Moi, c'est Lior. J'ai 20 ans, et chaque jour, je classe des boîtes pour une entreprise qui s'appelle FedUp. Rien qu'au nom, tout est dit. L'entrepôt est aussi gris et fade que ma vie ici. Le sol en béton froid, les néons qui bourdonnent au-dessus de nos têtes, et l'air chargé de poussière… franchement, c'est pas glorieux. Le patron ? Je ne le connais même pas. Lui, il doit sûrement être bien installé quelque part dans un bureau climatisé, loin du bruit des chariots et des courbatures. Pendant ce temps, nous, on s'use le dos à empiler des cartons.
« Lior ! T'as décidé de faire une sieste ou quoi ? »
La voix du chef de section me sort de mes pensées. C'est Jonas, un type qui se croit important parce qu'il a un badge avec son nom en lettres dorées. Moi, je vois juste un gars stressé qui compense.
« Désolé, j'arrive », je réponds en attrapant un carton.
Il est même pas 9h du matin, et j'en ai déjà marre. Chaque jour, c'est la même routine : prendre, poser, tourner, recommencer. Tout le monde ici marche comme des robots, le regard éteint. À côté de moi, Axel pousse un gros chariot. Il s'arrête un instant pour me lancer un regard complice.
« Alors, Lior, toujours en train de rêver à la grande vie ? »
Je force un sourire. « Faut bien. Sinon, tu fais quoi ? Tu te laisses bouffer ? »
Il rit doucement, mais c'est un rire amer. « Ouais, t'as pas tort. Enfin, rêve pas trop quand même, ça rend le retour à la réalité encore plus dur. »
Je ne réponds pas. Je sais qu'il a raison. Mais sans ces rêves, j'étoufferais.
La cloche de dix heures sonne enfin. Pause. Le coin détente, c'est une salle minuscule avec des murs jaunis et une odeur de plastique brûlé venant des machines à café. Les gobelets de café qu'elles servent sont si légers qu'on se demande si c'est vraiment du café ou juste de l'eau sale. Axel s'assoit à côté de moi, l'air aussi crevé que moi.
« T'es prêt pour les heures sup' obligatoires la semaine prochaine ? » lance un collègue en râlant.
« Génial, encore plus de FedUp », grogne Axel. « À ce rythme, on va tous finir par dormir ici. »
Je reste silencieux, les yeux fixés sur mon gobelet de café. J'ai déjà du mal à tenir une journée normale, alors des heures supplémentaires… Mais bon, chaque centime compte.
Midi arrive enfin. À la cantine, on se serre sur des bancs en bois, les plateaux chargés de repas tièdes et fades. Axel me fixe, un sourire en coin.
« T'as une tête de gars qui mijote un truc. Alors, c'est quoi ton plan ? »
Je hausse les épaules, essayant de paraître détendu. « Dans deux semaines, je compte demander ma copine en mariage. »
Il s'arrête de mâcher, les yeux écarquillés. « Sérieux ? T'es prêt à te lancer là-dedans ? »
Je ris un peu. « Ouais. Enfin, je crois. C'est… compliqué. »
Il pose sa fourchette, pensif. « Tu sais, c'est beau ce que tu fais. Mais t'es sûr que c'est le bon moment ? Ici, on galère tous. Toi, t'as à peine commencé ta vie, t'as seulement 20 ans. Et puis… elle sait que tu veux ça ? »
Je secoue la tête. « Non, et j'aimerais bien que ça reste une surprise. Mais justement, c'est pour ça que je veux le faire. Ici, tout est gris, tout est fade. Quand je pense à elle, c'est la seule chose qui me donne l'impression que tout ça vaut encore la peine. »
Il me regarde un instant, puis hoche la tête. « OK. Dans ce cas, fonce. Mais fais pas ça à moitié. Si c'est ce que tu veux, bats-toi pour que ça marche. »
Je souris, un peu plus confiant. « Merci, Axel. »
L'après-midi traîne en longueur. Les cartons s'accumulent, mes bras me brûlent, et chaque geste devient une corvée. Vers quatre heures, Jonas repasse dans mon secteur.
« Ça traîne encore, Lior. Si tu veux monter en grade, va falloir que tu te bouges un peu plus. »
Je serre les dents. « Oui, chef. »
Il me lance un regard qui dure une seconde de trop, puis s'éloigne. Je soupire, fatigué de cette surveillance constante, de cette pression inutile.
Un peu plus tard, je soulève un carton plus lourd que prévu. Il m'échappe des mains et tombe. Je m'accroupis pour le ramasser, les joues rouges, espérant que personne n'a vu.
« Toujours aussi habile, hein ? »
Axel est derrière moi, un grand sourire moqueur sur le visage. Je grogne. « Ça arrive à tout le monde, OK ? »
« Ouais, mais toi, c'est pas la première fois. »
Je lui lance un regard, mi-amusé, mi-agacé. Au fond, il a raison. Je suis souvent un peu maladroit, mais j'essaie de ne pas y penser. Ça fait partie de moi, je suppose.
Avant de continuer à trier ces cartons j'envoie un message à Elara lui disant que j'ai hâte de la voir…Je sais pas si j'en fais trop , mais bon , je fais que de penser à elle…
Quand la cloche de fin de journée retentit, je suis le premier à poser mes gants et à sortir de l'entrepôt, épuisé, mon téléphone à la main. Toujours pas de réponse d'Elara. Je fronce les sourcils. Elle répond d'habitude en quelques minutes. Là, rien. Peut-être qu'elle est occupée… ou peut-être que je m'inquiète pour rien.
L'air frais me frappe en pleine figure, et je prends une longue inspiration pour évacuer la journée pourrie que je viens de passer. Soudain, une voiture noire passe à toute vitesse près de moi, m'éclaboussant avec une flaque d'eau sale.
« Bordel… » je grogne, en essuyant ma veste.
Mon téléphone vibre dans ma main. Un appel. Numéro inconnu. Je décroche, légèrement agacé.
« Allô ? »
Une voix masculine.
« Monsieur Voss ? »
Je ravale ma salive , j'ai peur ?
« Oui, c'est moi. C'est pour quoi ? »
« Une personne proche de vous a été impliquée dans un accident. Pouvez-vous venir à l'hôpital Saint-Alexis immédiatement ? »
Je reste figé. Mon cœur rate un battement.
« Un… accident ? Mais qui ? Qu'est-ce qui s'est passé ? »
« Nous vous expliquerons tout sur place. Dépêchez-vous. »
Le ton est sec, sans émotion, avant qu'il ne raccroche brutalement.
Je ne sais pas qui est cette personne proche mais j'ai comme un pressentiment , car je n'ai pas beaucoup de personnes proches…
Mes jambes bougent presque sans que je m'en rende compte. Je cours, bousculant les passants, traversant des rues sans regarder. Tout ce qui m'importe, c'est d'arriver là-bas. Et je cours tellement rapidement que j'y arrive en un claquement de doigt.
L'hôpital Saint-Alexis est presque vide.
Une odeur de désinfectant plane dans l'air. J'arrive au comptoir d'accueil, le souffle court.
« Mademoiselle Elara Fermont, elle est ici ? » je demande car j'ai peur que ça soit elle…
L'infirmière me fixe, un regard grave et fatigué.
« Attendez une minute. »
J'ai l'impression que cette minute dure une éternité. Mais j'ai surtout l'impression que c'est bien elle qui est ici , et cette idée me glace le sang. Finalement, un homme en costume sombre, accompagné de deux autres types, s'avance vers moi. Ils sont grands, droits, trop carrés pour des médecins.
« Monsieur Voss ? » demande le premier.
« Oui, c'est moi. Où est Elara ? Qu'est-ce qui se passe ? »
Il pose une main sur mon épaule, son visage figé dans une expression neutre. Trop neutre.
« Suivez-moi, s'il vous plaît. »
On marche à travers un long couloir qui s'étend comme un labyrinthe sans fin. Chaque pas résonne trop fort. Les néons grésillent, et même les murs semblent me regarder. Mon cœur n'a jamais battu aussi fort.
Ils nous font entrer dans une petite salle isolée, où un médecin se tient debout, les bras croisés. Mais c'est l'homme en costume qui parle le premier.
« Je suis désolé de vous annoncer cela, mais Mademoiselle Fermont… est décédée. » Ces mots explosent dans ma tête comme un coup de tonnerre. Le monde autour de moi se fige. Les bruits, les couleurs, même ma respiration.
Je ne comprends pas cette information , je ne répond pas et un silence résonne dans la salle.
Non. Non, c'est impossible.
Je recule d'un pas, comme si ces mots eux-mêmes me repoussaient.
«Non. Ça ne peut pas être vrai. Je l'ai vue hier. Je lui ai parlé. Elle souriait… Elle m'aime. Non. Impossible. Impossible. IMPOSSIBLE. » Ma voix tremble, mes mains aussi. Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes.
Le médecin ouvre la bouche, mais l'homme en costume l'interrompt.
"Une enquête est en cours", dit-il d'une voix trop calme, presque mécanique. "Ce genre d'incident est... malencontreux."
Je fronce les sourcils. "Malencontreux ? Vous parlez de sa mort comme d'un détail."
Non. Quelque chose cloche. Tout sonne faux dans leur manière de parler, dans leurs visages fermés.
« Vous mentez… » je murmure.
L'homme reste impassible, mais je capte un léger mouvement dans son expression. Une fraction de seconde, et c'est comme s'il esquissait un sourire. Un sourire qui disparaît aussi vite qu'il est venu.
« Nous vous contacterons si nous avons besoin de vous pour l'enquête. »
Ils partent en laissant un regard , un faux regard comme si cette nouvelle les satisfaisait, me laissant seul dans la pièce. Je ne réalise pas encore ce qui se passe , les murs semblent se rapprocher autour de moi. J'entends encore leurs voix, mais elles ne sont plus que des échos déformés. J'essaie de respirer, mais l'air ne passe pas. Mes jambes tremblent, je recule encore... et je m'effondre sur la chaise la plus proche.
Plus tard dans la nuit, je suis assis sur un banc, incapable de bouger. Je ne réalise pas encore ce qui se passe…
Mon téléphone glisse de mes mains. Les lumières de la ville brillent au loin, mais elles n'ont plus aucun sens.
C'est là que je remarque la notification.
Un message. Envoyé par Elara, juste avant… l'accident.
Mon souffle se coupe alors que mes doigts tremblent. J'ouvre le message. Une phrase. Seulement quelques mots.
"Lior... J'ai peur. Ils savent tout."
Je fixe l'écran, incapable de comprendre. Ils savent tout ? Mais… qui ? Et quoi ?
Je repense à ces types. Leur ton, leurs visages, leurs regards, leur façon d'agir ... Rien ne sonnait juste. Et ce message d'Elara... Soudain, un vertige me prend, Mon cœur s'emballe. Et tout s'emboîte. Ça ne peut pas être un accident. Elara a été tuée.
Et moi… je suis le prochain sur leur liste.