quoi ?
_Soit on fuis, soit on le démonte ??
_Non, on ne peux plus se permettre ce genre de choses, nous sommes déjà bien assez bas comme ça, n'empirons pas les choses.
_D'accord. Je ferai comme tu voudras, mon cher Al."
***
Après le dîner, Al et moi sommes allés nous nous préparons pour aller nous coucher. Le voir se changer est un des spectacles les plus plaisants et une des raisons pour lesquelles j'aime cette nouvelle vie. Deux matelas opposés, deux couvertures lisses n'empêchant pas le froid de pénétrer, tel est notre position pour aller dans le pays des rêves. Je regarde Al, il est tourné vers le mur. Il est si... merveilleux, je repense à nos aventures en tant que mercenaires, et plonge dans un vieux souvenir...