Chant 4 : Triple Jeu - Classical Odyssey by Kierkeg II ChanteBrume
Icanam, capitale des Terres d'Helm...
Le soir suivant la découverte du Grom,
Après être rentrée du travail, Harlon monta dans son bureau au dernier étage de son hôtel particulier situés sur Chamboudier Avenue. Il s'assit derrière son office et ouvrit le tiroir à l'aide d'une clef fine avant d'y glisser le petit coffre à l'intérieur. Il referma le tiroir et laissa tomber la clef dans la poche de son costume.
Harlon se laissa choir dans son fauteuil. Dans un long soupir, il accepta de se détendre une petite heure avant de réfléchir à la suite des opérations.
Ce sommeil partiel lui fit du bien. Harlon sentait la pression redescendre, sa vision des événements à venir devenir plus claire. On pouvait croire qu'à la fin de sa trentaine, Harlon était encore jeune. Mais le poids des années et des expériences passées avait accéléré sa sénescence. Il sentait déjà les signes de la vieillesse peser sur ses épaules et marquer son visage aussi bien que ses pensées.
Il appela son secrétaire à travers la porte.
"Vila !"
Un homme apparu à la porte. Il était encore jeune, milieu de vingtaine, beau garçon. Son visage n'affichait aucune expression, comme une poupée de porcelaine.
"J'ai besoin que tu te rendes au pub Bel Adage, explique au comptoir que tu cherches à contacter Caelum. Dis-lui que j'ai besoin de son aide immédiatement, dis-lui qu'il faut qu'on se rencontre le plus vite possible... Dis-lui que j'ai un Grom en ma possession."
"Rends-toi là-bas. Ne parle à personne d'autre. Une fois le message passé, reviens directement ici. Assure-toi que personne ne te remarque."
Le secrétaire s'inclina pour signifier qu'il avait compris, puis il sortit du bureau.
Harlon regrettait de faire appel à cet homme. Mais l'urgence de la situation ne lui laissait plus le choix. Il se sentait perdu, incapable de prendre la décision qui transformerait sa situation pour le mieux. Il se savait aussi déjà en déçà par rapport aux potentiels intellectuels de ses prochains adversaires.
Il estimait que l'unique moyen de gagner dans cette affaire était de miser sur la personne avec le plus de ressource. Caelum était cet homme. C'était aussi le seul allié envers lequel Harlon n'éprouvait aucune rancœur... "encore".
...
Harlon s'occupa de ses dossiers toute la fin d'après-midi jusqu'en début de soirée. Le soleil s'était couché depuis une demi-heure déjà lorsque Morton toqua à la porte.
"Monsieur Gautt. J'ai des informations pour vous... "
"Entrez !" Harlon se leva et alla personnellement jusqu'à la porte pour lui ouvrir."
Morton entra dans la pièce d'un pas hésitant.
Raconte-moi." Harlon lui intima l'ordre de s'asseoir.
"Je suis allé à la Chambre des sciences comme vous l'aviez demandé. J'ai obtenu une copie du registre, le voici."
Morton déplia une feuille et lui tendit.
"Puis je suis allé voir les noms que vous voyez annotés juste là. Je n'ai pas eu besoin de tous les faire, les réponses que j'obtenais se corroboraient entre elles. Il n'y a aucun alchimiste répertorié dans les Terres d'Helm compétent en matière de transformation d'alchimie de classe supérieur à commun."
La nouvelle s'abattit sur Harlon comme une masse supplémentaire sur ses épaules.
"Tu veux dire qu'il n'y a personne dans toute cette putain de région à avoir un brin de connaissance en alchimie ?" Harlon s'énervait. C'était davantage la peur qui lui mordait le ventre et qu'il essayait de dissimuler derrière sa colère.
"Les alchimies sont classés sous des catégories distinctes, influencé non seulement par leur rareté mais également par leur complexité de transformation en artefact. Le Sillis est un alchimie commun, tandis que le Grom est un alchimie épique ! Les compétences requises pour former son artefact sont d'un tout autre ordre."
"J'ai alors demandé s'il existait un tel savant capable d'une telle prouesse. J'ai appris qu'un certain Viktor attirait l'attention de la communauté scientifique depuis quelques années. Il paraît qu'il est capable de faire des miracles ! Il serait actuellement dans le Levanter..."
Harlon faisait les cents pas dans son bureau sous le regard affolé du responsable de la mine.
"Trouver ce Viktor pourrait prendre des semaines... Peu importe il faut essayer. Plus le temps passe et plus le risque que Jinno apprenne à propos du gisement augmente."
Harlon leva les mains en l'air de rage.
"Je ne serais dire si je suis l'homme le plus fortuné de tous l'Atollie ou au contraire le plus malchanceux. Je ne fais pas confiance à la secte, mais ils restent mon dernier espoir. Un alchimiste de génie se cache peut-être parmi eux."
"Fuir en Aquillon n'est pas une option, Ramzan me ferait assassiner sur le champ et s'emparerait du Grom. Discuter en toute honnêteté avec Jinno non plus. Cet homme se débarrasse de tous les gêneurs sans réfléchir. C'est un idiot sanguinaire qui ne mérite pas ma loyauté..."
"Morton !"
Le responsable sursauta en entendant crier son nom.
"Quitte la ville immédiatement. Prends les cinq mineurs de ce matin avec toi. Rendez-vous à Carraghai et ramenez-moi cet homme."
Morton ne se fit pas prier et sortit du bureau.
Harlon s'allongea sur son canapé et se servit un verre. Une vieille bouteille que son ami Gisleygh lui avait offert pour son anniversaire. Il sourit en repensant au vieux.
"Il doit sûrement passer sa soirée à réparer un cadre usé... Parfois, je me mets à envier sa vie calme."
Il but une gorgé et laissa le liquide descendre lentement dans son œsophage. Il attendit que l'alcool fasse effet.
Il repensa à Arthur Devilliers, disparu mystérieusement en milieu d'année. Son ami lui manquait terriblement. Il regrettait de ne plus l'avoir à ses côtés dans les moments pareilles. Il savait toujours tirer son épingle du jeu et prendre les meilleures décisions, celles auxquelles personne ne pensaient, les plus justes et les plus humaines aussi...
Harlon admirait son honnêteté et sa pureté. Il repensa à cette soirée passé ensemble avant qu'il ne devienne directeur de la chambre des Finances.
Arthur, malgré son statut restait toujours humble avec lui. A cette époque, il brillait bien plus porté par ses nombreuses qualités, extraverti, attentionné, ambitieux aussi. Lui et Harlon étaient encore jeune mais déjà, l'écart de carrière commençait à se creuser. "On ne naît pas tous avec le talent de plaire."
Arthur s'était récemment marié avec une femme ravissante, elle travaillait à la Chambre de la culture, une femme brillante comme lui. Cette nouvelle avait allongé encore plus la distance qui les séparait.
Cette soirée-là, Arthur l'avait appelé pour sortir à nouveau, comme autrefois.
"Il faut que je te fasse découvrir un petit restaurant sur la place Bouffay !"
Harlon l'avait suivi sans hésiter, il ne pouvait rien lui refuser.
"On y mange bien, la cuisine est simple et la bière est bonne. Et les filles sont belles aussi..."
Harlon se renfermait à chaque fois que quelqu'un l'interroger sur sa solitude, sauf avec Arthur.
"J'espère que tu ne m'emmènes pas là-bas pour me trouver une femme..."
"Et si c'était exactement mon objectif ?" répondit sournoisement Arthur.
Harlon avait éclaté de rire. Ce n'était qu'en sa compagnie qu'Harlon parvenait à rire.
Et comme promis, Harlon était tombé amoureux ce soir-là. Parce qu'Arthur parvenait à révéler ce qu'il avait de plus beau en lui-même, à ses côtés, Harlon était apparu plein de vie, heureux de passer cet instant avec son ami.
Ils s'étaient rendus à l'Epicerie de Ginette. Le bistrot avait une décoration intérieur bois et une petite scène sur laquelle des musiciens professionnels, amateur ou même de la clientèle se laissaient jouer le temps d'une mélodie.
Une fille plus jeune, étudiante d'Histoire s'était rajoutée à leur discussion passionnée sur les épisodes marquants de la période de reconstruction qui avait suivi la chute de l'Empire. Sans aucun tact, elle multipliait les corrections à leur encontre, expliquant comment l'Histoire s'était véritablement passée, preuves à l'appuis.
Ils s'étaient assis tous les trois à une table au milieu du restaurant. Très vite, la musique et l'agitation autour d'eux, aidées par l'alcool, transportèrent le trio dans une ivresse joyeuse, où la frénésie et l'amour se mélangeaient sur une dance ou une discussion endiablée.
La jeune fille semblait très heureuse de l'attention qu'Harlon lui portait. Elle se lançait dans de long monologue déséquilibré et souvent perturbé par de nouvelles gorgés de bière, des bousculades joyeuses ou des plaisanteries ridicules.
Harlon était tombé amoureux de son aplomb, il était tombé amoureux de sa maladresse, de sa passion, de ses yeux qui brillaient lorsqu'il lui demandait des précisions sur tel ou tel événement.
Il se souvenait de cette soirée comme la meilleure nuit de sa vie, sous les lumières jaunes, la chaleur des chandelles et des corps. Ils étaient rentrés aux premières lueurs de l'aube bras dessus bras dessous.
Elle sentait le chèvrefeuille et la menthe, ses cheveux avaient une odeur d'écorce de pin. La rosée humidifiait leur peau et gelé leur sueur séchée. Sur les pavés noirs, Harlon sentit qu'elle avait froid, alors il la serra contre lui et l'embrassa.
Ils prévirent de se voir le lendemain. Et le surlendemain. Et le jour suivant encore. Harlon ne pouvait plus se passer d'elle.
Peut-être que sans s'en rendre compte, les mois suivants, Harlon avait passé les plus beaux moments de sa vie.
Elle s'appelait Jeanne. Elle est morte emporté par la maladie de la tuberculose l'année suivante.
...
Harlon chassa l'image de Jeanne de sa tête. Il ne pouvait supporter de penser à elle trop longtemps.
Il se doutait que la disparition d'Arthur était directement liée à Jinno. Il avait fini par être trop curieux. Peut-être que sa participation à tout ça avait éveillé les soupçons de son collègue. Il ne pouvait que se sentir un peu responsable de sa mort.
Depuis ce jour, Harlon détester Jinno du plus profond de son âme, il détester le comte et la ville entière qui lui avait tout prit. Dehors, dans l'obscurité, des hommes et des femmes, comme Arthur, tombaient sous les coups d'un couteau où d'une flèche pour avoir essayé de rendre cette ville plus juste.
Et il souffrait tous les soirs de sa lâcheté, cette peur de mourir qui le paralysait, tel un insecte prit dans une toile, forcé de collaborer avec les assassins de son meilleur ami.
Pris d'une douleur inexplicable, Harlon bu un second verre de liqueur pour se détendre. Ses yeux remplis de larmes autrefois, lorsque les souvenirs de ses deux proches les plus chères remontaient à la surface, était maintenant sec et vide. Les cris dans ses têtes s'étaient éteints à jamais et avec eux la sincérité de tous ses sourires.
La fenêtre de son bureau s'ouvrit laissant entrer un courant d'air frais. Les rayons de la lune traversèrent la lucarne et révélèrent une ombre dans la pièce. Sous la lumière orangée d'une bougie, Harlon discerna le visage parfait de Caelum.
Harlon essaya de cacher sa surprise derrière un ton nonchalant.
"Vous êtes déjà là."
"Il y avait quelques indices. J'ai compris en voyant votre secrétaire Vila sortir en courant de votre maison. Il se rendait à notre point d'échange." répondit-il d'une voix douce. Il marqua une pause. "Je suis heureux de savoir que vous me faites confiance Mr. Gautt."
Caelum le dévisagea.
"Où se trouve le Grom ?"
Sa voix était calme et posée, mais Harlon pouvait sentir une légère tension.
"Il s'est précipité ici. Je ne pense pas qu'il soit motivé par l'argent. Le Grom doit être très important pour lui."
"Il se trouve dans le coffre, caché dans le tiroir sous mon bureau."
Harlon révéla l'emplacement de son trésor sans hésiter. Il s'en étonna.
"Passez-moi la clef."
Même demandé gentiment, Harlon l'entendit comme un ordre. Il sortit la clef de sa poche et la posa sur la table à côté de son verre. Caelum s'approcha lentement, comme s'il craignait qu'Harlon se ravise à tout moment. Il s'empara de la clef métallique et retourna près de bureau. Il ouvrit la serrure et trouva le coffre à son emplacement prévu.
"Vous avez pris la meilleur décision Harlon."
Il soupira.
"Vous ne pourrez pas éviter l'inévitable. Je vous conseille de quitter la ville sur le champ."
Harlon serra les dents. Caelum continua sans le remarquer.
"Ces derniers mois, j'ai appris à vous connaître Mr. Gautt... Vous n'êtes pas une mauvaise personne. Vous n'avez simplement jamais eu de chance."
"Ce n'est plus qu'une question de jour avant qu'Icanam ne se transforme en véritable champ de bataille. Le Grom n'est qu'un prétexte vous le savez aussi bien que moi."
"Malgré vos airs détestables, vous aimez profondément cette ville. Et vous regrettez de ne pas avoir eu la force d'agir à temps, comme Arthur essaya de le faire. Ce n'est malheureusement ni à moi, ni à vous de le venger. D'autre sûrement s'en chargeront."
"Quitter la ville Harlon. Recommencez une nouvelle vie. Vous ne devez plus rien à Icanam et au Comte."
Puis il sauta par la fenêtre et disparut dans la nuit.
Harlon fou de rage attrapa la bouteille et la lança sur le mur de son bureau. Le verre explosa en milliers d'étoiles scintillantes et l'alcool se répandit sur le sol, comme une tache de sang.