Chant 3 : Corruption et Organisation de l'ombre - Classical Odyssey by Kierkeg II ChanteBrume
Deux mois depuis sa rencontre avec Marcias...
Harlon ignorait toujours tout de l'organisation dont il faisait maintenant partis. Il comprenait qu'Icanam n'était qu'une géante marionnette contrôlée par un enchevêtrement complexe de fils, à première vue indépendant, mais en réalité manié par un seul et unique marionnettiste à deux visages, l'un souriant, le vicomte Jaqen, fière et fidèle ami du comte, l'autre meurtrier, Jinno, dont l'identité restait encore un mystère.
Harlon ignorait également l'ampleur du réseau souterrain de l'organisation. Son seul intermédiaire était Marcias, et récemment Ivan et Eden, avec qui il jouait aux cartes le samedi. Les trois hommes, liés par leur expérience similaire, était devenu amis et se jouait de leur corruption pendant des soirées arrosées où la honte se mêlait à l'autodérision.
Harlon Gautt s'était réveillé tard ce matin. Il devait être au alentour de onze heures. Il enfila ses chaussons et noua une ceinture autour de sa robe de chambre puis descendit les escaliers vers la cuisine.
Vila, son secrétaire et maître de maison était déjà réveillé, comme à son habitude. Toujours impassible, il était assis à la grande table du salon, occupée à lire et répondre aux lettres de la veille adressées à Mr. Gautt. Son écriture aussi rapide qu'élégante, faisait preuve d'un véritable professionnalisme dans le respect des convenances.
Harlon le salua sans un mot. Il savait que Vila n'aimait pas s'exprimer. Il l'avait choisi pour ça. C'était un jeune homme précis et renfermé. "Le serviteur parfait".
Sa gouvernante, l'ayant entendu se lever, était déjà derrière les fourneaux pour préparer son déjeuner, des œufs brouillés avec des asperges glacés aux beurres et aux sels de céleris.
Il s'assit dans son fauteuil et commença la lecture du journal, l'Horloge Droit, un quotidien matinal qui rendait compte des événements de la veille, politique, économique mais aussi social, des faits divers et des nouvelles étrangères.
Après avoir fini son assiette, Harlon retourna dans sa chambre pour s'habiller d'un costume gris en accord avec son humeur. Il se demandait ce qu'il pouvait bien faire de cette après-midi. "Je n'ai presque plus de cigare... Et pourquoi pas rendre visite à Gisleygh."
Harlon s'humidifia les lèvres et s'éclairci la gorge avant de sortir ses premiers mots de la journée.
"Vila, je pars faire quelque course sur Filster Row street."
Le secrétaire ne répondit pas mais fit un léger signe de tête pour indiquer qu'il avait entendu.
Harlon sortit de son hôtel particulier et fit signe à la voiture de Lip, tirée par ses deux chevaux, stationné à quelque pas.
...
Une fois arrivé dans la rue commerciale, il commença par la droguerie. Harlon acheta une boite de cigares et des cigarettes, les plus chers.
Il visita ensuite quelques boutiques pour repérer les nouveautés et se faire voir par les passants et les boutiquiers.
Il finit par se rendre chez Mr. Gisleygh. Un vieil ami qui tenait une galerie d'art sur Dafont Avenue perpendiculaire à Filster Row. Lorsqu'il entra, la pièce était vide, silencieuse.
"Gisleygh ?"
Harlon traversa la galerie et pénétra dans la réserve. Il franchit un long couloir puis poussa une porte. Il atterrit dans une pièce remplie de vieux tableaux, de cadre cassé et de toiles jaunes déchirées. Son ami se tenait assis à son bureau, occupé à restaurer une œuvre inconnue.
"Mr. Gisleygh, je viens vous faire un cadeau !"
Il déposa délicatement son dernier achat sur le bureau. Une petite bouteille de cinquante centilitres d'un whisky du Sirocco.
"Du Val Louiz ? vous avez eu une bonne inspiration, voilà des années que je n'ai plus eu l'occasion d'en boire."
"Sur quoi travaillez-vous, mon ami ?"
"Un Milady. Original, bien sûr ! Il est mort le mois dernier. Une grande perte. C'était sûrement le dernier véritable artiste des ChanteBrumes. La nouvelle génération est remplie de belliqueux et de clowns." répondit le vieux grincheux, fidèle à son tempérament.
Harlon examina le tableau. Il représentait le Volcan, enveloppé de brume et de feu et au premier plan, un joueur de flûte à genoux, tâché par les cendres noires qui tombaient du ciel.
"Il est magnifique." admit Gautt.
Gisleygh acquiesça d'un hochement de tête.
"Quelle est la pierre qui brille devant lui ?"
"Un artefact je dirais. De là à savoir lequel...Peut-être qu'un membre de la famille a la réponse. Sinon, ce secret est mort avec son créateur."
Harlon regarda longuement ce joyeux au pied du musicien, comme hypnotisé par ce trésor, un idéal qui n'était pourtant qu'un dessin.
Les deux hommes discutèrent autour d'un verre à propos d'art, de politique et de vieillesse. Le temps passa bien plus vite en sa compagnie.
Il était bientôt dix-sept heures. Harlon était sorti de la galerie d'art détendu et de bonne humeur. Gisleygh était la dernière personne capable de le détendre désormais. Il était temps de se rendre au salon privé pour son rendez-vous hebdomadaire.
...
"Eden ! tu es en avance."
Harlon serra le bras du commissaire. Eden était un homme sérieux, aux cheveux et à la barbe poivre et sel. Ces yeux noirs et son sourire effacé complétaient son aire taciturne.
"Bonsoir Gautt."
Ivan, le directeur de la chambre des échanges et du commerce ne tarda pas à arriver à son tour. Les trois hommes s'attablèrent, Harlon distribua les cartes. Un serveur apporta les apéritifs.
"Comment se porte vos enfants Ivan ?" s'enquit Eden.
"Lilas va se marier, avec un acteur je crois. Il joue au théâtre du Grand Ciel."
"Félicitation." Eden reporta son attention sur ses cartes.
"Une énième bagarre a éclaté sur la Place de Guevin... encore des gars de Vernes District, il paraît..."
"Des clodos et des porcs, ils ne savent faire que ça... se battre et se plaindre." répondit nonchalamment Eden.
Harlon resta silencieux. Il n'avait pas envie de rentrer dans ce jeu-là où l'ennui laisser place à la haine envers le lointain.
"Et puis ils sont responsables de la chute des exportations de nos produits de mer vers le Levanter. Encore un secteur pourtant porteur il y a des années, qui nous fait défaut aujourd'hui. Plus personne ne veut travailler dans les ports... ils disent qu'on ne les paye pas assez..." continua Ivan.
"Combien ils sont payés tu crois ?" répondit Eden.
"Je ne sais pas, avec le revenu minimal instaurer par le comte dans toute la région, je dirais entre dix-huit et dix-neuf Atoll par jour."
Harlon soupira dans son for intérieur. Il savait que ces pauvres gens ne gagner pas sept Atoll par jour... La déconnexion entre le peuple et ses élites se faisait chaque jour plus interpellant.
La première partie de Tarot se finit. Harlon se leva pour se dégourdir les jambes et commander une seconde tournée.
Eden et Ivan échangèrent un regard. Leur ami était resté vaseux tout le long de la partie.
"Il est bien déprimé ce soir." commença Eden.
"Il n'a toujours aucune compagnie ?" répondit Ivan.
"On dirait qu'il persiste à rester seul... à son âge, il peut tirer un trait sur sa vie de famille."
"Il n'en parle jamais non plus. Un mauvais incident peut-être ?"
"Une rupture amoureuse..."
"Je pensais plus à un décès."
Harlon revint avec un verre à la main suivit par un serveur, interrompant leur discussion.
Tandis qu'ils entamaient une nouvelle partie, Marcias entra dans le salon et jeta son regard en arc de cercle pour examiner la clientèle. Il repéra le groupe de Harlon et se dirigea vers eux.
"Messieurs." Marcias s'assit dans un fauteuil vide.
Les trois hommes essayèrent tant bien que mal de dissimuler leur surprise et leur malaise.
"Monsieur Marcias, c'est un plaisir de vous voir ici." répondit Harlon.
"Je ne veux pas vous inquiéter, je viens avec de bonnes nouvelles."
Marcias sortit de son manteaux trois enveloppes blanches.
"Jaqen est fière de vous. Les dernières semaines étaient bonnes, les affaires sont florissantes. Je viens directement de la part du vicomte, il souhaite vous récompenser comme il se doit pour votre participation. En espérant consolider notre collaboration. Tenez, prenez ceci en gage de notre amitié."
Harlon ouvrit discrètement l'enveloppe. Elle contenait une belle somme d'Atoll en grosse coupure. Suffisamment de quoi racheter à son ami Mr. Gisleygh le tableau de Milady ChanteBrumes !
Harlon se redressa et serra la main de Marcias.
Mais dans son esprit, Harlon pensait bien le contraire. Depuis quelques mois, son appréhension pour Jinno s'était transformée en aversion. Mais c'est après l'affaire de son ami Arthur Devilliers que ce sentiment s'aggrava en une profonde haine.
Il accusait Jinno d'avoir fomenté la disparition du Directeur des Finances. Harlon était depuis devenu moins conciliant avec les demandes de Marcias. Il laissé également traîner son oreille davantage derrière les portes dans l'espoir un jour, de trouver une raison valable pour enfermer ces deux hommes derrière les barreaux.
Mais jusqu'à aujourd'hui, il n'avait rien trouvé qui puisse les faire tomber sans l'incriminer lui aussi directement. Ce pot-de-vin ce soir était le signe que les choses se passaient bien pour ses deux ennemis. Il essaya de dissimuler sa colère derrière un sourire posé.
"Veuillez remercier sincèrement le vicomte de ma part. Son geste me touche. J'en prends sérieusement considération et je me tiens à son service pour répondre à la moindre de ses demandes. J'attends avec grand plaisir les nouvelles opportunités qui se présenteront à nous, pour le bien du Conte d'Icanam, de la ville et des Terres d'Helm."
Ses deux compères se levèrent pour l'imiter, récitant à leur tour de longue formule de remerciement.
...
La soirée finie et les salutations faites, Harlon prit la direction du boulevard pour appeler sa voiture.
Alors qu'il marchait sur les pavés sombres, une voix suave dans son dos l'interpella.
"Monsieur Gautt..."
Un homme dissimulé derrière une capuche et une longue cape bleu marine se tenait à quelque pas de lui. Sa proximité effraya Harlon qui ne l'avait pas senti s'approcher.
"Mon maître aimerait vous parlez, veuillez me suivre."
Harlon comprit qu'il ne s'agissait pas là d'une demande, mais d'un ordre. Il suivit l'homme encapuchonné jusqu'à une voiture stationné dans une ruelle, loin des yeux et des oreilles indiscrètes. L'homme ouvrit la petite porte en bois et lui indiqua de monter.
Assit sur la banquette, un homme d'une vingtaine d'année patientait, le menton posait sur sa main. Lorsque Harlon apparu à la porte, il sentit ses yeux pénétraient les siens. Il était bleu comme les mers du Sud. Son visage était d'une beauté pure, comme une page blanche. L'inconnu lui donna une forte impression. Il se soumit immédiatement à son autorité.
"Bonsoir Mr. Gautt. Votre soirée s'est bien passé ?" demanda-t-il d'une voix douce et grave.
Harlon était trop perturbé pour répondre. Il s'assit en face et posa ses mains sur ses genoux, comme un enfant puni.
"Je m'appelle Caelum."
Il patienta le temps de laisser son interlocuteur digérer l'information.
"Monsieur Gautt, connaissez-vous l'Ordre des Apis ?"
Ce nom ne lui était pas inconnu. La secte des Apis était comptée dans bien des légendes, on racontait que son existence remontait jusqu'à l'époque de l'Empire.
"De nom seulement, je ne savais pas qu'elle existait encore."
Caelum sourit d'une manière qui se voulait rassurante, mais cela suscita des frissons dans le dos de Harlon.
"Nous essayons de rester discret depuis la chute de l'empire."
"C'était il y a plus de deux cents ans... Pourquoi en parle-t-il comme d'un événement récent ?"
Harlon était profondément perturbé.
"Voyez-vous, monsieur Gautt, vous vous trouvez dans une position très intéressante. Je sais que vous avez déjà prêté allégeance au vicomte Jaqen et sa petite organisation..."
"Petit organisation !?"
"Je ne souhaite en aucune façon faire de vous un traître ni vous mettre en danger. J'aimerais simplement vous apprendre la raison pour laquelle votre prédécesseur a été assassiné."
"Il s'agit d'une histoire malheureuse, un manque de communication je dirais. J'aimerais que cet accident ne se reproduise plus."
"L'ancien directeur avait été informé qu'un gisement de pachyseris avait été trouvé dans une mine de Scleractinia. Savez-vous ce qu'une telle trouvaille signifie monsieur Gautt ?"
Harlon acquiesça.
"Malheureusement, le filon était vide. Aucune alchimie ne s'était créée en son sein. Cependant, Jaqen, ou bien Jinno... l'un d'eux a... disons, mal reçu la nouvelle. Il s'est imaginé que le directeur avait volé le trésor que le gisement renfermait."
"Un accident qui aurait pu être éviter. Voulez-vous savoir comment ?"
"En me faisant confiance. Les problèmes d'adultes doivent être réglé par des adultes. Vous comprenez Harlon ? Une telle pierre de peut pas être manipulé par des enfants. Il faut des adultes compétents. Je veux simplement que personne ne se blesse en essayant de se croire plus grand qu'il ne l'est."
"Alors, à l'avenir, si vous avez écho d'une découverte dans vos mines... Parlez en moi en priorité."