Loin des méandres que connaissent les membres de Kigen, Fraya progresse seule. Depuis le moment où elle prit la décision d'écarter Kenshiro d'elle-même, l'absence de sa propre énergie n'a pas quitté ses pensées. Obsédée par cette dernière, elle se dit que, peut-être, depuis le temps où elle a marché, il y aurait moyen de tenter quelque chose. Ça tombe bien. Avec les rochers répartis un peu partout dans les environs, les cibles d'entraînement ne manquent pas. Elle se met en position.
« Bétaram ! »
Pensant qu'elle a bel et bien renforcé son corps grâce à cette formule, elle bondit en direction d'un des rochers et frappe de toutes ses forces. Aucun résultat hormis un saignement sur ses doigts. Ce nouvel échec détruit tout espoir. Elle saisit un caillou aiguisé auprès d'elle et se le place sous le cou. Lui revient la voix de son père lui répétant 'Encore' à plusieurs reprises, comme si elle était en plein entraînement. Des larmes commencent à couler sur son visage.Un souvenir se précise. Elle se trouvait dans une cour circulaire, ornée de quelques colonnes de granite et généreusement entourée de buissons et de fleurs, face à son bourreau.
« Je... Je n'y arrive […] »
Il la frappe juste avant qu'elle termine sa phrase.
« Tu n'as pas le droit de dire ça !... Fainéante !... Je te préviens... Si ton talent ne se manifeste pas, ou si tu continues à le cacher pitoyablement comme tu le fais, je te foutrai à la porte ! C'est compris ? »
Elle ne répond pas, le visage imbibé par ses larmes qui n'en finissent pas. Lorsqu'elle revient dans le présent, la volonté de retrouver sa maîtrise de l'énergie neutre s'en retrouve renforcée. Ainsi, elle commence à s'en aller. C'est alors qu'elle aperçoit Renko qui part précipitamment dans une direction. Un Shirenai ? Par Faironne ! Quel coup du hasard ! Intriguée par sa présence, elle court vers lui.Il la remarque du coin de l'œil.
« Bonjour... Qu'est-ce que vous faîtes ici ? Une mission ? engage-t-elle.
- Faut arrêter tout de suite. Je ne suis pas patrouilleur. Attendez. Vous ne seriez pas l'ancienne hôte du Kirioku ?
- Comment tu sais ça ?
- Je dois partir. répond-il sèchement.
- A Bral c'est bien ça ?
- Comment tu sais ?
- On se met à me tutoyer maintenant ? Bien. Vue la direction que tu prends, le village le plus proche ne peut être que celui-là. Ça mis à part. Pourquoi es-tu là sans collègues à tes côtés ? Une mission secrète ? Ah oui, tu n'es pas patrouilleur apparemment.
- Raison purement personnelle. »
C'est à ce moment-là qu'elle remarque l'absence totale de lame sur lui.
« Comment ça se fait que tu n'es pas armé ? Un Shirenai sans n'en est pas un si je ne me trompe pas.
- Oui ! Je ne le suis plus ! T'as deviné !
- Ça veut dire que […] »
Irrité que celle qui fut l'hôte du Kirioku ait pu grillé ses intentions, il tente de lui affliger un direct. Cependant, les restes de son éducation en tant que Kiyuza l'aident à le bloquer. Une onde de choc en résulte. Tout de suite, elle reconnaît l'utilisation de l'énergie neutre. Surpris, Renko se retire. Comment a-t-elle réussi à lire son mouvement ?
« Il n'est pas éveillé complètement à ce que je vois. »
Sa réplique étonne le déserteur.
« Du... Ki ?
- L'énergie vitale présente dans toute chose, que j'ai appris à maîtriser. »
Aussitôt, il fait le rapprochement avec les propos tenus par Chiyumi. Seraient-elles toutes les deux liées ? Si oui, par quoi ?
« On ne t'a rien dit à son sujet ?
- Est-ce un élément ?
- Non non. Pas du tout. Mais capable de rivaliser avec ceux qui utilisent des éléments comme armes, oui.
- Tu peux m'en faire une démonstration ?
- Impossible. Je l'ai perdu. »
Son aveu intrigue fortement l'ancien soldat de Kigen. Comment peut-on perdre une puissance apte à égaler ce qu'on lui a vendu lors de son recrutement ? Décidément, avec tout ce qu'il sait dessus, il ne comprend plus rien. Serait-ce un mystère délibérément entretenu par le peuple Shirenai ?
« Et je compte bien le retrouver pour les raisons qui m'importent. Tout ça doit sans doute t'être totalement confus. Y a de quoi. Libre à toi de me croire ou pas. »
Renko réfléchit un instant sur la véracité de ses paroles, repensant notamment à l'attitude étrange de Kenshiro lorsqu'il a découvert ce qui coule dans ses veines, ainsi qu'à la recommandation de Chiyumi.
« Si tu veux, je crois qu'on va avoir besoin de la même personne. s'avance-t-il.
- De quoi tu parles ?
- Apparemment, un homme pourra nous aider à Bral. C'est la raison principale de mon déplacement. Tu peux m'accompagner si tu veux.
- Vraiment ? Dans ce cas, j'accepte. »
Les voilà réunis dans le même voyage, côte à côté, marchant presque sur le même pas.
« Au fait, je m'appelle Renko. Tu es ?
- Fraya.
- Enchanté. »
Dans la tête de la Kozana, la simple évocation de l'existence d'un homme répondant aux problèmes concernant l'énergie neutre l'étonne. Hormis Kenshiro et son disciple Rajik, personne n'en possède les connaissances de base. Aussitôt, l'envie de le connaître lui vient. En même temps, comme un parallèle un peu ironique à la situation précédente, Yoru et le sabreur affilié à la foudre traversent un couloir. Le Shirenai, à en juger l'aspect de son visage, ne semble point convaincu pour la raison de son déplacement dans cet endroit précis.
« Tu as dit qu'il fallait envoyer des forces plus compétentes à Izna ? Tu pensais à qui d'autre exactement ?
- Rajik. Il est le seul à avoir vaincu le duo turbulent. Il peut les maîtriser.
- Encore il faut qu'ils acceptent ! J'en doute sérieusement.
- Allons-les voir. S'ils refusent, il faudra changer de perspective.
- Dis plutôt que c'est une excuse pour pas que tu ailles combattre !
- Du tout ! »
Ils arrivent face à Korit et Tekina, toujours croupissants dans la cellule qui leur a été dédiée.
« Oh... Sœurette, le traître vient nous voir.
- Dégage ! On veut pas te voir ! Tu nous dégoûtes !
- Tous les Zigriks sont intégrés sauf vous. Alors qui sont les traîtres ?
- Des endoctrinés oui.
- Parce que prolonger une idéologie dépassée et têtue vous définit comme étant de véritables Zigriks ? se permet de relever Kenshiro.
- Toi, le demi Shirenai à temps perdu, on t'a pas sonné !
- Avez-vous réfléchi à notre proposition ? » relance Yoru.
Évidemment, comme lors de leur passage dans la salle du jugement, aucune réponse de leur part.
« Si vous participez au projet du maître conseiller Tencubo, vous bénéficierez de plusieurs avantages que vous n'aurez pas autrement. leur affirme Kenshiro à contre cœur, toujours point convaincu qu'ils puissent être de leur côté.
- Tu nous fais quoi là ? Du charme ?
- Mis à part le mensonge traîné les Shirenais pendant des siècles, de quoi vous plaignez vous exactement ? demande le vice-conseiller.
- L'un des vôtres a tué notre cousin Alnor ! C'est une excellente raison pour ne pas vous suivre, non ? Ou suis-je folle ? »
La fin de la phrase Tekina provoque un petit sourire fugace chez celui qui a scellé leur cellule.
« Je vois. Qui vous a dit ça ?
- L'invocatrice. » confirme Korit.
Cette fois-ci, c'est au tour de Yoru de perdre un instant le contrôle de l'expression de son visage. Entendre une nouvelle évocation d'Endalia lui ramène de l'urticaire. Cependant, avec la vérité en tête, cette irritante réaction est vite remplacée par un léger enthousiasme.
« Je suis... Désolé, si on peut le dire comme ça mais... C'est le Kirioku qui l'a tué.
- Pardon ?! s'offusque Korit.
- Impossible ! C'est un mensonge !
- Votre cousin avait appliqué un sceau en elle pour la garder sous son contrôle. Sauf qu'elle attendait le moment propice pour s'en libérer et le tuer. Rien n'est plus vrai que ça.
- Non... C'est... C'est...
- Une preuve ? A votre avis, pourquoi s'en est-elle pris à vous pendant notre combat ? Elle avait besoin d'énergie. La même raison qui l'a amené au meurtre d'Alnor.
- J'en reviens pas. avoue Tekina, dépitée d'apprendre tout ça, limite accoudée sur son frère.
- Alors ? Votre réponse ? » relance Yoru.
Les membres de la fratrie reculent dans le maigre fond de leur cellule afin de se concerter pendant quelques secondes. Avec les propos tenus par Kenshiro, en effet, ils ne peuvent qu'admettre que le Kirioku n'éprouvait point attention à eux. Une fois tous les deux d'accord, ils reviennent vers les deux hommes.
« C'est d'accord. confirme Korit.
- Bien... Ravi de l'entendre. Je dois vous avertir d'une chose : vous serez encadrés.
- Par qui ? C'est quoi cette histoire ?
- Oh vous le connaissez bien ! »
A l'entrée de Kigen, Rajik patiente tranquillement, songeant au prochain festin qu'il dévorera, en témoigne le filet de bave présent sur le coin droit de sa bouche. Soudain, il est dérangé par un soldat venu le repêcher. Quand Korit et Tekina apprennent que leur tuteur n'est d'autre que lui, ils sont sidérés.
« Vous aimez vraiment nous embêter ou quoi ?
- Il faut bien que vous payez d'une manière ou d'une autre vos délits, n'est-ce pas ? leur rappelle le vice-conseiller.
- C'est ça ou ce que vous savez. Yoru, désactive le sceau. »
Il pose une main au sol. Grâce à une manipulation minutieuse de points stratégiques le constituant, le sceau qui les retenait disparaît.
« Je reviens dans quelques instants. Guide-les chez Tencubo. indique Kenshiro.
- Bienvenue au dispositif de mixité.
- C'est quoi ça ?
- C'est le nom donné au moyen donné à nos confrères de s'intégrer pour la protection de Faironne. Si vous effectuez les ordres correctement, vous n'en tirerez que des bénéfices.
- Comme ?
- Déjà l'ignorance de vos méfaits, ce sera déjà pas mal à mon goût.
- Vous avez intérêt à tenir sa parole !
- Ce n'est pas un menteur. Suivez-moi. »
Quelques instants plus tard, Kenshiro aperçoit son ancien apprenti sur la place principale.
« Rajik !
- Kenshi ! »
Ceux qui furent temporairement les gardiens des ruines du temple de Ki-Ramen, en guise de geste purement fraternel, se font une accolade.
« Tu n'as quasiment pas changé en apparence !
- Tu trouves ?
- Tu t'es amélioré ?
- Oh que oui ! Un de vos mercenaires est venu me voir il y a quelques temps pendant ma chasse. Il m'a dit que Tencubo voulait que je vienne le voir. Il y a une raison ?
- Oui c'est un peu particulier. Il sera ravi de te revoir. Suis-moi. »
Au bureau du maître-conseiller, cette fois-ci point focalisé sur la paperasse, plutôt préférant prendre un peu d'air en contemplant le peu d'horizon qui se donne à lui, on toque à la porte.
« Entrez. »
Viennent Yoru et la fratrie.
« Vous revoilà. Puis-je connaître votre décision ?
- On accepte. confirme Tekina.
- Ravi de l'entendre.
- Tenez votre parole ! insiste Korit.
- Je suis un homme d'honneur. Vous pouvez me croire. Je serai prêt à reconsidérer votre cas.
- On est pas des vendus, pigé ? Une fois nos trucs finis, on veut être libre !
- Plus aucune chasse aux Zigriks !
- Aucune crainte à avoir. Votre peuple et le mien sont désormais alliés. Vous ne serez pas poursuivis sauf si, évidemment, vous recommencez. Une fois que votre peuple sera reconstitué, nous vous donnerons un territoire. Notre entente ne fait que commencer. »
Sur le moment, Korit et Tekina ont l'air rassurés malgré le certain recul encore bien ancré dans leurs esprits.
« Bien, dans ce cas […] »
On toque encore une fois à la porte. L'instructeur et Rajik entrent à leur tour.
« Yoru ! »
Le Kiyuza tente de lui faire une accolade mais le vice-conseiller, comme à son habitude envers ce genre d'expression de sentiments, le stoppe net.
« Pas ce genre de familiarité avec moi, tu le sais bien.
- Toujours aussi froid à ce que je vois. »
Le maître-conseiller rit un peu face à cette petite plaisanterie, trop fade pour les deux autres Zigriks présents dans la pièce et plutôt bienvenue pour l'instructeur.
« Trêve de plaisanterie. Je suis heureux que tu aies répondu à mon appel, Rajik. »
Ce dernier remarque pile à ce moment-là la présence du duo infernal.
« Qu'est-ce qu'ils font là ceux-là ?!
- Si je t'ai appelé ici, c'est parce que je veux que tu les encadres.
- Quoi ?
- A vous trois, vous allez constituer une escouade et vous allez passer à l'action à Izna.
- Ah, même si je ne sais pas ce que ça veut dire, s'il y a de la baston, je suis preneur ! »
Une telle réponse n'étonne en rien les deux qui furent victimes de sa dernière démonstration de puissance en date.
« Ils vont te guider vers Izna. Vu leur réputation, ils doivent connaître les lieux, n'est-ce pas ? »
Un simple échange de regards entre les concernés et le spécialiste de la glace constitue en lui-même une réponse claire.
« Parfait. Vous deux, la période pour vous racheter commence maintenant. Vous pouvez y aller. Kenshiro, tu iras à Bral. Mais, avant que tu t'en ailles, j'ai besoin de toi pour quelques détails.
- Entendu. »
Sans plus attendre, la nouvelle patrouille constituée se retire. Au passage, ses membres croisent le tireur d'éclairs.
« Oh Rajik !
- Calibak ! »
C'est au tour de ce dernier de constater la présence des deux trublions.
« Vous ? Qu'est-ce que vous faîtes ici ?
- Ne t'inquiète pas. Comme l'a dit Tencubo, je les encadre. On va à Izna. »
L'homologue élémentaire de Kenshiro, dès qu'il entend ce nom, se rappelle brutalement de ce qu'il s'est passé là-bas.
« J'y surveillais une patrouille. Je me souviens avoir capté un bruit très fort là-bas sans comprendre réellement son origine.
- On m'a dit d'y aller avec eux pour régler un truc là-bas. J'aurais aimé que Kenshiro m'accompagne.
- Lui ?
- Il paraît aussi qu'il y a un autre village où ça ne se passe pas bien aussi.
- Je m'en charge ! Hors de question qu'il y va à ma place ! »
Furieux, Calibak part en trombes vers le bureau du maître de Kigen, sous les yeux circonspects de l'homme qui l'éloigna de l'influence néfaste de Korit et Tekina à l'époque.
« Bon, allons-y. La castagne n'attend pas ! »
Tous les trois, avec leurs attentes respectives, quittent les lieux. L'attitude un peu trop réjouie de Rajik dérange ses subalternes du moment. Tencubo a terminé ce qu'il avait demandé à Kenshiro. Son bras droit se contentait de feuilleter le premier livre qui était à sa portée pour passer le temps.
« Je vais aller chercher la patrouille et tout de suite après, je me rendrai à Bral avec eux. Avec leur expertise suite à leur visite, il sera plus simple d'aborder le problème. »
Il tente de s'en aller. Cependant, l'être qu'il méprise le plus débarque. Yoru s'étonne de le voir ainsi.
« C'est quoi déjà l'autre village où y a des problèmes ? demande-t-il, la voix emportée par la furie qui l'animait.
- Pourquoi veux-tu le savoir, mercenaire Calibak ?
- Je veux y aller !
- Pas la peine. J'y vais.
- Je suis au courant ! Je veux y aller ! S'il vous plaît maître-conseiller. »
Face à la volonté persistante de son soldat, Tencubo hésite.
« Tu vois ? Personne ne semble adhérer à ton idée. Maître-conseiller Tencubo, soyez intelligent et laissez-moi faire.
- Parce que tu me crois incapable de m'en charger ? Prétentieux !
- Non, réaliste.
- Allez-y à deux. déclare sobrement l'incarnation de la hiérarchie de Kigen, malgré l'épuisement que lui cause les chamailleries des deux affiliés à la foudre.
- Quoi ?! rétorquent simultanément les concernés.
- Bonne idée. soutient Yoru.
- Vous y allez à deux. C'est un ordre !
- Reçu. » répond à contre cœur Kenshiro.
Le maître-conseiller regarde avec intensité le Zigrik de foudre.
« D'a... D'accord. » concède Calibak, effrayé par le coup de pression qu'il vient de prendre.
Redressés, ils quittent la pièce.
« Ne crois pas que je vais te laisser faire tout le boulot. insiste le tireur à l'arbalète.
- Je ne te laisserai pas faire n'importe quoi.
- Nous aurions dû insister sur ce sujet lorsque nous t'avons accueilli, traître. »
En ce qui concerne les deux conseillers, ils semblent ravis de pouvoir gérer aussi bien des caractères aussi explosifs que ceux-là.
« Bien joué. Coller au duo celui qui les a battus, c'est une idée plus que sadique. avoue Yoru.
- J'accepte ton compliment. N'empêche, Rajik a bien raison. Tu es beaucoup trop froid !
- Et toi trop caniculaire ! Aucune flamme à Faironne ne me fera fondre. Toi compris. Espérons que ces deux-là ne se tireront pas dans les pattes.
- S'ils échouent, ça les calmera. Nous ne sommes pas en compétition. Nous travaillons ensemble. »
Soulagés, Tencubo s'affale sur son fauteuil. Yoru reprend sa lecture apparemment suffisamment passionnante pour qu'il y retourne. Entre le trio improbable qui comprend Rajik et la fratrie infernale et le duo détonnant de mercenaires, Taimudo et Chiyumi ne sont pas prêts de recevoir de tels adversaires. Est-ce que les villages de Bral et Izna verront leurs nouveaux chefs êtres destitués ? Ou, au contraire, vont-ils marquer de nouvelles victoires significatives ? Rien n'est moins sur à présent.